Xavier Marcoux
(
1911-1992)
poète patoisant
Poèmes
à écouter
Notre
langue,
Nôtra lingô
Mon
sifflet,
Mon fiolë
Mes sabots,
Mu éssio
Mon village,
Mon vialajou
Le vent,
L'orô
Les vaches dressées,, Lé
dondequ'li fera
Le temps qu'il fera,
Le tin ko fôrô
Amandine,
Omandine
Le lignon,
Le lignouon
Pas de jugeotte,
Pô d'émou
Mariage du papillon,
Moriajou do porpouyë
Tout est détraqué, Dépôtinto,
dépotintè
Quand j'étais petit,
Kan ouèrïn tcheton
Petit agneau,
Tche ogné
Les seaux,
Lu bru
Le chevreau et l'étoile,
Le boutchïn é l'étialo
Le cheval Bicho,
Le chavo Bicho
Confession d'un chien berger,
Confesso d'ïn chin borgé
Une portée de petits cochons,
Ena cayounè
Le Jean et la Jeanne,
Le Jan é lô Jèno
Le fléau,
L'écoussou
Sur le route...
Po lo rotô de Retchôlon
Printemps,
Printin
Récit :
L'arracheur de dent, L'orôchô
de din
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et documentation
Joseph Barou
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s'adresser :
Forez
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Château
de Chalmazel
Le dernier poète patoisant du
Forez
(patois
de Chalmazel)
A
la découverte d'un poète,
Xavier Marcoux
par
Danièle Latta
1 - Un
poète patoisant
Des poèmes en patois
Le groupe "Patois vivant" est né en février
1976, au Centre social de Montbrison. Des Foréziens attachés
à leur "vraie langue" ont l'idée de se réunir
une fois par mois afin de parler, de rire, de chanter, de raconter des
histoires selon la tradition des veillées d'autrefois. Et l'on
parle le patois bien sûr. Grand succès de cette entreprise
qui attire et rassemble des gens très divers.
Moins d'un an après, en janvier 1977, le premier bulletin du
groupe "Patois vivant" voit le jour, réunissant des
textes donnés par les participants ou enregistrés au cours
des soirées. On y trouve un poème de Xavier Marcoux :
Les Dondes. Son patois, c'est celui de Chalmazel, du hameau de Nermond
où il est né le 18 mars 1911. Le supplément au
n° 2 du bulletin (septembre 1978) contient exclusivement 26 poèmes
de Xavier Marcoux, certains "chantés", tous datés
de 1977 ou 1978. Sur son exemplaire il a ajouté, en mention manuscrite,
la dédicace suivante : A mes parents
Eugène Marcoux, Marie Viot, qui m'ont appris le patois.
Cet hommage dit déjà l'essentiel mais un passage nous
renseigne sur le déclic qui est à l'origine de l'écriture
de ces poèmes. Il y a quelques années, le Père
Gardette m'écrivait : "ce qui manque le plus à notre
dialecte franco-provençal, c'est de la poésie." Amoureux
de ma langue maternelle, je me suis dit le Père Gardette fait
un appel
Tout le monde est poète, paraît-il, il faut
essayer !
Ou é pré l'écoussou
è pïn, pan, pô, sué tôboulô su
tô pôyè et avec les encouragements de mes amis
du groupe Patois vivant, voilà ce qui en est sorti.
Pour ses amis, Xavier Marcoux était bien, parmi eux, le poète.
Aujourd'hui, nous publions dans ce numéro 26 poèmes de
1977 et 1978 et 17 autres écrits entre 1978 et 1984. Xavier Marcoux
les avait copiés dans un grand cahier de comptes à couverture
marron qu'il gardait près de lui dans son magasin de la rue Tupinerie.
Les poèmes sont écrits tantôt en hauteur, tantôt
en largeur, accompagnés souvent de la traduction en français,
à l'encre rouge, pour la distinguer du patois. Quelques notes
précisent le sens d'un mot, donnent une indication supplémentaire
sur un personnage, montrent le soin apporté par l'auteur à
la transcription de ses textes. Avait-il d'autres brouillons ? C'est
difficile à dire. La poésie, cela vient souvent en marchant,
cela se modèle dans l'esprit, cela passe par la voix, jusqu'à
la forme juste. On trouve des corrections inscrites sur de petites gommettes
ou sur des étiquettes collées par-dessus le texte à
corriger. Quelques ratures, des ajouts, quelques textes barrés.
Tout ce travail, patient et appliqué, émouvant à
étudier, montre que Xavier Marcoux envisageait une publication.
Une autre publication
des poèmes
Joseph Barou a eu l'initiative de la présente édition
de ces poèmes. Elle est bilingue cette fois-ci, par souci de
permettre à tous les lecteurs de goûter ces textes. Trop
de patoisants ont disparu emportant avec eux la connaissance de cette
langue dont je ne possède moi-même que quelques rudiments,
mais la traduction me renvoie aux mots du franco-provençal. Ces
mots sont mis dans une certaine cadence, souvent avec des rimes et les
images qu'ils créent me parlent peu à peu, me parlent
d'un pays que j'ai appris à aimer, celui des monts du Soir, celui
des hautes chaumes des monts du Forez.
Tout un univers apparaît avec les villages, les rivières,
les chemins, les arbres, le ciel de l'aube et les constellations de
la nuit. Tout un monde presque disparu resurgit, celui des animaux traditionnels
de la ferme - les vaches dressées, le cheval, les cochons, le
bouc - celui des petits bergers des jasseries qui fabriquent des sifflets
et font claquer leurs sabots sur les chemins. Tout le quotidien des
gens de la montagne nous est restitué avec malice ou émotion
à travers le langage des objets, les odeurs, les bruits. Et ce
n'est pas vain regret d'un passé idyllique, ou sentimentalisme
mièvre, mais authentique mémoire.
Xavier Marcoux, avec passion, avec jubilation, communique les impressions
profondes de son enfance, ce qui l'a fondé, comme l'on dit maintenant,
et il le fait en usant de cette langue, notrô
lingô, ce sont ses mots, E
lé si jintô / Notrô lingô / Oué în
trésore.
2 - Une vie
Xavier Marcoux est né le 18 mars 1911 au hameau de Nermond
dans la commune de Chalmazel. Sa maison natale venait des Viot, du côté
de sa mère, et son père, né à Champcolomb,
était "venu gendre" à Nermond. Xavier est le
dernier de sept enfants ; il apprend le français à l'école
car, chez lui, on ne parle que le patois. Tout jeune, il est petit berger
dans les jasseries avec la "Maine".
On le destine à la prêtrise et il fait ses études
d'abord au collège des Salles (comme le Père Canard) ;
quatre années de collège pendant lesquelles il ne revient
à la maison qu'aux vacances. Puis il entre au Petit Séminaire
de Montbrison et fait ensuite une année de Grand Séminaire
à Lyon. Mais il arrête ses études et ne se sent
pas la vocation de la prêtrise.
Il a 20 ans en 1931 et il exerce différents métiers à
Lyon, à Grenoble, à Clermont-Ferrand. Il travaille ensuite
comme comptable chez Berliet à Vénissieux, dans la banlieue
lyonnaise. Il se marie en 1940 avec Marie-Antoinette Boudin, infirmière
- visiteuse, née à Firminy le 10 avril 1914 dans une famille
de commerçants artisans. C'est une amie de sa sur Angèle
qui a épousé un de ses collègues de travail, Henri
Roux.
Te me fi conutre mô fenô, Tu
me fis connaître ma femme
ô te fiu conutre ton hômou, je te fis connaître
ton mari
La femme de Xavier Marcoux exerce quelque temps son métier puis
tient un magasin de vêtements rue Garibaldi à Lyon. Deux
filles naissent, Maryvonne en 1941 et Marie-Claude en 1942.
Au vu des difficultés de la vie quotidienne, Xavier Marcoux et
sa famille quittent Lyon en 1943 et s'installent à Montbrison
où vivent les parents de Marie-Antoinette. Le jeune couple tient
alors deux commerces de vêtements : "Le Printemps" et
"Les deux Passages" et habite d'abord à l'angle du
quai de la Porcherie et de la rue Notre-Dame, puis rue de la République,
à côté de l'usine à gaz. Une troisième
fille, Christiane, naît en 1946, puis un garçon, Jean-Luc
, en 1949. Deux autres filles viennent ensuite, Marie-Dominique, née
en 1952 et Mireille en 1957.
Peu après cette dernière naissance, Xavier Marcoux a la
douleur de perdre sa femme. Il travaille encore longtemps, élevant
ses six enfants et tenant sa boutique à l'angle de la rue Tupinerie
et de la rue Notre-Dame. C'est là que je me rappelle l'avoir
vu dans les années 70. C'était une figure montbrisonnaise.
La famille garde des contacts avec Chalmazel où elle se rend
assez souvent pour des visites à des cousins ou des promenades
dans la montagne. Xavier Marcoux continue ainsi de parler le patois.
Il reste aussi très lié avec sa sur, Angèle
Marcoux - Roux, qui est veuve et vit seule avec sa fille Geneviève
. Il a le goût de la famille et voit naître avec bonheur
ses petits-enfants. C'est au fil du temps que dans son grand registre
de poèmes on les voit grandir. Il doit d'ailleurs les initier
à la poésie. Tel poème en acrostiche le prouve
(poème en français), sans doute écrit en commun.
Il a d'autre part soigneusement gardé des poèmes de ses
petits-enfants.
En 1991, on célèbre ses 80 ans et toute la famille se
met à rimailler :
C'est aujourd'hui l'occasion / De sortir notre érudition./ En
dignes descendants de Xavier / Nous nous sommes mis à rimailler
/ Pour souhaiter Bon anniversaire / Au plus gentil des pères
et grands-pères.
Il recopie des poèmes, d'une écriture que la maladie rend
un peu tremblante. Mais c'est un exercice qu'il s'impose car le courage
ne lui manque pas. Il peaufine aussi la traduction de ses poèmes
car il sait que la langue de son enfance se perd et que les plus jeunes
de la famille ne la connaîtront pas.
Xavier Marcoux meurt le 22 avril 1992, à 81 ans.
On peut penser que la poésie l'a accompagné tout au long
de sa vie et qu'il a su la faire goûter aux autres. Dans les papiers
qu'il a laissés, au dos d'une carte de visite d'un fournisseur
parisien, on peut lire ce poème de Charles d'Orléans que
tous nous avons appris à l'école :
Le temps a laissé son manteau / De vent
de froidure et de pluie
Ce rondeau, du début du XVe siècle, garde un charme tout
neuf par la simplicité de ses thèmes et par son rythme
léger. Nul doute qu'il ait plu à notre ami Xavier Marcoux,
et, qu'à la fin de sa vie, il ait eu, un jour, le désir
de le recopier, de mémoire peut-être, sur un petit rectangle
de bristol, montrant par là son appartenance à la grande
famille des poètes.
3 - L'uvre poétique
Le choix du patois
Dans un article du Progrès
de novembre 1978, Monique Damon-Bonnefond cite des paroles de Xavier
Marcoux évoquant son enfance :
Jusqu'à l'âge de 6 ans, je n'avais
jamais entendu parler français. Mes parents, agriculteurs, mon
entourage, paysan, ignoraient la langue nationale.[
] Lorsque j'entrais
à l'école, le maître nous apprit, à mes camarades
et à moi-même, à manier la langue française
[
] Nous continuions à pratiquer le patois en début
de la classe, à la récréation, chez nous. Mais
j'ai su, bien plus tard, que les maîtres préféraient
enseigner de jeunes paysans comme nous qui arrivions incultes, à
l'école, plutôt que ceux d'entre nous qui avaient appris
quelques bribes de français mais de façon gauchie et qui
éprouvaient beaucoup plus de difficultés que nous pour
se débarrasser de mauvaises prononciations.
Le patois est la langue maternelle de Xavier Marcoux, celle de ses premières
découvertes, des émotions qui laissent leur empreinte
pour la vie. Quand il a écrit des poèmes, il l'a fait
en patois parce que toute poésie renvoie à l'enfance.
On trouve plusieurs thèmes et diverses sources d'inspiration
et cette présentation a pour but d'aider chaque lecteur - même
non patoisant - à entrer dans cette pensée du poète,
à mieux goûter ses mots et à apprécier la
variété des rythmes et la richesse de cette langue.
L'enfance
Voici d'abord l'univers de la petite enfance avec la figure de la mère.
Puis les jeux, les malices et les occupations des jeunes enfants.
Lô Mouma (La Maman)
fait le portrait d'une femme toujours levée la première
et couchée la dernière qui " donne, donne "
à tout le monde et avec le sourire :
Ou'ère son plézi / To son plézi. C'était
son plaisir / Tout son plaisir.
C'est aussi l'évocation des occupations de l'enfant dans le poème
intitulé Kan ou érïn tcheton,
qui commence justement par cette phrase du vieux folklore français
: Quand j'étais petit, je n'étais
pas grand et qui continue par :
J'avais des culottes en fromage blanc
Là ce sont des petites bêtises d'enfant qui sont racontées,
farces et malices qui ne tirent pas à conséquence - glisser
sur les sabots, faire peur aux filles, galopiner en quelque sorte à
travers les rues du village. La fin de ce poème nous fait entendre
les mots, les cris pour appeler les animaux, de ôvo
! ôvo ! pour chèvres et veaux à
kery, tchia pour le cochon qui attend l'arrivée de
sa pitance, le groin dressé devant le bachat.
Nous sommes encore dans le pittoresque avec la
chanson du sifflet et la danse des
sabots. Le sifflet a été taillé par
l'enfant qui accompagnait son travail de la chanson appropriée,
transmise de génération en génération :
Zabô, zabô / Tchio de kanô
/ Si te vô pè zôbè / Foudrô te coupè
le nè.
Pour Mes sabots, on appréciera
le rythme de la danse, rendu par les vers courts, aux sonorités
martelées, terminés par une unique rime en "o".
Tous ceux qui ont aimé danser la bourrée, en frappant
du talon, ressentiront, en lisant ce poème, la force de l'évocation.
N'oublions pas que dans ces soirs de fête, tout le monde était
mêlé. Les petits apprenaient en voyant faire les grands.
On pourrait encore rapprocher le poème intitulé : Le bo
/ Le bouc (p. 16) du monde de l'enfance car c'est un conte de "randonnée",
genre fort apprécié des enfants dont il développe
la mémoire : une histoire qui va du bouc au petit chevreau en
passant par la bique, puis qui reprend, du plus fort au plus faible,
et finit dans un grand concert de bêlements : Bioli
/ bioli
bioli
/
Et biale ïncore.
La vie de la campagne
: les animaux
Xavier Marcoux restitue dans ses poèmes l'atmosphère de
la vie quotidienne du village. On voit circuler et travailler bêtes
et gens, intimement liés pour le meilleur et pour le pire. Comment
s'étonner, dès lors, qu'il prête aux animaux des
sentiments humains ? Chaque animal a un nom - pas un numéro tatoué
dans l'oreille - et une personnalité.
Le cheval Bicho fut ainsi tout exprès
créé par le Bon Dieu pour être l'ami de l'homme
et de la femme. C'est le portrait, à la fois réaliste
et légendaire, d'un grand cheval, dur au travail, respecté
de tous, à la robe couleur café et aux sabots tou
quatrou bien forô, un bon cheval, doux et protecteur,
au point que l'homme et la femme - cela est dit - devant
cet ami / Se mettront à genoux. On n'est pas loin
de l'atmosphère de certains poèmes de Francis Jammes,
comme celui où il évoque Le p'tit
cheval dans le mauvais temps
, obstiné et courageux,
dont l'âme claire et naïve ira tout droit au paradis.
Lé donde (Les vaches dressées)
ne manquent pas de caractère, elles non plus. Les voici qui prennent
la parole, la Rouge et la Blanche,
comme dans un conte de Marcel Aymé. Elles travaillent comme des
bufs, en couple inséparable, mais ne perdent pas une occasion
de rire et de papoter : Pô bioké
toté doué / nou bôyin de kô de koué
! Elles ne sont pas privées du plaisir d'être
mères et l'accouplement avec le taureau est raconté dans
un style rabelaisien fort joyeux que je laisse aux lecteurs le bonheur
de découvrir.
Plus triste est Confesso d'ïn chin borgé
(La confession d'un chien berger). Le vieux chien, fameux berger, qui
jamais ne mordit l'une de ses brebis, raconte comment il a aimé
l'une d'elle, la Manchette, allant
jusqu'à boiter comme elle pour l'aider à marcher, la protégeant,
lui jappant son amour, inconsolable quand elle est vendue ; et par fidélité
à son souvenir, le voilà qui sera boiteux à jamais
! Trouvez donc une plus belle histoire d'amour au pays des hommes
Le poète ne peut s'empêcher également de déplorer
le sort d'un jeune agneau que l'on a mis à mort et qui pleure
sur le plateau du boucher. Cette fois-ci, c'est le ton de la déploration.
Il n'avait pas fait plus de mal que l'agneau de La Fontaine et pourtant
la cause de sa mort, ce n'est pas un loup affamé mais la férocité
des hommes. Ce sujet n'est pas traité de façon mièvre
par Xavier Marcoux. Bien au contraire, c'est avec force qu'il s'élève
contre cette injustice, prenant la défense d'une faible créature
du Bon Dieu victime de la barbarie humaine. Points d'interrogation et
points d'exclamation témoignent de cette indignation.
Le poème, Une portée de cochons,
fait irrésistiblement penser à la fragilité des
bébés quittant le ventre douillet de leur mère
pour affronter le dehors : le froid, la recherche de la nourriture.
Avant de naître ils jouent à saute-mouton, à la
course à l'âne, à cache-cache, à la culbute
; ils chantent et dansent. Heureusement après leur naissance,
la mère nourricière est là pour les aider. Cette
histoire de bêtes est aussi une métaphore de la vie des
enfants insouciants et joyeux qui doivent un jour se lancer dans la
vie.
On lira encore avec intérêt le poème intitulé
Quoi, quoi ? qui présente
de nombreux cris d'animaux, de manière plutôt facétieuse.
La vie de la campagne : les travaux
et les jours
Dans les souvenirs de Xavier Marcoux on retrouve beaucoup d'évocations
sonores qui se rapportent aux diverses occupations des paysans, travail
quotidien comme la traite des vaches ou saisonnier comme le battage
des gerbes. Ces petites scènes deviennent très vivantes
sous la plume de notre poète.
Comme par hasard le mot "seaux" se dit
bru en patois, et le mot "bruit", c'est également
bru. Nous voici donc au pré, avec, dans l'oreille, ce son du
jet de lait bourru qui arrive dans le seau, bruit pointu, son métallique
au début (on n'a pas encore inventé le plastique), puis,
au fur et à mesure que le seau se remplit, le son est plus sourd,
le lait écume, et bientôt la surface du liquide se balance
au rythme de la bourrée des seaux. Il faut lire et relire ce
poème, plein de charme et de fantaisie. Jusqu'où iront
ces seaux ? Ils échappent à tout contrôle comme
ceux de L'apprenti sorcier de la légende. Notre poète
s'amuse en écrivant cette histoire dont la majorité des
rimes sont en "u".
Plus sage et plus traditionnelle est la chanson du fléau. C'est
bien un chant qui accompagnait le travail de battage, éprouvant
pour les bras et les reins, pénible pour les yeux à cause
de la poussière. On entend : Pïn,
pan, pô, pïn, pan, pô. Pas besoin de traduire
! Chaque fin de strophe reprend ce refrain, chanté par toute
la collectivité. On voit les hommes, les femmes et toute la marmaille
est présente, lô mormayi.
Il y a même le tonton. C'est une activité vitale : ensuite,
il y aura le pain, ce régal, des taillons
de pain blanc, des taillons de gros
pain et cela mérite bien la peine des hommes.
Reste à présenter le sabotier de Chalmazel qui a l'amour
du métier et fait voler ses outils pour parer, creuser, racler
le bois et transformer, avec art, les bûches en sabots.
Le sentiment de la nature : un
lyrisme très personnel
Xavier Marcoux se révèle être, au fil de ses poèmes,
un amoureux de la nature, un homme sensible au lyrisme très personnel.
Commençons par Mon village. C'est
Nermond, le lieu de naissance. Dans ce texte, très bien composé,
le regard s'élève d'abord des bâtiments en pierres
aux arbres au-dessus, puis on découvre le plateau, et plus haut
encore, la forêt. Le regard s'abaisse ensuite vers les fleurs
de pissenlits qui émaillent le vert des prés. On devine
la volonté du poète de nous faire partager l'amour de
son village en nous guidant pour que nous en découvrions les
beautés les plus humbles. Il en connaît chaque détail
: c'est "chez lui".
Retenons encore l'hymne au printemps, thème éternel, mais
agréablement renouvelé ici. A côté de l'évocation
des oiseaux, des fleurs - violettes, pissenlits, pâquerettes -
on rencontre une verve plus campagnarde. La sève ne monte pas
que dans les plantes : elle inspire aussi les garçons, avec l'image
réaliste des "suçons" faits à leurs petites
amies ! Apprécions au passage le couplet qui ouvre et ferme le
poème :
L'orô ô bôdô lô
portô dô tin, Le vent a ouvert la porte du temps,
L'orô ô bôdô lô portô dô prîntin.
Le vent a ouvert la porte du printemps.
Mariage de papillons n'est qu'un
prétexte pour traiter du badinage amoureux. Deux fiancés
se taquinent sur le thème du "quand
nous marions-nous". L'amoureux répond, en se moquant,
aux questions de la jeune fille, qui ne manque pas d'en faire autant.
Le tout sur un mode léger, comme la danse de deux papillons qui
se taquinent en volant de fleur en fleur.
On trouve aussi bien l'éloge du vent : Il
court, court le vent / Comme un lièvre / Qu'un chien poursuit,
/ Plus vite encore au rythme rapide, comme essoufflé,
aux sonorités évocatrices des différents bruits
produits par le vent que la présentation de la fraise, modeste
fraise des bois difficile à trouver, mais si délicieuse
et parfumée.
Encore très réussi, le poème qui peint la course
du Lignon. Les vers courts, haletants,
du début, sont comme la course d'un jeune enfant qui fait le
fou, avec la cadence de la danse. Une petite voix, peu d'eau, mais une
grande vitalité. A partir du pont, le ruisseau a plus d'ampleur
: il porte un nom et fait plus de bruit. Les vers s'allongent, mais
c'est toujours la fête car deux ruisseaux se sont rejoints :
Sôtin, sôtin, riyin, riyin, / Dansin,
dansin, chantin, chantin, /
Glou, glou, glou, / Ou'é nou, lu dou sïmplou.
Les choses se gâtent quand vient la maturité. La belle
rivière est polluée et sa destination finale (la
mer de Biribi ) fait plus penser à la prison qu'à
la liberté. Pauvre Lignon!
Le court poème Louis et Mélanie
nous fait vivre la vie simple d'un vieux couple tendrement uni. Tout
est dit en peu de mots : attentions réciproques qui signent le
bonheur (Pô te : mô Mélèni
! Pô te : mon Loui !)
Amandine et Sur
la route de Reculons sont comme des réminiscences
d'anciennes chansons françaises, adaptées aux lieux de
l'enfance de Xavier Marcoux.
Dans le premier texte, la belle Amandine se promène au long de
l'eau, et c'est le ruisseau de Grandris,
bien connu des habitants de Chalmazel. Mais la fin de l'histoire est
heureuse : la fille n'est ni séduite ni abandonnée, ce
qui arrive d'habitude dans ces anciennes chansons qui sont des mises
en garde pour les jeunes demoiselles.
Quant à la route de Reculons,
il s'y passe de curieuses choses : cette Madelon n'est pas bien farouche
et le conseil donné, c'est de ne pas passer sans la consoler
!
Un poème très attachant nous fait rêver du ciel
et des constellations. Dans cette montagne, la nuit, le ciel est tout
proche et les figures qui sont dessinées ont toujours aiguisé
l'imagination des petits bergers : dans la petite musette du garçon
sont enfermés le petit chevreau tout en or et l'étoile
qui dormait encore. Le dimanche ils ont disparu, mais c'est au ciel
qu'on peut les trouver désormais :
Mê ou é veu ïn choroban Mais
j'ai vu un char à bancs
Djïn le sié, tchirô pô ïn boutchîn,
Dans le ciel, tiré par un chevreau,
E l'étialô dô borgé dourmé dedjîn.
L'étoile du berger dormait dedans.
Des histoires, encore des histoires
Tous ceux qui l'ont rencontré savent que Xavier Marcoux aimait
raconter des histoires, des "histoires du temps passé",
selon les mots de Victor Hugo, mais aussi des "malices" qu'il
arrangeait à sa guise et de petits poèmes absurdes ou
naïfs, à la manière de poètes contemporains,
comme Francis Jammes, Jacques Prévert ou René de Obaldia.
Au compte des histoires transmises aux veillées, voici celle
de Pierre Paillat, qui devait beaucoup
amuser les auditeurs. L'homme est un avare qui trouve sur la route un
porte-monnaie gelé
Je vous laisse découvrir la suite
de l'aventure qui ne manque pas de piquant !
Le bouc de Bignado est un fameux
reproducteur et l'on se plaît à le vanter. Mais après
la mort de son maître, il est acheté par le maire, et le
voilà qui ne veut plus travailler. On s'amuse beaucoup à
lire la fin de l'histoire !
Une jeune chèvre est un conte
gaillard dans la tradition des fabliaux du Moyen Age. La conduite de
cette chèvre, facétieuse en diable, loin de scandaliser,
devait au contraire déchaîner les rires des paysans qui
se trouvaient ainsi vengés des juges, leurs ennemis de toujours.
D'autres poèmes sont de la même veine rabelaisienne : les
mots crus ne sont pas évités, au contraire. Ainsi dans
Le Jané lô Jèno
ou dans O lo borô.
Môrchan de poné est
repris et adapté d'une chanson ancienne. Ce marchand de paniers
initie la tante Dorothée à son métier ! Neuf mois
après, on voit le résultat
Tout le plaisir de ceux
qui écoutent est dans les sous-entendus et l'on finit par la
chanson : cric, crac, j'entends le bois qui craque / écoute,
entends-tu le bois craquer ?
Le coq et le miroye (Le coq et le
milan) est une véritable fable digne de La Fontaine, par laquelle
nous apprenons pourquoi les milans, dit-on, mangent les poules et les
poussins.
Parfois l'on rencontre des textes proches de l'absurde, du "nonsense"
anglais. Détraqué, chamboulé
montre le monde à l'envers. On prend le plus grand plaisir à
renverser toutes les situations traditionnelles et l'on sent que l'énumération
loufoque pourrait durer encore plus longtemps, si le poète ne
décidait de conclure par un : Tô
é dépotintô.
Dans La chèvre et le loup,
qui est en forme de chanson, on se croit dans l'univers de Desnos car
l'on rencontre trois limaçons qui s'en vont labourer, puis une
chèvre noire qui chante : alleluia, avant, la pauvre, de se laisser
manger par le loup.
Autres histoires sans queue ni tête dans Brayi
de coucu où la primevère en mal de confidence
raconte des choses extravagantes : qui peut croire, par exemple, qu'à
Saint-Didier, un blaireau chante des chansons alors qu'autour de lui
dansent des matous ? Cela ne fait rien, nous sommes dans la féerie
du "Il était une fois".
L'histoire intitulée : Pô d'émou
(Pas de jugeotte) est une leçon de sagesse populaire, racontée
sur un mode plaisant, léger. Un certain nombre de proverbes bien
connus y trouvent illustration. Un père donne des conseils à
son fils, plutôt irréfléchi, qui doit acquérir
un meilleur jugement, apprendre à économiser, freiner
ses désirs, calculer pour avoir un bon avenir
Bref, on
est en plein conflit de générations.
Plaisant également le petit poème des "douleurs",
qui met en scène plusieurs personnages souffrant de ces fameuses
douleurs. On entend les plaintes de la Pélagie et du Guste de
Traveloux, reprises par l'âne qui brait à belle voix !
Des douleurs, il y en a pour tous, mais elles n'ont jamais fait mourir
personne, elles alimentent surtout les conversations.
Beaucoup de poèmes traitent donc de sujets plutôt amusants.
On fait passer bien des idées grâce au ton comique, sans
la pesanteur de la leçon de morale. Cependant Xavier Marcoux
est parfois plus grave sans devenir pour autant ennuyeux.
Un homme qui se retourne sur son passé
Malgré des apparences légères, Le
tin ko fôro (Le temps qu'il fera), montre une certaine
nostalgie du temps qui passe. Sous les petites histoires amusantes qui
illustrent chaque jour de la semaine, on voit en fait passer les saisons
de l'année et même les saisons de la vie. C'est court,
la vie !
Mais où sont les neiges d'antan
,
semble dire le poète dans le texte : Intô
lé donc ? (Où est-il donc ?). Oui, où
sont-ils donc tous ces personnages des histoires entendues aux veillées
? Perdus, bien perdus dans la nuit noire du temps écoulé
et l'on ne perçoit plus que le intô lé, intô
lé donc, que reprend tristement l'écho.
Même inspiration pour Viôle (Sentier)
où l'on constate qu'il n'y a plus de sentier à travers
les prés. Maintenant les bêtes sont gardées par
des rangs de fil de fer barbelé. Plus de sentier, plus de berger,
plus de garçon pour conter fleurette
Dans ce court texte,
ce sont les mots plu et yô
mè (y a seulement) qui résonnent sinistrement
tout au long des vers.
Xavier Marcoux évoque encore en patois des moments heureux d'amitié
partagée autour d'un bon repas rustique et cela donne : Sopô
de chaô, où l'on retrouve plusieurs figures
du groupe "Patois vivant" : Et glou,
glou, glou / Pour la soupe de choux.
Il essaie surtout de sauvegarder ce qui est le plus important, à
ses yeux, la saveur de la langue, et même sa verdeur, comme dans
le poème intitulé : Jinto lingo
où des expressions très imagées disent
une certaine sagesse paysanne. Et Notrô
lingô est un véritable hymne au patois forézien,
la vraie langue, qui dit plus que des mots, qui dit les habitudes, les
coutumes et donne son sens à la vie. Les deux dernières
strophes de ce poème ont de vrais accents de ferveur :
Notre langue / C'est un trésor / Elle
a cent mille étés et dure encore. / Notre langue gardons-la
donc / Et à nos enfants donnons-la donc. On sent qu'il
veut se convaincre lui-même. Il conclut ainsi, et, curieusement,
en français seulement :
Nous sommes bilingues / Restons bilingues : Notre langue est un trésor
/ Gardons notre trésor.
Qu'en est-il de cette exhortation, de cette bouteille jetée à
la mer en 1977 par un amoureux du patois ? Je ne saurais conclure là-dessus.
Les patoisants seront mieux à même de le faire, eux qui
font le succès des veillées de Patois vivant, ce qui est
déjà une réponse. Mais on peut dire que les textes
de Xavier Marcoux sont ceux d'un véritable poète, sensible
et inspiré, qui varie les tons et les rythmes, et qui nous laisse
ce témoignage irremplaçable sur le monde de son enfance
et de sa jeunesse. Le Père Gardette souhaitait l'émergence
d'une poésie forézienne. Celle de Xavier Marcoux répond
à son vu.
Dessin de l'artiste chazellois Albert Néel
Xavier Marcoux (1911-1992), poète patoisant,
présentation de Danièle Latta
un
cahier de 60 pages, (21 X 29,7)
disponible au
Centre Social de Montbrison
13 place Pasteur,
42600 Montbrison
tél. 04 77 96 09 43
mèl
centresocial.montbrison@laposte.net
site
perso.wanadoo.fr/centresocial-montbrison
Autres
pages : patois du Forez
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