Patois vivant



Les ouvriers agricoles


souvenirs d'André Berger

 

Les ouvriers agricoles
Lou manôre

(patois de Savigneux)

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison en 1998


André Berger, petit garçon

pour écouter cliquer ci-dessous

(3 min 25 s)

Présentation en français : Ce que je vais vous raconter là, c'est tout de même pas mal de ma vie...

En ce temps j'avais 14 ans, grand et assez fort pour mon âge - [je suis ] toujours grand - et [j'avais] déjà l'habitude de travailler chez le père qui avait une petite ferme de huit vaches, un cheval et quelques truies. Et c'est lui qui a décidé : Tu peux aller en journée chez les patrons si tu veux gagner un peu d'argent.

La main-d'oeuvre était rare. Il y avait une préférence pour l'usine qui occupait beaucoup de monde et qui payait mieux. C'était bien dur pour partir le matin de bonne heure pour arriver soleil levant. L'hiver c'était bon, mais l'été les jours étaient longs jusqu'au soleil couchant.

[ Dans] Les bonnes maisons les patrons donnaient la chopine de vin, les autres le vin était baptisé avec beaucoup d'eau, beaucoup. Vers les huit heures la servante apportait à manger. Dans la gamelle la soupe était faite de pain, de chou et de lard qui donnait bon goût au bouillon. Le couteau était dans la poche des pantalons. C'était le compagnon indispensable de l'ouvrier. Du fromage "vachard", qui était fait avec du lait écrémé, terminait le repas.

Avant de saisir l'outil les anciens roulaient une cigarette. Ils fumaient presque tous. Ils avaient pris l'habitude dans les tranchées pendant la guerre de quatorze. Les anciens couchaient dans les étables. Ils ne se lavaient presque jamais, un peu les mains et le nez [la figure]. Ils sentaient le fumier, le purin, la sueur.

La panse bien garnie, reprise jusqu'à midi - à l'heure du soleil. Pour dîner nous étions une grande tablée, nous étions beaucoup : le père, la mère, les enfants, les valets, la servante, les vieux
[parents] qui vivaient derrière le fourneau et les ouvriers.

Le bichon d'eau et le vin étaient sur la table. C'était le patron ou le premier valet qui faisait le service du vin de marchand. Il n'était pas toujours bon. Nous le buvions quand même. Salade, pommes de terre, viande de cochon, qui était salée, et le fromage faisaient le repas.

Après c'était le moment de faire la sieste qui durait à peu près une demi-heure, couché sur la veste à l'ombre en été, sous un abri
[l'aurio (1)] quand il faisait moins chaud.

Vers les deux heures de l'après-midi, on allait dans les terres. On portait la gourde remplie d'eau avec une goutte de vinaigre pour lui donner du goût. Vers les cinq heures des grands jours, c'était la pause du "goutaron" avec un morceau de jambon, parfois du fromage et un verre de vin
[un "canon"].

Il restait le dernier coup de collier pour arriver au soleil couchant et c'était le plus pénible.On regardait souvent le soleil descendre du côté de la montagne du Soir. Quand il était couché à moitié le premier valet s'arrêtait et on rentrait à la maison. La soupe était comme le repas de midi. Parfois on mangeait des pommes de terre fricassées à l'huile de colza. D'autres fois, la patronne avait fait un matefaim.

De dures journées pour gagner peu d'argent. Le pire c'était quand il y avait un valet qui tirait par devant pour faire plus de travail. Il était payé avec une bricole et faisait crever les autres. Soixante ans plus tard, la situation a bien changé et il ne faut pas le regretter.

J'ai commencé ma vie ouvrier agricole. Je n'ai pas de regret et c'était une bonne école pour former les hommes dans leur vie de travail.

(1) Auriao : abri, se betta a l'auriao, se mettre à l'abri, cf. Louis-Pierre Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863.


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Saint Isidore, patron des laboureurs
(Champdieu)

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Mise à jour le 1er octobre 2010