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des écoles chrétiennes
dans la Loire

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Philippe

Vitrail de l'église d'Apinac
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Clocher de la nouvelle église

Eglise d'Apinac
vitrail de l'Annonciation

Eglise d'Apinac
vitrail de l'adoration des Mages

Eglise d'Apinac
vitrail de la Sainte Famille

Eglise d'Apinac
le baptême du Christ
En ligne
:
Notice
sur Frère Philippe
de J. D'Arsac
(tiré de l'Illustration, 1881)
(format PDF, 13 pages)
Quand le Haut Forez
donnait des légions
de "Frères à quatre-bras"
article de Coursières,
journal du Haut Forez,
n° 100, février 2005
(format pdf, 3 pages)
Frère
Philippe,
instituteur des Frères
des écoles chrétiennes
communication de J. Barou au colloque
du CERHI 'Saint-Etienne, 24 et 25 novembre 2005)
Concernant aussi
les Frères
des écoles chrétiennes
voir la page :
L'histoire d'une école
Saint-Aubrin
(Montbrison)
La vie et les funérailles
de Frère Philippe
d'après
le Monde illustré
du 17 janvier 1874
Gravures
La vie de Frère
Philippe
Arrivée du convoi
place
Saint-Sulpice
Portrait de Frère
Philippe
Photo
de classe
Pensionnat
Saint-Louis
Saint-Etienne
Année scolaire
1882-1883
Notes et références
(1) Circulaire nécrologique
et biographique
sur le T. H. Frère Philippe,
Supérieur général, Paris, 1874.
(2) Antoinette Montet, à Gumières,
s'était illustrée à cette époque ;
plus tard elle fut la fondatrice,
avec l'abbé Pierre Périer,
du petit séminaire de Verrières.
(3) Libéré le 9 thermidor
(27 juillet 1794), le Frère Agathon
se retira à Tours où il se tint caché jusqu'à
sa mort qui survint
en 1797.
(4) Circulaire nécrologique...
op. cit.
(5) Jean-Baptiste Chapot,
en religion Frère Anselme,
aura plus tard la charge de Visiteur
et mourra à Chartres en 1857.
(6) Première édition
en 1826.
(7) C'est le mot utilisé
par la Circulaire nécrologique.
(8) Circulaire nécrologique,
op. cit., p. 19.
(9) Ibid.
(10) Cf. l'article d'Yves Poutet,
Les ordres religieux actifs,
sous la direction
de Gabriel Le Bras,
de l'Institut, tome 2,
Flammarion, 1980.
(11) Circulaire nécrologique...
op. cit.
(12) Ibid.
(13) Aujourd'hui il s'agit
de la rue Oudinot.
La maison-mère
de l'Institut
(de 1847 à 1905)

Maison-mère
des Frères
des écoles chrétiennes à Paris
27, rue Oudinot
Hôtel particulier du XVIIIe siècle appelé
de Rambouillet
de La Sablière.
Propriété en 1781
du comte de Montmorin-Saint-Hérem.
Occupé de 1801 à 1806
par le cardinal Caprara,
légat et nonce du pape
après le Concordat.
Propriété du général Rapp
en 1810 puis des famille d'Aumont ,
et de la Roche-Dragon.
De 1847 à 1905, maison-mère
et noviciat des Frères
des écoles chrétiennes.
Affecté depuis 1905
au ministère des Finances
d'outre-mer.
Façade sur cour
remaniée par Brongniart
et classée.
(14) On appelle procure
dans un établissement religieux
le magasin où sont entreposées toutes les fournitures
nécessaires
au travail scolaire,
notamment
toutes les fournitures
dites classiques :
livres, cahiers, plumes...
(15) Francisque Sarcey,
Le siège de Paris, E. Lachaud,
libraire et éditeur,
Paris, 1871.
(16) Ibid.
(17) Lieutenant-Colonel Rousset, Scènes
et épisodes
de la guerre de 1870-1871,
librairie Tallandier, Paris.
(18) Selon G. Rigault,
Le Frère Philippe,
Procure générale des Frères
des Ecoles Chrétiennes, 1932, Paris.
(19) Circulaire nécrologique...
op. cit.
(20) Ibid.
(21) Ibid.
(22) Grande encyclopédie,
inventaire raisonné des sciences,
des lettres et des arts sous la direction de M. Berthelot,
membre de l'Institut,
H. Lamirault et Cie, Paris,
1885-1902
(23) Les ordres religieux actifs,
sous la direction
de Gabriel Le Bras,
de l'Institut,
(article du frère Yves Poutet,
Les Frères
des Ecoles Chrétiennes), tome 2, Flammarion, 1980).
(24) Jean-Baptiste de la Salle, Conduite
des Ecoles chrétiennes.
(25) Ce sobriquet aurait été
décerné aux Frères par La Chalotais dès
le XVIIIe siècle.
(26) Jean-Baptiste de la Salle, Conduite
des Ecoles chrétiennes.
(27) C'est le cas, par exemple,
de Pierre Larousse, qui dit
dans son dictionnaire
que le système a le double inconvénient de ne pas
instruire l'enfant et de ne pas former
l'élève maître.
Cf. André Rétif, Pierre Larousse
et son oeuvre, Larousse,
Paris, 1975.
(28) Le Correspondant du 25 janvier
1874, cité par la Circulaire nécrologique...,
op. cit.
(29) Réédition de 1868.
(30) Grande encyclopédie,
op. cit.
(31) Cf. G. Rigault, Frère
Philippe, Procure générale des Frères
des Ecoles chrétiennes, Paris, 1932.
(32) La suppression des verges (faisceau
de baguettes
de bois flexible) avait eu lieu
dès 1811 dans le règlement scolaire des Frères
mais la férule
avait été conservée.
(33) Grande encyclopédie,
op. cit
(34) Vallery-Clément-Octave Gréard,
écrivain et administrateur,
né à Vire le 18 avril 1828,
élève de l'Ecole normale supérieure, docteur
ès lettres,
professeur puis inspecteur
de l'académie de Paris (1865), directeur de l'enseignement
primaire de la Seine (1870),
directeur au ministère
de l'Instruction publique (1872).
(35) Circulaire du 27 mai 1844,
citée par G. Rigault,
Frère Philippe, op. cit.
(36) Circulaire du 7 mars 1848,
citée par G. Rigault,
Frère Philippe, op. cit.
(37) Ibid.
(38) Lettre du 14 décembre 1850,
archives familiales des Bransiet, Gachat, Apinac.
(39) Circulaire nécrologique...
op. cit.
40) Circulaire nécrologique...
op. cit.
(41) Ibid.
(42) Cf. G. Rigault, Le Frère
Philippe, op. cit.
(43) Archives familiales des Bransiet,
Gachat, Apinac.
(44) Lettre de Frère Philippe
au Frère directeur de St-Bonnet-le-Château datée
du 29 mai 1823.
(45) Lettre du 19 décembre 1852
de Frère Philippe à ses nièces ; archives
familiales des Bransiet, Gachat, Apinac.
(46) Lettre du 11 janvier 1853, archives
familiales des Bransiet, Gachat, Apinac.
(47) Lettre du 24 avril 1836
à Soeur des Anges,
archives familiales des Bransiet,
Gachat, Apinac.
(48) Lettre du 10 août 1841,
archives familiales des Bransiet, Gachat, Apinac.
(49) Cf. G. Rigault,
Le Frère Philippe, op. cit.
(50) Sans avoir prononcé des
voeux, la Béate vivait
comme une religieuse
mais n'avait pas de costume
particulier. Les béates, bien connues dans le massif du
Pilat et en Velay, appartenaient à une institution religieuse,
l'Oeuvre des béates,
créée vers 1665 au Puy
par Mlle Martel,
qui se rattache à la congrégation
des Dames de l'Instruction.
Elles consacraient leur vie
à aider les habitants
des campagnes en faisant l'école
et le catéchisme, en soignant
les malades et en veillant les morts.
(51) Cf. pour ce paragraphe l'étude
très documentée
de M. Gérard Berger,
L'école des Frères,
la maison St-François, Apinac, brochure ronéotypée,
1979.
(52)Cf. G. Rigault, Le Frère
Philippe, op. cit.
(53) Archives familiales des Bransiet,
Gachat, Apinac
(54) G. Rigault, Le Frère
Philippe,
op. cit.
(55) Lettre datée du Palais
des Tuileries le 29 octobre 1858 et adressée au Frère
Philippe par le chanoine Ouin-la-Croix, secrétaire général
du service du Grand-Aumônier de la Maison de l'Empereur
; archives familiales Bransiet.
(56) G. Rigault, Le Frère
Philippe, op. cit.
Sources
et
bibliographie
Etat civil de la commune
d'Apinac.
Archives Lasalliennes de Lyon
Archives de la famille Bransiet : lettres du Frère Philippe
et du Frère Arthème, actes notariés et pièces
diverses.
Circulaire nécrologique
et biographique sur
le T.H. Frère Philippe, Supérieur général,
Paris, 1874.
Francisque Sarcey,
Le siège de Paris,
E. Lachaud, libraire-éditeur, Paris, 1871.
¨Gérard Berger,
Apinac et l'histoire
de l'éducation chrétienne,
brochure ronéotypée, avril 1979.
Gérard Berger,
"Un Apinacois Supérieur général de l'Institut
des Frères
des Ecoles Chrétiennes : Mathieu Bransiet, ou le Frère
Philippe (1792-1874)",
Bulletin de l'association des Amis
du vieux St-Bonnet,
n° 3, 1978, pp. 2-19.
Grande encyclopédie
(inventaire raisonné des sciences,
des lettres et des arts)
publié en 21 volumes
sous la direction de M. Berthelot, membre de l'Institut,
H. Lamirault et Cie, Paris,
1885-1902.
Julie Gouraud,
Utilité d'un voyage d'agrément
à Paris,
Louis Vivès,
Paris, 1856.
Le monde illustré
du 17 janvier 1874
¨Odette Gagnaire,
Apinac en comté de Forez,
Saint-Etienne, 1992.
Poujoulat, Vie du Frère Philippe, Alfred Mame et
fils,
Tours, 1874.
Rigault G., Le Frère Philippe,
Procure générale des Frères
des Ecoles Chrétiennes,
Paris, 1932.
Rousset (Lieutenant-colonel),
Scènes et épisodes de la guerre
de 1870-1871,
J. Tallandier, Paris.
Poutet Yves,
"Les Frères des Ecoles Chrétiennes", article
dans
Les ordres religieux actifs,
sous la direction
de Gabriel Le Bras, de l'Institut,
tome 2, Flammarion, 1980.
Joseph Barou, Michel Bransiet,
"Le Frère Philippe",
Bulletin de la Diana,
tome LVIII, 1999.
Joseph Barou, Michel Bransiet, D'Apinac
à Rome le parcours d'un petit paysan du haut Forez,
Frère Philippe (1972-1874),
Montbrison, Village de Forez, 2001

Les frères-quatre-bras
longtemps présents
dans le haut Forez
(cantons
de Saint-Bonnet-le-Château
et de Saint-Jean-Soleymieux)
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3 septembre 2018
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Frère
Philippe
Mathieu
Bransiet
(1792-1874)
un Forézien, supérieur général
de l'Institut des Frères des Ecoles Chrétienne
Frère Philippe est, aujourd'hui, un homme méconnu sauf
à Apinac, son village natal, et dans sa famille. Pourtant ce
religieux qui fut Supérieur général de l'Institut
des Frères des Ecoles Chrétiennes a joué un rôle
important dans le développement de l'enseignement en France avant
les grandes lois scolaires de la troisième République.
Pendant trente-cinq ans chef suprême de la congrégation
enseignante la plus importante du pays, il a aussi donné à
l'Institut une dimension internationale. Jusqu'à la Première
Guerre mondiale, la plupart des dictionnaires et encyclopédies
consacraient un article détaillé à sa vie et à
son oeuvre.
Des membres de l'Institut ont, bien sûr, écrit plusieurs
ouvrages sur la vie du Très Honoré Frère. Ces textes
constituent, en quelque sorte, la biographie officielle de Mathieu Bransiet,
en religion Frère Philippe. Ils donnent beaucoup d'informations
sur sa vie et son oeuvre au sein de la congrégation mais apportent
peu d'éléments sur l'homme privé, sur ses relations
avec sa famille et son pays natal. C'est cet aspect que nous avons voulu
privilégier.
Il fallait d'abord rappeler le parcours de Mathieu Bransiet, du modeste
hameau de Gachat, près d'Apinac, dans le haut Forez, à
la maison mère de Paris, aux côtés des plus hautes
autorités civiles, ou encore à Rome, aux pieds de Sa Sainteté.
C'est l'objet de notre première partie.
Ensuite, en utilisant le témoignage de ses contemporains, nous
tenterons de faire un bilan de son action comme chef de congrégation,
comme pédagogue et comme homme public. Bilan particulièrement
impressionnant si l'on prend le temps de l'analyser.
Enfin, dans une troisième partie, en nous appuyant sur les archives
de la famille Bransiet, nous essayerons de découvrir des aspects
nouveaux de la personnalité de Frère Philippe, son attachement
à sa famille, à son village natal. Lettres intimes et
témoignages nous dépeignent alors un homme simple et bon,
parfois primesautier et volontiers malicieux...
1 - D'Apinac à Rome : le parcours
d'un petit paysan du haut Forez
Les jeunes années (1792-1809)
Mathieu, fils de Pierre Bransiet et de Marie-Anne Varagnat, est né
à Gachat, hameau de la commune d'Apinac, le 1er novembre 1792.
C'est le second enfant des Bransiet dont le nom figure depuis le XVIIe
siècle dans les registres paroissiaux. Curieusement son acte
de naissance est daté du 19 décembre de la même
année, soit sept semaines plus tard.
Ce retard est-il dû aux troubles de l'époque, au fait que
Gachat a été durant quelque temps érigé
en commune distincte d'Apinac ou tient-il à la répugnance
de ses parents à faire une déclaration aux nouvelles autorités
? Il est issu d'une famille profondément chrétienne attachée
aux valeurs traditionnelles : piété
sincère, profond respect pour l'autorité, amour passionné
du travail (1).
On est alors en pleine tourmente révolutionnaire et la famille
Bransiet, comme cela s'est produit souvent dans les monts du Forez (2)
et du Lyonnais, donne courageusement asile à des prêtres
persécutés. Ces événements vécus
en famille, dès la prime enfance, marquent profondément
le jeune Mathieu.
Les Bransiet eurent six enfants et parmi eux trois se consacrèrent
à Dieu : Anne Marie, devient religieuse dans la congrégation
des surs St-Joseph du Puy, Mathieu, l'aîné des garçons,
sera le Frère Philippe, son frère Jean-Mathieu, plus jeune
de dix ans, deviendra, lui aussi, Frère des Ecoles Chrétiennes.
A Chaturange, à l'école du Frère Laure
En 1792, l'année de la naissance de Mathieu Bransiet, l'Institut
des Frères des Ecoles Chrétiennes avait été
supprimé en France malgré les efforts du Frère
Agathon, Supérieur général qui fut lui-même
arrêté et détenu près de trois ans (3). Les
maisons de France furent fermées, les Frères dispersés.
Le Pape Pie VI, pour diriger ce qui restait de la congrégation
hors de France - en Suisse et dans les Etats pontificaux - , nomma comme
vicaire général, le Frère Frumence, directeur de
la maison de Saint-Sauveur à Rome. En France, le culte catholique
fut rétabli après le concordat du 15 juillet 1801. On
pouvait, à partir de cette date, songer à reconstituer
l'Institut.
Deux frères de la famille Galet, membres d'une communauté
de Marseille s'étaient retirés à Chaturange, commune
de Saint-Pal, à deux kilomètres de Gachat. Le Frère
Laure et son frère tenaient ensemble une petite école
qui recevait les enfants des hameaux voisins. Ainsi Mathieu Bransiet
commença ses études à Chaturange. Il avait pour
condisciple Jean-Baptiste Chapot, plus âgé de deux ou trois
ans et qui, en 1807, entra au noviciat des Frères de Ecoles Chrétiennes
de Lyon.
Le petit Mathieu se faisait remarquer par sa grande gentillesse envers
ses frères et soeurs. Sa première formation est essentiellement
familiale.
Tout enfant, il s'intéressait beaucoup à tout ce qui touche
la religion et sa sensibilité était très vive.
Sa soeur aînée raconte qu'il lui arrivait de réciter
trois cents fois de suite le Gloria Patri,
et que, quand il voyait offenser Dieu, il éclatait en sanglots
(4) . Très tôt,
il montra aussi de grandes capacités intellectuelles et devint
vite le meilleur élève de la modeste école de Chaturange.
La fondation officielle de la première école des Frères
d'après le Concordat date du 3 mai 1802, fête de l'Invention
de la Sainte-Croix. Ce jour-là, M. Girard, vicaire général
de Lyon, vint, dans un pauvre local loué par le Frère
Pigménion, dire la messe sur un autel improvisé devant
une petite assemblée d'enfants entourant le religieux.
Bientôt quatre autres religieux et plusieurs postulants vinrent
rejoindre le Frère Pigménion. L'école bénéficia
tout de suite de la protection de Mgr Fesch, cardinal archevêque
de Lyon. Les Frères s'installèrent le 21 octobre 1804
dans l'ancien Petit-Collège des Jésuites cédé
par la municipalité de Lyon.
Dès lors, la reconstitution de l'Institut va être rapide.
Le 19 avril 1805, Pie VII retournant de Paris vers Rome s'arrête
à Lyon. Entouré de quatre cardinaux, il visite la maison
des Frères et bénit la chapelle nouvellement restaurée
de l'ancien Petit-Collège. Cette année-là, l'Institut
compte déjà vingt communautés en France. Le cardinal
Fesch adresse alors une lettre circulaire à tous les anciens
Frères pour les inviter à venir à Lyon et à
rejoindre les communautés déjà reconstituées.
Novice au Petit-Collège à
l'âge de 17 ans
A la suite de cet appel, en 1806, le Frère Laure quitte son petit
pensionnat de Chaturange pour rejoindre ses confrères lyonnais.
Avant de quitter le haut Forez, il fait ses adieux à ses élèves
et les invite à venir le rejoindre à Lyon.
Cette invitation est entendue. Un ancien élève du Frère
Laure, Jean-Baptiste Chapot, entre en 1807, au noviciat de Lyon où
il reçoit le nom de Frère Anselme (5). Deux ans plus tard,
le 6 novembre 1809, le jeune Mathieu Bransiet est admis au noviciat
de Petit-Collège, à Lyon. Il y retrouve son premier maître,
le Frère Laure.
Un jeune religieux plein de zèle
et de talents (1809-1830)
Les premières affectations
Mathieu Bransiet revêt l'habit religieux le 7 décembre
1809, la veille de la fête de l'Immaculée Conception. Il
reçoit le nom de Frère Boniface qu'il conservera quelques
années avant d'être nommé, définitivement
cette fois, Frère Philippe. Le Supérieur général,
le Frère Frumence, meurt le 27 janvier 1810, au Petit-Collège.
Le 8 septembre, le Frère Gerbaud, directeur de la communauté
du Gros-Caillou, à Paris, est élu Supérieur général.
En 1810, son noviciat achevé, Mathieu Bransiet est chargé
d'une petite classe dans une école qui vient de s'ouvrir dans
la paroisse St-Bonaventure, à Lyon. Il s'agit sans doute d'un
court stage qui permettait de compléter, de façon pratique,
la formation du jeune instituteur.
Il y reste peu de temps et doit rejoindre Auray, dans le Morbihan, où
il est chargé d'une classe spéciale de cabotage. Curieuse
affectation pour un jeune Forézien qui est né si loin
de la mer ! Cette nomination est faite, paraît-il, en raison de
son aptitude pour les mathématiques et pas du tout pour sa connaissance
du milieu maritime. Bien que le dépaysement soit total, Mathieu
Bransiet se montre un enseignant particulièrement compétent.
Il rédige même son premier manuel scolaire : un petit traité
de cabotage ! Beaucoup d'autres suivront tout au long de sa vie. Il
fait preuve là d'une remarquable capacité d'adaptation,
qualité qui sera vite remarquée par ses supérieurs.
C'est à Auray qu'il prononce, en 1812, ses vux triennaux.
Déjà des responsabilités
En 1816, il souffre d'une ophtalmie et, momentanément, ne peut
plus enseigner. Ses supérieurs le nomment alors directeur de
la maison de Rethel, petite ville des Ardennes. Il fait une grande partie
du voyage à pied. De passage à Soissons, il rencontre
dans l'école des Frères de la ville un jeune maître
de dix-neuf ans qui dirige la grande classe, le Frère Calixte.
Ce religieux va devenir le grand ami de Mathieu Bransiet, une amitié
qui durera pendant cinquante-sept ans. Frère Philippe prend possession
de sa charge de directeur le 14 juillet 1816 mais il reprend, dès
qu'il le peut, son travail d'enseignant car c'est dans cette fonction
qu'il excelle. Il fascine littéralement ses élèves.
Mathieu Bransiet est ensuite envoyé à Reims, la ville
qui avait été le berceau de l'Institut. Il prononce ses
vux perpétuels dans cette ville, le 2 novembre 1817. Ils
sont reçus par le Frère Eloi, Assistant.
Le 11 mai 1818, il est nommé directeur. Il y a alors, dans la
ville natale du fondateur de l'Institut, une grande rivalité
entre les écoles qui pratiquent la méthode d'enseignement
mutuel et celles qui suivent le mode simultané préconisé
par Jean-Baptiste de la Salle. Le jeune, modeste mais brillant, directeur
met toute son énergie à faire triompher le mode simultané.
Ce combat, remporté à Reims par le Frère Philippe,
est décisif. Il marque le début du déclin inexorable
des écoles dites "à la Lancastre" au profit
de celles qui utilisent l'enseignement simultané.
Comme le Frère Philippe a si bien réussi à Reims,
on l'envoie à Metz pour réorganiser les écoles
des Frères. Il mène à bien cette tâche bien
que, parfois, ses problèmes de vue l'empêchent d'enseigner.
Il développe alors particulièrement les leçons
de mathématiques, une matière qu'il aime beaucoup enseigner.
En janvier 1821, pour accompagner le développement de l'Institut,
la maison mère est transférée de Lyon à
Paris. Le Régime - le gouvernement de la congrégation
formé du Supérieur général et de ses assistants
- s'installe au 165, rue du faubourg-St-Martin, dans un immeuble acquis
par la ville de Paris et mis à la disposition des Frères.
La maison reçoit le nom de St-Enfant-Jésus. C'est un lieu
prédestiné puisqu'une partie importante de l'immeuble
avait été construite par saint Vincent de Paul. Le Frère
Gerbaud, Supérieur général, y meurt le 10 août
1822.
Frère Visiteur et directeur de Saint-Nicolas-des-Champs
Le Frère Philippe participe au chapitre général
qui, le 11 novembre de la même année, élit son successeur,
le Frère Guillaume-de-Jésus. Frère Philippe prend
une place de plus en plus importante dans l'administration de la congrégation.
Dès 1822 il exerce les fonctions de Visiteur, c'est-à-dire
qu'il est chargé de tournées d'inspection dans diverses
maisons.
En 1823, il est directeur de la communauté de l'importante maison
de St-Nicolas-des-Champs à Paris. En même temps il est
Visiteur des écoles de Paris et de la région parisienne.
Cette charge d'inspecteur lui permet de constater les nombreuses insuffisances
dont souffrent les écoles primaires.
Il rédige à cette époque une Géométrie
pratique appliquée au dessin linéaire (6),
ouvrage unique en son genre et qui sera beaucoup copié. Il sera
ensuite, toute sa vie, un infatigable rédacteur de manuels scolaires,
car il pense avec raison que de bons outils sont indispensables pour
un enseignement de qualité.
Cependant, l'essentiel pour lui est la valeur du personnel enseignant.
il s'attache particulièrement à ce que les Frères
suivent bien la Règle qui, pour lui, est le chemin vers la perfection.
Un Assistant clairvoyant (1830-1838)
Le chapitre général
de 1830
Le Frère Guillaume-de-Jésus, élu alors qu'il était
déjà un vieillard, meurt le 10 juin 1830. Le chapitre
général du 1er septembre suivant lui donne comme successeur
le Frère Anaclet. Le Frère Philippe est élu assistant
ainsi que les Frères Eloi, Abdon et Jean Chrysostome.
Comme Assistant il est, pour une grande part, à l'origine de
la création des écoles du soir, bien avant que le ministère
de l'Instruction publique ne l'ait préconisée. En cela
il reprend une vieille tradition Lasallienne. Jean-Baptiste de La Salle
avait en effet créé des "écoles du dimanche"
où des adultes pouvaient étudier les mathématiques
et le dessin. Les premiers cours de ce type avaient été
ouverts, en 1709, rue de Vaugirard, à Paris.
La révolution de 1830 a été ressentie par l'Institut
comme une "commotion" (7). Pourquoi ces mouvements violents
qui troublent si gravement l'ordre social ? L'institution des écoles
du soir veut être une prévention à ces désordres.
Leur but est double. Il s'agit d'instruire
et moraliser les pauvres ouvriers qui n'ont pu fréquenter les
écoles dans leur enfance (8). Le côté
instructif est certes important, il faut conserver et développer
les connaissances acquises avant l'entrée des adolescents aux
ateliers" mais ce qui l'emporte aux yeux du Frère Philippe,
c'est l'aspect religieux qui, dans son esprit, est étroitement
lié à l'aspect social et politique. Il veut ainsi réagir
contre les funestes influences [des
ateliers], où trop souvent les
principes religieux et la moralité des jeunes apprentis font
un triste naufrage (9) .
Les premiers cours du soir sont ouverts à Saint-Nicolas-des-Champs,
presque aussitôt après la révolution de Juillet.
D'autres sont bientôt organisés à l'école
du Gros-Caillou. Deux ans plus tard, Guizot, ministre de l'Instruction
publique s'intéresse à ces initiatives de l'Institut et
promet sa protection. Il reprend d'ailleurs dans une circulaire l'idée
des cours du soir. On approchait ainsi, déjà, du concept
très actuel de la formation permanente.
Ces cours d'adultes ont eu une grande importance et ont encore des prolongements
dans notre société. Le Frère Yves Poutet, historien
de l'Institut, indique que c'est l'une de ces oeuvres de persévérance,
celle de la rue des Petits-Carreaux, à Paris, qui fut à
l'origine du syndicat des Employés du commerce et de l'industrie
fondé par le Frère Hiéron. Il en sortit quelques
années plus tard l'embryon de la Confédération
Française des Travailleurs Chrétiens. Deux importantes
centrales syndicales, la C. F. D. T. et la C. F. T. C. sont aujourd'hui
les lointaines héritières de ce premier mouvement (10).
Simplement toléré sous le premier Empire l'Institut avait
été par la suite comblé de faveurs sous la Restauration.
Il participe alors à une politique réactionnaire et cléricale
aussi les Frères subissent-ils le contrecoup de la révolution
de Juillet. Le nouveau régime est beaucoup moins favorable. C'est
le Frère Philippe qui, comme assistant au Supérieur général,
conduit la plupart des négociations avec le ministère.
C'est à cette époque qu'il entreprend un immense travail
pédagogique en composant de nouveaux manuels scolaires plus adaptés.
Le Très Honoré Frère Anaclet meurt dans la nuit
du 6 au 7 septembre 1838, âgé de seulement cinquante ans.
L'Institut compte alors 320 maisons, 2 300 Frères et ses écoles
regroupent 140 000 élèves.
Supérieur général
d'une congrégation en plein essor (1838-1848)
Le Très Honoré Frère
Philippe
Le 21 novembre 1838, fête de la Présentation de la Vierge,
le 17e chapitre général, réuni à Paris,
à la maison du St-Enfant-Jésus, élit pour Supérieur
général le Frère Philippe. Il accepte, semble-t-il,
avec beaucoup de réticence cette lourde charge car il est très
modeste.
Ses premiers soins pour l'ordre concernent le domaine spirituel. Il
visite un certain nombre de communautés. Partout
il se montra un parfait modèle de régularité, de
piété, de mortification, de zèle (11).
Comme il ne peut aller partout il rédige des "circulaires
instructives" qu'il adresse à tous les Frères et
qui sont, dit sa notice nécrologique, un
admirable monument de sa sollicitude pour leur avancement spirituel
(12). Il attache aussi une grande importance aux retraites annuelles.
Il participe à celle des Frères de Paris puis aussitôt
après à plusieurs autres qui se succèdent en province.
A côté des écoles gratuites, oeuvre de base de l'Institut,
Frère Philippe développe deux autres types d'établissements
: les écoles normales chargées de former les Frères
enseignants et, surtout, les pensionnats.
Une école normale est établie dans les locaux même
de la maison mère. Quant aux pensionnats, c'est l'enseignement
primaire supérieur qui y est dispensé qui les caractérise.
Les élèves, reçus pour la plupart à titre
payant, n'y sont pas forcément pensionnaires. Jean-Baptiste de
la Salle avait déjà, avant la Révolution, créé
des pensionnats. Un premier pensionnat avait été ouvert
à Béziers en 1830. Cette diversification de l'enseignement
était nécessaire.
Le pensionnat est le lieu idéal pour former des commis aux écritures,
des commerçants avisés et des artisans ayant le goût
de se perfectionner. Il est très apprécié de la
petite bourgeoisie. Le pensionnat qui était jumelé avec
le petit noviciat de la maison du St-Enfant-Jésus, fut transféré
à Passy en 1839 par le Frère Philippe.
En mai 1840, Grégoire XVI déclare "Vénérable"
Jean-Baptiste de la Salle. C'est un puissant encouragement pour l'Institut
dont le fondateur chemine ainsi à petits pas vers la canonisation.
La place des Frères dans la nation
Après des débuts difficiles, la congrégation semble
avoir conquis la confiance du nouveau régime. Le roi Louis-Philippe
1er s'intéresse bientôt personnellement à ses activités.
En signe de reconnaissance, la Légion d'honneur est offerte au
Supérieur général. Comme son prédécesseur,
le Frère Anaclet, le Frère Philippe refuse par modestie.
Dès 1840, quelques Frères avaient été chargés
de faire le catéchisme dans les prisons. Après le chapitre
de 1844, Frère Philippe fut autorisé à s'entendre
avec le gouvernement pour que des religieux prennent en charge les prisonniers.
Sous la direction du Frère Facile, ils furent employés
à Nîmes, Fontevrault, Melun, Aniane. Les Frères
tinrent ainsi durant quelques années une place comparable à
celle qu'occupaient dans les prisons de femmes les religieuses de l'ordre
Marie-Joseph.
Grâce à leur action, des améliorations morales et
matérielles furent apportées aux prisonniers. L'expérience
ne fut pourtant pas entièrement positive. Il y eut souvent des
divergences entre l'administration et les religieux. En 1845, un religieux,
le Frère Pascal, fut assassiné. L'expérience cessa
brutalement avec la révolution de 1848. Les établissements
pénitentiaires avaient été bouleversés par
l'onde de choc de la proclamation de la République et le travail
obligatoire y avait été supprimé.
L'immeuble où est installé le siège de la Congrégation
est exproprié pour la construction de la gare de l'Est. Il faut
déménager. Frère Philippe recherche donc un nouveau
local approprié pour être la maison mère. Il découvre
lui-même, et "comme providentiellement", une maison
qui lui convient. Il s'agit de l'hôtel du général
Rapp, rue Plumet (13). Il demande aux pouvoirs publics de l'acheter
pour le mettre à la disposition de l'Institut.
L'installation de la procure (14), de l'infirmerie, de l'école
normale et des deux noviciats, le petit et le grand, rue Oudinot a lieu
au printemps de 1847. La maison est placée par le Frère
Philippe sous le vocable de saint Joseph. Le supérieur général
s'installe tout près de la salle du Régime, dans une petite
chambre ornée de quelques tableaux de piété et
sommairement meublée d'un petit lit de bois de sapin, de deux
ou trois chaises et d'une table.
Les temps difficiles : invasion,
siège de Paris (1870-1871)
Les Frères infirmiers et ambulanciers
Le Frère Philippe offre au ministre de la Guerre tous les établissements
de Paris pour être transformés en postes de secours et
tous les religieux pour faire office d'infirmiers. Il entrevoit, dès
le 2 septembre la longueur et les horreurs du siège de Paris.
Par prudence, il envoie en province les noviciats. Sept assistants sur
dix quittent la capitale avec l'ordre de prendre en charge les maisons
de province et de garder le contact entre eux.
Le 19 septembre l'investissement de Paris est achevé. Pendant
plus de trois mois la maison mère ne reçoit aucune nouvelle
de l'extérieur.
Le Supérieur général accepte la proposition de
confier à des Frères le service de brancardiers sur les
champs de bataille et fait appel à des volontaires. Le 28 novembre,
trois cents Frères sont présentés à l'aumônier
en chef des Ambulances de la Presse. Les jours où doit avoir
lieu une action les Frères déjeunent à six heures
du matin en présence du Frère Philippe qui, parfois, les
sert lui-même. Ils rejoignent ensuite les ambulances qui partent
des Tuileries.
Le 30 novembre, jour de la première bataille de Champigny, il
accompagne les Frères le plus près possible du front puis
rentre à la maison mère et organise des préparatifs
pour accueillir, éventuellement, une trentaine de blessés.
Le gaz est coupé dans tout Paris. Entre huit et dix heures du
soir arrivent quatre-vingt-trois blessés. Il reste seulement
quelques Frères pour s'occuper d'eux. Tout l'établissement
est transformé en hôpital. Frère Philippe fait prendre
les cierges de la chapelle, il aide lui-même à porter les
blessés. C'est seulement vers onze heures du soir que rentrent,
fourbus, les Frères brancardiers.
La contribution des Frères fut décisive. Ce furent les
seuls brancardiers sur qui l'on put vraiment compter selon le témoignage
concordant des responsables des Ambulances :
Le corps des brancardiers était, si j'en
crois tous les rapports qui m'ont été faits, des rapports
de témoins oculaires, composé de bien misérables
éléments. J'en excepte les Frères de la Doctrine
chrétienne... Ces religieux portaient dans l'exercice de ces
fonctions nouvelles leur esprit d'abnégation, de dévouement
et ces habitudes d'obéissance passive qui sont la règle
de toute leur vie. Ils s'en allaient paisiblement, sous la grêle
des balles, ramasser les blessés, les rapportant dans leurs bras
; ne reculaient devant aucune besogne, si dure ou si dégoûtante
qu'elle fût, ne se plaignaient jamais de manque de nourriture,
ne buvaient que de l'eau, ne touchaient jamais à un sac abandonné
et revenaient ensuite à leurs humbles travaux des classes, sans
se douter qu'ils avaient été des héros ! (15)
L'attitude des religieux contraste fortement avec le comportement de
beaucoup de leurs compagnons :
La plupart des brancardiers n'étaient que des pillards, qui éventraient
les sacs des soldats morts ou retournaient leurs poches, au lieu de
recueillir les blessés ; ils passaient la moitié de leur
temps à boire, se chauffant autour du feu... (16)
Chevalier de la Légion d'honneur
Le lieutenant-colonel Rousset dresse un bilan élogieux de l'action
de l'Institut et de son Supérieur général lors
de ces semaines tragiques :
Rappelons encore la noble conduite des Frères
de la Doctrine chrétienne qui perdirent vingt Frères de
maladies contractées au chevet des mourants, et un le Frère
Néthelme, tué à l'ennemi, comme un soldat, en relevant
les blessés de Champigny. Pendant le siège, ces modestes
et braves religieux soignèrent plus de 30 000 blessés
ou malades, sans interrompre le service de leurs fourneaux économiques,
qui donnèrent à manger à tant de malheureux. Après
la guerre, le gouvernement, voulant honorer l'ordre tout entier, fit
remettre la croix de la Légion d'honneur au vénérable
Frère Philippe, son Supérieur général. Celui-ci
la reçut avec émotion, puis la cacha sous sa robe de bure,
ou nul ne la vit jamais que le jour de sa mort (17).
L'abnégation des religieux leur permet de prendre une belle place
dans le cur des Parisiens. Cela va leur être bien utile
dans les épreuves qui vont suivre. Quant à la décoration
reçue, le Frère Philippe l'avait déjà refusée
à deux reprises. Cette fois, il est contraint de l'accepter puisqu'elle
concernait l'Institut tout entier. Lors d'une visite à Gachat,
il "oublia" le ruban rouge dans un tiroir (18).
La Commune de Paris
Le drapeau rouge sur Sainte-Geneviève
et les Frères sur le champ de bataille
D'autres luttes, plus cruelles, prolongent le siège de Paris.
Avec la Commune, la guerre civile va ébranler l'Institut. Dès
le 18 mars, le Frère Philippe s'inquiète au sujet des
écoles et des Frères de Paris en butte à la persécution.
Il y a des signes précurseurs : sur l'ordre de la Commune on
abat la croix de l'église Ste-Geneviève pour y arborer
le drapeau rouge, beaucoup d'églises de Paris deviennent le siège
de clubs politiques. Les établissements des Frères sont
occupés, des religieux sont arrêtés.
Le 2 avril, dimanche des Rameaux, commence la guerre civile. La question
se pose de savoir si les Frères doivent se rendre sur le lieu
des combats pour continuer leur office de brancardiers, mais cette fois,
dans les lignes des insurgés qui, pour la plupart, sont très
hostiles à l'Eglise.
Le Frère Philippe n'hésite pas un instant :
A ses yeux, il n'y avait pas lieu de distinguer entre blessés
et blessés, ni de se préoccuper de l'hostilité
de gens égarés, à qui l'on ne voulait faire que
du bien (19) . Attitude qui
nous paraît, aujourd'hui, bien normale de la part d'un religieux
mais qui, alors, n'était pas si évidente.
Il se rend lui-même au poste de Longchamp, près du lieu
des combats. On lui dit que les Fédérés n'ont pas
permis aux Frères de secourir leurs blessés. Il s'en plaint
aussitôt auprès des dirigeants de la Commune. L'autorisation
est enfin accordée. Les Frères, divisés en trois
escouades, relèvent quelques blessés. Trois d'entre eux
sont même soignés à la maison mère ce qui
ne va pas sans surprendre ces pauvres gens qui faisaient jusque-là
profession d'un furieux anticléricalisme.
Départ de Paris. Les otages
Le Frère Philippe est inscrit sur une liste d'otages que doit
prendre la Commune. Le samedi saint, les Frères assistants, avertis
confidentiellement, réussissent à le convaincre de quitter
Paris pour se réfugier en province. Le lundi de Pâques,
10 avril, sans abandonner l'habit religieux, il réussit à
aller à St-Denis et, de là, se rend à Reims. Le
11, la maison mère est cernée et, à défaut
du Supérieur, son ami, le Frère Calixte, est arrêté.
Cependant il est presque aussitôt libéré.
Le Frère Philippe apprend l'arrestation de son premier Assistant
par la presse alors qu'il se trouve à Epernay. Il ignore que
celui-ci a été libéré et, très inquiet,
part immédiatement pour St-Denis, avec l'intention de se livrer
comme otage pour obtenir sa libération. A St-Denis il apprend
que Frère Calixte est libre, il se rend alors en province.
Du centre de la France il se tient au courant de ce qui se passe à
Paris. Ses lettres montrent l'intérêt et l'affection qu'il
porte personnellement à chacun des Frères de Paris. D'Aurillac
il écrit au Frère Albert, son principal informateur, car
ce dernier se trouve à St-Denis, dans la communauté la
plus proche de Paris.
La situation tendant enfin à se normaliser, le Supérieur
général revient à Paris le 9 juin. Le dimanche
suivant, jour de Fête Dieu, il organise avec tous les religieux
de la maison mère une procession avec
toute la pompe possible afin de remercier Dieu (20).
Les dernières années
(1871-1873)
Au travail jusqu'au bout
Après la fin de la Commune, l'Institut est encore en butte à
de sérieuses difficultés. La situation d'instituteurs
municipaux qu'avaient les Frères dans de nombreuses localités
est remise en cause et il y a, sinon une vague d'anticléricalisme,
du moins une tendance à la laïcisation de l'enseignement.
Les grandes lois scolaires de la République ne sont pas encore
votées mais sont en gestation. Il s'agira encore, pour l'Institut,
de s'adapter à des situations nouvelles.
Le Frère Philippe, déjà vieux, utilise ses dernières
forces pour tenter de rétablir la situation de l'Institut et
pour renforcer la cohésion entre ses membres. Pendant les vacances
de 1872, il prêche lui-même quatre retraites de suite à
ses Frères. La fin de l'année est difficile. Il perd un
de ses Assistants, souffre de maux d'estomac et s'affaiblit. Deux mois
après, il est atteint d'une pneumonie qui met sa vie en danger.
Il reçoit durant sa maladie la visite de l'archevêque de
Paris. Cependant il se rétablit et consacre sa convalescence
à finir des ouvrages commencés et à préparer
le Chapitre général convoqué pour le 12 juin 1873.
Il peut présider cette assemblée mais, se sentant affaibli,
offre sa démission. Elle est refusée malgré son
insistance. Le 2 juillet, le Chapitre général est clos.
Le Frère Alphonse, doyen d'âge, présente à
Frère Philippe le respect et les remerciements de tous les capitulants.
Le Frère Philippe fait alors ses adieux : Mes
chers Frères, bientôt, oui, bientôt vous vous réunirez
de nouveau ; et je ne serai plus là ; j'aurai été
rendre compte à Dieu de mon administration. (21)
Il se rend à Rome, une nouvelle fois pour assister à la
proclamation de l'héroïcité des vertus de Jean-Baptiste
de la Salle. C'est une de ses dernières grandes joies. Pie IX,
au cours d'une audience générale, le reconnaît et
s'entretient familièrement avec lui. Il lui demande d'envoyer
des religieux en Amérique et en Asie.
La maladie et la mort
Il tombe sérieusement malade le mardi 30 décembre 1873.
Le 31, il se lève comme d'habitude à quatre heures du
matin mais au cours de la journée doit regagner sa cellule et
se coucher. Le lendemain, 1er janvier 1874, il fait un ultime effort
et paraît encore au milieu de la communauté pour la messe.
Il s'alite et cette fois ne se relève plus. Il est soigné
et entouré de sollicitude par toute la communauté de la
maison mère mais il meurt pieusement une semaine plus tard, le
7 janvier 1874, vers huit heures du soir : le Père céleste
recevait dans ses bras l'âme de l'ouvrier de la première
heure pour lui donner le prix de sa longue et laborieuse journée
ici-bas. Le Frère Philippe était âgé de quatre-vingt-un
ans, dont soixante-quatre de communauté, cinquante-six de profession,
trente-cinq de généralat. On lui fait des funérailles
solennelles dans l'église Saint-Sulpice. Il est d'abord inhumé
au Père-Lachaize ; aujourd'hui ses restes sont au cimetière
d'Athis-Mons.
2 - Un bilan exceptionnel
- Frère Philippe, chef de
l'Institut
Mathieu Bransiet doit aux circonstances et aussi à ses qualités
personnelles sa rapide ascension dans la hiérarchie de son
institut. Alors que, justement, il paraît dénué
de toute d'ambition personnelle, il accomplit une longue et brillante
"carrière". L'humilité et la simplicité
étant des vertus essentielles pour un religieux, on peut dire
qu'il subit les promotions successives plutôt qu'il ne les souhaite.
Mais ensuite, il accomplit sa mission en y mettant toutes ses forces.
Pour conduire son action il garde toujours fidèlement une ligne
conductrice mais, suivant les circonstances, il sait être diplomate
et conciliant.
Même les gens peu favorables aux Frères reconnaissent
volontiers, à la fin du siècle dernier, un bilan exceptionnel
pour l'action de Frère Philippe. La grande encyclopédie
dirigée par Berthelot parle d'une
oeuvre considérable accomplie
par un homme éminent d'une activité, d'une perspicacité
et d'une souplesse remarquables...(22)
Les talents de Mathieu Bransiet se sont manifestés
essentiellement dans trois domaines : une administration intelligente
de sa congrégation, l'amélioration de la pédagogie
mise en oeuvre par ses Frères, des rapports habiles avec les
pouvoirs publics.
Création de nouvelles écoles
Comme administrateur, c'est lui qui donne à l'Institut son
développement international. Le nombre des écoles triple,
celui des Frères quadruple. Entre 1838 et 1874, 726 maisons
d'éducation furent créées en France et 276 à
l'étranger...(23) En 1878, quatre ans après la mort
de Frère Philippe, il y a 9 818 Frères qui tiennent
1 064 écoles publiques et 385 écoles libres. L'Institut
est présent sur tous les continents. Il dispose de seize noviciats
: Irlande, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Algérie, Egypte,
Réunion, Canada, Etats-Unis (Baltimore, New-York, St-Louis,
San Francisco), Equateur, Chili, Ceylan.
Il n'y a rien de désordonné dans la création
de nouvelles écoles. Le Frère Philippe met en place
un règlement précis qui donne à chacune des parties
en présence un minimum de garanties. Il y a, entre les pouvoirs
publics et l'Institut, une sorte de contrat qui permet d'éviter
dérives et abus.
Résumons les neuf articles de ce document :
Art. 1 : Les écoles tenues par les Frères
du Vénérable de La Salle doivent être parfaitement
gratuites...
Art. 2 : Le personnel de chaque établissement doit être
composé au moins de trois Frères...
Art. 3 : Le Supérieur général, en acceptant un
nouvel établissement, traite de gré à gré
avec les villes ou les fondateurs qui en font les frais, pour ce qui
regarde la maison d'habitation, les classes, les meubles, les réparations,
l'indemnité que les Frères demandent, selon les temps
et les circonstances, pour subvenir à leurs besoins...
Art. 4 : Les Frères ne seront pas tenus de recevoir des écoliers
au-dessous de six ans ni d'en admettre plus de soixante dans les classes
d'écrivains et plus de cent dans les autres.
Art. 5 : Les Frères feront entendre la sainte Messe à
leurs élèves tous les jours d'école...
Art. 6 : Ils suivront pour l'enseignement la méthode simultanée,
développé dans le livre intitulé "Conduite
des Ecoles Chrétiennes"...
Art. 7 : Les Frères doivent avoir l'entière liberté
d'observer leurs Règles, tant celles qui regardent leur régime
intérieur que celles qui concernent la tenue de leurs classes...
L'article 8 accorde au Supérieur général le droit
de déplacer un Frère ; parallèlement les autorités
locales peuvent demander le changement d'un religieux. Enfin l'article
9 traite de la suppression d'une école décidée
par les bailleurs de fonds. Le Supérieur général
doit être averti six mois d'avance, une indemnité correspondant
à six mois de traitement de chaque Frère sera alors
versée.
Dans tous les domaines, il ne cherche nullement à bouleverser
les choses, mais, au contraire, il réforme, par petites touches.
Il rajeunit ainsi la célèbre Conduite des écoles,
le livre essentiel laissé par Jean-Baptiste de la Salle.
Il crée des noviciats préparatoires, sortes d'écoles
normales pour former les futurs Frères maîtres d'école.
Surtout, il gère au mieux : nominations, changements de fonction,
déplacements, ouvertures et fermetures de maisons... Il faut
trouver à chacun la place qui convient à ses capacités
pour la bonne marche de l'Institut tout entier. Pour cela, il doit
être psychologue. La communauté de Frère Philippe
n'est pas formée d'une demi-douzaine de religieux, compagnons
que l'on retrouve à la chapelle et au réfectoire, mais
de dix mille Frères très divers éparpillés
en mille quatre cents communautés. Certes, l'Institut est organisé
en "provinces" - il y en a vingt en 1854 - , des Frères
Visiteurs passent régulièrement dans les maisons et
les Assistants au Supérieur général prennent
leur part de cet immense travail de coordination et de gestion de
ce qu'on appellerait aujourd'hui "les ressources humaines".
Taine avouait sa stupéfaction devant ce Supérieur qui
commandait à dix mille hommes de sa cellule aussi austère
que celle du dernier des Frères. Horace Vernet tint à
l'honneur de faire son portrait et Ferdinand Buisson, principal artisan
du Dictionnaire de pédagogie,
ne cachait pas son admiration devant ce travailleur infatigable.
Frère Philippe, pédagogue
Mathieu Bransiet a effectué de courtes études. De
la petite école de Chaturange au Juvénat, sa formation
initiale est de type primaire supérieur et non classique. Il
n'a pas fréquenté le séminaire ou le lycée
jusqu'à la classe de rhétorique avec étude du grec
et du latin, ce qui était le cursus habituel des gens cultivés.
C'est un autodidacte intéressé par tous les domaines des
connaissances qui complète tout le long de sa vie sa formation.
Il est servi par une excellente mémoire et une vive intelligence.
Surtout, il possède une grande capacité d'assimilation
et d'adaptation.
Dans les pas de Jean-Baptiste de la Salle
Frère Philippe qui, élève, n'a connu d'autres professeurs
que les Frères a, comme simple maître d'école, fait
siens les principes pédagogiques prônés par J. -
B. de La Salle. Comme chef de l'Institut il les a promus, précisés
et adaptés. Il reprend fidèlement la Conduite des Ecoles
Chrétiennes rédigée par le fondateur et publiée
en 1720. Ces règles, légèrement modifiées
en 1811, sont encore publiées en 1877 avec un avant-propos de
Frère Philippe.
Rappelons ce que les principes du fondateur de l'Institut avaient alors
de novateur. Il y a d'abord la répartition des élèves
en divisions suivant leur niveau : la division des plus faibles, celle
des médiocres, et celle des plus intelligents ou des plus capables,
organisation qui est à l'origine des cours élémentaire,
moyen et supérieur. Ce système venait tout naturellement
du fait que les Frères devaient être au moins trois pour
former une communauté. Un Frère s'occupant des tâches
matérielles, chaque école avait donc au moins deux classes.
Cette notion de classe, un groupe d'élèves travaillant
avec les mêmes exercices, s'opposait à la classe unique
qui reçoit, pêle-mêle, petits et grands pour un travail
personnel peu efficace.
Le deuxième point fort de la pédagogie des Frères
est un enseignement essentiellement pratique avec l'utilisation exclusive
de la langue française. J. - B. de la Salle est catégorique
à ce sujet : La lecture du français
peut seule aider les maîtres à développer l'intelligence
: les ouvrages latins ne renferment pour eux qu'une lettre morte...
(24) Il indique expressément qu'on ne permettra de lire le latin
qu'à ceux qui savent déjà parfaitement lire le
français. Ce parti pris vaut aux religieux le sobriquet de Frères
"Ignorantins"(25) qui cependant
n'a rien que de très honorable pour eux.
Cet enseignement doit être vivant et rendre l'élève
actif : Que le maître se garde d'aider
trop facilement les élèves à résoudre les
questions qui leur sont proposées ; il doit, au contraire, les
engager à ne point se rebuter et à chercher avec ardeur
ce qu'il sait qu'ils pourront trouver d'eux-mêmes.
Le chanoine rémois insiste : Le maître
ne parlera pas aux écoliers comme en prêchant, mais il
les interrogera presque continuellement par plusieurs demandes et sous
demandes, afin de leur faire comprendre ce qu'il leur enseignera.(26)
Frère Philippe va promouvoir un type d'enseignement correspondant
exactement aux vues du fondateur de l'institut. Il fait triompher définitivement
la méthode de l'enseignement simultané sur celle de l'enseignement
mutuel. Suivant une mode qui venait d'Angleterre se multiplient alors
des écoles avec la méthode mutuelle. Suivant les disciplines,
la classe est divisée en sections mobiles et les meilleurs élèves
sont chargés d'enseigner à leurs condisciples. La méthode
rend parfois des services mais les résultats sont souvent médiocres
tant pour les élèves que pour les jeunes moniteurs. Comme
d'autres pédagogues (27), les Frères sont résolument
hostiles à l'enseignement mutuel.
Frère Philippe développe dans les établissements
des Frères l'enseignement professionnel et de type primaire supérieur.
Ces écoles commerciales et industrielles obtiennent du succès
car elles correspondent à l'attente de toute une classe sociale,
celle de la petite bourgeoisie. Elles sont implantées dans les
villes et les gros bourgs. Les fils d'artisans, de commerçants,
d'employés et de contremaîtres y trouvent tout ce qu'un
jeune homme peut apprendre, à l'exception du latin.
Au "cours supérieur" de l'école des Frères
on a l'ambition d'élever les élèves, ou du moins
les plus doués d'entre eux, à un bon niveau de connaissances
pratiques. Géométrie et dessin s'allient dans les activités,
très concrètes, de l'arpentage et des relevés topographiques.
Cours d'architecture, cours de dessin d'art et de dessin industriel,
un peu de technologie et des notions de comptabilité sont au
programme. Bien sûr cet enseignement ne concerne qu'un petit nombre
d'élèves, la plupart en restent à la lecture du
syllabaire, aux quatre opérations et à l'étude
du catéchisme.
Frère Philippe est très attentif aux programmes et à
la formation des maîtres. La question des titres de capacité
est un point toujours délicat dans les rapports avec les pouvoirs
publics. Le plus souvent les religieux ne sont titulaires d'aucun diplôme
officiel et ne possèdent que la formation professionnelle qu'ils
ont reçue au sein de l'Institut, pendant leur noviciat. Mais
vivant en communauté, les Frères sont conseillés
et soutenus par leur entourage. Il y a toujours auprès d'eux
au moins un Frère qui est instituteur expérimenté.
La lettre d'obédience
La Lettre d'obédience délivrée par le Supérieur
tient lieu de titre de capacité aux Frères instituteurs
depuis un arrangement proposé par Decaze en 1819. Le 11 avril
1831 une ordonnance supprime ce privilège et, dès lors,
les Frères sont astreints à suivre la procédure
normale afin d'obtenir un brevet de capacité.
En 1833 une loi organique sur l'enseignement primaire établit
deux degrés qui sont sanctionnés par deux diplômes
: le brevet élémentaire et le brevet supérieur.
Elle crée aussi les écoles normales. Ces dispositions
obligent l'Institut à revoir la formation de ses maîtres
et à enrichir le programme de ses écoles.
Pour cet aggiornamento le Régime convoque un Comité général
en 1834. Il s'agit, à l'échelle de la congrégation,
d'une sorte de concile. Le Frère Philippe prend une part active
aux travaux de cette assemblée dont les travaux sont longs et
fructueux. La règle donnée par J. - B. de la Salle, la
fameuse Conduite est révisée. Des enseignements nouveaux
: dessin linéaire, histoire et géographie font leur entrée
à l'école primaire.
Auteur de manuels scolaires
Frère Philippe qui a déjà rédigé
un manuel scolaire, La géométrie pratique appliquée
au dessin linéaire (1826), s'intéresse particulièrement
à la rénovation des livres utilisés dans les écoles
des Frères. L'Institut continue avec lui un obscur mais fructueux
travail de modernisation des manuels scolaires qui va se poursuivre
pendant plusieurs décennies. Il rédige lui-même
plusieurs ouvrages, signant modestement des initiales F. P. B. D'autres,
portant la mention "par une réunion de professeurs",
sont le fruit du travail collectif de groupes de Frères enseignants.
En 1874, un inspecteur général de l'université
jugera favorablement cette imposante bibliothèque de manuels
scolaires :
Ils sont pour la plupart au nombre des meilleurs...
Ces livres, tous remaniés à différentes reprises,
parfois même entièrement refaits à nouveau, et complétés
par d'autres, sous la direction du Frère Philippe, ont été
l'objet d'améliorations et de perfectionnements successifs, afin
d'être constamment mis en rapport avec les progrès de l'enseignement.
(28)
Relevons, au passage, le Nouveau traité
des Devoirs du chrétien envers Dieu, par F. P. B.
(1839). Cet ouvrage original est un code de conduite à l'usage
des élèves des établissements lasalliens, à
la fois livre de prières, catéchisme expliqué et
traité des règles de la bienséance. Le chapitre
dix de cette dernière partie traite, par exemple, de la manière
de bailler et de cracher (29). Mais ce sont les abrégés,
petits ouvrages peu coûteux et très synthétiques,
qui ont surtout sa faveur, car il a toujours le souci de la simplicité
et de l'économie.
La formation de l'enseignant est essentielle. Déjà en
1685, à Reims, J. -B. de la Salle avait créé un
"Séminaire de maîtres d'école", sorte
d'école normale pour les instituteurs des écoles rurales.
Le comité général de 1834 décide la création
de petits noviciats qui recevront les élèves dès
quatorze ans. Le premier ouvre en 1835 à la maison du St-Enfant-Jésus.
Frère Philippe s'intéresse beaucoup à ces établissements.
C'est son oeuvre de prédilection car la jeunesse est l'avenir
de la congrégation. Comme il y a un petit noviciat dans le sein
même de la maison mère, il peut fréquemment rencontrer
les jeunes novices. C'est pour lui un bain de jouvence.
L'abandon de la férule
La pédagogie des Frères des Ecoles Chrétiennes
a aussi des points faibles et, bien sûr, des détracteurs.
Un recteur de l'académie de Poitiers, Gabriel Compayré,
analyse avec un certain recul des aspects contestables de ce qui se
pratiquait au XIXème siècle. Il parle de l'espionnage
encouragé et même organisé entre les élèves,
de la crainte des châtiments érigée en règle
de conduite, des punitions corporelles en honneur, de la férule
et des verges substituées à l'autorité morale du
maître... (30).Cependant
ces méthodes n'étaient pas l'apanage des Frères
qui ne faisaient que suivre ce qui se pratiquait dans la plupart des
écoles, des séminaires et des collèges.
Dans ce domaine, Frère Philippe n'est pas toujours à l'avant-garde.
En 1845, il exhortait les Frères à supprimer les châtiments
corporels, pourtant, à la fin de sa vie, il avoue que ce sont
des circonstances impérieuses qui ont obligé les Frères
à supprimer dans leurs classes les peines afflictives (31). La
grosse férule, instrument de deux morceaux de cuir cousus ensemble,
long de dix à douze pouces, y compris le manche pour le tenir,
comme la décrit la Conduite des Ecoles Chrétiennes,
a d'abord été réduite dans ses dimensions (32).
On est passé à la petite férule avant d'abandonner
tout châtiment corporel, mais un peu comme à regret.
A partir du moment où les maîtres
n'ont plus eu la même latitude pour les moyens de répression,
ils ont cherché à utiliser l'émulation entre leurs
élèves pour obtenir de meilleurs résultats. Cependant,
malgré cette amélioration notable, Gabriel Compayré
pense que l'esprit général restait le même : défiance
de la nature humaine, discipline extérieure et de contrainte,
plutôt qu'éducation morale dans la liberté réglée....
Selon lui la
pédagogie des Frères demeure une pédagogie d'ordre
inférieur, en ce sens qu'elle traite l'enfant comme une machine
plutôt que comme une future personne libre...
On reproche encore à la pédagogie des Frères d'être
trop pratique : elle n'excelle,
dit encore Gabriel Compayré, que dans
les études où l'habitude matérielle de la main
joue un plus grand rôle que le jugement et la force de l'esprit,
je veux dire dans l'écriture, le dessin et la cartographie...
Cette appréciation est trop
générale et simpliste mais recèle une part de vérité.
La mémoire, les travaux pratiques tiennent une large place, un
peu au détriment de la réflexion et de la culture générale
(33).
L'Institut, avec ses "cours supérieurs", ses écoles
professionnelles et commerciales veut préparer l'élève
à son futur devoir d'état, en faire un bon commis, un
commerçant avisé, un artisan habile. C'est déjà
une amélioration mais on n'envisage pas qu'on puisse changer
de classe sociale et exercer, par exemple, une profession libérale.
Avocats, médecins, pharmaciens, notaires doivent passer par les
collèges, séminaires ou lycées. En ce sens, la
doctrine de l'Institut, en matière d'éducation, est essentiellement
conservatrice : améliorer la société, bien sûr,
mais ne pas la modifier fondamentalement.
Frère Philippe, homme public
Frère Philippe, comme Supérieur général
est l'interlocuteur des pouvoirs publics, principalement du ministère
de l'instruction publique. Son Institut est, en effet, le premier ordre
enseignant du pays. Les Frères constituent un important corps
de professionnels. Ils utilisent les mêmes méthodes, les
mêmes manuels. Ils peuvent accumuler et transmettre un savoir-faire,
une expérience pédagogique alors que, pour les instituteurs
laïcs, la formation est balbutiante, les niveaux très différents
et les méthodes extrêmement variées. Même
si leur enseignement est parfois imparfait - et c'est bien normal -,
les religieux, avec leurs écoles primaires, écoles supérieures
et pensionnats, constituent pour beaucoup d'éducateurs une référence,
un modèle.
Pendant la Restauration, le régime est très favorable
à l'Institut, peut-être trop ce qui va créer des
difficultés à l'avènement de la monarchie de Juillet.
Il faudra s'adapter à une situation nouvelle. Très pragmatique,
Frère Philippe est un négociateur habile. Il sait tourner
habilement tous les obstacles sans rien concéder sur le fond.
C'est, dit-on, un roseau qui plie mais ne rompt pas. Il sait aussi faire
évoluer l'Institut en assimilant les nouveautés qui lui
paraissent bonnes. Il accepte, par exemple, la plupart des réformes
introduites dans les écoles de la ville de Paris (34). Il réussit
à redonner assez vite à l'Institut une situation enviable.
Frère Philippe, vice-ministre
de l'Instruction publique
En revanche, la chute de la monarchie de Juillet n'entraîne pas
de difficultés particulières pour l'Institut. Il faut
dire que le Supérieur général est un homme particulièrement
prudent. Il recommande fermement à ses Frères de
ne se mêler, en aucune manière, des affaires politiques,
de ne rien écrire, ne rien signer, ne rien dire, ne rien communiquer,
même à des amis, sur ce sujet (35). Il demande
la même réserve en ce qui concerne les rapports des religieux
avec le clergé, qui rappelons-le, est alors salarié de
l'Etat et appartient donc à la fonction publique.
Cependant, selon les circonstances, il sait adapter ses directives.
Quelques jours après la chute de Louis-Philippe 1er, il envoie
à toutes les communautés une circulaire bien significative.
Rappelant qu'au-dessus de toutes les institutions
humaines, Dieu et la Patrie demeurent, il rappelle que le
devoir premier des religieux reste d'instruire le peuple :
Si cette tâche a toujours été
importante, combien devient-elle plus digne d'exciter leur zèle
sous le gouvernement de la République qui reconnaît les
trois grands principes consacrés par l'Evangile : la liberté,
l'égalité, la fraternité ! (36)
Frère Philippe, habituellement si réservé, se laisse
gagner par le grand enthousiasme populaire qui marque l'avènement
de la seconde République. Il va même plus loin en invitant
les directeurs d'écoles à rendre
visite aux autorités établies par le gouvernement provisoire
(37) et à les assurer de leur actif concours...
Le Frère Philippe participe donc activement au travail des commissions
chargées de préparer un nouveau projet de loi sur l'enseignement.
En décembre 1850, le gouvernement du Prince-président
veut l'honorer et lui propose une nouvelle fois la Légion d'honneur.
Le ministre de l'Instruction publique lui écrit personnellement
pour le féliciter (38). Il remercie et refuse, ne
voulant pour lui aucune distinction, sinon celle de la plus exacte pratique
des vertus de pauvreté et d'humilité (39).
A cette époque, il a des problèmes de santé : en
1852, il tombe gravement malade. Il souffre d'une pneumonie et on craint
pour sa vie.
La question de la gratuité dans
les écoles publiques
En 1853, une difficulté, latente depuis vingt années,
prend un tour aigu : la gratuité dans les écoles communales
tenues par les Frères. Les religieux ont, le plus souvent, été
appelés par des municipalités pour tenir les écoles
communales. Suivant les règles données par leur fondateur,
ils n'exigent aucune rétribution de la part des familles. En
revanche, ils reçoivent, pour leur subsistance, un traitement
comme instituteurs communaux. Naturellement les communes ont tendance
à donner le minimum. De plus elles essaient de faire contribuer
les familles en établissant une rétribution scolaire,
au moins pour les plus aisées.
Le décret impérial du 31 décembre 1853 et l'instruction
ministérielle du 31 janvier 1854 pressent les municipalité
de généraliser la rétribution scolaire. Or les
Frères, s'ils acceptent d'être salariés par les
communes, ne veulent pas, pour les écoles primaires publiques,
que les parents paient car cela pourrait entacher
la réputation de désintéressement et d'impartialité
dans les soins donnés aux élèves (40),
réputation qui est l'honneur de l'Institut.
Il s'ensuit un bras de fer qui dure dix années, entre le Frère
Philippe soutenu par le Régime et approuvé par les chapitres
généraux de 1854 et 1858 et l'administration. En 1861,
à bout d'expédients et menacé d'une rupture éclatante
avec le gouvernement , le Frère Philippe doit céder. Il
n'y aura plus gratuité absolue dans les écoles publiques
tenues par les religieux (41).
La dispense du service militaire
La dispense du service militaire pour les religieux est une autre cause
de tension avec le gouvernement. Depuis 1804, date de la réorganisation
de l'Institut, les Frères étaient dispensés du
service militaire grâce à une jurisprudence bienveillante
mais sans qu'une loi précise leur accorde formellement ce droit.
A la demande du Frère Philippe, l'article 79 de la loi organique
du 15 mars 1850 confirme cette pratique. Le ministre de l'Instruction
publique est alors le comte de Falloux qui avait nommé le Supérieur
général de l'Institut membre de la commission mixte préparant
la loi.
Mais, en 1866, le Sénat précise que les Frères
dispensés doivent "tous" accomplir leur engagement
dans les écoles publiques, décision logique mais qui complique
beaucoup l'administration de la congrégation car les Frères
tiennent concurremment des écoles communales publiques et des
pensionnats payants. En 1867, on pense même obliger les jeunes
religieux à prendre part aux exercices de la garde nationale.
Cela perturberait les communautés et, surtout, nuirait grandement
au recrutement de l'Institut.
Le Frère Philippe utilise toute son influence pour combattre
ces projets. Finalement la loi du 1erfévrier 1868 lui donne satisfaction
; elle étend même la dispense de service militaire à
tous les instituteurs, qu'ils soient titulaires ou adjoints.
Les voyages à Rome
Frère Philippe effectue, comme Supérieur général,
cinq voyages à Rome. Il personnifie sa congrégation. Ces
voyages à Rome sont pour lui et son Institut, des moments particulièrement
gratifiants.
En mai 1859, il est reçu par le pape Pie IX pour une visite ad
limina. Il retourne dans la Ville éternelle en 1862 pour la canonisation
des martyrs du Japon. Insigne honneur, Sa Sainteté s'adresse
directement à lui dans la salle des audiences remplie de visiteurs
: "Philippe, où trouverons-nous
assez de pain pour tout ce monde ? (Jean, VI,5) Le Supérieur
général se prosterne alors aux pieds de Pie IX. Cette
scène est représentée sur un vitrail de l'église
d'Apinac.
Le troisième voyage a lieu en juin 1867 pour la célébration
du dix-huitième centenaire du martyre de saint Pierre et de saint
Paul. Une nouvelle fois, le pape s'adresse à lui en termes flatteurs,
le présentant à toute l'assistance : Voici
le Frère Philippe, dont le nom est connu dans tout l'univers
! Et Frère Philippe répond sans s'émouvoir
: Très Saint Père, il va l'être
maintenant à Madagascar, car nous y faisons des établissements.
Il y aura encore deux autres séjours à Rome : en décembre
1869, à l'occasion de l'ouverture du concile oecuménique
du Vatican et, enfin, peu de temps avant sa mort, un dernier voyage,
en 1872.
Ces visites à Rome sont une sorte de couronnement au bout du
long chemin qu'a parcouru le petit Frère issu des monts du Forez.
C'est aussi, aux yeux de la chrétienté, une extraordinaire
promotion de la congrégation tout entière.
3 - Un Forézien très
attaché au pays village natal
Les proches de Frère Philippe
Mathieu Bransiet est un homme fidèle en amitié. Nous avons
déjà parlé de Frère Calixte qui fut son
ami pendant plus de cinquante ans. C'est à Soissons, nous l'avons
dit, que Frère Philippe rencontre en 1816, un jeune religieux
de dix-neuf ans qui assurait la grande classe de l'école des
Frères. Entre Frère Philippe et Frère Calixte commence
une longue amitié. Devenu Supérieur général,
Mathieu Bransiet retrouvera le Frère Calixte comme un de ses
Assistants et son principal collaborateur. Leur collaboration durera
trente-cinq ans.
A la mort de Frère Philippe, Frère Calixte, comme premier
Assistant, est chargé d'organiser les funérailles de convoquer
le Chapitre général et d'administrer provisoirement l'Institut
en attendant l'élection du nouveau Supérieur. Ayant rempli
ses dernières missions, il meurt cinq mois seulement après
son ami qui avait été la moitié
de son âme (42).
Frère Philippe a aussi la chance d'avoir eu longtemps près
de lui son jeune Frère Jean-Mathieu devenu, lui aussi, religieux
sous le nom de Frère Arthème. Les deux Frères sont
très liés même s'ils sont bien différents
de caractère. Quelques lettres de Frère Arthème
sont conservées dans les archives familiales des Bransiet. Elles
nous permettent d'esquisser quelques aspects de sa personnalité.
L'écriture est soignée, la signature alambiquée.
Il y a quelques fautes d'orthographe et Frère Arthème
utilise volontiers des tournures archaïques : "avoit",
"vouloit"... Surtout le ton est sérieux,
voire compassé, et le style beaucoup moins spontané que
celui de Frère Philippe. Frère Arthème est un homme
sérieux, grave qui ne paraît pas sourire facilement. C'est
certainement un bon religieux, pieux et plein de zèle, un homme
consciencieux. Il semble très attaché à la règle
et aux apparences mais peut-être manque-t-il un peu d'ouverture
d'esprit ? Il n'a pas, évidemment, l'envergure de son Frère
aîné qu'il admire beaucoup. Frère Philippe, pour
sa part, témoigne beaucoup d'affection à son jeune Frère
et ne lui ménage ni les compliments ni les encouragements. Frère
Arthème exercera d'importantes responsabilités au sein
de l'Institut.
La famille restée à Apinac
Les lettres que Frère Philippe adresse à sa famille et
à ses amis d'Apinac donnent des indications précieuses
sur les liens très forts qu'il conservait avec ses proches parents
et les gens du pays natal. Dans ces lettres intimes, il a l'occasion
d'exprimer des sentiments personnels et, parfois, de dévoiler
son opinion sur la situation politique alors que, dans les correspondances
qui relèvent de sa charge, il se montre toujours particulièrement
réservé.
"A ma très chère Mère"
Sa famille compte beaucoup pour lui. Il vénère ses parents,
les donnant souvent en exemple. Sa mère tient la première
place dans son cur. Quatre lettres, parmi la douzaine de missives
qui ont été conservées dans les archives familiales
des Bransiet, sont adressées à Madame
Marie Anne Varagnat, veuve Bransiet. Elles couvrent une dizaine
d'années de 1822 à 1832. Il s'adresse à sa
très chère Mère avec un respect infini
et en la vouvoyant, à l'ancienne mode.
Une première lettre, datée de Metz, le 8ème août
1822 (43) est presque exclusivement consacrée à décrire
l'itinéraire précis que devra suivre un de ses jeunes
Frères qui doit le rejoindre à Metz, sans doute pour devenir,
lui aussi, religieux. Ce jeune garçon n'a, semble-t-il, jamais
quitté son village natal et parle seulement le patois aussi Frère
Philippe s'efforce-t-il de rassurer sa famille : Soyez
tranquilles il ne lui arrivera rien de désagréable, il
suffit qu'il sache dire deux mots de français, savoir lorsqu'on
lui demandera où il va : "Je vais à Metz voir mon
Frère pour demeurer avec lui" et dans les maisons de Frères,
"je suis le Frère du cher Frère Philippe Directeur
à Metz.
A cette époque le réseau des écoles de Frères
est déjà dense et Frère Philippe se plaît
à énumérer les nombreuses villes où des
communautés de religieux s'empresseront de prendre en charge
le jeune voyageur : Saint-Bonnet, Lyon, Trévoux,
Villefranche, Mâcon, Châlons, Beaune, Dijon, Langres, Nancy
et Metz. Le voyage n'a finalement pas lieu puisque, l'année
suivante, il est encore question de ce déplacement alors que
le Frère Philippe est devenu Visiteur des écoles de Paris(44)
.
Une deuxième lettre envoyée de Paris et datée du
12 août 1830 est écrite dans un autre registre, beaucoup
plus grave. Elle évoque les journées révolutionnaires
de juillet, les 26, 27 et 28, les Trois Glorieuses qui ont amené
la chute du roi Charles X. Il commence par rassurer sa famille qui,
bien qu'à Apinac, a probablement eu un écho des graves
événements qui se sont déroulés à
Paris : ... Je vous écris la présente
pour vous tranquilliser et vous dire que nous continuons nos petites
fonctions sans que rien n'y mette obstacle...
C'est d'abord la situation de l'Eglise qui le préoccupe :
Il paraît que la Religion sera respectée
et que les prêtres seront payés à peu près
comme par le passé. L'office se continue et s'est toujours continué
à Paris, sans interruption. Les églises sont ouvertes
comme de coutume. Il est vrai qu'il y a des évêques et
des prêtres qu'on poursuit, mais je ne crois pas que ce soit pour
des raisons de religion, mais pour des opinions, dit-on, qu'ils n'auraient
pas dû émettre...
Les autres sont tranquilles, chaque paroisse de Paris a fait un service
pour les morts des furieuses journées du 27, 28 et 29 juillet...
On en a enterrés dans les églises, dans des places, dans
des rues et peu au cimetière, on en a jetés beaucoup à
la rivière, il y en avait trop pour pouvoir les porter aux cimetières
des environs de Paris. On fait maintenant des quêtes, pour les
blessés et les parens des morts (...)
Frère Philippe désapprouve les chrétiens
et, encore plus, les membres du clergé qui se mêlent de
politique. Lui-même ne donne pas clairement son opinion mais la
laisse deviner. Il est légitimiste mais en privé, au fond
de son cur. Les affaires de César ne l'intéressent
pas, pour lui importent seulement celles de Dieu :
Je n'ai pas besoin de vous déclarer mon opinion à l'égard
de toutes ces affaires, vous la deviner sans doute ; mais il faut de
la prudence et de la modération, au reste j'aime à croire
que soutenant les principes puisés dans la maison paternelle
nous nous occuperons les uns et les autres des affaires de l'éternité
plus que de celles du temps, étrangers aux choses de ce monde
nous travaillerons pour l'autre et personne ne pourra s'en formaliser,
fidèles aux lois établis dans la société
nous ne le serons pas moins à celles du Seigneur, gardant sur
tous les arrangemens (sic) politiques le silence le plus profond, nous
nous occuperons à remplir les fonctions et les obligations de
la vie chrétienne. Si toutes les personnes de Religion avaient
pris ce sage parti, personne n'aurait blâmé leur conduite
et la religion aurait paru plus respectable.
Il termine sa lettre par une longue exhortation à tous les siens
afin qu'ils se détachent du monde et puissent gagner ensemble
le bonheur éternel :
Quoi qu'il en soit rapportant le tout à Dieu attachons-nous
de plus en plus à lui, servons-le fidèlement, nous avons
le bonheur de connaître la religion, ses préceptes, ses
récompenses, ne nous laissons pas tromper par les séductions
artificieuses des ennemis de notre salut. Laissons le monde et les biens
de ce monde, abandonnons la terre et son bonheur éphémère
à ceux qui veulent s'en contenter (...) Ne nous mêlons
pas des choses du gouvernement, répondons à ceux qui voudraient
connaître notre sentiment que nous ne savons qu'obéir en
ce qui est juste et légitime mais que du reste nous n'entrons
dans aucun démêlé...
Allons chère et bonne mère, chers frères et chères
surs, du courage et de l'espérance de nous voir un jour
dans le ciel... Encore une fois soyez tranquilles à notre égard.
Nous avons soin de ce qui nous regarde et de temps en temps nous vous
dirons un mot, surtout s'il survenait quelque chose d'extraordinaire.
Et, peut-être par prudence, il signe Bransiet au lieu de Frère
Philippe comme il le faisait habituellement.
Dans une nouvelle brève missive du 12 novembre 1831, Frère
Philippe se montre plus rassurant même s'il reste des incertitudes
pour l'avenir : Nous nous portons bien, Dieu
merci, et sommes toujours tranquilles. Nos affaires vont toujours passablement
et nous espérons beaucoup de les voir continuer.
Il ne manque pas de s'apitoyer sur la misère du peuple de Paris
: Tout est tranquille dans la capitale, le
plus grand calme y règne malgré la misère qui accable
la classe ouvrière et qui annonce un hiver bien douloureux pour
les pauvres gens.
Une dernière lettre adressée de Paris à Madame
Veuve Bransiet, en juin 1832, rend compte, à chaud, des événements
dramatiques qui se sont déroulés à Paris à
l'occasion des funérailles du général Lamarque,
un chef républicain. Les républicains tentent de marcher
sur le palais des Tuileries et il faut deux jours pour que les restes
de l'insurrection soient écrasés autour du cloître
Saint-Merry. La lettre est écrite sur deux jours et sa deuxième
partie est plus rassurante. Ses sentiments antirépublicains sont,
cette fois, nettement exprimés. Il donne aussi des nouvelles
de son frère qui, alors, n'est plus auprès de lui :
Sans doute que le bruit public vous a déjà
appris qu'à peine le choléra commençait à
laisser quelque sécurité aux habitans de la capitale qui
avaient échappé à ses coups meurtriers, qu'un fléau
plus funeste encore pèse sur les habitans de cette cité.
Voilà déjà plus de 24 heures que la fusillade retentit
à nos oreilles et glace le peuple d'un juste tremblement d'effroi
! que de victimes ont payé le tribut aux passions humaines et
savoir combien il y en aura encore ?
Cependant grace (sic) à Dieu il ne nous est encore rien arrivé
et nous espérons le reste de la protection de la Très
Ste Vierge.
Je viens de voir mon frère afin de pouvoir
vous en donner de plus sures (sic) nouvelles ; car il se trouvait bien
près du feu... Il n'est rien arrivé non plus à
sa communauté, j'ai trouvé tout son monde gai et tranquille.
Les voisins s'étaient offerts à les protéger en
cas de besoin ; mais jusqu'à présent il n'en a pas été
besoin. Demain, je vous dirai.
Aujourd'hui, le calme est rétabli, chacun est rentré dans
l'ordre, le gouvernement triomphe complètement (la troupe s'est
comportée avec un très grand courage) ; mais il y a un
très grand nombre de morts... Ce trouble vint de ce que les Républicains
assistant à l'enterrement du général Lamarque s'avisèrent
de crier "vive la République", alors ils prirent des
armes, tuèrent quelques soldats et s'emparèrent de plusieurs
Portes, enfin s'attroupèrent au nombre de 20 à 30 mille,
heureusement le gouvernement s'était précautionné,
et les pauvres Républicains ont été battus à
platte (sic) couture
et nous voilà tranquilles "Dieu merci" ! Ainsi soyez
sans inquiétude à notre égard, il y a apparence
que les partis opposés au gouvernement n'oseront faire des entreprises
contre lui...
Frère Philippe, sans doute pressé et ému, fait
plusieurs fautes d'orthographe (ce qui lui arrive rarement), souligne
des mots de son texte et conclut sa lettre par une formule particulièrement
cérémonieuse : Tout à vous en Jésus, Ma
chère Mère, Votre dévoué serviteur, F. Philippe.
Notons encore que des voisins se sont offerts pour aider les Frères.
C'est très significatif de la place de ces religieux dans la
nation. En cas de troubles, ils sont en danger bien que ceux qui les
connaissent cherchent à les protéger. On retrouve toujours
cette grande difficulté, en 1830, en 1848 et au moment de la
Commune de Paris. Les Frères qui vivent pauvrement sont proches
du peuple et à son service cependant ils appartiennent à
une Eglise qui est officiellement liée au pouvoir politique et
qui apparaît donc comme une ennemie aux yeux des révolutionnaires.
A la sur des Anges du couvent Saint-Joseph d' Apinac
Nous possédons seulement deux lettres adressées par Frère
Philippe à sa sur qui est devenue religieuse dans le couvent
des surs St-Joseph d'Apinac. Ce sont, sans doute, les plus représentatives
de la correspondance qu'ont tenue le frère et la sur. Frère
Philippe s'adresse avec un grand respect à sa soeur des Anges,
au couvent Saint-Joseph d'Apinac. Il la vouvoie comme sa mère
et ne manque pas de conclure par une formule de politesse d'une haute
élévation : Tout à vous
en Jésus et Marie, F. Philippe.
La première lettre datée du 24 avril 1836, donc après
le décès de la mère de Frère Philippe, comprend
deux parties bien différentes. Répondant à sa soeur
religieuse, il commence par un entretien spirituel avec elle :
C'est toujours avec un nouveau plaisir que
je reçois de vos nouvelles, spécialement lorsque la religion
et la gloire de Dieu y ont la plus grande part... Bien volontiers j'unirai
mes faibles prières à vos intentions le jour de la Circoncision
de Jésus-Christ... Très certainement nous prions pour
nos parents défunts, aucun jour ne se passe sans un et même
plusieurs mémentos ; mais nous prendrons bien volontiers le lundi
de chaque semaine pour nous souvenir d'eux, et si vous voulez nous ferons
la communion du premier dimanche de chaque mois à leur intention...
Dans la deuxième moitié de la même lettre le ton
est tout à fait différent, presque primesautier. Il parle
de sa santé, de ses performances en ce qui concerne la marche
à pied peut-être avec un brin de vantardise. Ne fait-il
pas parfois jusqu'à 88 km par jour ? On sent plus de familiarité,
de spontanéité, même si le langage reste toujours
recherché.
Espérons, ma chère et bonne sur que si nous ne nous
voyons pas ici bas, bientôt nous nous verrons dans le ciel, puisque
comme vous le dites nous commençons à nous faire vieux
! Déjà 44 ans pèsent sur ma tête...
Je suis cependant encore bien leste, et je vous
réponds que je fais payer cher l'honneur de m'accompagner lorsque
je prends un Frère avec moi pour courir dans Paris, il y en a
peu qui n'aient besoin de changer de chemise en arrivant ! Je ne crois
cependant pas que je pourrais, comme autrefois, faire jusqu'à
22 lieues par jour.
Je vous scandalise peut-être, c'est un
moment de gaieté, pour moi, de vous écrire, ma [plume]
coule sans fatigue, et je vous parlerais jusqu'à demain s'il
ne fallait me livrer à d'autres occupations, c'est pour cela
que je suis obligé de terminer ; souffrez que ce soit en vous
souhaitant ainsi qu'à vos bonnes et ferventes compagnes, la plus
sainte et la plus heureuse des années...
Le 4 janvier 1857, sous le coup d'une vive émotion, Frère
Philippe écrit à la Sur des Anges et à ses
surs du couvent d'Apinac en précisant d'emblée :
Quoique cette lettre soit adressée à la bonne sur
des Anges, elle est cependant pour tous. L'écriture est rapide
et négligée contrairement à son habitude. Autres
faits inhabituels, il utilise du papier à l'en-tête de
l'Institut avec une marge est très importante suivant ce qui
se pratique pour le courrier officiel.
Il s'agit d'annoncer un fait divers dramatique qui, visiblement, l'a
bouleversé : l'assassinat de Mgr Marie Sibour, archevêque
de Paris. Né à St-Paul-Trois-Châteaux en 1792, il
était devenu archevêque de Paris en 1848.Il fut assassiné
le 3 janvier 1857, alors qu'il officiait à Saint-Etienne-du-Mont,
par Verger, un déséquilibré mental qui était
prêtre interdit. Voici la version des faits donnée par
Frère Philippe :
Notre bon et excellent Archevêque vient
d'être assassiné par un mauvais Prêtre ! quelle horreur
!! Le mercredi 31 j'eus le plaisir de voir ce s[ain]t homme pour lui
souhaiter la bonne année. Le 2 je lui présentai tous nos
Frères (...) des maisons de Paris et des faubourgs, et nous fûmes
reçus de la manière la plus affectueuse (...)
Hier 3 janvier, fête de Ste Geneviève, Patronne de Paris,
il alla ouvrir la neuvaine par les vêpres, un sermon, la procession
qui devait être suivie de la Bénédiction. Mais voilà
qu'en retournant au chur ce scélérat, en habits
bourgeois se précipite sur lui et lui enfonce un poignard dans
le cur. De suite on prend le pauvre archevêque et on le
porte à la sacristie et de là chez Mr le Curé dont
une porte donne dans la sacristie. Le C[her].F[rère]. Angel (Maisonneuve)
fut un de ceux qui portèrent Monseigneur et il fut même
le premier à s'apercevoir qu'au lieu de porter un vivant on portait
un mort. Lui-même déboutonna les habits de Monseigneur
pour voir si l'air ne lui rendrait pas la respiration, mais inutilement.
Il était mort. Plusieurs de nos Frères ont vu le pauvre
archevêque tombant sur le coup au milieu de son clergé
qui n'a vu l'affaire que quand il n'était plus temps, ce monstre
s'étant précipité sur lui avec une fureur vraiment
diabolique. Tout Paris est en deuil !!
A une heure aujourd'hui, je devais aller souhaiter la bonne année
à l'Empereur, mais je ne sais pas encore s'il recevra aujourd'hui,
à cause de cet attentat qui navre tout le monde de chagrin (...)
Voilà ce que peut un malheureux qui a abusé de la grâce
dans sa vocation et qui par sa conduite a mérité d'être
interdit... Tuer son archevêque dans l'église pendant les
saints offices !
Notons que Frère Philippe met en relief le rôle positif
joué dans ce drame par les Frères et particulièrement
par le Frère Maisonneuve qui devait être connu à
Apinac.
Il est profondément indigné mais cependant reste mesuré
pour qualifié l'assassin ; il parle de "scélérat",
de "fureur vraiment
diabolique", de "monstre"
mais achève sa lettre avec le mot "malheureux"
qui indique que, finalement, le meurtrier est aussi un homme à
plaindre. Ce courrier nous éclaire aussi sur les relations, très
cordiales, qu'entretient la congrégation avec l'archevêché
de Paris. Indirectement, nous découvrons les hautes fonctions
de Frère Philippe. Comme chef de l'Institut, il est de ceux,
qui suivant le protocole, souhaitent la bonne année à
l'Empereur. Deux aspects sont particulièrement frappants dans
cette missive : d'une part il exprime spontanément ses sentiments
personnels, d'autre part il le fait - ce qui est exceptionnel - avec
l'autorité et les moyens de ses fonctions officielles de Supérieur
général.
Des devoirs pour Julie et Jeanne Marie
Frère Philippe s'intéresse beaucoup à l'éducation
des enfants de sa famille. Nous le voyons se pencher avec sollicitude
sur les résultats scolaires de ses nièces, Julie et Jeanne
Marie, les demoiselles Bransiet, pensionnaires chez les surs St-Charles
à St-Bonnet-le-Château. Il leur adresse un copieux programme
de devoirs avec des exercices qu'il a lui-même composés
spécialement pour elles et il ne manque jamais de leur prodiguer
de bons conseils :
Soyez toujours bien sages, bien laborieuses,
bien édifiantes ; travaillez bien en classe, dormez bien au dortoir,
jouez bien en récréation ; mais surtout soyez bien ferventes
dans vos prières...(45) Tout un règlement de
vie.
Ces feuillets ont été pieusement conservés dans
les archives de famille des Bransiet. Il s'agit de problèmes
d'arithmétique avec utilisation de la fameuse règle de
trois, d'exercices sur les fractions, de questions de petite physique,
d'exercices de grammaire, de sujets de rédaction, d'un peu d'histoire
et, même, de catéchisme. Les mathématiques, avec
des problèmes concernant la vie courante, constituent la plus
grande partie des devoirs proposés ce qui ne nous étonne
pas connaissant l'intérêt que portaient les Frères
des écoles chrétiennes pour les disciplines ayant des
applications bien concrètes. Mais peut-être aussi, les
nièces avaient-elles des difficultés dans cette matière
?
Les devoirs lui sont renvoyés, semaine après semaine,
et le bon religieux prend la peine de les corriger personnellement avant
de renvoyer une sorte de bulletin scolaire émaillé de
conseils pédagogiques et de remarques encourageantes (46).
Les bons amis de Gachat
Les archives familiales des Bransiet conservent plusieurs lettres adressées
par le Frère Philippe à son Frère Antoine Bransiet
qui habite la maison familiale de Gachat à Apinac. Il ne s'agit,
probablement, que d'une petite partie d'une correspondance beaucoup
plus importante. Pourtant ces lettres, destinées à toute
sa famille, nous présentent d'autres aspects intéressants
de la personnalité du religieux et des liens qui l'unissaient
à sa famille et à son village natal.
Ainsi le 2 novembre 1839, il écrit de Bordeaux afin de s'excuser
de ne pouvoir venir à Apinac comme prévu. Suit une réflexion
sur le recrutement des Frères, une des premières préoccupations
de Frère Philippe. Il souhaite recevoir des jeunes gens qui désirent
se consacrer à Dieu et ne pas seulement s'instruire puis ensuite
quitter l'institut. Des jeunes gens du haut Forez sont concernés
par ce recrutement et Frère Philippe indique qu'il les recevra
de son mieux à la maison mère, 156, faubourg St-Martin.
L'Institut recherche en effet de jeunes garçons intelligents
issus de la France catholique et rurale. Eduqués au noviciat
pour devenir des maîtres d'école, ils présentent
souvent les qualités requises : simplicité, honnêteté,
bon sens, équilibre, générosité et aucune
des perversions de la "ville". Ce type de recrutement a été
pendant longtemps une des grandes forces de l'Institut.
Comme d'habitude un paragraphe est consacré à l'union
de toute la famille dans la religion :
J'aime à croire
que vous vous portez bien tous et que vous êtes toujours heureux,
toujours pieux et toujours bien unis entre vous, je le souhaite de tout
mon cur. Dans cette vue il faudra vous préparer tous à
communier le jour de Noël. Nous nous unirons d'intention et nous
demanderons les uns pour les autres la grâce de vivre saintement
et de nous trouver ensemble dans le ciel avec nos bons [parents].
Il implique d'ailleurs toute la famille dans des oeuvres de piété
puisqu'il demande qu'on lui adresse d'Apinac des listes de personnes
affiliées à l'Association du St-Cur de Marie. Grand
voyageur, il ajoute quelques lignes sur les grands trajets qu'il effectue
qui devaient toujours étonner les habitants d'Apinac :
J'ai commencé cette lettre à Bordeaux et je la finis à
Limoges, j'ai fait comme vous voyez du chemin depuis ce temps, c'est-à-dire
en 8 jours ; j'ai vu Blaye, Libourne, Périgueux, Brive, Tulle
et Uzerches, maintenant je vais aller à Poitiers (souligné),
à Tours, à Blois et en passant à Orléans
je me rendrai à Paris où j'espère être vers
le 20.
Il glisse juste une petite note sur sa santé :
Je me porte toujours bien Dieu merci, j'ai un
peu sommeil à cause des nuits que je passe en voiture, une fois
arrivé à Paris je me reposerai avant de repartir.
Tout
à la fin, Frère Philippe, pourtant modeste, laisse échapper
une appréciation sur sa tâche de Supérieur général.
Il paraît assez satisfait de son action :
Je suis reçu partout d'une manière admirable, j'espère
que ce ne sera pas sans fruit, car Dieu merci on paraît goûter
ce que je dis.
Le Très Honoré Frère nous apparaît alors
comme un homme dans sa maturité qui exerce sereinement et avec
la plénitude de ses moyens une importante charge. La formule
finale de sa lettre est d'ailleurs beaucoup plus familière :
Je me recommande à vos prières
et vous embrasse tous en Jésus et Marie. F. Philippe.
Un post-scriptum confirme encore cette bonhomie : Frère Philippe
demande à son frère Antoine s'il a fini son four à
pain et un cabinet avec une chambre au-dessus pour l'héberger
quand il se rendra au pays.
Dans une autre lettre datée de 1841 et écrite alors que
Frère Philippe est à St-Etienne, nous le voyons remercier
chaleureusement ses bons amis d'Apinac pour la façon dont il
a été reçu lors d'un récent retour au village
de son enfance : Nous remercions bien tous vos bons voisins et amis
du charmant accueil qu'ils nous ont fait, nous avons été
ravis des prévenances de M. le Curé, de M. le Vicaire,
de M. le Maire.
Il faut dire que ses visites à Apinac sont autant de fêtes.
C'est un grand honneur pour le modeste hameau de Gachat, et même
pour la paroisse tout entière de recevoir un aussi illustre personnage.
Dans la même lettre, Frère Philippe indique que son frère
religieux, Frère Arthème, a été malade mais
qu'il se remet. Il s'enquiert encore d'un cadeau qu'il a fait aux religieuses
St-Joseph. Le lustre qu'elles ont reçu pour orner leur chapelle
leur convient-il ? C'est aussi l'occasion pour lui d'évoquer
un projet qui lui est très cher : la construction d'une nouvelle
église à Apinac. Nous reviendrons sur cette réalisation.
Une nouvelle fois, il est question de recruter des jeunes gens au pays.
Enfin, toujours un peu facétieux, il invite ses parents à
jouer un "tour" au Frère Arthème. Il s'agit
d'aller le chercher directement à St-Etienne sans le prévenir
afin de lui faire une agréable surprise.
Dans d'autres lettres il donne à ses parents, avec un brin de
coquetterie, des détails sur ses importantes activités.
Ainsi, il écrit, le 23 novembre 1857 de Paris :
Je vous aurais peut-être donné
de mes nouvelles plus tôt ; mais je viens de passer une semaine
à Beauvais où nous avons un établissement assez
considérable.
Il se compose :
1° D'une vingtaine de jeunes gens de 20 à 25 ans auxquels
on enseigne tout ce qui constitue la culture et l'éducation des
bestiaux.
2° De 68 jeunes gens qui se préparent à être
maîtres d'école ; on les instruit pour avoir leur Brevet.
3° D'un assez bon nombre de pensionnaires ordinaires et,
4° d'un pareil nombre de demi-pensionnaires.
Vous voyez qu'il y a de quoi faire.
Toute ma semaine a été employée à faire
des examens et voir comment les choses se font...
Il utilise maintenant couramment le papier à en-tête de
l'Institut et laisse une marge très importante. Le Supérieur
général exerce pleinement ses fonctions et s'y sent visiblement
à son aise :
J'ai été très content, et je crois que nos Frères
ainsi que les élèves l'ont été également
de moi ; tout s'est bien passé, Dieu merci.
Pour la première fois apparaissent les considérations
météorologiques. Est-ce un effet de l'âge ? Elles
sont cependant si importantes à la campagne !
Le 13 mai 1959, il écrit de la Ville éternelle à
son frère Antoine. C'est son premier voyage à Rome au
cours duquel il va rencontrer le pape Pie IX. C'est un message très
bref, comme une carte postale. Frère Philippe met une certaine
fierté, ou un peu de malice, à faire une longue énumération
de villes italiennes où il est passé et où les
Frères ont des établissements :
J'ai fait joliment de chemin depuis ma dernière lettre puisque
j'ai été à Livourne, Florence, Fourlier [Forli],
Ravennes, Sinazalier [Sogliano], Rimini, Ancone, Lorette, Spolette,
Perouze, Orviette, Assise, Nocera, Aquapendente, Bolsène, Viterbe,
Soriano, Cornette, Civita... puis me voilà de retour à
Rome où j'ai encore quelque chose à faire. Je pense être
à Marseille le 23 courant, je vous écrirai de là
pour vous dire le reste. En attendant bien des compliments à
tous les amis. Je vous embrasse tous en J.M.J.
Qu'un cur et qu'une âme !
Frère Philippe n'oublie jamais les siens et veut amasser pour
eux des biens spirituels. En avril 1859, lors de son premier voyage
à Rome, il demande au pape de lui accorder ainsi qu'à
tous les membres de sa famille jusqu'à la troisième génération
une indulgence de cent jours chaque fois qu'ils diront l'invocation
: Jésus, Marie, Joseph bénissez-nous et une indulgence
plénière à l'heure de la mort en disant la même
invocation.
La dernière lettre que nous possédons de Frère
Philippe est particulièrement émouvante. Il s'agit d'une
courte missive écrite le 31 mai 1873 après le dernier
voyage à Rome et sept mois avant sa mort. L'écriture est
moins lisible, la salutation finale simplifiée : La lettre a
été rédigée rapidement mais avec beaucoup
de spontanéité.
Il y parle de sa santé. Il avait été très
fatigué quelques mois plus tôt et il a maintenant quatre-vingts
ans. La lettre est essentiellement familiale : préoccupation
au sujet de la santé de Julie Virginie, énumération
des membres de la famille à qui il s'adresse familièrement
en donnant à chacun son prénom.
Il dit sa satisfaction de les voir tous bien unis, et rappelle sa conception
de la vie familiale : n'avoir qu'un coeur et qu'une âme car c'est
le seul bien de la vie de famille. Il conclut Tout
à vous en Jésus Marie Joseph. On sent vraiment
toute l'importance qu'a pour lui sa famille. Il s'agit d'une lettre
d'adieu où il met tout son coeur.
Dans le domaine spirituel, l'influence exercée par le Frère
Philippe sur sa famille a été profonde et durable. On
la mesure aux vocations religieuses qui se sont révélées
parmi ses proches. Outre sa sur Anne Marie, en religion la sur
des Anges et son jeune frère, le Frère Arthème,
la famille Bransiet offre encore à l'Eglise un de ses neveux,
le Frère Basile-Antoine, de l'Institut des Ecoles Chrétiennes,
et deux nièces, respectivement sur de St-Joseph du Puy
et religieuse trinitaire. Cette dernière, Catherine Bransiet,
jouera d'ailleurs un rôle important dans sa congrégation.
Un vicaire pour Apinac, le village natal
Tout le long de sa vie, Mathieu Bransiet s'intéressera à
sa paroisse natale. Il ne termine jamais une lettre adressée
aux siens sans demander que l'on présente ses hommages au curé
d'Apinac. De loin, il a tendance à idéaliser son village
et l'esprit religieux de ses habitants. Mais Apinac n'est pas Bethléem
et il a quelquefois des désillusions. Répondant à
sa sur religieuse qui lui a sans doute fait part du manque de
zèle de quelques personnes, il écrit, sincèrement
désolé :
Ce que vous me dites du peu de religion de la paroisse me peine sensiblement,
je la croyais la plus pieuse du monde... hélas combien Dieu est
oublié ; on ne pense guère qu'on a une âme à
sauver, un paradis à gagner.(47)
Frère Philippe, bien que vivant loin de sa paroisse natale, continue
à s'intéresser à ce qui se passe à Apinac.
En 1841, nous le voyons intervenir auprès du ministère
de la Justice et des Cultes pour qu'un vicaire soit nommé pour
seconder le curé d'Apinac comme ce qui se pratique dans les paroisses
importantes. Il obtient satisfaction. Le directeur de l'administration
des Cultes lui écrit personnellement pour le féliciter
(48).
La chapelle de Gachat et l'école
de la Béate
C'est à son initiative que l'on doit la construction de la chapelle
du hameau de Gachat qu'il place sous le vocable de Notre-Dame-de-Bon-Secours.
Il veut, pour son village natal, un petit sanctuaire où l'on
pourra dire la messe. Frère Philippe envoie, en janvier 1853,
un petit tapis pour le sanctuaire. Lors d'une visite à Rome,
en 1865, il obtient même du pape Pie IX qu'il accorde à
l'autel de Gachat "le titre de privilégié pour les
messes de Requiem".
La famille Bransiet détient encore aujourd'hui les clefs de ce
modeste édifice toujours bien entretenu. La chapelle est décorée
par un grand tableau, daté de 1864, représentant la Vierge
entourée d'anges. Il a été réalisé
par un Frère des Ecoles Chrétiennes. Plusieurs statues
sont l'oeuvre d'un autre religieux, le frère Victor. Jusqu'à
la dernière guerre, huit messes de fondation étaient dites
chaque année pour la famille Bransiet, les habitants du village
et leurs défunts (49).
Il y avait aussi une école de hameau qui recevait de douze à
quinze élèves. La maîtresse d'école était
une béate (50). Frère Philippe s'est aussi intéressé
à cet établissement en dotant la béate. L'école
est fermée depuis 1926 mais le petit bâtiment carré
existe encore, à quelques pas de la chapelle. Il est, lui aussi,
sous la garde des Bransiet.
L'installation des Frères à
Apinac (51)
En 1844, le maire d'Apinac, M. Grillet, écrit au T. H. F. Philippe
pour que des Frères des Ecoles Chrétiennes soient envoyés
à Apinac. Deux ans après, le Supérieur général
écrit au cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, pour lui
parler de ce projet. Le curé d'Apinac et ses principaux paroissiens
s'adressent au Frère Philippe pour lui dire qu'ils attendent
avec impatience l'arrivée des religieux et que, malgré
la faiblesse de leurs ressources, ils feront tout leur possible pour
leur installation : charrois, fourniture de bois... Le 6 décembre
1858, M. Grillet fait un don à la commune d'une terre de 37 ares
au lieu-dit le Guéret du chat et d'une rente annuelle de 500
F à condition que l'école de garçons soit gratuite
et confiée aux Frères des Ecoles Chrétiennes.
D'autres dons suivent ainsi qu'une contribution de 8 000 F du Frère
Philippe. La construction est réalisée et le 8 février
1862 arrivent les trois premiers Frères. Le dimanche suivant
l'arrivée des religieux, la bénédiction est effectuée
par le curé d'Apinac à l'issue de la grand-messe. Le Frère
Philippe assiste à la cérémonie aux côtés
du maire, M. Vignal, et des autres notabilités. Après
la bénédiction, il réunit les chefs de famille
et les exhorte à bien faire éduquer leurs enfants. Il
distribue ensuite, en souvenir de cette fête mémorable,
un livre de piété à chacun.
L'école ainsi fondée va avoir un grand rayonnement sur
Apinac et les communes voisines. Au début du siècle, on
pouvait compter parmi ses anciens élèves une vingtaine
de Frères des Ecoles Chrétiennes : un bilan impressionnant
qui témoigne de la forte et durable influence qu'a eue Mathieu
Bransiet dans son pays natal. Les Frères quitteront Apinac seulement
en 1953. Et aujourd'hui encore, bien que les locaux aient changé,
il reste une école catholique dans le village.
La construction de la nouvelle église
d'Apinac
Mais, la grande affaire sera pour lui la construction de la nouvelle
église du village. L'église primitive a besoin de réparations
et n'est pas suffisamment vaste pour une paroisse qui compte alors trois
fois plus d'habitants qu'aujourd'hui.
En 1839, le conseil municipal décide de constituer un capital
de 1 000 F pour effectuer des réparations. Le préfet trouve
la somme insuffisante. Il suggère à la commune de demander
une subvention - on disait alors un secours - au ministre des Cultes
et de voir plus grand. Louis Etienne Buhet, architecte à St-Bonnet-le-Château,
est chargé d'une étude et fait plusieurs propositions
: réaménager l'ancienne église, en construire une
nouvelle sur le même lieu ou encore effectuer une construction
ailleurs.
On s'oriente vers une nouvelle construction mais c'est seulement le
troisième projet qui est définitivement approuvée
par le préfet le 10 avril 1841. Le premier devis s'élève
à 29 449,51 F. C'est là qu'intervient, de façon
décisive, Frère Philippe. Depuis longtemps, il oeuvre
pour que soit prise la décision de bâtir une nouvelle église
en promettant son soutien. Il consent une donation exceptionnelle de
23 000 F pour contribuer au financement. On peut légitimement
se demander comment Mathieu Bransiet pouvait disposer ainsi de sommes
importantes. Un élément de réponse nous est fourni
par un de ses biographes, G. Rigault, qui précise qu'un religieux
disposant d'un patrimoine important avait proposé au Supérieur
général d'en utiliser une partie pour l'église
d'Apinac (52) . Une ordonnance royale du 6 août 1842 (53) autorise
la commune d'Apinac à accepter la donation sous les deux conditions
imposées par le donateur : dans l'édifice, un emplacement
de six mètres carrés sera réservé à
la famille Bransiet et une messe sera dite chaque année, après
la Toussaint, pour le repos de l'âme de ses parents.
Un peu plus tard, Frère Philippe, qui n'est pas complètement
désintéressé, intervient pour que certains travaux
soient confiés à ses parents d'Apinac. Ainsi Jean Marie
Bransiet effectuera les travaux de charpente, menuiserie, vitrerie,
peintures des portes et des croisées pour un montant total de
3 928,45 F.
Le financement étant, pour l'essentiel, assuré, on commence
la construction. Le Supérieur général intervient
à nouveau, avec succès, auprès du ministère
des Cultes pour qu'un secours de 10 000 F soit accordé à
Apinac. Finalement l'église coûtera plus de 43 000 F. La
bénédiction de la nouvelle église a lieu le 17
novembre 1844.
En 1845, Frère Philippe offre un chemin de Croix puis des tableaux
que des Frères avaient peints avec plus de conscience et de piété
que de talent, selon le jugement d'un biographe de Mathieu Bransiet
(54). Il obtient ensuite du roi Louis-Philippe une belle chasuble de
velours cramoisi. En 1858, sur sa demande et avec l'appui de l'Impératrice,
le service du Grand aumônier de l'Empereur attribue une chasuble
noire à la paroisse... (55)
Toujours afin d'enrichir le trésor de l'église d'Apinac,
en 1864, Frère Philippe ramène de Rome trois reliquaires
contenant "des reliques insignes" que lui a données
le Cardinal Patrizi (56) . Ces nombreux cadeaux montrent que le Frère
Philippe entretenait les relations les plus cordiales avec les plus
hautes autorités non seulement du second Empire mais aussi du
Saint-Siège et qu'il était bien difficile de lui refuser
une faveur..
Un Forézien qui fait honneur à sa province
Le cardinal Guibert, archevêque de Paris, écrit au lendemain
de la mort du Frère Philippe : Il a restauré, renouvelé
l'uvre du Vénérable de La Salle. Pourtant quelles
différences entre le fondateur et le restaurateur de l'Institut
! D'un côté Jean-Baptiste de la Salle, le chanoine rémois,
distingué, issu de l'aristocratie aisée, ayant fait de
longues études philosophiques et théologiques, de l'autre
Mathieu Bransiet, l'enfant de petits paysans des monts du Forez dont
les parents sont illettrés et qui n'a suivi qu'un modeste enseignement
primaire.
Cependant c'est un Supérieur comme Frère Philippe qui
convenait à l'Institut, à ce moment-là de son développement.
Travailleur infatigable, il fait preuve d'un solide bon sens, se montre
patient et d'une grande ténacité. Ces qualités
"paysannes" lui donnent un extraordinaire atout. Elles lui
permettent de comprendre parfaitement et de bien diriger ses Frères
qui sont, pour la plupart, issus du milieu rural.
Après la période révolutionnaire, alors que tout
l'enseignement primaire est à rebâtir, l'action de l'Institut
des Frères des Ecoles Chrétiennes qui est, en nombre,
la première congrégation enseignante du pays, avec à
sa tête Frère Philippe, a été très
importance dans le domaine pédagogique. Les manuels sont mieux
adaptés, l'enseignement simultané s'impose, la formation
des maîtres s'améliore, l'enseignement plus concret se
rapproche de la vie. C'est après cette étape, sur ce socle,
que pourront être promulguées les lois fondatrices de l'école
moderne
.
Comme Forézien, Mathieu Bransiet fait honneur à notre
province. C'est une personnalité attachante, un homme simple
et courageux qui n'a jamais vraiment quitté, au moins de cur,
son pays natal.
(Joseph Barou, Michel
Bransiet, Bulletin de la Diane, tome LVIII, 1999, p. 263-308)
*
* *
Un cahier de Village de Forez
consacré au Frère Philippe

Supplément au n° 83-84 (2001) de Village de Forez
Frère Philippe (Mathieu Bransiet 1792-1874)
*
* *
Le Frère
Philippe (1792-1874)
chevalier de la
Légion d'honneur
par
M. Jacques Long



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