Patois vivant



Travaux d'hiver


souvenirs d'André Berger

 

Travaux d'hiver d'autrefois

(patois de Savigneux)

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
en 2007 au Centre social de Montbrison


André Berger, petit garçon

pour écouter cliquer ci-dessous

(9 min 8 s)

Qu'est-ce qu'on faisait dans le temps par mauvais temps. Eh bien, je vais vous l'expliquer. Eh oui, dans ce dernier matin du mois de janvier, l'hiver est arrivé ; ça m'a donné l'idée de griffonner un papier et de rester tranquille à la maison ; ça m'a rappelé ces hivers d'avant la guerre, quand j'avais à peu près 15 ans et comment on s'occupait quand la bise "burlait". Elle ne "burle" plus aujourd'hui.

Après le pansage des bêtes, au chaud dans l'étable, il fallait saisir la pelle pour faire les passages dans la cour, monter le lait à la ville comme tous les autres matins, cramponner les fers du cheval parce que ça glissait et l'autre [le cheval] aurait pu s'aplatir, atteler le char à bancs, charger les bidons, de lait bien sûr, les paniers à bouteilles de lait écrémé. Et le père partait faire la distribution.

Pendant ce temps, il demandait qu'on mette une brouette de fumier devant les fenêtrons de la petite cave où il y avait les pommes de terre, les collets verts, les carottes parce qu'il allait geler fort. "Vous trierez des pommes de terre pour la semence dans les Beauvettes et les Fleurs-de-pêcher, si vous avez le temps bien sûr", qu'il avait ajouté. Si on n'a pas le temps on laissera tomber.

Pas très pressé, avec ce mauvais temps, le père tardait pour revenir du lait. Il avait trouvé le Tony, Tony Faure, le Charroin qui était le garde du canal, Juban, le marchand de petits de Cremérieux : douze enfants, je crois. Il attendait le prix Cognacq-Jay ; il n'a pas pu y arriver. Comme quatre hommes font quatre canons de vin à boire chez la Chometon - qui se rappelle de la Chometon qui tenait une épicerie, un bistrot ? - ça prenait du temps. Cette femme était bien faite, bien plantée. Elle donnait des idées à ses clients. Et ils ne se gênaient pas pour raconter des histoires de fesses, bien sûr.

L'après-midi la bise soufflait encore plus. Il a fallu partir à travers les terres. Nous avions pris la scie, la grosse hache, des coins et le maillet et nous sommes partis casser du bois, faire des piquets de parc dans les morceaux de chêne. Je me rappelle que dans un cul de frêne, il a fallu le fendre pour faire des manches d'outils. Et le soir, après le coucher du soleil, dans l'étable
[il a fallu] les arrondir avec la petite hache, le couteau paroir, et les frotter avec du verre cassé pour les lustrer. Ca faisait des manches de pioche ou de mare [forte pioche] presque incassables.

Le lendemain matin, il fallait prendre la mare à jaille
[taille -pré] pour faire un trou dans la glace de la mare pour faire boire les vaches. Les bourriques, elles ne traînaient pas bien pour rentrer. Elles faisaient le tour du pré en levant le derrière et revenaient à l'étable toutes bourrues sur le dos.

Rien ne se gaspillait en ce temps. Aller à la grange, à la fenière pour balayer le plancher, passer au crible les graines de foin qui allaient servir pour ensemencer des prés, enlever les araignées et passer tous les déchets dans la cour, bien sûr. A cette époque, on n'achetait pas le ray-grass de sélection à la CBA
[Coopératives des Blés et Approvisionnements].

La nuit tombait de bonne heure. Vers le soir, avant de manger la soupe nous battions les pois dans l'étable, sur le ciment bien balayé, derrière le cul des vaches. Après le manger, à la veillée, nous nous mettions à trier les pois. Il y avait le
[poste] Radiola qui braillait des chansons jusqu'à presque minuit. C'était des pois, des "cocos", des "riz", des tachetés qui étaient préparés pour vendre à la foire du 15 du mois de mars. La maîtresse [de maison] n'était pas bien contente. Bien sûr, dans la maison, il fallait nettoyer la maison et enlever la poussière sur les meubles.

Qu'est-ce qu'on faisait sous le hangar ? Arranger les outils, réparer la charamonte (1), changer le soc des charrues, prendre la chèvre pour soulever le tombereau et graisser les essieux, passer au tarare l'avoine et l'orge pour semer au mois de mars.

Quand ça commençait à dégeler, on était bien occupé à faire du bois, couper les buissons, faire les fossés, abattre des vieux troncs de peuplier - tiens, j'en ai une
[canne] -, tondre les arbres pour faire des fagots pour cuire des chaudières de collets verts et de pommes de terre pour les cochons.

Quand il fallait saigner l'engrais [le cochon engraissé] et que c'était la bonne lune, qu'il gèle ou qu'il ne gèle pas, il y passait. Et pour laver le ventre c'était obligé de descendre vers le Vizézy. On portait bien un peu d'eau chaude pour tremper les mains qu'on ne sentait plus tellement elles étaient gelées. Après, c'était bon de se réchauffer vers le fourneau en buvant un café et la gnôle.

Tous les hivers le Chambéron [un vannier] ne manquait pas de passer pour faire des corbeilles longues qui servaient pour décharger les pommes de terre du tombereau. C'était des corbeilles qui étaient bien longues pour ramasser toutes les pommes de terre qui tombaient. Il se mettait dans l'étable des vaches, assis sur une brassée de paille.

Enfant, je regardais comment il faisait et j'ai appris à faire les paniers pour vendanger. Cet apôtre, il ne pouvait pas me sentir et quand je m'approchais de trop près il me passait des coups de baguette par les jambes.

Un matin, il a dit : "j'ai plus de bonnes riotes (2), il faut m'en couper." L'après-midi nous sommes allés à la terre de la Bileuse qui se trouve vers le golf
[actuel] avec le sécateur. Nous en faisons quatre à cinq cents kilos tous les ans et c'était le Jean Gatt qui les achetait.

Ah ! ce Chambéron ! Il aimait bien la chique. Le jus lui coulait au menton. Il n'aimait pas la soupe. Il y avait trop d'eau dedans. Mais le canon et la gnôle, on pouvait bien lui en apporter. Et quelquefois le père faisait déborder la tasse. Il en tombait sur la table et il léchait la table. C'est sûr. La mère lui portait à manger à l'étable : un morceau de lard, un chèvreton, une chopine. Et il demandait une pièce pour acheter du tabac. Vers le soir, il montait à la fenière pour dormir. Et le lendemain, de bonne heure, il venait dans notre maison. Il ne faut pas oublier de dire que le père lui enlevait les allumettes pour qu'il ne mette pas le feu à la fenière.

Les jeunes ont bien de la peine à le croire - il n'y a pas de jeunes ici [
protestations de l'assistance : si, si, il y en a beaucoup...non,non] - à la maison, on faisait tout ce qu'il est possible de faire : remonter les galoches, les ferrer avec des petits crampillons qui se tordaient les uns sur les autres, faire un maillet dans un morceau de bois pour casser le bois, appointer les piquets de parc. On le faisait dans un morceau d'orme, le maillet, bien dur, [un bloc] bien tordu. Il fallait faire un trou avec une tarière et enfiler un morceau [un piaton] de noisetier pour faire le manche.

Et nos grand-mères, nos mémés, elles tricotaient, tricotaient le matin et le soir, raccommodaient les sacs [de jute] que les rats avaient crevés, et si ! Elles bouchaient les trous [les truffes] des chaussettes des hommes, et si ! Elles mettaient des pièces aux genoux des pantalons, faisaient des mitaines avec des pelotes de laine. Elles étaient souvent assises derrière le fourneau ou devant la cheminée de la grande maison où vivaient trois générations et, quelquefois, en plus, un vieux tonton ou une vieille tatan qui n'étaient pas mariés. Sans compter qu'il y avait beaucoup d'enfants dans les familles. On vivait comme ça avant la dernière guerre.

Après, ça a beaucoup changé. Les premiers tracteurs sont arrivés d'Amérique. Les pioches, les faucilles, les faux, les serpes, les bechus pour arracher les pommes de terre, la bêche pour bêcher le jardin sont partis dans les musées. Et moi, moi, vieux grigou de quatre-vingt-cinq ans qui ne suis plus rien bon à faire, il m'arrive souvent que les quatre cheveux qui me restent sur la tête se lèvent tout droit quand je regarde travailler les jeunes d'après l'an 2000.

(1) Ensemble du matériel nécessaire à l'agriculture : charrettes, machines, outils...
(2) Riotes : longs rameaux, minces et flexibles, de l'osier.

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Mise à jour le 16 avril 2010