Patois vivant

 


Marcel Vernet

 

Lo tsache a lou vipére
La chasse aux vipères

N'y ô lontan k'amassu de vipère ; tou le z'an yo n'amassu djïn lou bouessou, po lou moular (1), in po partu. Yo n'amassu san, dou san par an ; n'an vandu, n'an betu djin la nîôla. N'an vandu po fér de grèche kontro lé dulou (2) . E ïn ga de vé Stétiène (3) ki me lé z'atsète.

Il y a longtemps que je chasse les vipères ; tous les ans j'en prends dans les buissons, sur les talus, un peu partout. J'en prends cent, deux cents ; j'en vends, j'en mets dans l'eau-de-vie. J'en vends pour faire de la graisse contre les douleurs. C'est un gars de Saint-Etienne qui me les achète.

Po lé z'ôrapa
(4) yio de dzour ke voulé meyour ke d'ôtre. Fô n'y alè le madjïn, vé lé diz'oure. Yo prene de pïnse avé ïn sa. Yo tsèrtsu le lon de lou mur, de lou moular ; è rèr che n'en vèye pè. Le meyour ét'ô maé d'avri : alôr yo n'an treuve tudzour ansan otsavé tré, otsavé katre (5) ou alôr ou y'o de dzour ou n'y an a uno vonteno ansan : po byin ôro ; mè lé z'ôtré véy, kan koumansavo a lé kour (6), n'y aï mè k'ôra (7). Yo n'an e pa mal ôrapa. Po Pâko, o maé d'avri, é le mouman ke fréyon (8) ; é po ékan ke n'y o byin mé : è o djur a pe pré ïn maé è apré, le maé de juïn, o file tsakin de louron lè.

Pour les attraper il y a des jours qui vont mieux que d'autres. Il faut y aller le matin, vers les dix heures. Je prends des pinces avec un sac. Je cherche le long des murs, des talus ; c'est rare si je n'en vois pas. Le mieux c'est au mois d'avril : alors j'en trouve toujours ensemble, tantôt trois, tantôt quatre ou alors il y a des jours où il y en a une vingtaine ensemble ; pas souvent aujourd'hui ; mais autrefois, quand je commençais à les chasser, il y en avait plus que maintenant. J'en ai beaucoup attrapées. Pour Pâques, en avril, c'est le moment où elles s'accouplent ; c'est pour ça qu'il y en a beaucoup plus : et ça dure à peu près un mois et après, le mois de juin, elles filent chacune de leur côté.

Alôr ô fan lô petyî ô maé de stembre. On'an fan a pe pré sé, sète
(9) ; è o kour en néssan ; vou'é pa koumô lé serpan (10) : lé serpan fan de ziô ; lou vipére, ou fan lou petyi. Lou vipére, ô l'on de ziô djïn le vontre koumô lé couleuvre mè, sulaman, o l'épéyaésson (11) djin le vontre.

Alors elles font les petits au mois de septembre. Elles en font à peu près six, sept ; et ils courent en naissant ; c'est pas comme les couleuvres ; les couleuvres font des oeufs ; les vipères, elles font les petits. Les vipères, elles ont des oeufs dans le ventre comme les couleuvres mais, seulement, ils éclosent dans le ventre.


Yo me ché fe pika katre vaé. La premaére vaé, ou n'y a bin lontan, n'y aï be vïnt'an. N'a aï rin pourta a la vigne po lé z'adzure
(12)... Alôr, yo passe le lon de lou moular, n'an veye ke kourion, n'amassu v'ene a la man. N'an vouyi porta doué, ino a tchak man. La premaère, l'ôrapa byin ma la segonda... Y'i beta la boto (13) dessu, mè, an l'ôrapan apré, é me pikè... Ke fèr ? Y aï djïn de pikur (14) ; m'n'ala vite, yo vene a la mouézon, feze la pikur é pè ou me passè ; ou me duré djimaé djour (15), y'éro pa mè malade k'ékan.

Je me suis fait mordre quatre fois. La première fois, il y a bien longtemps, il y a bien vingt ans. Je n'avais rien apporté à la vigne pour les emporter... Alors je passe le long du talus, il y en a qui couraient, j'en prends une à la main. Je voulais en porter deux, une à chaque main. La première, je l'attrapai bien mais la seconde... Je lui mis la botte dessus, mais, en la saisissant après, elle me "piqua"... Que faire ? Je n'avais pas de sérum ; je m'en allais vite à la maison, je faisais la piqûre et puis ça me passait ; ça m'a duré un demi-jour, je ne fus pas plus malade que ça.

La segonde, êro ïna vipère k'ér djïn ïn partyu de mur
(16) è pouyïn pè passa lo pinso po l'ôrapa ; alôr yo djijo : "atan vouère ïn mouman ! T'ôré bin !... L'aï tourna sôtre di ko partyu ; alôr vouli l'ôrapa a lou daé (17) po la tchira pa la kouo (18), é pè po l'ôrapa aprè. Voua, mè kant' l'ôrapa pa la kouo ou me mourze (19) ; é pa veyu la téte ; y'aï pourtan byin aviso.

La seconde, c'était une vipère qui était dans un trou de mur et je ne pouvais pas passer la pince pour l'attraper ; alors je dis : attends voir un moment ! je t'aurai bien !... Elle était à nouveau sortie de ce trou ; alors je voulus l'attraper avec les doigts pour la tirer par la queue, et puis pour l'attraper après. Oui, mais quand je l'attrapai par la queue elle me mordit ; je n'avais pas vu la tête ; j'avais pourtant bien regardé.

Lé z'ôtre vaé, ché éta piko toujôr an m'iamuzan avek, pass'ke le z'ôrapa djïn la kèche ; ou lé fô vaére ô mond' koum'ékan. Mè n'y a ïna vaé yo che éta byin malade ; y pré l'urtikér ïn dzour ou dou apré po tou le côr. Y n'é gu dou, tré maé po me n'in remetre, è k'éro malade ! è transpirè ! koum'ïn anpoizonaman ; mè lé z'ôtre vaé vou'é t'ala, fô pa dzire.

Les autres fois, j'ai été mordu toujours en m'amusant avec, parce que je les prenais dans la caisse ; je les montrais aux gens comme ça. Mais il y a une fois où j'ai été bien malade ; j'ai pris de l'urticaire, un jour ou deux après, sur tout le corps. J'en ai eu deux ou trois mois pour m'en remettre, et que j'étais malade ! J'ai transpiré ! comme un empoisonnement. Mais les autres fois, ça allait, il faut pas dire.

Kant'son djïn la kéche
(20), djïn la mouézon, lé z'arape a la man koum'ékin. Ô me pikon pè, mè fô lé z'ôrapa koumo fô, byin lé z'ôrapa su le vontre, fô pè lé bruskè. E même yo n'an betu a la mouézon chu le bufe. Nyi n'o k'an demoura (21) kïnze dzour, tré semanè. Tsertsevan pa a me môrdre ; le betèvo méme su la trâble kan mïndzève ; mè ne djejon rin.

Quand elles sont dans la caisse, dans la maison, je les attrape à la main, comme ça. Elles ne me mordent pas, mais il faut les attraper comme il faut, bien les attraper sur le ventre, il ne faut pas les brusquer. Et même j'en ai mis à la maison sur le buffet. Il y en a qui sont restées quinze jours, trois semaines. Elles ne cherchaient pas à me mordre ; je les mettais sur la table quand je mangeais ; mais elles ne disaient rien.

Po lé betè djïn la niôlo
(22), yo lé rantra la téta proumaère pass'ke o n'ye rantrerion pè. Yo koutchu le yitre a pla è pè lé z'ôrapa a la pinso è pi chi'o poye lou fèr rantra in po pryon (23) lé poussu aprè ; mè y'a de vaé ke ne voulio pè rantra ; alôr lé poussu la této tout'antaère è apré yo betu de niôle dessu. O krèvon pa tou de chuitye : ye n'a ke krèvon tou de chuitye, mè ye n'a ke demouron doué z'ouré, kaji djené dzour djïn la niôle. Tan ke n'an pa beyu leur n'éze, o krevon pa !

Pour les mettre dans l'eau-de-vie, je les fais rentrer la tête première parce que elles n'y rentreraient pas. Je couche le litre à plat et puis je les attrape à la pince et puis si je peux les faire rentrer un peu profondément après je les pousse ; mais il y a des fois qu'elles ne veulent pas rentrer ; alors je les pousse la tête tout entière et après je mets l'eau-de-vie dessus. Elles ne crèvent pas tout de suite : il y en a qui crèvent tout de suite, mais il y en a qui restent deux heures, presque une demi-journée dans l'eau-de-vie. Tant qu'elles n'en ont pas bu leur aise, elles ne crèvent pas.

La niôle de vipère é bouno po lé kouyik churtu, po lé dulou, mè pour ke sèze boune, fo mieu ke lo vipère demourèze sé maé dedjïn, ôtraman, ô koumansaman, é pa bouna.

L'eau-de-vie de vipère est bonne pour les coliques surtout, pour les douleurs, mais pour qu'elle soit bonne, il vaut mieux que la vipère demeure six mois dedans, autrement, au commencement, elle n'est pas bonne.

(1) talus.
(2) de la graisse contre les douleurs.
(3) Saint-Etienne.
(4) attraper.
(5) otsavé trê, otsavé katre : tantôt trois, tantôt quatre.
(6) kour : chasser
(7) ôra : maintenant - mè k'orâ : plus que maintenant.
(8) s'accoupler.
(9) six, sept.
(10) couleuvre.
(11) éclore.
(12) emporter.
(13) botte.
(14) sérum.
(15) demi-jour.
(16) un trou de mur.
(17) avec les doigts.
(18) queue.
(19) mordre.
(20) caisse.
(21) rester.
(22) eau-de-vie.
(23) profondément.

Marcel Vernet
(patois de Vallensanges, Lézigneux)
recueilli par M. et Mme Chèze et présenté en 1980 au groupe Patois Vivant

Marcel Vernet habitait à Vallensanges (Lézigneux). Il laisse le souvenir d'un érudit naturaliste aux multiples talents. Il était sourcier efficace, chasseur de vipères pour l'Institut Pasteur, botaniste, géologue, patoisant... Archéologue amateur, il sut voir l'intérêt des silex qu'il trouvait dans une de ses terres... Ses récoltes de surface, 314 pièces au total, furent étudiées par Myriam Philibert en 1985 (1) et datées du Néolithique final. Marcel Vernet a fait don de sa collection à la Diana en juillet 2001. Retiré à la maison de retraite de Montbrison, il y est décédé le 16 mars 2010 à l'âge de 82 ans.

(1) Bulletin de la Diana, tome LXIX, n° 2, 2e trimestre 2010.