La
vie et la mort du champan (1). Je suis né d'une
grosse truie dans une nuit du mois de février passé.
Beaucoup de petits frères et de petites soeurs ! Une bonne
nichée ! qu'elle a dit, la patronne. Moi, j'étais
le plus petit de la nichée. Huit, qu'on était !
Et c'était bien départagé : quatre mâles
et quatre petites femelles.
Bien sûr que j'étais le plus petit mâle. Le
patron m'a attrapé par la queue et il a dit que si je crevais
il n'y aurait pas de mal. Et je n'avais pas envie de crever et
ce con ne m'a pas bien fait plaisir. Pensez donc ! C'est la plus
grosse femelle qu'ils voulaient garder pour la reproduction qu'ils
ont trouvée raide au matin. Elle s'est faite écraser
contre le bat-flanc. La maman truie l'a étouffée
en voulant lui donner à téter. Oui, ça arrivait
souvent, oui.
Au matin, de bien bonne heure est arrivé un type à
vélo. La patronne a apporté un seau d'eau chaude...
Il y en a déjà qui ont compris. Le patron lui
[...?]. Nous nous sommes tous demandé ce qui allait
se passer. Oh ! la la ! Ils nous ont attrapés tous les
uns après les autres et nous y sommes tous passés.
Cet animal de hongreur, il nous a coupé les bijoux de famille
à toute la nichée.
Nous faisions presque vingt kilos, qu'un samedi matin, nous nous
sommes retrouvés à deux, un samedi, un samedi matin,
bien sûr. Nous nous sommes retrouvés à deux
avec la mère. Les autres, on ne les a jamais revus. Il
restait une femelle et moi, le petit dernier.
Un moment donné la mère caille ne pouvait plus me
sentir. Et, la bourrique, elle ne me donnait plus à téter.
Eh oui ! Je l'ai compris plus tard, elle demandait le verrat.
L'été,
ils nous ont mis "en champ" dans les trèfles.
On mangeait des bonnes pommes de terre avec de la mouture de blé.
C'était la bonne vie. Nous étions gras comme des
petits cochons.
Aux
alentours de Noël, j'étais bien garni et je faisais
presque cent kilos, qu'ils disaient, mes patrons.
Un
jour, une espèce de maquignon s'est amené avec une
remorque bétaillère et ils ont attrapé ma
soeur et je ne l'ai plus jamais revue. J'ai pensé qu'ils
l'avaient vendue, les patrons, pour faire de l'argent.
Un samedi matin, branle-bas de combat. Tout le monde [...?] dans
la cour. Ils ont mis un tombereau contre le mur, une échelle,
un seau d'eau, une grande bassine et beaucoup de cordes. Le beau-frère
était venu ; le vieux pépé boiteux - le curé
a bien vu que je boitais aussi (2) - s'était levé
de bonne heure. Les enfants pleuraient.
Ils
sont rentrés dans l'étable, m'ont attrapé,
m'ont mis une corde à la patte, une autre dans le nez et
j'ai bien compris que je devais finir ma vie en saucisson. Ce
fut terrible. J'ai bien souffert pour crever. Je me suis laissé
aller à pisser quand je n'en pouvais plus. Comme j'avais
le derrière suspendu bien haut, et pour les emmerder, j'ai
pissé dans les galoches du charcutier et dans la bassine
du sang.
(1) Jeune porc châtré que
l'on engraisse.
(2) Allusion à un prêtre, ami du conteur, qui se
trouvait dans la salle.

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