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Pierre Dupont (1821-1870)

J'ai deux grands bœufs
dans mon étable…

Ce dimanche de mars 1913, des Montbrisonnais qui ont envie de s'instruire emplissent la salle de la Chevalerie. Ils ont répondu à l'invitation de La Société des conférences populaires.

Cette fois le sujet n'a rien d'ennuyeux. Il ne s'agit ni d'hygiène, ni d'agriculture… mais de chansons : la vie et l'œuvre du chansonnier Pierre Dupont. Voici, justement, le conférencier, un homme tout en distinction, dans la fleur de l'âge, vêtu de sombre, visage sérieux, belle barbe et haut front dégarni. C'est Jules Troccon, maître d'école et poète.

Le directeur de l'école normale, M. Simiand, le présente avec chaleur à l'auditoire. Car il s'agit d'un ancien normalien. Né à Chazelles-sur-Lyon en 1870, il a appris le métier à Montbrison. Pour lors, il est instituteur à Saint-Etienne. M. Troccon remercie puis rappelle qu'il a passé une partie de sa jeunesse dans la "bonne et paisible ville de Montbrison". Heureux souvenirs, nul doute ? Après ce bref instant de nostalgie, le pédagogue retrace avec brio la vie du poète lyonnais.

Pierre Dupont,
l'auteur de La chanson des bœufs

Jean-Pierre-Antoine Dupont est né à Lyon le 13 avril 1821. Tôt orphelin il est éduqué par un cousin curé qui veut en faire un prêtre. Il fréquente le séminaire de l'Argentière mais choisit d'autres chemins : poésie et vie de Bohème. Le jeune Pierre tente sa chance à Paris : douze métiers, treize misères. Puis le succès vient d'un seul coup. Bref, mais éclatant, avec une chanson, celle des "bœufs". En 1846, dans toutes les salles de Paris, on chante :

J'ai deux grands bœufs dans mon étable
Deux grands bœufs blancs marqués de roux.

Bientôt la France des villages adopte la chanson. Elle appartient aujourd'hui au folklore national. Dupont a trouvé sa voie : la veine rustique et populaire. Il devient chansonnier. Parmi ses 250 chansons, deux douzaines sont très connues : " les bœufs " mais aussi la vigne, les sapins, Mère Jeanne, la chanson du pain, le chant des ouvriers, la prière des enfants...


En ces temps agités, la politique l'intéresse. Jules Troccon signale que Dupont fut "républicain et surtout ami sincère des ouvriers des campagnes et des villes". En fait, les historiens disent aujourd'hui de lui qu'il était surtout "l'adepte d'un utopisme confus ". Et si, selon l'expression de Maurice Agulhon, il fut le véritable "écho sonore" de la seconde République, après le coup d'Etat de Louis-Napoléon, il se rallia assez facilement au nouveau régime.


Le conférencier passe vite sur sa fin de vie assez pitoyable avec le retour à Lyon où il fréquente assidûment les cabarets jusqu'à sa mort en 1870. Il insiste plutôt, avec raison, sur l'œuvre. Surtout, il a la très bonne idée de faire interpréter plusieurs chansons de Pierre Dupont par des normaliens. Un jeune élève-maître, M. Philip, se distingue particulièrement en chantant "Les Sapins" d'une voix forte et bien timbrée. Les auditeurs sont enchantés. C'est bien agréable de s'instruire ainsi ! Plein succès donc pour cette soirée des conférences populaires.

Jules Troccon, le maître d'école poète

Quant au digne Jules Troccon, il s'est déjà mis dans les pas de Pierre Dupont. Il écrit poèmes et chansons. Sans abandonner l'enseignement, il collabore à "La revue forézienne", à "La région illustrée"... Il fréquente le Caveau stéphanois, en devient le vice-président en 1938 puis le président en 1943. On lui doit des recueils de poésies et plusieurs livres : "L'âme lyonnaise", "Zigzags foréziens", "L'esprit stéphanois"…


Sa barbe blanchit. Sa fille Christiane est devenue institutrice. Elle enseigne à l'école de Moingt. Il se retire donc à Montbrison où il meurt, le 4 mars 1953, à son domicile au 28, avenue de la Libération. Aujourd'hui, on se souvient surtout de sa chanson en l'honneur des vins des coteaux du Forez. Car, comme Pierre Dupont, mais avec plus de modération, Jules aimait trinquer.

Joseph Barou

[la Gazette du 6 juillet 2007]


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