Patois vivant

 

Un souvenir en patois de Chalmazel


raconté par
Xavier Marcoux
(1911-1992)

 

L'orôchô de din

lu par l'auteur et enregistré en 1978
au cours d'une veillée du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison

pour écouter cliquer ci-dessous

(3 min 33 s)

L'orôchô de din

O i di tyin"60 ans" é ô m'in souvenou kemô d'ère. Ôvin ïno din portuzè ke ne foye bian mè, mon père déssidi de me menè ché l'orôchô - "Bôtôzère de vé Lôlodin". Lu jore son lou, ô serin de retore pô lô sopô : o prenin lu muzeta, le chïn é le fusi, ko dissi ô mo mère, on ne sa jomoué ; é nou vetchio moudô. Devolemon vé le Craô, montevon vé l'Omou, possemon o trovère dô boué dô "Ché de lô Guerdô" é in tchiran pô l'ôdre, tonbemon ô vialajou de Lôlodin.

Lô porte de l'orôchô ère badô, ô rïntremon, o ove mè lô fenô :

- Bonjore Mélèni, kemô ko voué ?
- A ! Bonjore Gêne, ô se proumene ?
- O ! bien obligeô, oué pô le tcheton. Botozère n'é pè tche ?
- Ô l'é pé luïn, doré lô mouézon ke piasse lé trufe ! O voué le kère.

N'ôguèmou pè biocaô de tin ô otindre, in éfoué ; Bôtôzère orivi sïn minute opré : ïn gran sé pinkô drô kemô ïn bié, o ïno vieyi o l'ove ïno grossô chikô. 0 se porli dô tin, de lé trufe, de l'erbo é dô blô, "ketô sézoni o serô obouri" ! dissi mon père. Pindin ko tin lô Mélèni ove betô su lo trèblo tré verou, ino bouteyè (ko kreyio étre d'ègô) é ïnô pïnsi.

Bôtôzère me tobouli su l'épalô é me dissi : "bè ton vere tô d'ïn kaô, estofié ! é te voué veure le porodji". Tou tré beyèmon notron vere, tô d'ïn kaô ! 0 me bruli lô kreniolô é le vïntrou (vouère de lô niolô). Sin otindre ô me demandi de bodè le gorji é de fouére veure lô din ke me foye mè. Tô de suitchi ové so pïnsi o l'orochi sin boroyè. 0 ne sïntio rin du tô. O ranplissi de nouvé lu tré verou, me djian de bère, tô de suitchi pô ke mô din repousse ; mon père poyi karantô saô é ô moudemon.

O refemon le memou chemïn pô reveni é to d'ï kaô, in passan ô kouté de Gornasse, notraô chïn s'oréti. Mon père épaôli son fusi. "Bruleau" doni tan paô de lô voué é d'ïn broussiyon sortchi ïno liorô, pan, pan ! é kouri tan pô, fi tré kaô le tchio peré é ô fi fini por se, é oli gorni lô muzetô.

Kan ô orivemon ô lô mouézon lô trèblo ère betè é mô mère tô de suitchi me demandi si Bôtôzère m'ove foué mè.
- O n'ovin pè pordu notron tin", répondi mon père.
- Vetchio ïno liorô de sé livre ô mouin, é le tcheton ô veu le porodii !
- O ne l'é pè veu, ou é rin veu du tô !
- E bin mon gorsou, ropelô te : fo pè creure tô le mundou é surtô pé l'yorochô de din !"

L'arracheur de dents

Il y a de ce temps 60 ans et je m'en souviens comme d'hier. J'avais une dent trouée qui me faisait très mal, mon père décida de me conduire chez l'arracheur :"Baltazar de Loraudan" ! Les jours sont longs, on sera de retour pour la soupe, nous prenons la musette, le chien et le fusil, dit-il à ma mère, on ne sait jamais ; et nous voilà partis. Nous descendîmes vers le Cros, montâmes vers l'Olme, passâmes à travers le bois du "Ché du Garde", et en se dirigeant vers l'adret, nous tombâmes au hameau de Loraudan. La porte de l'arracheur était ouverte, nous entrâmes. Il y avait seulement sa femme :

-"bonjour Mélanie, comment ça va ?
- Ah ! bonjour Eugène, on se promène ?
- Oh, bien obligé, c'est pour le petit. Baltazar n'est pas ici ?
- Il n'est pas loin, derrière la maison qui pioche les pommes de terre ! je vais le chercher.

Nous n'eûmes pas beaucoup à attendre, en effet ; Baltazar arriva cinq minutes après : un grand sec, piqué droit comme un bouleau, une grosse chique gonflait sa joue. On parla du temps, des pommes de terre, de l'herbe et du blé. "Cette année ce sera précoce !" dit mon père. Pendant ce temps Mélanie avait mis sur la table trois verres, une bouteille (que je croyais être remplie d'eau) et une pince.

Baltazar me frappa sur l'épaule et me dit : "bois ton verre d'un coup, garnement ! et tu vas voir le paradis". Tous les trois nous bûmes notre verre, d'un seul coup ! Cela me brûla le gosier et le ventre (c'était de l'eau-de-vie). Sans attendre il me demanda d'ouvrir la bouche et de lui montrer la dent qui me faisait mal. Tout de suite, avec ses pinces, il l'arracha sans peine. Je ne sentis rien du tout. Il remplit de nouveau les trois verres, me disant de boire, tout de suite afin que ma dent repousse ; mon père paya quarante sous et nous partîmes.

Nous refîmes le même chemin pour revenir et tout à coup, en passant à côté de "Garnasse", notre chien s'arrêta. Mon père épaula son fusil, "Brûleau" donna un peu de la voix et d'un petit buisson sortit un lièvre. Pan, pan ! Il courut un peu, fit trois fois la culbute et ce fut fini pour lui, il alla garnir la musette.

Quand nous arrivâmes à la maison la table était mise et ma mère immédiatement me demanda si Baltazar m'avait fait mal. "Nous n'avons pas perdu notre temps", répondit mon père : "Voici un lièvre de six livres au moins, et le petit a vu le paradis ! - je ne l'ai pas vu, je n'ai rien vu du tout ! - Et bien, mon garçon, rappelle-toi qu'il ne faut pas croire tout le monde et surtout pas les arracheurs de dents."

(enregistrement et transcription : Andrée Liaud et Joseph Barou)

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