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La
police de Montbrison, autrefois
Police de Montbrison : guère
mieux qu'un gros village...
1856, Montbrison perd son titre de Préfecture de la Loire
au profit de Saint-Etienne en pleine expansion. Il s'en faut de
peu que la ville ne retombe au rang d'un gros bourg. En 1866, avec
6 475 habitants elle est au creux de la vague.
Pour assurer la police, il suffit de trois personnes : le commissaire
de police qui a sous ses ordres un agent de ville et, pour les vignes
et les jardins qui abondent dans la campagne un garde champêtre.
Et, jusqu'en 1884, ces trois hommes ne sont-ils armés que
de leur simple courage.
Les frais engagés se montent à moins de 3 000 F :
le traitement annuel du commissaire : 1 650 F, celui de l'agent de police, 600 F ; garde champêtre
500 F. Ajoutons 100 F pour vêtir l'agent et 75 F pour le chauffage
du poste de police où il n'a pas le loisir de beaucoup musarder.
C'est moins de 3 % du budget communal (1).
Monsieur le Commissaire est mal embouché
Ville sous-préfecture de moins de 7 000 habitants, Montbrison
dispose d'un commissaire de police de 4e classe.
Ce fonctionnaire porte le costume de sa fonction : gilet de piqué
blanc, pantalon uni bleu, écharpe tricolore avec frange en
soie blanche, chapeau à la française avec torsade
en argent et épée à poignée noire garde
argentée (2).
En 1866, il s'agit, sous l'habit élégant, d'un personnage
particulièrement mal embouché. Une plainte contre
lui est à l'ordre du jour du conseil municipal du 18 avril
1866. Un conseiller expose au conseil que le Commissaire
n'exerce pas d'une manière convenable la surveillance dont
il est chargé sur les places de la ville les jours de foires
et marchés.
Selon lui un grand nombre de personnes
ont cessé d'y venir à cause de lui. Il
craint que si l'on tolère plus longtemps
les excès de langage et même les voies de fait auxquels
il se livre journellement cela fasse du
tort au commerce local parce que, dit-il,
les gens de la campagne, craignant d'être victimes de ses
vexations, iront porter leurs denrées dans d'autres localités
(3).
Et M. S. (4) explique par le menu un incident qui a eu lieu sur
le marché :
J'ai voulu intervenir dernièrement
à l'occasion de propos extrêmement grossiers que M.
le Commissaire de police adressait à des femmes de la campagne
; M. le Commissaire de police répondit à mes observations
par des injures de la dernière inconvenance me disant d'aller
me faire f... que j'étais une f... bête, que ça
ne me regardait pas et d'aller cuver mon vin ailleurs...
(5)
Et l'honorable conseiller de conclure : Il
ne me paraît pas possible que le Commissaire de police, qui
est salarié par la ville et qui n'est qu'un simple agent
de l'Administration municipale lorsqu'il exerce la police des marchés
et des foires, puisse insulter impunément tout le monde et
compromettre la prospérité de nos foires et marchés...
Le conseil approuve M. S... et invite M. Majoux, le maire, à
prendre les moyens qu'il jugera les plus utiles pour faire cesser
une pareille situation. Le commissaire a-t-il été
gourmandé ? Châtia-t-il son langage pour ne pas nuire à
la prospérité locale ? Nous ne savons pas - et c'est
bien dommage - quelle suite fut donnée à l'affaire.
Cachet
de la police en 1872
Avec une canne à la poursuite
des chiens enragés
Lors de la séance du conseil municipal de 4 juin 1884, M.
Huguet propose d'acheter deux revolvers
ou deux carabines. Ces armes qui appartiendraient à la ville
seraient laissées à la disposition des agents de police.
Ces derniers, dit-il, sont dépourvus d'armes pour se mettre
à la poursuite des chiens enragés, et j'ai vu dans
plusieurs circonstances, soit le commissaire, soit Caillot [l'agent
de police] courir après ces chiens, munis d'une simple canne.
Le conseil renvoie la proposition à la commission du budget
qui approuve l'achat de deux revolvers.
Quand le violon était près
du Café de la Comédie
Un cachot, bonnement nommé "violon" par les autorités
municipales, est installé dans un recoin de l'aile sud de
la mairie. Il n'est jamais chauffé et ses malheureux locataires
en pâtissent parfois fortement. Au cours de l'hiver 1884,
arrive un incident fâcheux : un ivrogne mis au cachot dans
l'après-midi y est trouvé le lendemain matin transi
de froid. Il doit être admis d'urgence à l'hôpital
où il passe plusieurs jours. Le commissaire de police demande
alors que l'on fasse l'acquisition d'une
paillasse et de couvertures de laine. Mais le conseil
municipal rejette la demande faisant observer que ces
fournitures seront assurément lacérées, à
la prochaine occasion, par la sorte de gens qu'on dépose
au violon et qu'il faut recommander au commissaire de ne jamais
laisser aucun détenu y passer la nuit (6).
Ce violon peu accueillant est un local mitoyen du Café
de la Comédie qui occupe aussi la partie sud de la
mairie (actuellement la bibliothèque municipale) avec le
théâtre municipal voisin (actuelle salle des fêtes)
qui lui fournit son nom.
Le Café est loué par la ville pour 1830 F par an à
un certain M. Compte qui se plaint avec véhémence
de ce voisinage malcommode. Le 10 juin 1885, le cafetier écrit
au Maire pour exposer les désagréments qu'il éprouve,
au niveau du bruit et des odeurs :
- Certaines personnes qui y sont incarcérées
tiennent des propos obscènes qui sont entendu de mes enfants...
Il m'est de toute impossibilité de tenir constamment les
portes de mon établissement fermées... Vous voyez,
messieurs, combien c'est gracieux pour les consommateurs d'entendre
tout ce tapage...
- En second lieu, le baquet qui orne le
violon est souvent mis à contribution par ceux qui y sont
enfermés, l'odeur qui s'en dégage est tellement nauséabonde
que j'ai dû le faire constater par plusieurs personnes, il
est de toute nécessité d'y remédier, car les
émanations putrides qui se dégagent de cette chambre
me font redouter des malaises qui pourraient en résulter...
M. Compte demande donc le transfert du cachot ou bien que soit murée
la porte qui y donne accès au profit d'une autre ouverture
mieux disposée. Et il conclut : Vos
administrés vous en sauraient gré, car c'est bien
ennuyeux les soirs de représentations théâtrales
ou de bal de corporation d'entendre le bruit que font les individus
qui s'y trouvent enfermés (7).
Le conseil renvoie la question à M. Thevenet, architecte-voyer
de la ville, pour étude (8).
Aile
sud de la mairie
(cliché James Dulac)
Des agents vêtus de pèlerines usées jusqu'à
la corde
A la fin du 19e siècle, la situation n'a guère évolué
bien que, lentement, la population de la ville augmente un peu (7
520 habitants en 1901). Les effectifs sont toujours aussi minces
: un commissaire, deux agents mais plus de garde champêtre.
Encore ces malheureux fonctionnaires sont-ils bien mal lotis.
Le 24 janvier 1902, M. Rouot, le commissaire de police, adresse
une supplique à M. Chialvo, maire de la ville :
Mes deux agents ont, au nombre des vêtements
qui leur sont fournis par la ville, une pèlerine drap noir
qu'ils mettent par toutes les intempéries, pluie, froid ou
vent. Ces vêtements qui sont habituellement donnés
pour quatre ans ont une durée actuelle de sept ans, aussi
sont-ils usés jusqu'à la corde !
Je vous serais reconnaissant, Monsieur le Maire, de vouloir bien
provoquer l'ouverture d'un crédit de soixante francs, prix
demandé par le tailleur, et m'autoriser à en faire
de nouvelles...
Le conseil municipal, sans doute un peu
honteux, vote à l'unanimité la somme demandée
sur le chapitre des dépenses imprévues de l'exercice
1902
(9).
Les
voleurs profitent des nuits les plus obscures
Au début du siècle une série de cambriolages
commis en ville émeut la population. Le conseil municipal
s'inquiète alors de renforcer l'éclairage public comme
moyen de dissuader les monte-en-l'air.
Montbrison vit alors à la poétique - mais peu commode
- époque des allumeurs de réverbères (10).
La ville est éclairée par 160 lanternes alimentées
au gaz de ville. Allumés à la tombée de la
nuit, les becs auer sont éteints à minuit.
Lors de sa séance du 15 septembre 1904, le conseil municipal
discute de la prolongation de l'éclairage public car dit
le maire les voleurs avaient toujours profité,
pour se mettre en campagne, des nuits les plus obscures et attendu
l'extinction des becs de gaz.
Selon lui, il faudrait 30 lanternes brûlant toute la nuit,
c'est-à-dire jusqu'à 6 heures du matin du 1er octobre
au 31 mars du matin, jusqu'à 3 heures seulement du matin
du 1er avril au 30 septembre.
Renseignements pris auprès de la direction de la compagnie
du gaz il en coûterait 1 124 F 37 c. Encore cela serait-il
insuffisant, il faudrait au moins 56 lanternes allumées toute
la nuit...
Et chacun de donner son avis sur la question.
M. Fraisse dit qu'il faut éteindre à 11 h certaines
lampes pour prolonger les autres toute la nuit. M. Brassart pense
que beaucoup de propriétaires, dans les quartiers du centre
surtout accepteraient de participer à la dépense...
D'autres pensent que ce sera difficile et que certaines rue dans
l'obscurité seront ainsi désignés aux cambrioleurs.
On préconise aussi d'éteindre certaines lanternes
à minuit, d'autres à trois heures, le reste à
six heures. Mais la compagnie n'admet pas ce système trop
compliqué. En somme des économies de bouts de chandelle
!
Finalement, rien n'est tranché. Il faut effectuer des essais
décident les conseillers (11).
Faut-il
doubler le nombre d'agents ?
Au cours du même conseil municipal, le bon docteur Dulac rappelle
l'insuccès des recherches de la police après les cambriolages
qui se sont succédé à Montbrison. Mais que
fait donc la police ? Il admet que les agents se sont imposé
de grands fatigues par des rondes de nuits mais ne croit pas, fort
justement, que ces promenades nocturnes soient suffisantes pour
mettre la main au collet des malfaiteurs :
Un voleur est rarement pris en flagrant
délit et quand une arrestation de ce genre se produit c'est
plutôt par le fait du volé ou des voisins que par le
hasard qui ferait coïncider le passage des agents avec l'exécution
du vol. Il est, du reste, plus facile aux voleurs de surveiller
les allées et venues des agents qu'ils connaissent qu'aux
agents de surveiller les voleurs s'ils n'ont pas d'indications un
peu précises.
La police ne peut arriver à un résultat qu'en s'appliquant
à connaître les moyens d'existence du nombre restreint
d'individus capables de se livrer au vol, les ressources que le
travail peut leur fournir, les dépenses auxquelles ils se
livrent, l'emploi de leur temps, leurs relations...
Bref
un espionnage de tous les instants.
Et de demander : monsieur le Maire tient-il
la main à ce que la police exerce cette surveillance ?
M. Chialvo explique que, certes, il a la direction de la police
de la ville mais que son autorité n'existe
de plus en plus que de nom. Bien que payés par
la ville les agents et le commissaire de police sont aussi à
la disposition de la Sous-Préfecture et du
Parquet qui les emploient à des enquêtes, à
des courses et leur donnent beaucoup de travail.
Et comme ils n'ont pas le don d'ubiquité peut-être
faudrait-il renforcer de deux nouveaux agents les effectifs de la
police municipale.
Le conseil est toujours réticent quand il s'agit d'engager
des dépenses nouvelles. certains édiles demandent
benoîtement s'il n'y aurait pas le moyen de réserver
au service de la ville les employés qu'elle rémunère.
Evidemment non ! La loi met aussi le commissaire et ses hommes sous
les ordres du sous-préfet.
Une
solution : le bon entretien des bicyclettes des agents
Après, discussion, le Conseil décide de ne pas augmenter
le nombre des agents de police. On demande cependant au Maire, d'étudier
avec soin l'emploi du temps hebdomadaire de chaque agent afin de
rechercher d'après le temps réellement
consacré par les agents au service de la ville, sur quelles
bases doivent porter les améliorations demandées.
En somme on élude la question. Pour se faire pardonner le
conseil reconnaît que les agents
Gaurand et Roussel doivent être encouragés dans le
zèle qu'ils ont montré. Il décide
sur proposition du Maire et du docteur Dulac, d'inscrire
au budget additionnel de 1904 un crédit de 200 francs pour
leur acheter des capotes de drap et leur donner une petite subvention
pour l'entretien de leurs bicyclettes.
L'amélioration de la sécurité publique sera
donc tributaire du graissage des bicycles !
Joseph
Barou
(1)
Budget
de 1866, Procès-verbaux des délibérations
du conseil municipal de Montbrison, imp. Huguet, Montbrison,
1867. En 1883, le compte administratif donne des chiffres comparables
: traitement du commissaire de police et frais de bureau : 1800
F ; traitement d'un agent de police et indemnité de logement
: 920 F ; traitement du garde-champêtre : 600 F ; uniformes
de l'agent de police et du garde-champêtre : 200 F.
(2) Cf. pour le statut des commissaire Henry Buisson, La police
son histoire, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1958.
(3) Séance du 18 avril 1866 ; Procès-verbaux
des délibérations du conseil municipal de Montbrison...
op. cit.
(4)
Le conseiller est simplement nommé M. S... ; il s'agit
peut-être de M. Surieux qui porte cette initiale...
(5) Séance du 18 avril 1866, op. cit.
(6) Séance du 19 février 1884.
(7)
Lettre du 10 juin 1885.
(8) La porte sera effectivement murée quelque temps après.
(9) Conseil municipal du 27 janvier 1902, Procès-verbaux
des délibérations du conseil municipal de Montbrison,
imprimerie Brassart, rue Tupinerie, Montbrison, 1915.
(10) Montbrison s'éclaire au gaz
depuis le 10 août 1848.
(11) Conseil municipal du 15 octobre 1904, Procès-verbaux
des délibérations du conseil municipal de Montbrison
(1902-1904), imprimerie du Journal de Montbrison.
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Quelques
pages sur Montbrison, autrefois
textes
et documentation
Joseph Barou
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7
octobre 2011
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