Patois vivant



Ma naissance


souvenirs d'André Berger

 

Mécanicien à la batteuse,

en 1940...

(patois de Savigneux)

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
en 2005 au Centre social de Montbrison


André Berger, petit garçon

pour écouter cliquer ci-dessous

(8 min 58 s)

J'ai l'habitude de raconter des histoires mais ce que je vais raconter aujourd'hui, c'est vrai. Je l'ai vécu. Il y a 65 ans. Mécanicien pour les batteuses en 1940.

Ce matin, je me suis réveillé de bonne heure. J'ai décidé d'expliquer comment ça s'est passé pour la seconde saison de batteuse, de suite après les combats de l'année 1940.

Le père, il avait une petite ferme de huit vaches, un cheval, deux truies et il fallait aller travailler chez les autres. J'avais juste 18 ans.

Paul Farge, de Feurs, m'a embauché comme machiniste pour 350 francs par mois. Le premier mécanicien, il avait, lui, 450. J'ai commencé chez Gacon à Bonlieu, Sainte-Agathe-la-Bouteresse. C'est d'accord ! Bon. C. Georges était le premier, c'était le frère de Jean qui a été maire de Jas et mon copain du STO en Autriche. Un autre jeune était le second et moi j'étais le "minot". Assez grand mais pas bien fort.

Le propriétaire de la ferme était Granetias, le fabricant de chocolat à cette époque. Farge nous avait mis un joli tracteur Deutz qui marchait à l'huile lourde mélangée à la vidange des autos. On avait perdu la guerre et le carburant était rare. Tracteur bien moderne avec les pneus pleins, une banquette à deux places. C'était la fierté de Paul Farge. Avec ce tracteur on traînait la batteuse, la presse haute densité et le brequïn - le brequïn, c'est le lieur. On avait passé la semaine dans la commune. Je me rappelle que, le dimanche matin, on avait battu [dans] une petite ferme de deux ou trois heures [de battage] ; ça se faisait bien....

Allons, passons par derrière [André Berger retourne la feuille qu'il tient en main].

L'après-midi, on a déplacé tout le bazar sur la route de Feurs jusqu'à la Petite-Motte de Chambéon, contre la Loire, bien sûr. Voyez donc, un convoi de presque trente mètres de long, un après-midi de l'an 2000 qui circule sur une route, oh ! la la !

Encore gamin, j'ai demandé à Georges, Georges C. de me laisser conduire un peu. "Je te donnerai le volant quand on aura quitté la route" qu'il m'a répondu. En effet, j'ai fini le voyage. Et pour entrer sur l'aire de chez Paradis à la Petite-Motte, je me suis bien porté sur la droite pour tourner sur la gauche mais la manette d'embrayage du lieur qui dépassait un peu a arraché la palissade du jardin. Oh ! la la ! Je me suis ramassé une engueulade, et ce n'était pas le paradis, croyez-moi. C'est bien ! Quand il a eu assez gueulé il s'est calmé.

Comme tous les jeunes, on se couchait tard le dimanche soir et le lundi matin, vers quatre heures, le Joannès, le vieux, il faisait péter le manche du balai sur le plancher pour me réveiller.

"Dédé, lève-toi et viens vite." Il faut faire le trajet à vélo et ne pas arriver en retard pour allumer la loco
[mobile] et la chauffer pour que ça marche au soleil levant.

- Va-t-en boire le café,
qu'il m'a dit Paradis, Paradis, le frère de Paradis, du Bruchet. Bien sûr.

- Une gnôle, Berger ?
- Non, merci.

- Tu ne bois pas de gnôle ! T'es donc en colère
[parce que] que je t'ai engueulé hier après-midi. Allez ! C'est bon. Je l'ai remise, la palissade. N'en parlons plus.

Mardi matin, une autre histoire, abominable ! On avait changé de maison. On était chez Ducreux, une grosse ferme de deux journées [de battage]. Dans cette ferme, c'est le Georges qui en prit une engueulade ! C'était grave et le patron Farge était en furie. Je m'explique. La récolte avait des chardons et les [plumets ?] volaient de tous les côtés. Le radiateur du tracteur s'est bouché et il a chauffé. Mais on a battu jusqu'à la nuit quand même.

Mais le mercredi matin un joint avait claqué et il y avait de l'eau dans la culasse. C'était la grosse panne. Et ce joli tracteur n'a plus jamais marché ! Les Boches nous avaient vaincus et allez chercher un joint de culasse chez les Frigolins au mois d'août 40 !

Que faire pour continuer à battre ? Il nous a eus, le père Farge. La maison Farge avait fait monter une chauffeuse sur un châssis de camion Fiat. Non ? Personne ne se rappelle de ça. Une abominable ferraille qu'on appelait la Micheline, nous autres, les mécaniciens.

On est allé chercher cet engin, cours de Verdun, à Feurs. Nous avions passé sur le pont de la Loire qui était miné depuis le lundi 19 du mois de juin passé. Ils nous ont laissés passer. Moi, je me souviens parce que le lundi 19 du mois de juin mon copain Paul Collongeon avait une enflure
[à la joue] comme ça. Il est parti le lundi matin pour se faire arracher une dent à Feurs. Ils ne l'ont pas laissé passer. Il est allé faire le tour à Montrond pour se faire arracher une dent. Et c'était les mineurs, des Mines, de Saint-Etienne qui ont fait sauter le pont. Et c'était le lundi 19 juin. Je crois qu'il y a un homme qui avait parlé la veille, le 18 (1). Bon, je reviens à mes...

Ce fut, pour nous autres, un supplément de travail. il a fallu que j'apprenne à chauffer la loco, je ne savais pas. Et c'est pas bien commode le premier jour : entretenir la chaudière, la pompe à injection de l'eau, et bien regarder le manomètre. Le J... m'avait bien expliqué. Et surtout ne pas laisser baisser la pression. Et savoir tenir le plein d'eau qui se transformerait en vapeur, bien sûr.

La machine faisait les déplacements d'une ferme à l'autre. Plus besoin des boeufs . Sur les chemins la Micheline qui était chauffeuse, la batteuse, la presse et le petit lieur par-derrière, tout ça était lourd et on s'embourbait quelquefois. Il fallait deux paires de boeufs pour tirer par-devant. Ils n'étaient pas à la noce avec cette saleté de machine.

Après Chambéon, nous nous sommes traînés à Valeilles chez un mauvais paysan qui nous a fait coucher dans la balle (2) - vous savez ce que c'est ! Et manger du jambon qui marchait tout seul. C'est comme ça dans la Plaine : des bonnes maisons et d'autres moins bonnes.

Nous autres, les mâchurés (3) comme on nous appelait, nous mangions souvent avec les patrons, à la grande table dans la salle avec les frères, les beaux-frères, les vieux qui sucraient les fraises : ha, ha, ha ! On ne connaissait pas ce type qui s'appelle Alzheimer, à ce moment-là. Et 65 ans se sont passés jusqu'à notre temps. Allez, continue seulement...

On ne buvait pas le même vin, pas la même nourriture. Les ouvriers, ils se tapaient le vin baptisé qui faisait la limonade. Il y a un tonneau qui faisait la limonade, un autre tonneau qui faisait le vinaigre. Le fromage vachard était comme une semelle de soulier. Et c'était tout comme ça. Et, nous autres, on mangeait le pâté de foie du lapin, et il se racontait des histoires... qu'il y a des servantes qui s'adressaient aux hommes :

- Ah ! les hommes, à la soupe !

Et quand on nous appelait nous autres :

- Messieurs les mécaniciens, vous venez manger ?

Nous étions bien vus. Et s'il y avait une petite pièce d'étrenne, c'était pour faire sauter une demi-heure du temps qu'on avait passé à battre.

Je vais finir par une autre histoire qui est bien arrivée à Feurs. Il avait plu toute la nuit. Le cul des gerbes était mouillé. Le temps n'était pas solide. On ne savait pas si on commençait, le matin, de bonne heure. La servante qui était avec nous autres à regarder le ciel et puis elle a dit :

- Ce matin, c'est bien bourru le tour !


(1) Allusion à l'appel du général de Gaulle le 18 juin 1940.
(2) En patois, le blou (seigle et froment)ou la baloufe (avoine).
(3) Mâchuré : sale, noirci en français local.

Voir aussi les pages sonorisées :

Jean Chassagneux, Allons battre les gerbes,
Olin ékour lo poilla

Xaviers Marcoux, Le fléau,
L'écoussou

Jean Chambon,

Battage au fléau


et les textes en ligne :

Le battage au fléau
(format pdf)

Un jour de battage à la machine
(format pdf)
et la page :
battages

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Patois du Forez

Mise à jour le 7 avril 2010