Je
vais vous raconter l'histoire du petit garçon d'avant la
guerre. C'est moi.
Réfléchir, donner la main [aider] les parents,
c'est vers huit ans qu'il a fallu commencer. A la maison, mettre
la table, sortir les assiettes, les verres. A l'étable
enlever les bouses de vache, les étriller et après,
vers les sept heures et demie, aller à l'école chez
le père Thiolière qui était instituteur à
Savigneux - plus personne ne le connaît.
Vêtu d'une blouse, de galoches garnies, un bonnet sur la
tête il fallait arriver vers les huit heures et ne pas oublier
le cartable qui n'était pas bourré de livres comme
maintenant - enfin - pas grand- chose dedans, non...
Quand on était lâché vers les onze heures
du matin, on prenait la course pour arriver à temps à
la sacristie pour la leçon de catéchisme. Et le
grand curé Georges qui n'était pas élégant
nous engueulait si on était en retard. Dans le mystère
de la Trinité, il fallait bien écouter pour comprendre
qu'ils étaient trois, que le petit Jésus était
né dans la crèche des vaches et qu'il y avait un
âne et un boeuf qui lui soufflaient dessus. Eh oui ! Qui
peut dire le contraire ?
Les
grands nous faisaient croire d'autres choses : que le père
Noël passait par le trou de la cheminée, les enfants
naissaient dans les choux, les filles dans
les roses et il fallait les acheter... Pensez-vous que nous les
croyions ! Les plus grands "brelauds" nous avaient expliqué
que c'était les mamans qui les faisaient et que c'était
les papas qui les commandaient. C'est toujours comme ça
d'ailleurs.
En
l'an 2000 les curés ont bien changé. Ils ont fait
comme toute la société. Enfants, nous avons eu beaucoup
de respect pour eux parce que c'est les représentants du
bon Dieu. Et quand ils le portaient aux vieux qui allaient mourir
il fallait se mettre à genoux et faire le signe de la croix
sur le chemin, sur le chemin avec l'enfant de choeur. On enlevait
notre casquette quand on se promenait [et]
qu'on passait devant la croix du Christ, la statue de la bonne
Vierge. Et on apprenait par coeur les cantiques de la Vierge Marie
et on ne s'en portait pas plus mal que ça. Je vous signale
que j'étais en pension chez les Frères, à
Boën, chez les frères maristes (je crois que je vais
vous le dire un peu plus loin).
Quelques curés étaient plus malins. Quand on vendangeait
ou qu'on battait à la machine, ils venaient rôder
aux alentours pour manger un morceau de jambon ou de pâté.
Ah ! Si, même, il y en avait qui buvaient bien leur "canon".
Ce n'est pas critiquable parce que c'est une marque de bonne relation
entre le clergé et les autres.
Vers les onze ans, il fallut faire la première communion,
le dimanche 30 avril 1933. J'étais chez les frères
maristes de Boën. Je me rappelle bien des copains : Jean
Gaumont, le vigneron, qui est toujours de ce monde, qui se porte
même bien, Henri Chazal de Marcilly qui est devenu Frère
(lui est mort il y a quatre ou cinq ans). Nous étions tous
des garçons au pensionnat parce qu'à cette époque
on ne mélangeait pas les filles et les garçons dans
les écoles. Ils ne pouvaient pas faire de bêtises
!
Où
est-il passé ce pensionnat Notre-Dame du Sacré-Coeur
? Et cette chapelle du père Déléage ? Il
n'y a plus rien. On y faisait la prière le dimanche matin.
De suite il y avait un cours de solfège qui m'a servi pour
apprendre à jouer un peu de l'accordéon, plus tard.
A dix heures la messe à la grande église [de
Boën],
et les vêpres l'après-midi. Au mois de mai et pour
les fêtes, il y avait la récitation du chapelet et
la bénédiction du Saint-Sacrement dans la petite
chapelle. Nous faisions tout ça avec bonne grâce
quand même.
Cette
première communion fut une grande cérémonie.
Tout d'abord une semaine de retraite, une semaine complète.
La grand-mère Henriette - même nom (1), ça
n'a pas changé - avait acheté le chapelet, la maman
Marie le missel, le cousin Dubruc le brassard et je ne me rappelle
plus bien qui a acheté la montre. Je n'en sais rien. Je
ne me rappelle plus. Dans un autre papier, j'ai écrit que
c'est demeuré le premier grand souvenir de ma vie de gamin.
Bien
sûr, un peu plus tard, il y a eu le vélo. ah ! ce
vélo ! Ah ! ah ! Et que vers les dix-sept, dix-huit ans,
on a commencé les premières fréquentations...
commencé à courir les filles. En ce temps ce n'était
pas à la discothèque que nous nous connaissions.
C'était le dimanche après-midi, "en champ"
les vaches et les chèvres sur les pentes de nos montagnes.
Aujourd'hui les fils de fer barbelés et les clôtures
électriques ont remplacé les braves filles de paysan
pour garder le bétail.
Et qu'est-ce qui se passe soixante-dix ans plus tard ? Il y a
quelques jours nos petits-enfants, qui "grattaient"
dans les vieilles choses de l'armoire, ont trouvé le missel
et les chapelets de leurs grands-parents. "Qu'est-ce que
c'est que ça ?", ils ont demandé. Et la grand-mère
Yette a expliqué notre vie religieuse du temps passé,
comme elle a pu. Et c'est bien difficile quand ça a tant
changé depuis soixante-dix ans.
Un
jour, en bavardant, mon brave voisin de la montagne m'a dit :
"Ma femme fait le catéchisme dans deux hameaux du
pays - vous pouvez deviner où c'est. Ils sont dix gosses,
de notre temps, nous autres, nous étions trente".
Qui
a vécu le meilleur temps ? Est-ce les jeunes ? Est-ce les
vieux ? Braves gens qui m'avez écouté et qui avez
presque mon âge, je vous laisse à votre réflexion.
(1)
Henriette
est le prénom de l'épouse d'André Berger.