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Champ de gentianes à Pierre-sur-Haute

L'herbier oublié
de Frère Victor

Jusqu'en 1891, les Frères sont les instituteurs communaux de Montbrison. Ils se chargent de l'éducation des garçons de la ville. Les religieux dirigent l'école Saint-Aubrin située dans le quartier du château. Ils gèrent aussi l'école Saint-Joseph de la rue des Arches.

L'école du Calvaire a un effectif qui varie de 200 à 300 élèves. Elle possède un "cours supérieur". Outre la langue française et les mathématiques, le dessin d'art, l'arpentage, les leçons d'agriculture sont à l'honneur. Des rudiments de comptabilité, d'architecture, de dessin industriel apparentent cette classe à une "école primaire supérieure". Pour les travaux pratiques, l'école a un lopin de terre pour jardiner, une petite forge, un atelier de menuiserie…

Parmi les religieux se trouvent plusieurs frères qui se passionnent pour les sciences, naturelles ou physiques. Même si les collections d'insectes sont aujourd'hui tombées en poussière, il reste encore de cette époque à Saint-Aubrin, un "musée" devenu salle de classe. Derrière une vitrine grillagée, oiseaux et petits mammifères naturalisés voisinent avec des instruments scientifiques.

La botanique est très prisée. Plusieurs frères sont des botanistes distingués. Frère Asclépiade Robert (1830-1905), né à Moingt, herborise en Forez et constitue un herbier. Frère Jean Vallon, né à La Louvesc en 1862, est instituteur communal à Montbrison de 1882 à 1897. Il parcourt les monts du Forez, tout comme ses collègues : frère Anthelme Legay, un Auvergnat et frère Gasilien, de son vrai nom Géraud Parrique, né dans le Cantal. Tous ces bons religieux figurent comme des botanistes avertis dans les publications de l'époque.

Romain Pierre Fraux, le Frère Victor

Mais il y a surtout frère Victor. Romain Pierre Fraux était né en 1849 à Oris-en-Rattier, un petit village de l'Oisans. Il devient frère des écoles chrétiennes sous le nom d'Onésime-Victor. Il reste à Montbrison, comme instituteur communal, pendant 18 ans, de 1882 à 1900.

Frère Victor, infatigable marcheur, utilise ses loisirs à herboriser. Il parcourt plaine et monts du Forez à la recherche de plantes rares. Ses randonnées l'amènent à Roche Gourgon, Saint-Bonnet-le-Courreau et même Pierre-sur-Haute.

Ce montagnard chevronné y récolte trolle, aconit, arnica et lys martagon… Il trouve aussi des espèces peu communes comme le "Lycopode petit cyprès" et le "Botryche lunaire". Au mont Sémiol, il découvre la "Pyrole uniflore" et le "Monotrope sucepin". Très sérieux, il fait souvent " légitimer " ses trouvailles par des confrères, les frères Sennen, Jude et Héribaud... Il est aussi en relation avec l'abbé Coste, auteur d'une flore célèbre. Quand il lui arrive de retourner en congé dans sa famille, frère Victor complète sa collection dans le massif de Taillefer.

L'herbier oublié

Comme tout bon botaniste, frère Victor constitue un herbier. Pour le séchage des plantes récoltées il utilise, en guise de buvard, de vieux journaux. Ainsi le Journal de Montbrison, le Mémorial de la Loire, le Pèlerin, la Croix du dimanche ou l'Echo de Fourvière ont-ils servi à protéger ses récoltes. Mais, fâcheuse habitude, comme tous les amateurs de son temps, il n'hésite pas à prélever de multiples spécimens pour faire des échanges avec d'autres passionnés. Pratique aujourd'hui condamnée car elle met en danger certaines espèces.

Romain Fraux, alias frère Victor, est mort à l'hôpital de Montbrison le 6 décembre 1902. Il avait seulement 53 ans. Il a été inhumé à Montbrison dans le caveau des frères, loin de son village alpin. Plus d'un siècle après, nous avons retrouvé, à l'école Saint-Aubrin, un dossier volumineux et poussiéreux : l'herbier, toujours en chantier, d'un ami des fleurs.


Joseph Barou

[La Gazette le 16 novembre 2007]

L'arnica


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