Marguerite Fournier au secrétariat de la
Diana (cliché
Roger Garnier)
Marguerite
Fournier raconte...
entretien
du 9 mai 1997
à la maison de retraite de Montbrison
avec C. Latta et J.
Barou
Autrefois, la lessive, les employés de maison...
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(8 min 22 s)
La
menuiserie Néel - la Verrerie de Saint-Romain
- à l'usine Chavanne-Brun...
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(7 min 7 s)
Apprendre à faire le ménage, traductrice de plans
à Chavanne-Brun...
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(8 min 39 s)
Cueillette
des plantes et herboristeries....
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(4 min 30 s)
La
loue avant la guerre de 1914-1918
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(3 min 59 s)
Les
pharmacies montbrisonnaises
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(1 min 19 s)
Les
curés de la paroisse Notre-Dame
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(4 min 7 s)
Marguerite
Fournier-Néel
(1901-1997)
Marguerite Fournier nous a quittés
le 5 juillet 1997. Elle avait 96 ans. Auteur en 1968 d'un livre
consacré à l'histoire de Montbrison, elle avait
été pendant de nombreuses années bibliothécaire
de la Diana. En 1980, elle avait fait partie de l'équipe
fondatrice de Village de Forez.
Nous l'aimions : nous aimions son intelligence et son talent d'écrivain,
sa bonté et sa malice, sa profonde humanité et l'attention
qu'elle avait pour les autres, sa foi sans mièvrerie ni
moralisme, son esprit amoureux du passé et de l'histoire
de sa ville mais aussi sa curiosité d'esprit et la façon
qu'elle avait de se tourner vers l'avenir : à plus de 80
ans, elle suivait des cours d'anglais au Centre Social et commença
à écrire des poèmes. Elle se tenait au courant
des événements du monde et de Montbrison.
Marguerite Fournier savait qu'elle avait encore des choses à
dire et à transmettre. Dans les dernières semaines
de sa vie, elle nous a reçus, Joseph Barou et moi, dans
sa chambre de la maison de retraite et nous parlait de ce Montbrison
d'avant 1914 qu'elle avait connu, rassemblant ses souvenirs pour
que nous puissions en faire quelques articles. Mais elle s'informait
aussi de chacun de nous et des nouvelles de la ville.
J'ai rencontré Marguerite Fournier pour la première
fois en 1966, lorsque j'ai adhéré à la Diana.
C'est par elle que je me suis initié à l'histoire
de Montbrison. Un peu plus tard elle me fit lire le manuscrit
de son Montbrison, cur du Forez qui devait connaître
un grand et juste succès. Lorsque parut en 1994 mon Histoire
de Montbrison, le premier exemplaire fut pour elle et je lui portai
chez elle, avenue Alsace-Lorraine. Elle était contente
pour moi et, en quelque sorte, elle me passait le flambeau : c'est
un moment que je n'oublierai pas parce que c'est elle qui avait
su me faire aimer et connaître l'histoire de cette ancienne
capitale des comtes de Forez dont, jeune professeur, arrivant
au lycée de Montbrison en 1965, je ne savais presque rien.
La traversée du siècle
La vie de Marguerite Fournier a traversé le siècle.
Marguerite Néél - son nom de jeune fille - était
née à Montbrison à l'aube du XXe siècle,
en 1901, dans cette maison de l'avenue Alsace-Lorraine où
elle a passé toute sa vie et où elle est morte.
Elle était la fille de Jean, dit Joannès Néel
et de Henriette Marie Françoise Josserand. Son père
était artisan menuisier, d'une famille originaire de Roche.
Ses parents lui firent faire de bonnes études : élève
de la Madeleine, elle obtint le brevet supérieur. Elle
aurait voulu continuer ses études. Mais il n'était
pas encore entré dans les murs que les jeunes filles
fassent des études supérieures.
Marguerite Fournier apprit donc la sténographie, la dactylographie
et un peu de comptabilité ; puis elle entra comme secrétaire
aux établissements Chavanne-Brun qui venaient de s'installer
à Montbrison : elle a évoqué pour Joseph
Barou et moi, cette période de sa vie dans l'un de nos
derniers entretiens. Mais sa mère la reprit avec elle :
elle devait finir d'apprendre tout ce qu'une jeune fille devait
savoir faire pour tenir sa maison et pouvoir se marier : une autre
époque...
En 1924, Marguerite Néel épousa Victor Fournier,
agent d'assurances et journaliste à Montbrison. En mémoire
de son époux, décédé en 1976, Marguerite
Fournier-Néel a, après cette date, souvent signé
ses articles Marguerite V. Fournier ou Marguerite Victor-Fournier
: fidélité à un si long chemin fait ensemble.
Trois filles sont nées de leur union : Geneviève
(" Ginette ", Mme Buvat), Bernadette, (" Dadou
", Mme Pouvaret) et Marie-Thérèse (" Poucette
", Mme Michard). Elles lui ont donné dix petits-enfants
et vingt et un arrière-petits-enfants.
C'est avec son mari que Marguerite Fournier entra en journalisme.
Elle collaborait avec lui : il était le correspondant du
Nouvelliste et du Mémorial et le fut ensuite de la Dépêche.
Elle a ainsi suivi l'actualité locale pendant plus de quarante
ans, faisant son article quotidien, rendant compte des événements
de la ville, faisant les comptes rendus d'audience des séances
de la cour d'assises et écrivant, lorsque l'actualité
manquait de matière, des dizaines d'articles d'histoire
locale.
Pendant les vacances, toute la famille montait à Lérigneux.
Pendant les années de la guerre et de l'Occupation, Marguerite
Fournier enseigna l'histoire et la géographie à
l'institution de la Madeleine. Puis elle avait ensuite repris
son métier de journaliste, prenant sa retraite en 1967.
L'attachement à sa ville et à son pays forézien
n'empêchèrent pas Marguerite Fournier de parcourir
le monde et de visiter le Canada, l'U.R.S.S., l'Espagne, l'Italie
mais aussi l'Algérie et l'Egypte.
L'historienne de Montbrison
Son travail de journaliste et le goût de l'écriture
qu'il lui avait donné, sa passion et son enseignement de
l'histoire, ses dons d'observation tout au long d'une longue vie,
avaient permis à Marguerite Fournier de publier - on l'a
dit -, en 1968, un livre consacré à l'histoire de
sa ville : Montbrison, cur du Forez. Le succès qu'il
rencontra était bien mérité et trois rééditions
attestent qu'il correspondait bien à l'attachement que
les Montbrisonnais ont pour l'histoire de leur ville. Elle avait
cédé ses droits sur son ouvrage à la Ville
de Montbrison qui a publié une 4ème édition,
augmentée de nouvelles photographies. Son uvre est
donc aujourd'hui, grâce à elle, la propriété
de tous les Montbrisonnais.
Le titre Montbrison, cur du Forez
a d'ailleurs popularisé cette expression qu'elle avait
été la première à employer dans un
ouvrage collectif sur le département de la Loire auquel
elle avait collaboré : et ici, en effet, près de
la salle de la Diana et du tombeau de Guy IV, nous sommes bien
au cur de l'histoire de la province...
Marguerite Fournier était bibliothécaire de la Diana
: elle rédigea pour le Bulletin les comptes rendus, toujours
très vivants, des assemblées trimestrielles et,
parfois, des excursions annuelles : il fallait, pendant les assemblées
de la Diana, la voir prendre des notes en sténo à
toute vitesse pour ne rien manquer de ce qui se disait...
Marguerite Fournier a aussi participé à la naissance,
en 1980, de la revue d'histoire locale Village de Forez et elle
lui a donné, jusqu'à son dernier souffle, de nombreux
articles qui étaient toujours très appréciés
des lecteurs.
Sa plume était à la fois érudite et alerte.
Elle avait été formée à la bonne école
qu'est le journalisme : il faut, à l'instant, noter beaucoup
de choses, faire très vite le tri de l'essentiel et de
l'accessoire, remarquer les détails et les paroles significatifs,
rédiger très vite, ne pas être trop long,
écrire pour être compris de tous : discipline qui
impose aussi de maîtriser parfaitement la langue française
et d'être capable de donner du style à un "papier"
pourtant voué à l'éphémère.
Marguerite Fournier avait ainsi acquis et gardé le "coup
de patte" de la journaliste et le sens de l'anecdote qui
éclaire un sujet. Elle savait écrire.
Deux exemples de ce talent d'écriture :
Dans ses souvenirs d'enfance, Marguerite Fournier raconte la modernisation
par son père de son atelier de menuiserie :
Mon père fut le premier à
installer, au début du siècle, des machines-outils,
transformant ainsi son atelier de menuiserie à la main
en atelier de "menuiserie mécanique"... Ces machines
marchaient au gaz, mues par un énorme moteur à volant
placé au fond de l'atelier sur un bâti de ciment,
qui tournait en faisant un bruit sourd accompagnant de sa voix
de basse la voix grinçante des scies (...)
Dieu sait si cette innovation effaroucha
les Montbrisonnais. "Ces machines brûlent le bois"
disaient-ils d'un ton sentencieux en passant devant la porte de
l'atelier. Peu s'en fallut que mon père ne perdît
tous ses clients !
Tout est dit dans cette histoire : le progrès technique
et la résistance au progrès...
Un autre exemple : dans ses souvenirs de chroniqueur judiciaire,
Marguerite Fournier évoque le retour vers la gare de Montbrison
du bourreau qui vient de procéder à une exécution
capitale :
C'était le 10 février 1948,
le jour du Mardi gras. Fidèle à la tradition, je
faisais de bugnes et avais ouvert la fenêtre du rez-de-chaussée
d'où se répandait sur l'avenue une délicieuse
odeur... Mon chat se chauffait au soleil, déjà ardent
pour la saison ; tout était calme dans le quartier ; quelques
voyageurs montaient à la gare, et, parmi ceux-ci, un petit
monsieur bien mis, escorté de deux solides gaillards. C'était
Desfourneaux, "l'exécuteur des hautes uvres"
et ses aides qui, leur besogne terminée, allaient reprendre
le train dans lequel voyagerait leur sinistre machine !
Et il se produisit cette chose inouïe : après avoir
humé l'air parfumé de mes bugnes, le petit monsieur
se mit à caresser mon chat qui en ronronnait de plaisir...
Je crois même qu'il lui parla gentiment, en ami des bêtes,
lui qui, quelques heures auparavant, avait envoyé deux
malheureux hommes au trépas ! (...) Que de contradictions dans le comportement
des humains !
En tout cas, la caresse de cette "main tachée de sang"
ne porta pas bonheur à Mickey qui mourut la même
année.
L'engagement dans les affaires de la cité
Marguerite Fournier fut, au cours de deux mandats (1953-1959 et
1959-1965), conseillère municipale de Montbrison, alors
qu'André Mascle et Louis Croizier étaient maires
de la ville. Elle avait été l'une des premières
femmes à entrer au conseil municipal, ce qui n'était
pas pour elle un mince sujet de fierté. Elle fit partie
du groupe qui rénova la bibliothèque municipale.
Croyante et généreuse, Marguerite Fournier s'occupa
de nombreuses activités paroissiales et sociales : elle
militait au Secours catholique, faisait partie d'un groupe d'A.C.I.
(Action Catholique Indépendante) et de l'Association montbrisonnaise
d'aide aux lépreux. Elle fit longtemps partie du conseil
d'administration de la Maison Jean-Baptiste-d'Allard. Elle donna
des cours d'alphabétisation aux étrangers. Elle
visita pendant de nombreuses années les personnes âgées
de la maison de retraite.
Quant à ses samedis après-midi, ils étaient
consacrés, nous l'avons dit, à la Diana et au service
de sa bibliothèque. Celle-ci ne fonctionnait pas, comme
aujourd'hui, au "Jacassoir" mais dans le petit bureau
inconfortable et mal chauffé qu'occupent aujourd'hui, sous
la houlette de Robert Périchon, les archéologues
: la convivialité y était la même.
Marguerite Fournier n'aimait guère les conflits. Mais lorsque
la ville fut coupée en deux par le conflit du Centre Social
et de la Municipalité, elle se refusa à choisir
et, ostensiblement, garda son amitié à ceux qui
dans les deux camps s'affrontaient et participa aux activités
organisées de chaque côté, agissant discrètement
pour calmer les esprits et maintenir les liens qui pouvaient être
maintenus. Lorsqu'en 1993, un hommage public lui fut rendu à
la Diana, Joseph Barou, parlant au nom de Village de Forez et
du Centre Social, rappela ce fait. Le docteur Poirieux, maire
de Montbrison, vint lui dire, après la séance, qu'il
avait bien fait de dire quel rôle Marguerite Fournier avait
alors joué.
Hommages
Marguerite Fournier reçut en 1993 l'hommage de ses amis
et de tous ceux qui l'estimaient : la Diana et Village
de Forez publièrent en commun un "Marguerite Fournier
raconte..." qui rassemblait tous ses articles, regroupés
par thèmes et auxquels elle avait accepté d'ajouter
quelques-uns de ses poèmes. Ce recueil avait été
préfacé par le comte Olivier de Sugny, président
d'honneur de la Diana et magnifiquement illustré par des
dessins de Claude Beaudinat.
Le vicomte Maurice de Meaux,
président de la Diana lui rendit hommage au nom de cette
société savante. Joseph Barou et Jean-Paul Jasserand
prirent aussi la parole au nom de Village de Forez et de cette
communauté des journalistes dont elle avait été
si fière de faire partie.
Les deux chefs-d'uvre de ce recueil de Marguerite Fournier
étaient incontestablement ses Souvenirs d'enfance et ses
Souvenirs de cour d'assises.
Les premiers, publiés en 1984, avaient été
écrits, à l'origine, pour Elisabeth, l'une de ses
petites-filles qui avait souhaité recevoir, pour ses vingt
ans, cet inestimable cadeau de sa grand-mère : le récit
de son enfance. Ce cadeau profite aujourd'hui à tous :
c'est une évocation tendre et précise du Montbrison
de la Belle Epoque et de la vie d'une famille d'artisans avant
la grande Guerre.
Les Souvenirs de cour d'assises furent publiés un peu plus
tard : l'étonnante mémoire du chroniqueur judiciaire
qu'elle avait été lui permettait de faire revivre
l'époque où les séances de la cour d'assises
de la Loire se tenaient dans l'ancienne chapelle de la Visitation
de Montbrison. Marguerite Fournier sut évoquer avec talent
tout l'apparat de la cour d'assises où la présence
du jury rappelle que les jugements sont rendus "au nom du
peuple français", mais aussi faire revivre les figures,
souvent hautes en couleur de tant de magistrats et d'avocats,
drapés dans leurs robes rouges ou noires, venus juger ou
défendre des accusés livrés à la curiosité
du public, odieux ou pitoyables - souvent les deux à la
fois. Le talent et l'extraordinaire mémoire de Marguerite
Fournier nous restituaient ainsi tout un pan de l'histoire de
la ville.
Ces souvenirs sont maintenant de l'histoire : la victoire de la
mémoire sur l'éphémère et l'oubli.
La victoire de la vie sur la mort.
Marguerite Fournier avait été aussi honorée
de deux distinctions, bien méritées : elle était
chevalier des Arts et Lettres et chevalier de l'ordre des Palmes
académiques. Francisque Ferret, vice-président de
la Diana et le docteur Poirieux, maire de Montbrison, lui avaient
remis ces distinctions.
Le cinéma aussi lui avait rendu hommage à sa manière
puisque Geneviève Bastid avait tourné pour la télévision
un film dont Marguerite Fournier était "l'actrice"
principale : la réalisatrice avait, en effet, souhaité
évoquer son enfance à Montbrison pendant l'Occupation
et se souvenait de celle qu'elle appelait "Tante Guite"...
Une longue vieillesse
Ces dernières années Marguerite Fournier avait bien
du mal à se déplacer. Elle continuait cependant
d'écrire, parfois directement sur sa vieille machine à
écrire - habitude gardée du journalisme -, regardait
la télévision, recevait ses amis, rassemblait pour
les fêtes tous ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants
: pour tous, elle était "maman Guite". Un arbre
généalogique, rassemblant les noms de tous, avec
leurs photographies, était affiché dans la salle
où elle se tenait habituellement, en jetant un il
sur les passages de l'avenue Alsace-Lorraine.
Les épreuves ne lui avaient pas manqué : elle avait
perdu successivement son mari (1976), sa fille Bernadette Pouvaret
("Dadou") qui était professeur de dessin à
Verrières et qui fut aussi un peintre de talent (1986),
l'un de ses petits-fils, François Michard, mort à
28 ans (1988), son frère Henri Néel, ancien artisan
menuisier, qui avait fait beaucoup de théâtre amateur
à Montbrison, et qui vécut ses dernières
années avec elle (1991). Ces deuils l'avaient profondément
atteinte mais sa foi chrétienne lui permit de les supporter
vaillamment.
Elle fut active jusqu'au bout : on venait la chercher pour aller
à une conférence, assister à un concert ou
à un opéra à Saint-Etienne, écouter
les communications de l'assemblée de la Diana. En 1997,
elle donna encore un article - sur saint Aubrin, patron de Montbrison
- à Village de Forez. Ne pouvant finalement plus vivre
seule, elle était entrée depuis quelques mois à
la maison de retraite et avait donné une partie de ses
archives à la Diana.
Entourée par les siens, Marguerite Fournier est revenue
mourir dans sa maison natale de l'avenue Alsace-Lorraine.
Le conseil municipal de Montbrison a observé, lors de sa
séance de juillet 1997, une minute de silence à
la mémoire de Marguerite Fournier. La Tribune-Le Progrès
et le Bulletin municipal lui ont consacré un article. La
Diana lui a rendu hommage par la voix de Francisque Ferret et
de Noël Gardon. Village de Forez lui consacre ici un numéro
spécial : hommage mérité de toute une ville
mais aussi des historiens et des amateurs d'histoire et qui marque
notre reconnaissance et notre affection à cette vieille
dame qui, avec tant de jeunesse d'esprit, avait su raconter, avec
son cur, leur propre histoire aux Montbrisonnais.
(Extrait de Marguerite Fournier-Néel
(1901-1997), Montbrison, Village de Forez, 1998)
Claude
Latta
La Diana
Articles de Marguerite
Fournier en ligne (format pdf)
Causerie
du 6 avril 2010
à la bibliothèque municipale de Montbrison
Marguerite
Fournier (1901-1997)
Une
femme et sa ville
Marguerite
Fournier a écrit une histoire de Montbrison : Montbrison
cur du Forez, publié en 1968. Elle a été
pendant de nombreuses années bibliothécaire de
la Diana. En 1980, elle avait fait partie de l'équipe
fondatrice de Village de Forez. Conseillère municipale,
elle a été engagée dans de nombreuses activités
paroissiales et sociales. Ce fut une figure de Montbrison, une
femme dans sa ville
La
Bibliothèque Municipale nous a demandés à
Joseph Barou et moi d'évoquer la personnalité
et l'uvre de Marguerite Fournier. Nous le faisons volontiers,
avec toute l'affection qui nous liait à elle. Nous avons
demandé à Danielle Bory de se joindre à
nous pour quelques lectures de textes de Marguerite Fournier.
Nous
aimions Marguerite Fournier : nous aimions son intelligence
et son talent d'écrivain, sa bonté et sa malice,
sa profonde humanité et l'attention qu'elle avait pour
les autres, sa foi sans mièvrerie ni moralisme, son esprit
amoureux du passé et de l'histoire de sa ville mais aussi
sa curiosité d'esprit et la façon qu'elle avait
de se tourner vers l'avenir : à plus de 80 ans, elle
suivait des cours d'Anglais au Centre Social et commença
à écrire des poèmes. Elle donnait des cours
d'alphabétisation aux étrangers. Elle voyageait
et se tenait au courant des événements du monde
et de Montbrison.
J'ai
rencontré Marguerite Fournier pour la première
fois en 1966, lorsque j'ai adhéré à la
Diana. C'est par elle que je me suis initié à
l'histoire de Montbrison. Un peu plus tard elle me fit lire
le manuscrit de son Montbrison, cur du Forez qui devait
connaître un grand et juste succès. Lorsque parut
en 1994 mon Histoire de Montbrison, le premier exemplaire fut
pour elle et je lui portais chez elle, avenue Alsace-Lorraine.
Elle était contente pour moi et, en quelque sorte, elle
me passait le flambeau : c'est un moment que je n'oublierai
pas parce que c'est elle qui avait su me faire aimer et connaître
l'histoire de Montbrison dont, jeune professeur, arrivant au
lycée de Montbrison en 1965, je ne savais presque rien.
Cl. Latta
J'ai
connu Marguerite Fournier dans les vingt-cinq dernières
années de sa vie. Dans mon souvenir, j'associe son visage
serein et sa fluette silhouette à quelques lieux précis
où je l'ai rencontrée et que j'évoquerai
dans un instant. Il s'agissait d'endroits qui, pour elle, avaient,
je crois, une grande importance : la Diana, la collégiale
Notre-Dame et sa maison de l'avenue Alsace-Lorraine.
J.
Barou
La
vie de Marguerite Fournier a traversé le siècle.
Marguerite Néél - son nom de jeune fille - était
née à Montbrison à l'aube du XXe siècle,
en 1901 dans cette maison de l'avenue Alsace-Lorraine où
elle a passé toute sa vie et où elle est morte.
Elle était la fille de Jean, dit Joannès Néel
et de Henriette Marie Françoise Josserand. Son père
était artisan menuisier, d'une famille originaire de
Roche. Ses parents lui firent faire de bonnes études
: élève de la Madeleine, elle obtint le brevet
supérieur, ce qui était alors l'équivalent
du baccalauréat (on le passait aussi à la fin
du cycle d'études de l'Ecole Normale). Elle aurait voulu
continuer ses études. Mais il n'était pas encore
entré dans les murs que les jeunes filles fassent
des études supérieures.
Marguerite
Fournier apprit donc la sténographie, la dactylographie
et un peu de comptabilité ; puis elle entra comme secrétaire
aux établissements Chavanne-Brun qui venaient de s'installer
à Montbrison : elle a évoqué pour Joseph
Barou et moi, cette période de sa vie dans l'un de nos
derniers entretiens. Mais sa mère la reprit avec elle
: elle devait finir d'apprendre tout ce qu'une jeune fille devait
savoir faire pour tenir sa maison et pouvoir se marier : une
autre époque...
En
1924, Marguerite Néel épousa Victor Fournier,
agent d'assurances et journaliste à Montbrison. En mémoire
de son époux, décédé en 1976, Marguerite
Fournier-Néel a, après cette date, souvent signé
ses articles Marguerite V. Fournier ou Marguerite Victor-Fournier
: fidélité à un si long chemin fait ensemble.
Trois filles sont nées de leur union : Geneviève
(" Ginette ", Mme Buvat), Bernadette (" Dadou
", Mme Pouvaret) et Marie-Thérèse ("
Poucette ", Mme Michard). Elles lui ont donné dix
petits-enfants. En 1997, elle avait vingt-et-un arrière-petits-enfants,
sans doute davantage encore aujourd'hui.
C'est
avec son mari que Marguerite Fournier commença son activité
de journaliste. Elle collaborait avec lui : il était
le correspondant du Nouvelliste et du Mémorial et le
fut ensuite de la Dépêche. Elle a ainsi suivi l'actualité
locale pendant plus de quarante ans, faisant son article quotidien,
rendant compte des événements de la ville, faisant
les comptes rendus d'audience des séances de la Cour
d'Assises et, écrivant, lorsque l'actualité manquait
de matière, des dizaines d'articles d'histoire locale.
Pendant
les années de la guerre et de l'Occupation, Marguerite
Fournier enseigna l'histoire et la géographie à
l'Institution de la Madeleine. Puis elle avait ensuite repris
son métier de journaliste, prenant sa retraite en 1967.
L'attachement à sa ville et à son pays forézien
n'empêchèrent pas Marguerite Fournier de parcourir
le monde et de visiter le Canada, l'U.R.S.S., l'Espagne, l'Italie
mais aussi l'Algérie et l'Egypte.
Son
travail de journaliste et le goût de l'écriture
qu'il lui avait donnée, sa passion et son enseignement
de l'Histoire, ses dons d'observation, les recherches faites
pour ses articles d'histoire, la qualité de son style,
avaient conduit Marguerite Fournier à rédiger
et à publier en 1968, un livre consacré à
l'histoire de sa ville : Montbrison, cur du Forez. Le
succès qu'il rencontra était bien mérité
et trois rééditions attestent qu'il correspondait
bien à l'attachement que les Montbrisonnais ont pour
l'histoire de leur ville. Elle avait cédé ses
droits sur son ouvrage à la Ville de Montbrison qui a
publié une 4ème édition, augmentée
de nouvelles photographies. Son uvre est donc aujourd'hui,
grâce à elle, la propriété de tous
les Montbrisonnais. Le titre Montbrison, cur du Forez
a d'ailleurs popularisé cette expression qu'elle avait
été la première à employer dans
un ouvrage collectif sur le département de la Loire auquel
elle avait collaboré.
Outre
de nombreux articles, Marguerite Fournier a donné à
Village de Forez deux textes extraordinaires de souvenirs, deux
véritables petits chefs d'uvre : ses Souvenirs
d'enfance et ses Souvenirs de Cour d'assises.
- Les premiers, publiés en 1984, avaient été
écrits, à l'origine, pour Elisabeth, l'une de
ses petites-filles qui avait souhaité recevoir, pour
ses vingt ans, cet inestimable cadeau de sa grand-mère
: le récit de son enfance. Ce cadeau profite aujourd'hui
à tous : c'est une évocation tendre et précise
du Montbrison de la Belle Epoque et de la vie d'une famille
d'artisans avant la grande Guerre.
- Les Souvenirs de Cour d'Assises furent publiés un peu
plus tard : l'étonnante mémoire du chroniqueur
judiciaire qu'elle avait été lui permettait de
faire revivre l'époque où les séances de
la Cour d'assises de la Loire se tenaient dans l'ancienne chapelle
de la Visitation de Montbrison. Marguerite Fournier sut évoquer
avec talent tout l'apparat de la Cour d'Assises où la
présence du jury rappelle que les jugements sont rendus
" au nom du peuple français ", mais aussi faire
revivre les figures, souvent hautes en couleur de tant de magistrats
et d'avocats, drapés dans leurs robes rouges ou noires,
venus juger ou défendre des accusés livrés
à la curiosité du public, odieux ou pitoyables
- souvent les deux à la fois. Le talent et l'extraordinaire
mémoire de Marguerite
Fournier nous restituaient ainsi tout un pan de l'Histoire de
la ville.
Cl.
Latta
Lectures
de texte de Marguerite Fournier (lues par Danielle
Bory)
Un extrait des Souvenirs d'enfance : " Montbrison au début
du siècle "
Les
premières images qui me reviennent à la mémoire
sont, évidemment, celles de mon quartier, cette avenue
Alsace-Lorraine tracée en 1867 pour desservir la gare
du chemin de fer P.L.M. inaugurée en 1865 [ ]
".
Il
n'y avait d'ailleurs à Montbrison qu'un unique marchand
de primeurs : le père Beaujeu. C'était un vieil
homme quelque peu bancal, vêtu, hiver comme été,
d'un complet de velours côtelé et coiffé
d'un éternel panama. Il tenait, place Saint-André,
une toute petite boutique tapissée avec les illustrés
de l'époque : Le Petit Parisien, Le petit Journal, etc.,
mais il ne se contentait pas d'y attendre les clients. Chaque
après-midi, il parcourait les rues de la ville, poussant
une voiturette de marchand des quatre-saisons. On l'entendait
venir de loin, mi-criant, mi-chantant son refrain attitré
:
- Allez les ménazères
(car il zozotait) voilà
le petit pois, voilà le melon, voilà la courze
(c'était, avec lui toujours
au singulier).
La tactique pour ma mère était de faire la sourde
oreille et de lui laisser continuer son chemin... puis de le
rappeler au platane suivant :
- Eh ! Père Beaujeu
qu'avez-vous de bon aujourd'hui ?
Il n'avait pas son pareil pour vanter sa marchandise et ses
affaires allaient bon train. Il fut le premier à Montbrison
à recevoir de la marée fraîche mais ne la
promena pas dans les rues, la réservant pour le magasin.
J'ai
connu aussi La Marie-Dentelle, une vieille clocharde qui fumait
la pipe autour des arbres, insultant tous ceux qui passaient
J'ai connu Minimi, le roi des poivrots, poursuivi par une horde
de gamins braillards... bref, tout le folklore montbrisonnais.
Un article d'histoire locale (Village de Forez)
Une culture perdue : le mûrier
"Chantez,
chantez, magnanarelles" - car la cueillette aime les chants...
Sous le ciel forézien s'élevait la chanson provençale,
au temps où le mûrier croissait sur notre terre
et où les cocons s'entassaient dans nos magnaneries...
Cela dura tout un siècle (de la fin du XVIIIe à
la fin du XIXe), puis la culture du mûrier périclita
et l'élevage du ver à soie disparut à tout
jamais de notre région. Ce fut, en somme, une de ces
industries épisodiques venues on ne sait comment et reparties
de même.
( .) La
première mention d'une plantation de mûriers dans
la plaine du Forez date de 1818. Le chevalier de Bruyas obtient
une prime de 300 F pour les 1 070 mûriers de sa propriété
de Savigneux. En 1820, c'est au tour de M. Bourjade à
( ) Précieux, de recevoir une prime pour une plantation
de 955 mûriers.
Cependant les propriétaires n'élèvent pas
encore de vers à soie et il faut attendre 1831 pour noter
la première récolte dans l'arrondissement de Montbrison.
Elle est de 550 kg de cocons jaunes. Ce chiffre progresse rapidement.
Cinq ans plus tard, le poids atteint 5 000 kg. Les mûriers
sont alors si abondants dans la plaine du Forez qu'ils nécessitent
chaque année l'envoi par le gouvernement ( ) d'un
tailleur spécialisé qui emploie 50 journées
à leur entretien. C'est dire que rien ne fut économisé
pour vulgariser leur culture. On leur reconnaît aussi
une autre qualité : celle d'assainir la plaine alors
très marécageuse, Ils y forment de beaux !lots
de verdure ou serpentent agréablement le long des chemins
pierreux...
Et pourtant, c'est, en 1867, la chute brutale et inattendue.
Les vers à soie prennent la maladie, les arbres périssent,
le chant des magnanarelles s'éteint... Rien ne pourra
le réveiller. C'en est fini, et bien fini, d'une culture
qui a cependant prospéré pendant un siècle
!...
Quelques
mûriers survivants en sont encore les témoins.
On en trouve, ça et là, isolés à
travers les terres, mais le plus bel ensemble - dernier vestige
de la prospérité passée - se trouve au
bord du chemin reliant le hameau de Champ au bourg de Mornand...
Une cinquantaine de vieux mûriers, solides et trapus,
fortement enracinés dans la terre forézienne balancent
en été leur panache vert à l'ombre duquel
ne vient plus s'asseoir Mireille ".
On
remarquera les qualités de cet article : documentation,
style, concision
Marguerite Fournier à la Diana
Tout
d'abord je revois Marguerite Fournier à la Diana, non
dans la grande salle héraldique, solennelle et froide
- glaciale en hiver - ou dans l'actuelle salle de lecture mais
dans l'ancien secrétariat, une petite pièce vieillotte
surchargée de livres où elle a tenu de longues
années le registre des prêts de la bibliothèque.
Elle attendait paisiblement assise derrière le grand
livre, donnant une âme à ce lieu de rencontres
et de conversations familières qui n'avait rien à
voir avec un banal local administratif. Dans les années
soixante-dix s'y retrouvaient Jean Bruel, M. Parret, Roger Garnier,
le père Jean Canard, le colonel de Nardin, Noël
Gardon, Francisque Ferret, parfois M. de Sugny...
Discrète, elle ne se déplaçait pas et enregistrait
les ouvrages que les habitués allaient glaner, qui dans
un soubassement ou une vitrine de la grande salle, qui à
l'étage après avoir emprunté le petit escalier
de fer en colimaçon qui grinçait. Elle répondait
aussi, avec bienveillance, à toute demande de renseignements,
contant parfois une anecdote, rapportant un souvenir sur l'histoire
de la ville et de ses gens.
Je
me souviens l'avoir entendu raconter l'histoire du curé
de Saint-Pierre, le père Jean-Marie Durand qui, pendant
l'Occupation, avait été interrogé par un
officier allemand : "Monsieur le curé, connaissez-vous
des juifs ? Non, mais mon patron l'était !" avait
rétorqué l'ancien combattant de 1914-1918 en se
tournant vers le crucifix. Ou encore évoquer un épisode
de la bataille de Lérigneux alors qu'elle était
en vacances dans ce village. Elle avait passé ce moment
difficile en racontant une histoire à ses filles...
J.
Barou
La
plume de Marguerite Fournier était à la fois érudite
et alerte. Elle avait été formée à
la bonne école qu'est le journalisme : il faut, à
l'instant, noter beaucoup de choses, faire très vite
le tri de l'essentiel et de l'accessoire, remarquer les détails
et les paroles significatifs, rédiger très vite,
ne pas être trop long, écrire pour être compris
de tous : discipline qui impose aussi de maîtriser parfaitement
la langue française et d'être capable de donner
du style à un " papier " pourtant voué
à l'éphémère. Marguerite Fournier
avait ainsi acquis et gardé le "coup de patte "
de la journaliste et le sens de l'anecdote qui éclaire
un sujet. Elle savait écrire.
Cl.
Latta
Lecture Danielle Bory
Deux
exemples de ce talent d'écriture
Dans
ses Souvenirs d'enfance, Marguerite Fournier, raconte la modernisation
par son père de son atelier de menuiserie :
"
Mon père fut le premier à installer, au début
du siècle, des machines- outils, transformant ainsi son
atelier de menuiserie à la main en atelier de "menuiserie
mécanique"... Ces machines marchaient au gaz, mues
par un énorme moteur à volant placé au
fond de l'atelier sur un bâti de ciment, qui tournait
en faisant un bruit sourd accompagnant de sa voix de basse la
voix grinçante des scies (...)
Dieu sait si cette innovation effaroucha les Montbrisonnais.
"Ces machines brûlent le bois" disaient-ils
d'un ton sentencieux en passant devant la porte de l'atelier.
Peu s'en fallut que mon père ne perdit tous ses clients
! "
Tout
est dit dans cette histoire : le progrès technique et
la résistance au progrès...
Un
autre exemple : dans ses Souvenirs judiciaires, Marguerite Fournier
évoque le retour vers la gare de Montbrison du bourreau
qui vient de procéder à une exécution capitale
:
"
C'était le 10 février 1948, le jour du mardi-gras.
Fidèle à la tradition, je faisais de bugnes et
avais ouvert la fenêtre du rez-de-chaussée d'où
se répandait sur l'avenue une délicieuse odeur...
Mon chat se chauffait au soleil, déjà ardent pour
la saison ; tout était calme dans le quartier ; quelques
voyageurs montaient à la gare, et, parmi ceux-ci, un
petit monsieur bien mis, escorté de deux solides gaillards.
C'était Desfourneaux, " l'exécuteur des hautes
uvres " et ses aides qui, leur besogne terminée,
allaient reprendre le train dans lequel voyagerait leur sinistre
machine !
Et
il se produisit cette chose inouïe : après avoir
humé l'air parfumé de mes bugnes, le petit monsieur
se mit à caresser mon chat qui en ronronnait de plaisir...
Je crois même qu'il lui parla gentiment, en ami des bêtes,
lui qui, quelques heures auparavant, avait envoyé deux
malheureux hommes au trépas ! (..)
Que de contradictions dans le comportement des humains !
En tout cas, la caresse de cette " main tachée de
sang " ne porta pas bonheur à Mickey qui mourut
la même année.
Marguerite
Fournier fut à quatre reprises candidate aux élections
municipales de Montbrison : " quatre fois candidate, deux
fois élue " disait-elle. Au cours de ses deux mandats
(1953-1959 et 1959-1965), elle fut conseillère municipale
d'André Mascle et de Louis Croizier alors maires de la
ville. Elle avait été l'une des premières
femmes à entrer au conseil municipal, ce qui n'était
pas pour elle un mince sujet de fierté. Elle fit partie
du groupe qui rénova la bibliothèque municipale.
Croyante
et généreuse, Marguerite Fournier s'occupa de
nombreuses activités paroissiales et sociales : elle
militait au Secours catholique, faisait partie d'un groupe d'ACI
(Action Catholique Indépendante). Elle fit longtemps
partie du Conseil d'administration de la Maison Jean-Baptiste
d'Allard. Elle donna des cours d'alphabétisation aux
étrangers. Elle visita pendant de nombreuses années
les personnes âgées de la Maison de retraite.
Marguerite
Fournier n'aimait guère les conflits. Mais lorsque la
ville fut coupée en deux par le conflit du Centre Social
et de la Municipalité, elle se refusa à choisir
et, ostensiblement, garda son amitié à ceux qui
dans les deux camps s'affrontaient et participa aux activités
organisées de chaque côté, agissant discrètement
pour calmer les esprits et maintenir les liens qui pouvaient
être maintenus. Lorsqu'en 1993, un hommage public lui
fut rendu à la Diana, Joseph Barou, parlant au nom de
Village de Forez et du Centre Social, rappela ce fait. Le Docteur
Poirieux, maire de Montbrison, vint lui dire, après la
séance, qu'il avait bien fait de dire quel rôle
Marguerite Fournier avait alors joué.
Cl.
Latta
Marguerite
Fournier et la collégiale Notre-Dame
Haut
lieu encore pour Marguerite Fournier : la collégiale
Notre-Dame-d'Espérance. Elle rendait de multiples services
à sa paroisse. Elle en avait bien connu tous les curés
depuis le début du siècle et elle appréciait
particulièrement le père Jacques Court. Quand
on annonça le départ de ce dernier pour Saint-Etienne,
elle fut, comme beaucoup de paroissiens, désolée.
Je la revois, un dimanche matin, sous le porche de la collégiale,
assise derrière une petite table, proposer aux fidèles
qui entraient pour la messe une pétition à signer.
Il s'agissait de demander à l'évêque de
changer ses projets... ce qu'il ne fit pas. Et elle se mit au
service du successeur du père Court.
Elle
n'hésitait pas à payer de sa personne. Avec une
autre personne des équipes liturgiques, je l'entends
encore présenter un mouvement d'action catholique à
une assemblée dominicale :
- Vie montante est-il un mouvement de personnes âgées
?
- Pas du tout...! Répondait-elle avec une voix délicieusement
chevrotante.
Elle fut longtemps catéchiste pour les enfants des écoles
publiques, jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans.
Et qui connaît un peu les enfants d'aujourd'hui mesure
ce qui lui fallait d'ouverture d'esprit, de gentillesse, de
patience et de sens pédagogique pour intéresser,
le mercredi matin, un groupe de huit ou dix garçons et
filles en leur parlant de Dieu.
A l'occasion de rencontres de catéchisme, nous nous retrouvions
dans la salle Notre-Dame pour des préparations communes.
Je me souviens l'avoir entendu parler de la mort lors de l'une
de ces réunions. Elle disait que, pour elle, ce passage
n'avait rien de dramatique et que, le moment venu, elle avait
toute confiance en Dieu. Sa sérénité était
impressionnante.
J.
Barou
Lecture
de Danielle
Bory
Un extrait du poème "Notre-Dame" (1986)
dédié (à
tous ceux qui, depuis sept siècles, ont prié à
Notre-Dame)
ô
notre-Dame d'Espérance,
Comme je voudrais te chanter !
Je te connais depuis l'enfance,
Toute ma vie je t'ai aimée !
Elle fut bien longue ma vie !
Que d'évènements l'ont marquée
Et. dans ton enceinte bénie,
Combien de fois ai-je prié ! ( )
Voici nos Comtes de Forez,
Guy IV et son enfantelet
Qui, à cinq ans, eut la faveur
De poser ta pierre d'honneur.
( )
Un jour Montbrison fut en liesse
Pour accueillir le Roi François
Qui s'en alla ouïr la messe
Dans ce cadre digne des rois.
Ce
fut un moment historique
Sur son trône, le souverain
Reçut dans le vaisseau gothique
L'hommage de ses Foréziens !
( )
Mais il y eut aussi, hélas
Des jours de deuil et de souffrance
Où les cloches sonnèrent le glas,
Où ce fut la désespérance !
Aujourd'hui
je ne veux penser
Qu'à ce qui enchanta nos pères
Au cours des longs siècles passés
A l'ombre de nos vieilles pierres.
C'est
comme un essaim bourdonnant
Entre ces murs chargés d'histoire,
Tout est mêlé : vieillards, enfants,
Ouvriers et bourgeois notoires,
Magistrats
aux toques d'hermine,
Clercs, laboureurs, échevins,
Belles dames en crinolines,
Et vous les marchands de tupins !
Et dans cette chaîne des âges
J'ai pris ma place et ,j'ai marché.
En côtoyant sur mon passage
Des saints et des héros cachés !
( )
Continue à les accueillir
Dans ton insigne Collégiale,
Etends tes mains pour les bénir,
Toi, Notre-Dame !
Marguerite
Fournier reçut en 1993 l'hommage de ses amis et de tous
ceux qui l'estimaient : la Diana et Village de Forez publièrent
en commun un " Marguerite Fournier raconte..." qui
rassemblait tous ses articles, regroupés par thèmes
et auxquels elle avait accepté d'ajouter quelques-uns
de ses poèmes. Ce recueil avait été préfacé
par le comte Olivier de Sugny, président d'Honneur de
la Diana et magnifiquement illustré par des dessins de
Claude Beaudinat. Lors de la présentation de ce recueil,
Joseph Barou et Jean-Paul Jasserand prirent la parole au nom
de Village de Forez et de cette communauté des journalistes
dont elle avait été si fière de faire partie.
Marguerite Fournier avait été aussi honorée
de deux distinctions, bien méritées : elle était
chevalier des Arts et Lettres et chevalier de l'Ordre des Palmes
Académiques. Francisque Ferret, vice-président
de la Diana et le docteur Poirieux, maire de Montbrison, lui
avaient remis ces distinctions.
Le
cinéma aussi lui avait rendu hommage à sa manière
puisque Geneviève Bastid avait tourné pour la
Télévision un film dont Marguerite Fournier était
l' " actrice " principale : la réalisatrice
avait, en effet, souhaité évoquer son enfance
à Montbrison pendant l'Occupation et se souvenait de
celle qu'elle appelait " Tante Guite "...
Dans
ses dernières années Marguerite Fournier avait
bien du mal à se déplacer. Elle continuait cependant
d'écrire, parfois directement sur sa vieille machine
à écrire, regardait " questions pour un champion
" à la télévision dans la petite pièce
qui donnait sur le jardin, recevait ses amis, rassemblait pour
les fêtes tous ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants
: pour tous, elle était " maman Guite ". Un
arbre généalogique, rassemblant les noms de tous,
avec leurs photographies, était affiché dans la
salle où elle se tenait habituellement, en jetant un
il sur les passages de l'avenue Alsace-Lorraine.
Les
épreuves ne lui avaient pas manqué : elle avait
perdu successivement son mari (1976), sa fille Bernadette Pouvaret
- " Dadou " - (1986) qui était professeur de
dessin à Verrières et qui fut aussi un peintre
de talent, l'un de ses petits-fils, François Michard,
mort à 28 ans (1988), son frère Henri Néel,
ancien artisan menuisier, qui avait fait beaucoup de théâtre
amateur à Montbrison, et qui vécut ses dernières
années avec elle (1991). Ces deuils l'avaient profondément
atteinte mais sa foi chrétienne lui permit de les supporter
vaillamment.
Elle
fut active jusqu'au bout : on venait la chercher pour aller
à une conférence, assister à un concert
ou à un opéra à Saint-Etienne, écouter
les communications de l'assemblée de la Diana. Elle alla
voir en 1988 l'exposition Van Gogh au musée d'Orsay à
Paris - je l'avais trouvée dans la file d'attente qui
s'allongeait le long du quai de la Seine par un froid glacial
! -
Cl.
Latta
Troisième
lieu lié pour moi à Marguerite Fournier : sa maison
de l'avenue Alsace-Lorraine où elle est née et
où elle est morte, lui rappelait sa famille, son père
artisan menuisier, son frère Henri qui a toujours vécu
près d'elle, ses filles, son époux Victor qu'elle
associait toujours dans ses articles en joignant son prénom
au sien : Marguerite-Victor Fournier-Néel. Elle était
fière de ses origines, des Néel, issus de Roche,
dans nos Montagnes du Soir.
C'est dans la première pièce donnant sur la rue,
une boutique désaffectée, qu'elle recevait gentiment
ses visiteurs, près de la vieille machine à écrire,
des livres, des dossiers, des albums de coupures de journaux
fabriqués avec des formulaires d'assurance périmés.
La dernière fois que je suis allé
dans sa maison, elle m'avait demandé d'achever pour Village
de Forez, un petit article sur le coton de saint Aubrin. Il
s'agissait d'une petite boule d'ouate, enveloppée de
papier bleu, à conserver pieusement. Il était
bénit et protégeait les Montbrisonnais de la foudre
par l'intermédiaire du saint patron de la ville, le bon
évêque Albricus, un peu perdu dans la nuit des
premiers siècles de l'Eglise de Lyon. Pour elle, ce n'était
pas une amulette. Il n'y avait rien de magique dans cette pratique
que certains pourraient trouver superstitieuse. C'était
simplement une ancienne et belle coutume montbrisonnaise où
s'exprimait beaucoup de confiance en la Providence.
C'est encore dans sa maison, dans la même pièce
du rez-de-chaussée, que se fêta, familièrement,
sa promotion au rang de chevalier des Arts et Lettres, un samedi
après-midi de l'été 1984, après
la permanence au secrétariat de la Diana. Je la revois
trinquant sans façon avec M. de Sugny, alors président
de la Diana, au milieu d'une petite foule d'habitués
du samedi.
Le samedi 9 mai 1997, quelques semaines avant sa disparition,
à la maison de retraite de Montbrison, nous avons vu,
Claude Latta et moi, Marguerite Fournier, pour la dernière
fois. Elle écoutait de la musique, les émissions
de radio Fourvière dans une chambre impersonnelle. Nous
allions, à sa demande, enregistrer ses souvenirs. "Il
faut se dire qu'on est à l'hôtel, que ce n'est
qu'un séjour temporaire" disait-elle pour ne
pas penser à sa chère maison, la maison d'une
vie entière, encore toute peuplée de ses souvenirs
et des ombres des êtres qu'elle aimait...
Après nous avoir demandé des nouvelles de nos
enfants et nous avoir parlé de sa famille, elle nous
racontait avec malice des souvenirs de son enfance, de ses débuts
dans les bureaux de l'usine Chavanne. Elle évoquait des
Montbrisonnais, humbles ou notables, qu'elle avait connus. Pas
de regret, pas d'aigreur, beaucoup de bienveillance envers tous
: les autres pensionnaires avec qui elle s'était vite
liée, le personnel, les visiteurs... une grande sérénité
de chaque instant mêlée à beaucoup de patience
et d'humilité. Une leçon pour nous tous, car il
est beau de vieillir ainsi.
J.
Barou
En
1997, ne pouvant finalement plus vivre seule, Marguerite Fournier
était entrée depuis quelques mois à la
Maison de retraite et avait donné une partie de ses archives
et de ses photos de presse à la Diana. Entourée
par les siens, elle est revenue mourir le 4 juillet 1997 dans
sa maison natale de l'avenue Alsace-Lorraine.
Village
de Forez a consacré un numéro d'hommage à
Marguerite Fournier dès 1997. En 2000, la Ville de Montbrison
- dont le docteur Weyne était alors le maire - a donné
son nom à la rue de l'Ancien Hôpital.
Nous
vous aimions, chère Madame Fournier, vous qui, avec tant
de jeunesse d'esprit, avez su raconter leur histoire aux Montbrisonnais.
Cl. Latta
Merci
Madame Fournier
Dans le parc du châteaau de Ronno,
lors d'une sortie de la Diana en septembre 1982 (cliché Roger Garnier)
Montbrison
le 7 juillet 1984
Lieux
de Montbrison évoqués par Marguerite Fournier