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Louis Mercier
Louis
Mercier
poète forézien
(6
avril 1870 - 27 novembre 1951)
présenté
par l'abbé Jean Canard
Il y a une quarantaine d'années, un collaborateur
du Figaro littéraire s'indignait
de voir un cours de vacances soumettre à des élèves
l'analyse de quelques textes du poète Louis
Mercier : Louis Mercier,
écrivait-il, inconnu au bataillon. Pensant montrer sa
supériorité sur les universitaires, il étalait
son ignorance. Accordons-lui l'excuse de l'âge et de l'atmosphère
parisienne souvent méprisante pour ce qui n'est pas de son
crû. Mercier était à
l'époque non seulement un vieillard, mais un provincial, et,
ce qui est plus impardonnable : un rural.
Je n'ai pas la naïveté de croire que je vais, sur ce sujet,
apprendre quelque chose à des lecteurs foréziens. Mais
je tiens à remercier, dès le début, la rédaction
de Patois Vivant de m'avoir invité
à parler de ce très vieil ami, dont je conserve un inoubliable
souvenir, trente ans après sa mort.
Louis Mercier est né à
Coutouvre en Roannais, dans une maison
isolée, au milieu des champs : J'ai
grandi aux bois, aimait-il répéter. Il était
le dernier d'une famille paysanne de cinq enfants. L'aîné,
de retour de la première guerre franco-allemande, s'installa
avec les parents, sans toutefois continuer la lignée. Après
lui, une fille, nommée Joséphine, héroïne
du roman Hélène Sorbiers,
entra chez les religieuses Saint-Vincent de Paul, et mourut jeune
à Muret, en Haute-Garonne.
Les deux garçons suivants, nommés Alexandre
et Vincent, après de brillantes
études au petit séminaire de Saint-Jodard,
ont été admis dans l'ordre des Dominicains où
ils ont acquis la réputation de philosophes éminents.
Louis enfin, quoique le plus jeune, ne bénéficia d'aucune
sollicitude particulière. Sur ses vieux jours, il ne manquait
pas de rappeler l'atmosphère austère qui régnait
à la maison des champs, dans un cadre rigoureux de foi, de
labeur et de devoir. Il apprit à lire sur les genoux de son
père, un homme de stricte observance, et, quand il fut assez
grand pour se rendre seul au bourg, il fut initié au latin
par un vicaire de la paroisse.
Comme ses frères, il entra ensuite dans la maison presque centenaire
de Saint-Jodard. Ses études secondaires
achevées, il fréquenta la faculté catholique
des lettres de Lyon, où il noua
des amitiés qui lui furent particulièrement précieuses
durant les dernières années de sa vie.
Ces amis lyonnais auraient bien voulu accaparer un peu de sa renommée
et le compter des leurs. Mais il leur répondit en termes clairs
et indiscutables : Ma terre natale n'est ni lyonnaise, ni beaujolaise.
Ni la couleur de notre ciel, ni le style de nos horizons, ni le rythme
de nos montagnes n'évoquent le Beaujolais
ni le Lyonnais. Ces régions sont
méditerranéennes : c'est à la mer latine qu'elles
dédient, par le Rhône et
la Saône, le tribut de leurs eaux.
Nous à Coutouvre, comme à Roanne, une terre océanique
; c'est à l'Océan que toutes les sources de nos collines
portent, par l'intermédiaire de la Loire, leurs frais trésors.
Comme l'a écrit un de ses intimes contemporains roannais, qui,
à mon avis, lui ressemblait étrangement, Mgr
Fleury Lavallée : Louis
Mercier est resté
attaché à sa petite patrie, à ses champs, à
son horizon, à ses murs, à son église,
à son langage aussi. Après des études
supérieures, il est revenu à Coutouvre,
et n'en est reparti que pour servir, de longs mois, dans le quatrième
régiment des zouaves à Tunis. Au retour, il est entré
comme rédacteur au Journal de Roanne
où s'est déroulée toute sa carrière professionnelle,
n'ayant que la rue à traverser pour aller de son domicile à
son bureau, jusqu'à la seconde guerre mondiale, sans qu'aucune
pression extérieure n'ait pu l'en détacher.
Sa vie active s'étant écoulée sans heurts ni
longs déplacements durant un demi-siècle, est tout entière
dans ses uvres, comprenant essentiellement une dizaine de volumes
de vers (V) et une demi-douzaine de volumes
de prose (P), qui sont, dans l'ordre
chronologique de leur parution :
L'Enchantée - 1897, V
Les Voix de la Terre et du Temps
- 1903, V
Le Poème de la Maison -
1906, V
Les Contes de Jean-Pierre
- 1907, P
Lazare le Ressuscité -
1908, V
Hélène Sorbiers
- 1911, P
Poèmes de la Tranchée
- 1916, V
Ponce-Pilate - 1916, V
Les Pierres Sacrées - 1920,
V
Les Petites Géorgiques
- 1923, P
Les Demoiselles Valéry
- 1925, P
Introduction à l'Astrée
- 1927, P
Des Contes et des Images - 1929,
P
Virginis Corona - 1930, V
Témoignages - 1931, P
Hymnis et Canticis - 1947, V
Mes Amis les Arbres - 1951, P
Offrande à la Bien-Aimée
- 1953 (publication posthume) V
Poète de la nature et des champs, avant
tout, Mercier professait que le souffle
animant son uvre reflétait celui des rudes paysans dont
il était issu. Dès le second recueil, il a chanté
les "Voix de la Terre et du Temps".
Immédiatement après est paru le "Poème
de la Maison", dans lequel il a capté la physionomie
des objets familiers, leur visage où l'on voit transparaître
quelque chose d'humain et leur participation à l'activité
des hommes. L'année suivante, son directeur éditait,
dans le langage des parents, les cinquante "Contes
de Jean-Pierre" qui avaient réjoui tant de
lecteurs du Journal de Roanne
dans les premières années du siècle. Tous ceux
dont l'enfance s'est écoulée dans les champs ont un
choc au cur en relisant ces premiers volumes (auxquels viendront
s'ajouter dans la même lignée, "Les
Petites Géorgiques", "Les
Demoiselles Valéry" et "Mes
Amis les Arbres") tant est pressant le rappel de mille
bruits familiers, tant sont prenants le langage des anciens et l'évocation
des témoins discrets de leur vie quotidienne.
Je ne fais qu'effleurer le talent du journaliste, polémiste
redoutable et redouté, auteur d'échos hebdomadaires
pour la rédaction desquels il trempait volontiers sa plume
dans le vitriol, lorsqu'il s'agissait de défendre des idées
politiques ou religieuses. Ce qui lui valut à la Libération
des mois d'épreuves que j'ai évoquées dans mon
livre de "Souvenirs".
A deux délicates interventions chirurgicales qu'il avait subies
durant l'occupation s'étaient ajoutées la maladie et
la mort de sa première femme, une misère matérielle
et morale insoupçonnable provenant de ce qu'il se trouva brutalement
privé de travail, de traitement et d'une retraite compensatoire,
à 75 ans. Il fut de plus traduit honteusement devant un tribunal
d'exception simplement parce qu'il était resté fidèle
à son ancien chef d'état-major de Verdun "sans
avoir jamais livré quelqu'un à un ennemi qu'il détestait".
Grâce à Dieu, l'ont aidé à surmonter ces
ennuis une foi irréductible et la paix intérieure de
sa conscience, avec le sentiment d'avoir agi toujours avec son cur
et son intelligence, jamais pour acquérir de l'argent.
Dans la pensée de ses compatriotes Louis
Mercier restera un "grand poète" comme l'ont
reconnu les critiques littéraires de son temps : H.
Bordeaux, H. Bremond, H. Ghéon,
R. Doumic, G. Le Comte... et tant
d'autres qu'on ne saurait taxer d'indulgence coupable. Mais un poète
d'une originalité trop discrète pour faire tapage, du
fait qu'elle ne réside point dans une technique de versification,
mais dans le choix des sujets, dans la lumière qui baigne l'uvre,
dans le ton par lequel elle s'exprime, et par la fidélité
du cur, l'esprit s'aventurant lui dans une vision très
personnelle du monde.
Il demeurera le poète du vent, de l'ombre, de la peur, de la
mort, mais aussi des fleurs, des oiseaux, des arbres, le poète
de la nature et du sol qui la nourrit, de la maison et de la famille
qu'elle abrite. Son uvre survivra parce que profondément
humaine et accessible à tous, infligeant un singulier démenti
au sophisme trop accrédité qui prétend qu'on
ne peut faire de la bonne littérature avec de bons sentiments.
La vérité, c'est que les bons sentiments (qui n'ont
pas l'attrait des mauvais) exigent d'un artiste des dons supérieurs
pour qu'ils ne tombent pas dans la fadaise.
Ce poète rustique et grave a pris la vie au sérieux
avec une âme traditionnellement attachée à ce
qu'il y a de plus solide dans notre monde : la terre et la foi. De
ce fait il a connu le sort qui attend, dans la France d'aujourd'hui,
l'auteur indépendant qui ne vend ses convictions à aucune
chapelle, ne hante pas les salons, les antichambres, les librairies
à la mode ou les bureaux des partis politiques, et aussi l'écrivain
qui, attaché à sa province, refuse de se perdre dans
la médiocrité d'une capitale monstrueuse.
Un jour que je lui exprimais mon étonnement de ne pas le voir
accéder à un fauteuil d'académicien, il me répondit
sèchement : "Jamais",
ajoutant presque aussitôt,
pour s'expliquer : "Vous me voyez
aller faire du porte à porte pour qu'on m'invite... Vous me
voyez installé dans un appartement parisien, loin des collines
que j'aime, des arbres et des oiseaux qui ont enchanté mon
enfance... Non, non, jamais".
Il est vrai que j'avais peut-être mal choisi le moment pour
lui poser une telle question. Mais il est vrai aussi que la capitale
lui faisait horreur. Il ne s'y est, parait-il, rendu que trois fois
dans sa vie, tant il était enraciné dans son terroir,
à la manière de Frédéric
Mistral, pour lequel il avait une grande admiration. Mercier
a toujours refusé de mendier la gloire ("de
la gloriole" comme il disait) ; il ne s'est laissé
toucher que par les esprits qui ont su le découvrir par eux-mêmes.
Aussi est-il mort presque oublié, pauvre, solitaire, entouré
seulement par l'admirable sollicitude de sa seconde épouse
et l'affection de quelques amis. Cruelle ironie du sort, il a fermé
les yeux à ce monde hors de son Roannais natal, dans un appartement
de Saint-Flour où sa femme avait
été nommée professeur de philosophie.
De longues et nombreuses études sont parues sur ses activités
et son oeuvres entre les deux guerres, dans des revues parisiennes
ou provinciales. Je pense, entre autres à celles de Jean
Calvet dans le "Renouveau",
d'Henriette Charasson dans la "Documentation
",
de Pierre Ferrez dans la "Revue
Forézienne"... Plusieurs livres même
lui ont été entièrement consacrés, notamment
ceux d'Albert de Bersaucourt, de Ferdinand
Gohin, auxquels il faut ajouter un numéro spécial
de plus de cent pages de "La Revue Fédéraliste"
de Lyon, et une thèse passée par sur
Mary-Jérôme Keller aux Etats-Unis.
Est-ce la crainte de réveiller de vieilles querelles politiques
et de nuire à sa veuve qui a freiné la publication d'études
de ce genre après la mort du poète ? Peut-être...
Nul doute cependant que Louis Mercier
survivra à beaucoup d'Immortels de l'Académie française
à laquelle il n'a pas eu l'honneur d'appartenir.
Jean Canard
(Extrait de Patois Vivant n°
13, mai 1983)
Maison natale de Louis
Mercier, à Coutouvre
d'après un dessin de Robert Bouiller,
extrait de C. Beaudinat, "Maison à "être"
en Forez",
La Diana-Village de Forez, Montbrison, 2001
Louis Mercier, portrait par P.-E.
Vibert
extrait des Pierres sacrées, Lardanchet,
Lyon, 1920
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Louis Mercier à
Montbrison
(1919)
Un
poème de Louis Mercier
publié
en 1912 en Italie
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