A propos d'une liste
de fournitures
de l'école Saint-Aubrin
Le
matériel scolaire de l'élève d'autrefois
L'école Saint-Aubrin
était située au 19 de la rue du Collège, à
Montbrison. Elle fut pendant longtemps - de 1824 à 1891 - l'école
communale de garçons. L'école avait, suivant les époques,
cinq ou six classes. Sa direction était confiée aux Frères
des Ecoles Chrétiennes, de l'Institut fondé par Jean-Baptiste
de la Salle.
Le Tarif des effets classiques
Lors de sa fermeture, nous avons relevé un intéressant
document qui concerne le riche passé pédagogique des lieux.
Il s'agit d'une liste soigneusement calligraphiée sur une simple
feuille de papier. Elle est intitulée Tarif
des effets classiques et se trouve collée au revers
de la porte gauche d'une immense armoire. Ce meuble imposant était
primitivement dans la pièce dite "du musée"
au premier étage du bâtiment principal. Il a été
déplacé dans les années soixante-dix pour être
placé au bas des escaliers qui montent au secrétariat
de l'école. Il servait à entreposer les fournitures scolaires
: cahiers, crayons, plumes, gommes, etc. Il s'agissait donc de la "procure"
de l'école. La liste rappelait au frère qui en était
chargé le prix des divers objets fournis aux élèves.
L'école étant communale, les religieux étaient
salariés par la Ville et la scolarité était gratuite.
Cependant les fournitures scolaires, appelées alors "les
effets classiques" ou simplement les "classiques"
étaient facturées aux familles.
Ce texte ne comporte pas de date mais il date probablement
de la deuxième moitié du 19e siècle. L'ensemble
des 57 articles, classés par ordre alphabétique, donne
une idée d'ensemble du matériel personnel indispensable
à l'écolier d'autrefois. Il nous renseigne aussi sur les
matières enseignées. Ajoutons que Saint-Aubrin n'était
pas une petite école de campagne mais un établissement
d'une certaine importance et d'une bonne renommée.
Les manuels scolaires
Commençons par les manuels scolaires. Il y
en a 16 en tout. C'est peu pour l'ensemble des cours allant de la classe
des "commençants",
l'équivalent du cours préparatoire, au cours supérieur.
Pour chaque matière, il a seulement deux manuels pour couvrir
sept années de scolarité (1) : le cours lui-même
et un livre moins copieux et moins coûteux appelé "Extrait".
La forme abrégée est utilisée pour les classes
inférieures.
Les mathématiques sont les mieux dotées
avec 7 ouvrages : une Arithmétique,
un Extrait d'arithmétique,
des Exercices de calcul, des Problèmes
d'arithmétique, une Géométrie
"ancienne" et une Géométrie
"nouvelle" et enfin un Atlas géométrique.
Les manuels de géométrie sont les plus coûteux à
cause des nombreuses figures qu'ils comportent.
La langue française est étudiée
à l'aide de 5 manuels. Le Syllabaire
convient pour les plus petits. Une Grammaire
et des Exercices orthographiques
sont accompagnés des inévitables Extraits.
Une Géographie
"ancienne" voisine avec des Extraits
tout comme une Histoire dite "grosse".
Notons qu'il n'y a aucun manuel de sciences naturelles ou physiques.
Ces disciplines étaient pourtant enseignées et mises en
valeur. Le "musée"
de l'école recélait des collections d'oiseaux, de petits
mammifères, d'insectes
Un frère (2) avait constitué
un volumineux herbier. Il y avait aussi des tubes, des éprouvettes
et même une machine à produire l'électricité.
Un matériel personnel limité
Pour écrire, gommer et coller,
l'élève dispose d'une série limitée d'outils
: 15 articles en tout. Il y a quatre sortes de crayons. Crayon "ordinaire"
(5 centimes) et crayon "fin"
(10 centimes) se résument à une mine qui doit être
inséré dans un porte-crayon qui vaut 15 centimes. Il y
a aussi un crayon "dans le bois"
à 15 centimes et le "Conté"
utilisé pour le dessin. Trois porte-plumes plus ou moins perfectionnés
sont disponibles. L'ordinaire coûte 5 centimes, celui "à
crans" le double, le modèle "à
bascule" le triple. Règle plate et équerre
servent à la géométrie, mais il n'y a ni compas,
ni rapporteur, ni double-décimètre.
Relevons encore de la colle "à
bouche". Cette colle à
base de gélatine était sèche et devait être
humidifiée avec un peu de salive avant d'être employée
d'où son nom.
Enfin on trouve "le
style", avec deux modèles. C'est le plus coûteux
des outils de l'écolier (90 centimes) et sans doute aussi le
plus dangereux pour de jeunes enfants. Ce poinçon sert pour écrire
sur une tablette recouverte de cire. Le manche aplati permet ensuite
d'effacer l'inscription. Ce système, très archaïque,
était utilisé avant l'ardoise. Etait-il encore en usage
à l'école au milieu du 19e siècle ou était-il
tombé en désuétude ? Peut-être n'est-il plus
proposé aux écoliers et noté simplement dans la
liste pour mémoire. D'ailleurs le prix du style "dit
de Lyon" n'est pas noté.
Il n'y pas ni plumier ni de trousse pour ranger le
petit matériel individuel mais seulement une modeste boîte
en carton à 10 centimes. Les plus fortunés peuvent s'offrir
la cassette, "avec
balustre" à 2 F ou "sans
balustre" qui coûte la belle somme de 6 F. Mais
comment se présentent ces cassettes et en quoi diffèrent-elles
l'une de l'autre ? Nous aimerions le savoir.
Le dessin à l'honneur
Si l'on excepte le cahier de musique, il n'y a pour
les exercices écrits qu'un seul type de cahier, nommé
"devoir" et assez coûteux
: 1 F pièce. Plusieurs articles montrent que le dessin est à
particulièrement à l'honneur : feuilles de papier, grandes
et petites, estompes, fusain
et sandaraque. Ce dernier produit est un
vernis à base de résine de thuya servant à fixer
les dessins réalisés au crayon. Il est vendu en fiole
au prix de 25 centimes. Pour enseigner le dessin les frères disposaient
de grands cartons avec des sujets ainsi que de modèles en plâtre.
Chaque dimanche, les frères organisaient à
8 h ½ et 1 h ½ des cours de dessin pour leurs trois premières
classes, séances sans doute facultatives. En 1869, sous la direction
de frère Octubre, leur professeur, des élèves du
cours supérieur avaient réalisé une composition
de grand format, sur un motif antique, en hommage au docteur Eugène
Rey qui venait d'être nommé maire de Montbrison.
Pour transporter livres et cahiers de l'école
à la maison, le cartable proposé vaut 45 centimes et son
modèle économique, le "carton",
seulement 10 centimes. Bien sûr, ces deux articles peu coûteux
n'ont à voir avec un luxueux sac en cuir, encore moins avec la
"boge" des lycéens
d'aujourd'hui. Mais certains écoliers utilisent une simple ficelle
pour attacher livres et cahiers en un seul paquet à porter à
bout de bras.
L'enseignement religieux
Six articles rappellent l'importance
de l'enseignement religieux. D'abord trois livres : le Catéchisme
qui vaut 45 centimes et deux recueils de cantiques : l'un avec seulement
les paroles (60 centimes), l'autre comportant aussi la musique (1 franc).
Deux modèles de chapelets sont en vente : le "grand"
(50 centimes) et le "petit"
à moitié prix.
Enfin, il y a un objet de piété qui
peut aujourd'hui nous sembler curieux, le scapulaire.
Il coûte la petite somme de 15 centimes. Il s'agit de deux morceaux
d'étoffe bénits reliés par des rubans qui se portent
autour du cou et sous les vêtements. Le scapulaire est le signe
d'une consécration particulière à la Vierge. Nous
ignorons si le frère chargé du service de la procure en
vendait beaucoup.
Enfin l'inventaire comporte la mention "Manuscrit"
pour un article coûtant 50 centimes. Nous pensons qu'il s'agit
d'un fascicule imprimé comportant différents modèles
d'écriture avec des exemples types de lettres d'affaire (3).
Ce "manuscrit" était
bien sûr réservé aux élèves du cours
supérieur. Dans le même esprit, on relève un "Cahier
de tenue des livres". L'enseignement des Frères
se voulant très concret, le cours supérieur abordait des
notions de comptabilité.
Cette liste de fournitures, somme toute assez limitée,
nous permet de restituer le niveau de l'enseignement donné et
quelques-unes des pratiques pédagogiques.
Il y avait aussi un matériel collectif assez
important. Ainsi en 1868 le directeur demande et obtient de la part
du conseil municipal de Montbrison une somme de 300 F destinée
à doter la plus haute classe "d'un
nécessaire de projection". Il y a notamment un
théodolite, appareil coûteux. Le frère directeur
pense que c'est indispensable pour que les élèves puissent
lever un plan et le comprendre. Les religieux ont aussi une bibliothèque
avec des ouvrages bien reliés et marqués "Frères
de Montbrison" ce qui indique que les livres étaient
prêtés aux élèves.
Un excellent niveau
L'enseignement des Frères
est sans fantaisie mais efficace. Les religieux sont périodiquement
inspectés par le "Frère
visiteur" de la province de Lyon. Ils bénéficient
des manuels et cahiers édités par leur institut, le premier
de France pour le nombre de religieux.
Avec relevés topographiques, cours d'architecture,
cours de dessin d'art et de dessin industriel, technologie, notions
de comptabilité le "cours supérieur"
de l'école mérite certainement son nom. Il ressemble fort
aux classes d'une "école supérieure"
du siècle dernier. Certes ces activités ne concernent
qu'un petit nombre d'élèves, la plupart en restant à
un solide enseignement primaire. En bons professionnels, les religieux
mettent leur fierté à développer toutes les possibilités
de leurs élèves. Ils essaient, si possible, de les amener
à l'excellence. La modeste affichette du placard des fournitures
de l'ancienne école Saint-Aubrin
est un émouvant témoignage de la longue histoire d'un
lieu consacré à l'éducation.
Joseph Barou
(1) La loi du 28 mars
1882 rend l'instruction primaire obligatoire pour tous les enfants de
6 ans révolus jusqu'à 13 ans révolus. Ces sept
années s'organisent en trois cours principaux : le cours élémentaire,
le cours moyen et le cours supérieur, eux-mêmes scindés
en plusieurs divisions.
(2) Romain Pierre Fraux,
en religion Frère Victor, né en 1849 à Oris-en-Rattier,
dans l'Oisans, instituteur à Montbrison de 1882 à 1900,
décédé et inhumé à Montbrison en
1902.
(3) Il s'agit probablement
du 10e cahier de la Méthode d'écriture édité
par la Procure générale des Frères des Ecoles Chrétiennes
et la librairie Delagrave. Réservé au cours supérieur,
l'ouvrage est ainsi décrit au catalogue : Album de modèles
divers en cursive, ronde, bâtarde, gothique, en écriture
romaine et en italique. alphabets divers. Lettres et effets de commerce.
Pièces de comptabilité, quittances, reçus, inventaires
et bilans. Mémoires de travaux. Tableaux synoptiques. états
administratifs.
Tarif
des effets classiques
Arithmétique
1
id. extraits 0,30
Atlas géométrique 1
Boîte en carton 0,10
Cassette avec balustre 2
Cassette sans bal. 6
Cartable 0,45
Carton 0,10
Crayon fin 0,10
Crayon ordinaire 0,05
Crayon Conté 0,05
Crayon id. dans le bois 0,15
Cahier de musique 0,25
Cahier de tenue des livres 0,75
id. petit 0,50
Cantique 0,60
id. avec note 1
Chapelet 0,50
id. petit 0,25
Catéchisme 0,45
Colle à bouche 0,10
Devoir 1
Estompes 0,20, 0,25 et 0,30
Equerre 0,25
Exercices orthographiques 0,90
id. nouveau 0,75
Exercices de calcul 0,25
{Feuille] de dessin d'ornem. 0,15
id. blanche 0,10
id. petite 0,05
Feuille bulle 0,05
Fusain, le paquet 0,90
id. papier bleu 0,10
id. papier buvard 0,05
Grammaire 0,75
id. extrait 0,30
Gomme à crayon 0,10
Gomme à encre 0,20
Géographie ancienne 0,90
id. extrait 0,30
Géométrie ancienne 1,20
id. nouvelle 1,20
Histoire, grosse 1,20
id. extrait 0,40
Manuscrit 0,50
Porteplume 0,05
Porteplume à crans 0,10
Porteplume à bascule 0,10
Porte-crayon 0,15
Problèmes d'arith. 0,30
Règle plate 0,25
Style 0,90
id. de Lyon
Syllabaire 0,45
Sandaraque, la fiole 0,25
Transparent 0,025
Scapulaire 0,15
[Village
de Forez, N° 107, avril 2008]