O
i di tyin"60 ans" é ô m'in souvenou
kemô d'ère. Ôvin ïno din portuzè
ke ne foye bian mè, mon père déssidi
de me menè ché l'orôchô - "Bôtôzère
de vé Lôlodin". Lu jore son lou, ô
serin de retore pô lô sopô : o prenin lu
muzeta, le chïn é le fusi, ko dissi ô mo
mère, on ne sa jomoué ; é nou vetchio
moudô. Devolemon vé le Craô, montevon vé
l'Omou, possemon o trovère dô boué dô
"Ché de lô Guerdô" é in
tchiran pô l'ôdre, tonbemon ô vialajou de
Lôlodin.
Lô porte de l'orôchô ère badô,
ô rïntremon, o ove mè lô fenô
:
- Bonjore Mélèni, kemô ko voué
?
- A ! Bonjore Gêne, ô se proumene ?
- O ! bien obligeô, oué pô le tcheton.
Botozère n'é pè tche ?
- Ô l'é pé luïn, doré lô
mouézon ke piasse lé trufe ! O voué le
kère.
N'ôguèmou pè biocaô de tin ô
otindre, in éfoué ; Bôtôzère
orivi sïn minute opré : ïn gran sé
pinkô drô kemô ïn bié, o ïno
vieyi o l'ove ïno grossô chikô. 0 se porli
dô tin, de lé trufe, de l'erbo é dô
blô, "ketô sézoni o serô obouri"
! dissi mon père. Pindin ko tin lô Mélèni
ove betô su lo trèblo tré verou, ino bouteyè
(ko kreyio étre d'ègô) é ïnô
pïnsi.
Bôtôzère me tobouli su l'épalô
é me dissi : "bè ton vere tô d'ïn
kaô, estofié ! é te voué veure
le porodji". Tou tré beyèmon notron vere,
tô d'ïn kaô ! 0 me bruli lô kreniolô
é le vïntrou (vouère de lô niolô).
Sin otindre ô me demandi de bodè le gorji é
de fouére veure lô din ke me foye mè.
Tô de suitchi ové so pïnsi o l'orochi sin
boroyè. 0 ne sïntio rin du tô. O ranplissi
de nouvé lu tré verou, me djian de bère,
tô de suitchi pô ke mô din repousse ; mon
père poyi karantô saô é ô
moudemon.
O refemon le memou chemïn pô reveni é to
d'ï kaô, in passan ô kouté de Gornasse,
notraô chïn s'oréti. Mon père épaôli
son fusi. "Bruleau" doni tan paô de lô
voué é d'ïn broussiyon sortchi ïno
liorô, pan, pan ! é kouri tan pô, fi tré
kaô le tchio peré é ô fi fini por
se, é oli gorni lô muzetô.
Kan ô orivemon ô lô mouézon lô
trèblo ère betè é mô mère
tô de suitchi me demandi si Bôtôzère
m'ove foué mè.
- O n'ovin pè pordu notron tin", répondi
mon père.
- Vetchio ïno liorô de sé livre ô
mouin, é le tcheton ô veu le porodii !
- O ne l'é pè veu, ou é rin veu du tô
!
- E bin mon gorsou, ropelô te : fo pè creure
tô le mundou é surtô pé l'yorochô
de din !"
L'arracheur
de dents
Il y a de ce
temps 60 ans et je m'en souviens comme d'hier. J'avais une
dent trouée qui me faisait très mal, mon père
décida de me conduire chez l'arracheur :"Baltazar
de Loraudan" ! Les jours sont longs, on sera de retour
pour la soupe, nous prenons la musette, le chien et le fusil,
dit-il à ma mère, on ne sait jamais ; et nous
voilà partis. Nous descendîmes vers le Cros,
montâmes vers l'Olme, passâmes à travers
le bois du "Ché du Garde", et en se dirigeant
vers l'adret, nous tombâmes au hameau de Loraudan. La
porte de l'arracheur était ouverte, nous entrâmes.
Il y avait seulement sa femme :
-"bonjour Mélanie, comment ça va ?
- Ah ! bonjour Eugène, on se promène ?
- Oh, bien obligé, c'est pour le petit. Baltazar n'est
pas ici ?
- Il n'est pas loin, derrière la maison qui pioche
les pommes de terre ! je vais le chercher.
Nous n'eûmes pas beaucoup à attendre, en effet
; Baltazar arriva cinq minutes après : un grand sec,
piqué droit comme un bouleau, une grosse chique gonflait
sa joue. On parla du temps, des pommes de terre, de l'herbe
et du blé. "Cette année ce sera précoce
!" dit mon père. Pendant ce temps Mélanie
avait mis sur la table trois verres, une bouteille (que je
croyais être remplie d'eau) et une pince.
Baltazar me frappa sur l'épaule et me dit : "bois
ton verre d'un coup, garnement ! et tu vas voir le paradis".
Tous les trois nous bûmes notre verre, d'un seul coup
! Cela me brûla le gosier et le ventre (c'était
de l'eau-de-vie). Sans attendre il me demanda d'ouvrir la
bouche et de lui montrer la dent qui me faisait mal. Tout
de suite, avec ses pinces, il l'arracha sans peine. Je ne
sentis rien du tout. Il remplit de nouveau les trois verres,
me disant de boire, tout de suite afin que ma dent repousse
; mon père paya quarante sous et nous partîmes.
Nous refîmes le même chemin pour revenir et tout
à coup, en passant à côté de "Garnasse",
notre chien s'arrêta. Mon père épaula
son fusil, "Brûleau" donna un peu de la voix
et d'un petit buisson sortit un lièvre. Pan, pan !
Il courut un peu, fit trois fois la culbute et ce fut fini
pour lui, il alla garnir la musette.
Quand nous arrivâmes à la maison la table était
mise et ma mère immédiatement me demanda si
Baltazar m'avait fait mal. "Nous n'avons pas perdu notre
temps", répondit mon père : "Voici
un lièvre de six livres au moins, et le petit a vu
le paradis ! - je ne l'ai pas vu, je n'ai rien vu du tout
! - Et bien, mon garçon, rappelle-toi qu'il ne faut
pas croire tout le monde et surtout pas les arracheurs de
dents."
(enregistrement
et transcription : Andrée Liaud et Joseph Barou)