Présentation
en français : Ce que je vais vous raconter là,
c'est tout de même pas mal de ma vie...
En
ce temps j'avais 14 ans, grand et assez fort pour mon âge
- [je suis ] toujours grand - et [j'avais] déjà
l'habitude de travailler chez le père qui avait une petite
ferme de huit vaches, un cheval et quelques truies. Et c'est lui
qui a décidé : Tu peux aller en journée
chez les patrons si tu veux gagner un peu d'argent.
La main-d'oeuvre était rare. Il y avait une préférence
pour l'usine qui occupait beaucoup de monde et qui payait mieux.
C'était bien dur pour partir le matin de bonne heure pour
arriver soleil levant. L'hiver c'était bon, mais l'été
les jours étaient longs jusqu'au soleil couchant.
[ Dans] Les bonnes maisons les patrons donnaient la chopine
de vin, les autres le vin était baptisé avec beaucoup
d'eau, beaucoup. Vers les huit heures la servante apportait à
manger. Dans la gamelle la soupe était faite de pain, de
chou et de lard qui donnait bon goût au bouillon. Le couteau
était dans la poche des pantalons. C'était le compagnon
indispensable de l'ouvrier. Du fromage "vachard", qui
était fait avec du lait écrémé, terminait
le repas.
Avant
de saisir l'outil les anciens roulaient une cigarette. Ils fumaient
presque tous. Ils avaient pris l'habitude dans les tranchées
pendant la guerre de quatorze. Les anciens couchaient dans les
étables. Ils ne se lavaient presque jamais, un peu les
mains et le nez [la figure]. Ils sentaient le fumier, le
purin, la sueur.
La panse bien garnie, reprise jusqu'à midi - à l'heure
du soleil. Pour dîner nous étions une grande tablée,
nous étions beaucoup : le père, la mère,
les enfants, les valets, la servante, les vieux [parents]
qui vivaient derrière le fourneau et les ouvriers.
Le
bichon d'eau et le vin étaient sur la table. C'était
le patron ou le premier valet qui faisait le service du vin de
marchand. Il n'était pas toujours bon. Nous le buvions
quand même. Salade, pommes de terre, viande de cochon, qui
était salée, et le fromage faisaient le repas.
Après c'était le moment de faire la sieste qui durait
à peu près une demi-heure, couché sur la
veste à l'ombre en été, sous un abri
[l'aurio (1)] quand il
faisait moins chaud.
Vers les deux heures de l'après-midi, on allait dans les
terres. On portait la gourde remplie d'eau avec une goutte de
vinaigre pour lui donner du goût. Vers les cinq heures des
grands jours, c'était la pause du "goutaron"
avec un morceau de jambon, parfois du fromage et un verre de vin
[un "canon"].
Il restait le dernier coup de collier pour arriver au soleil couchant
et c'était le plus pénible.On regardait souvent
le soleil descendre du côté de la montagne du Soir.
Quand il était couché à moitié le
premier valet s'arrêtait et on rentrait à la maison.
La soupe était comme le repas de midi. Parfois on mangeait
des pommes de terre fricassées à l'huile de colza.
D'autres fois, la patronne avait fait un matefaim.
De dures journées pour gagner peu d'argent. Le pire c'était
quand il y avait un valet qui tirait par devant pour faire plus
de travail. Il était payé avec une bricole et faisait
crever les autres. Soixante ans plus tard, la situation a bien
changé et il ne faut pas le regretter.
J'ai
commencé ma vie ouvrier agricole. Je n'ai pas de regret
et c'était une bonne école pour former les hommes
dans leur vie de travail.
(1)
Auriao : abri, se betta a l'auriao, se mettre à
l'abri, cf. Louis-Pierre Gras, Dictionnaire du patois forézien,
1863.
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