Il
y a longtemps que je chasse les vipères ; tous les ans
j'en prends dans les buissons, sur les talus, un peu partout.
J'en prends cent, deux cents ; j'en vends, j'en mets dans l'eau-de-vie.
J'en vends pour faire de la graisse contre les douleurs. C'est
un gars de Saint-Etienne qui me les achète.
Po lé z'ôrapa (4) yio de dzour ke voulé
meyour ke d'ôtre. Fô n'y alè le madjïn,
vé lé diz'oure. Yo prene de pïnse avé
ïn sa. Yo tsèrtsu le lon de lou mur, de lou moular
; è rèr che n'en vèye pè. Le meyour
ét'ô maé d'avri : alôr yo n'an treuve
tudzour ansan otsavé tré, otsavé katre
(5) ou alôr ou y'o de dzour ou n'y an a uno vonteno
ansan : po byin ôro ; mè lé z'ôtré
véy, kan koumansavo a lé kour (6), n'y
aï mè k'ôra (7).
Yo n'an e pa mal ôrapa. Po Pâko, o maé d'avri,
é le mouman ke fréyon (8) ; é po
ékan ke n'y o byin mé : è o djur a pe pré
ïn maé è apré, le maé de juïn,
o file tsakin de louron lè.
Pour
les attraper il y a des jours qui vont mieux que d'autres. Il
faut y aller le matin, vers les dix heures. Je prends des pinces
avec un sac. Je cherche le long des murs, des talus ; c'est
rare si je n'en vois pas. Le mieux c'est au mois d'avril : alors
j'en trouve toujours ensemble, tantôt trois, tantôt
quatre ou alors il y a des jours où il y en a une vingtaine
ensemble ; pas souvent aujourd'hui ; mais autrefois, quand je
commençais à les chasser, il y en avait plus que
maintenant. J'en ai beaucoup attrapées. Pour Pâques,
en avril, c'est le moment où elles s'accouplent ; c'est
pour ça qu'il y en a beaucoup plus : et ça dure
à peu près un mois et après, le mois de
juin, elles filent chacune de leur côté.
Alôr ô fan lô petyî ô maé
de stembre. On'an fan a pe pré sé, sète
(9) ; è o kour en néssan ; vou'é pa
koumô lé serpan (10) : lé serpan
fan de ziô ; lou vipére, ou fan lou petyi. Lou
vipére, ô l'on de ziô djïn le vontre
koumô lé couleuvre mè, sulaman, o l'épéyaésson
(11) djin le vontre.
Alors elles font les petits au mois de septembre. Elles en font
à peu près six, sept ; et ils courent en naissant
; c'est pas comme les couleuvres ; les couleuvres font des oeufs
; les vipères, elles font les petits. Les vipères,
elles ont des oeufs dans le ventre comme les couleuvres mais,
seulement, ils éclosent dans le ventre.
Yo me ché fe pika katre vaé. La premaére
vaé, ou n'y a bin lontan, n'y aï be vïnt'an.
N'a aï rin pourta a la vigne po lé z'adzure (12)...
Alôr, yo passe le lon de lou moular, n'an veye ke kourion,
n'amassu v'ene a la man. N'an vouyi porta doué, ino a
tchak man. La premaère, l'ôrapa byin ma la segonda...
Y'i beta la boto (13) dessu, mè, an l'ôrapan
apré, é me pikè... Ke fèr ? Y aï
djïn de pikur (14) ; m'n'ala vite, yo vene a la
mouézon, feze la pikur é pè ou me passè
; ou me duré djimaé djour (15), y'éro
pa mè malade k'ékan.
Je me suis fait mordre quatre fois.
La première fois, il y a bien longtemps, il y a bien
vingt ans. Je n'avais rien apporté à la vigne
pour les emporter... Alors je passe le long du talus, il y en
a qui couraient, j'en prends une à la main. Je voulais
en porter deux, une à chaque main. La première,
je l'attrapai bien mais la seconde... Je lui mis la botte dessus,
mais, en la saisissant après, elle me "piqua"...
Que faire ? Je n'avais pas de sérum ; je m'en allais
vite à la maison, je faisais la piqûre et puis
ça me passait ; ça m'a duré un demi-jour,
je ne fus pas plus malade que ça.
La segonde, êro ïna vipère k'ér djïn
ïn partyu de mur (16) è pouyïn pè
passa lo pinso po l'ôrapa ; alôr yo djijo : "atan
vouère ïn mouman ! T'ôré bin !... L'aï
tourna sôtre di ko partyu ; alôr vouli l'ôrapa
a lou daé (17) po la tchira pa la kouo (18),
é pè po l'ôrapa aprè. Voua, mè
kant' l'ôrapa pa la kouo ou me mourze (19)
; é pa veyu la téte ; y'aï pourtan byin aviso.
La
seconde, c'était une vipère qui était dans
un trou de mur et je ne pouvais pas passer la pince pour l'attraper
; alors je dis : attends voir un moment ! je t'aurai bien
!... Elle était à nouveau sortie de ce trou ;
alors je voulus l'attraper avec les doigts pour la tirer par
la queue, et puis pour l'attraper après. Oui, mais quand
je l'attrapai par la queue elle me mordit ; je n'avais pas vu
la tête ; j'avais pourtant bien regardé.
Lé z'ôtre vaé, ché éta piko
toujôr an m'iamuzan avek, pass'ke le z'ôrapa djïn
la kèche ; ou lé fô vaére ô
mond' koum'ékan. Mè n'y a ïna vaé
yo che éta byin malade ; y pré l'urtikér
ïn dzour ou dou apré po tou le côr. Y n'é
gu dou, tré maé po me n'in remetre, è k'éro
malade ! è transpirè ! koum'ïn anpoizonaman
; mè lé z'ôtre vaé vou'é t'ala,
fô pa dzire.
Les
autres fois, j'ai été mordu toujours en m'amusant
avec, parce que je les prenais dans la caisse ; je les montrais
aux gens comme ça. Mais il y a une fois où j'ai
été bien malade ; j'ai pris de l'urticaire, un
jour ou deux après, sur tout le corps. J'en ai eu deux
ou trois mois pour m'en remettre, et que j'étais malade
! J'ai transpiré ! comme un empoisonnement. Mais les
autres fois, ça allait, il faut pas dire.
Kant'son djïn la kéche (20), djïn la
mouézon, lé z'arape a la man koum'ékin.
Ô me pikon pè, mè fô lé z'ôrapa
koumo fô, byin lé z'ôrapa su le vontre, fô
pè lé bruskè. E même yo n'an betu
a la mouézon chu le bufe. Nyi n'o k'an demoura (21)
kïnze dzour, tré semanè. Tsertsevan pa a
me môrdre ; le betèvo méme su la trâble
kan mïndzève ; mè ne djejon rin.
Quand elles sont dans la caisse,
dans la maison, je les attrape à la main, comme ça.
Elles ne me mordent pas, mais il faut les attraper comme il
faut, bien les attraper sur le ventre, il ne faut pas les brusquer.
Et même j'en ai mis à la maison sur le buffet.
Il y en a qui sont restées quinze jours, trois semaines.
Elles ne cherchaient pas à me mordre ; je les mettais
sur la table quand je mangeais ; mais elles ne disaient rien.
Po lé betè djïn la niôlo (22),
yo lé rantra la téta proumaère pass'ke
o n'ye rantrerion pè. Yo koutchu le yitre a pla è
pè lé z'ôrapa a la pinso è pi chi'o
poye lou fèr rantra in po pryon (23) lé
poussu aprè ; mè y'a de vaé ke ne voulio
pè rantra ; alôr lé poussu la této
tout'antaère è apré yo betu de niôle
dessu. O krèvon pa tou de chuitye : ye n'a ke krèvon
tou de chuitye, mè ye n'a ke demouron doué z'ouré,
kaji djené dzour djïn la niôle. Tan ke n'an
pa beyu leur n'éze, o krevon pa !
Pour les mettre dans l'eau-de-vie,
je les fais rentrer la tête première parce que
elles n'y rentreraient pas. Je couche le litre à plat
et puis je les attrape à la pince et puis si je peux
les faire rentrer un peu profondément après je
les pousse ; mais il y a des fois qu'elles ne veulent pas rentrer
; alors je les pousse la tête tout entière et après
je mets l'eau-de-vie dessus. Elles ne crèvent pas tout
de suite : il y en a qui crèvent tout de suite, mais
il y en a qui restent deux heures, presque une demi-journée
dans l'eau-de-vie. Tant qu'elles n'en ont pas bu leur aise,
elles ne crèvent pas.
La niôle de vipère é bouno po lé
kouyik churtu, po lé dulou, mè pour ke sèze
boune, fo mieu ke lo vipère demourèze sé
maé dedjïn, ôtraman, ô koumansaman,
é pa bouna.
L'eau-de-vie
de vipère est bonne pour les coliques surtout, pour les
douleurs, mais pour qu'elle soit bonne, il vaut mieux que la
vipère demeure six mois dedans, autrement, au commencement,
elle n'est pas bonne.
(1) talus.
(2) de la graisse contre les douleurs.
(3) Saint-Etienne.
(4) attraper.
(5) otsavé trê, otsavé katre : tantôt
trois, tantôt quatre.
(6) kour : chasser
(7) ôra : maintenant - mè k'orâ : plus que
maintenant.
(8) s'accoupler.
(9) six, sept.
(10) couleuvre.
(11) éclore.
(12) emporter.
(13) botte.
(14) sérum.
(15) demi-jour.
(16) un trou de mur.
(17) avec les doigts.
(18) queue.
(19) mordre.
(20) caisse.
(21) rester.
(22) eau-de-vie.
(23) profondément.