Patois vivant



Petit garçon à Savigneux,

avant la guerre


souvenirs d'André Berger

 

Petit garçon à Savigneux,
avant la guerre

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison en 2000


André Berger, petit garçon

pour écouter cliquer ci-dessous

(6 min 36 s)

 

Je vais vous raconter l'histoire du petit garçon d'avant la guerre. C'est moi. Réfléchir, donner la main [aider] les parents, c'est vers huit ans qu'il a fallu commencer. A la maison, mettre la table, sortir les assiettes, les verres. A l'étable enlever les bouses de vache, les étriller et après, vers les sept heures et demie, aller à l'école chez le père Thiolière qui était instituteur à Savigneux - plus personne ne le connaît.

Vêtu d'une blouse, de galoches garnies, un bonnet sur la tête il fallait arriver vers les huit heures et ne pas oublier le cartable qui n'était pas bourré de livres comme maintenant - enfin - pas grand- chose dedans, non...

Quand on était lâché vers les onze heures du matin, on prenait la course pour arriver à temps à la sacristie pour la leçon de catéchisme. Et le grand curé Georges qui n'était pas élégant nous engueulait si on était en retard. Dans le mystère de la Trinité, il fallait bien écouter pour comprendre qu'ils étaient trois, que le petit Jésus était né dans la crèche des vaches et qu'il y avait un âne et un boeuf qui lui soufflaient dessus. Eh oui ! Qui peut dire le contraire ?

Les grands nous faisaient croire d'autres choses : que le père Noël passait par le trou de la cheminée, les enfants naissaient dans les choux, les filles dans les roses et il fallait les acheter... Pensez-vous que nous les croyions ! Les plus grands "brelauds" nous avaient expliqué que c'était les mamans qui les faisaient et que c'était les papas qui les commandaient. C'est toujours comme ça d'ailleurs.

En l'an 2000 les curés ont bien changé. Ils ont fait comme toute la société. Enfants, nous avons eu beaucoup de respect pour eux parce que c'est les représentants du bon Dieu. Et quand ils le portaient aux vieux qui allaient mourir il fallait se mettre à genoux et faire le signe de la croix sur le chemin, sur le chemin avec l'enfant de choeur. On enlevait notre casquette quand on se promenait [et] qu'on passait devant la croix du Christ, la statue de la bonne Vierge. Et on apprenait par coeur les cantiques de la Vierge Marie et on ne s'en portait pas plus mal que ça. Je vous signale que j'étais en pension chez les Frères, à Boën, chez les frères maristes (je crois que je vais vous le dire un peu plus loin).

Quelques curés étaient plus malins. Quand on vendangeait ou qu'on battait à la machine, ils venaient rôder aux alentours pour manger un morceau de jambon ou de pâté. Ah ! Si, même, il y en avait qui buvaient bien leur "canon". Ce n'est pas critiquable parce que c'est une marque de bonne relation entre le clergé et les autres.

Vers les onze ans, il fallut faire la première communion, le dimanche 30 avril 1933. J'étais chez les frères maristes de Boën. Je me rappelle bien des copains : Jean Gaumont, le vigneron, qui est toujours de ce monde, qui se porte même bien, Henri Chazal de Marcilly qui est devenu Frère (lui est mort il y a quatre ou cinq ans). Nous étions tous des garçons au pensionnat parce qu'à cette époque on ne mélangeait pas les filles et les garçons dans les écoles. Ils ne pouvaient pas faire de bêtises !

Où est-il passé ce pensionnat Notre-Dame du Sacré-Coeur ? Et cette chapelle du père Déléage ? Il n'y a plus rien. On y faisait la prière le dimanche matin. De suite il y avait un cours de solfège qui m'a servi pour apprendre à jouer un peu de l'accordéon, plus tard. A dix heures la messe à la grande église [de Boën], et les vêpres l'après-midi. Au mois de mai et pour les fêtes, il y avait la récitation du chapelet et la bénédiction du Saint-Sacrement dans la petite chapelle. Nous faisions tout ça avec bonne grâce quand même.

Cette première communion fut une grande cérémonie. Tout d'abord une semaine de retraite, une semaine complète. La grand-mère Henriette - même nom (1), ça n'a pas changé - avait acheté le chapelet, la maman Marie le missel, le cousin Dubruc le brassard et je ne me rappelle plus bien qui a acheté la montre. Je n'en sais rien. Je ne me rappelle plus. Dans un autre papier, j'ai écrit que c'est demeuré le premier grand souvenir de ma vie de gamin.

Bien sûr, un peu plus tard, il y a eu le vélo. ah ! ce vélo ! Ah ! ah ! Et que vers les dix-sept, dix-huit ans, on a commencé les premières fréquentations... commencé à courir les filles. En ce temps ce n'était pas à la discothèque que nous nous connaissions. C'était le dimanche après-midi, "en champ" les vaches et les chèvres sur les pentes de nos montagnes. Aujourd'hui les fils de fer barbelés et les clôtures électriques ont remplacé les braves filles de paysan pour garder le bétail.

Et qu'est-ce qui se passe soixante-dix ans plus tard ? Il y a quelques jours nos petits-enfants, qui "grattaient" dans les vieilles choses de l'armoire, ont trouvé le missel et les chapelets de leurs grands-parents. "Qu'est-ce que c'est que ça ?", ils ont demandé. Et la grand-mère Yette a expliqué notre vie religieuse du temps passé, comme elle a pu. Et c'est bien difficile quand ça a tant changé depuis soixante-dix ans.

Un jour, en bavardant, mon brave voisin de la montagne m'a dit : "Ma femme fait le catéchisme dans deux hameaux du pays - vous pouvez deviner où c'est. Ils sont dix gosses, de notre temps, nous autres, nous étions trente".

Qui a vécu le meilleur temps ? Est-ce les jeunes ? Est-ce les vieux ? Braves gens qui m'avez écouté et qui avez presque mon âge, je vous laisse à votre réflexion.

(1) Henriette est le prénom de l'épouse d'André Berger.

Retour


Ecoutons
le patois du Forez




Patois du Forez