A
la fin du 19e siècle, un projet revient sans cesse à l'ordre
du jour du conseil municipal : construire une nouvelle caserne suffisante
pour qu'un régiment entier puisse tenir garnison dans la ville.
La ville possède bien une caserne, important bâtiment construit
au 18e siècle, mais elle ne permet de loger, au mieux, qu'un
bataillon.
Et
Montbrison tient beaucoup à ses militaires ! Le 1er janvier 1856
la ville a perdu son titre de préfecture au profit de Saint-Etienne.
Rétrogradée au rang de sous-préfecture, la ville
attend avec impatience des compensations qu'à mots couverts l'administration
a promis.
Un régiment entier serait le bienvenu. Il amènerait des
officiers et leurs familles, de quoi animer les soirées des familles
bourgeoises. Des sous-officiers seront à loger et de nombreux
pioupious se répandront dans les débits de boissons. Et
cela concerne même la maison close que chacun connaît et
dont personne ne parle. Plusieurs centaines de personnes, c'est assez
pour provoquer un vrai mouvement et faire marcher les affaires ! Et
puis pensons à l'Alsace et la Lorraine. Qu'est-ce qu'il y a de
plus patriotique de que servir et célébrer l'Armée
française ?
La
nouvelle caserne : un projet bien avancé
Au cours du conseil municipal
du 5 juillet 1889, Monsieur Maillon présente un rapport détaillé
sur la question (1). Tous les problèmes et leurs solutions sont
avancés.
Pour bâtir la nouvelle caserne la ville fournira un terrain de
3 ha attenant à celui de la caserne existante. Notons que M.
Georges Levet, le député offre gracieusement son parc
qui mesure un ha (2). La ville n'aura donc à acheter que 2 ha
à 5 000 F l'un.
Montbrison devra contribuer pour 300 000 F aux frais de construction
comme l'ont fait pour le même cas les villes de Riom et de Villefranche.
Bien sûr de l'eau potable, en quantité suffisante sera
fournie aux deux casernes : l'ancienne et la nouvelle. Il faudra prévoir
des filtres (4 000 F)
Le champ de manuvre que la ville loue 500 F par an à Cromérieux
ne fait que 44 057 m2. Il devra être porté à 12
000 m2 et coûtera alors 1 700 F par an.
L'hôpital, dans sa partie militaire, devra réglementairement
avoir assez de places pour recevoir 1 officier supérieur, 2 officiers
subalternes, 4 sous-officiers et 40 soldats soit 47 lits au lieu de
30.
M. Maillon a fait ses comptes. Il faudra faire un emprunt de 314 000
F à
5,045 % amortissement compris et il en coûtera 15 841, 30 F par
an aux Montbrisonnais.
Où
trouver les fonds ?
Pour financer ces nouvelles dépenses le rapport
Maillon propose des surtaxes d'octroi et des taxes nouvelles et évalue
- peu être un peu trop précisément - les ressources
obtenues.
Les surtaxes de l'octroi, au nombre de quatre, portent sur des produits
dont, justement, la consommation augmentera fortement si les troupiers
sont beaucoup plus nombreux dans la ville :
- droits sur les vins : plus 0,48 F à l'hl donnant une prévision
de 5 980 F par an (3)
- droit sur les alcools : plus 3 F à l'hl 1 089 F
- droit sur les charbons de terre : plus 0,05 F par quintal 2 216 F
- droit sur le foin : 0,10 F par quintal 1150 F
Outre les buveurs seraient donc touchées par ces charges nouvelles,
essentiellement les familles les plus aisées qui n'utilisent
pas le bois de chauffage et qui possèdent des chevaux pour leurs
calèches.
Six nouvelles taxes sont prévues, dont cinq concernent des matériaux
de construction à leur entrée dans la ville :
- la chaux à bâtir 0,10 F par sac donnant une prévision
de 300 F
- le ciment 0,40 F par sac 400 F
- le plâtre 0,15 F par sac 450 F
- le sable 0,20 F par m3 1 000 F
- les briques (ou les tuiles) 2,00 F par millier 2 000 F
Il s'agit de prendre en compte la plus-value que la présence
d'une garnison importante donneraient aux maisons de la ville. Elles
se loueraient plus facilement et à un bon prix aux officiers.
On envisage aussi de taxer le savon ( 0,50 F par quintal pour un revenu
prévisible de 500 F). là encore les soldats sont de bon
consommateur du savon pour l'entretien de leurs effets.
Toutes ces recettes mises bout à bout, il manque encore 2 500
F. Le rapport Maillon projette alors une imposition
nouvelle qui aurait pour assiette la longueur des façades des
maison d'habitation et des bâtiments attenant immédiatement
à ces maisons. Des immeubles
bordant des rues où musardent des conscrits et défilent
des fanfares prennent valeur et intérêt ! Une étude
sommaire a déjà été réalisée
: les 7 000 m de façades imposés à 0,35 F le m
courant suffiraient.
Le
colonel fait monter les enchères
Lors de la séance du 2 octobre 1889 (4),
le Maire lit trois lettres du colonel Brossé, directeur du génie.
Cet officier supérieur chargé du dossier de Montbrison
se fait de plus en plus pressant et fait monter les enchères
:
Le 1er courrier est de Clermont-Ferrant, le 3 août 1889 :
M. le général, commandant le
13e corps d'armée, trouve bien faible le chiffre de 300 000 F
offert par le Conseil municipal ; il craint bien que le Ministre de
la Guerre ne puisse pas parfaire le total indispensable...
Le général me charge de vous dire qu'il ferait son possible
pour obtenir le régiment complet... Mais avant tout il faudrait
tâcher d'ajouter un peu aux 300 000 F. Les autres villes donnent 500 000 F. J'en connais même
(St-Nazaire par exemple) qui ont donné 800 000 F pour un bataillon...
C'est donc surtout une question d'argent.
Le 1er septembre, le Colonel revient à la charge. Il rappelle
son courrier du 3 août et, prétextant le renouvellement
prochain du bail du champ de manuvre, dit attendre impatiemment
une réponse :
... il semble impossible, en effet, avec les
retards subis ou à craindre, d'arriver à avoir la garnison
complète en 2 ans comme on y arrive à Aurillac et comme
on y arrivera à Riom...
Ah ! les villes comblées ! Les conseillers municipaux de Montbrison
en sont tout émoustillés mais c'est cher !
Le
député Georges Levet à la rescousse
La 3e lettre est encore plus pressante.
Le Colonel avance ses derniers arguments :
De St-Mandé, près Paris, 4 chaussée de l'Etang,
le 24 septembre 1889.
Les élections de Montbrison étant terminées
sans ballottage, je m'empresse de venir insister auprès de vous
pour la question capitale de votre cité. Je suis à Paris
pour une dizaine de jours ; je tiens le rapport relatif à la
caserne tout prêt, mais j'ai pu pressentir M. le général
directeur et je crois que l'offre de 300 000 F amènerait le rejet de votre projet...
Il demande la convocation rapide du conseil municipal afin d'arriver,
avec l'aide de M. Levet (votre nouveau député), en faisant
valoir les avantages futurs de l'agrandissement de votre situation militaire
(et les chances d'obtenir ensuite le reste du régiment...) à
obtenir d'urgence une offre plus en rapport avec les dépenses
à faire et avec ses avantages certains...
La réponse doit être adressée directement à
Paris avec une copie de la délibération approuvée
par le Préfet. Le Colonel fera ensuite diligence : Je courrais
aussitôt au Ministère de la Guerre ; M. Levet pourrait
aller à l'Intérieur, direction des affaires départementales
et communales, pour hâter la solution...
Le conseil municipal a donc le marché en main. Il s'ensuit de
longues discussions où interviennent le maire, M. Fraisse, le
Dr Paul Dulac, MM. Maillon, Morel, Chialvo. Finalement par 10 voix contre
5, le conseil maintient à son grand regret la proposition de
300 000 F.
400 000 F ou rien
L'administration militaire fait une nouvelle tentative
pour forcer la décision des édiles. Le 2 novembre 1889,
le chef de bataillon Peret transmet à la ville le décision
ministérielle du 26 octobre 1889 concernant l'état-major
et un bataillon du 16e R. I. à loger éventuellement à
Montbrison :
Si la ville ne consent pas à porter
le montant de la subvention au minimum des dépenses à
faire (400 000 F) elle devra renoncer à toute augmentation de
garnison et aux avantages (revenus de l'octroi, travaux exécutés
dans la ville...) (5).
400 000 F, voilà la condition sine qua non. Le Maire se contente
cette fois de prendre acte de cette décision. Pour le budget
d'une ville de l'importance de Montbrison la somme est en effet considérable.
Le résultat du compte de l'exercice 1889 s'élève
à seulement 244 587,50 F de recettes le produit de l'octroi en
représentant presque la moitié.
Le 22 avril 1890, le docteur Paul Dulac est élu maire de Montbrison.
C'est un opposant à la construction d'une autre caserne. Le projet
passe donc au second plan pendant quelques années...
Encore
des marchandages
Arrive la fin du siècle. Le notaire Claude
Chialvo a remplacé depuis le 21 octobre 1894 le Dr Dulac comme
maire de la ville et le serpent de mer de la nouvelle caserne réapparaît.
Des négociations sont discrètement menées pendant
des mois entre la ville et l'administration militaire. Elles paraissent
difficiles. Le 25 mars 1898, M. Chialvo est obligé de démentir
que les pourparlers aient cessé entre la municipalité
et l'armée (6).
Au cours du conseil municipal du 27 décembre 1898 le Maire fait
le point de la situation :
La ville propose une subvention de 300 000 F et tout le terrain nécessaire
pour regrouper à Montbrison tout un régiment (comme 9
ans plus tôt) (7).
L'administration militaire propose d'augmenter la garnison d'un bataillon,
de fixer à Montbrison la résidence du colonel, de son
état-major, et notamment de la musique. Et elle compte bien sur
ce dernier point pour allécher les Montbrisonnais. Cependant
il faut 450 000 F - soit 50 % de plus que ce qui est promis - pour installer
un bataillon et le petit état-major.
Nouvelles discussions passionnées au conseil municipal avec marchandage
comme sur le foirail. On propose de couper la poire en deux en offrant
400 000 F. Le conseil prend sa décision à la majorité
en témoignage de la sympathie de la
population envers l'armée et surtout, pense-t-il,
dans l'intérêt même de
la prospérité de la ville...
Mais les temps changent et les prix s'envolent.
Le 6 novembre 1899 le Ministre prend la décision de principe
d'installer ailleurs qu'à Montbrison les trois bataillons de
la portion principale du 16 régiment d'infanterie (8).
Le 25 octobre M. Chialvo, décidément obstiné, demande
quelles seraient les nouvelles exigences de l'armée. La réponse
anéantit les dernières illusions des Montbrisonnais :
il faudrait 1,5 million de F, plus de 2 millions si l'on inclut les
frais. C'est évidemment inaccessible et les conseillers municipaux
parlent avec tristesse d'une surenchère ouverte entre deux villes.
Adieu le colonel avec un beau régiment bien complet ! Il restera
tout de même à Montbrison les éléments d'un
bataillon du 16e R. I.
Nouvelles
tractations
Pourtant tout n'est pas fini puisque le 18 août
1903 le général Girardel commandant le 13e corps d'armée
relance la ville :
Le Ministre de la Guerre vient de m'aviser
que des modifications à la répartition générale
des troupes dans le 13e corps d'armée pourront être opérées
prochainement. En conséquence, le moment me paraît favorable
pour la municipalité de Montbrison d'arrêter les projets
qu'elle pourrait avoir au sujet de la construction d'une nouvelle
caserne...
je vous serais obligé de vouloir bien me faire connaître
si la municipalité de Montbrison ne serait pas disposée
à faire les sacrifices qu'exigerait la réunion à
Montbrison du 16e régiment d'infanterie en entier... (9)
Montbrison souhaite toujours accueillir de nouveaux pantalons rouges
mais répond un peu évasivement que la ville fera tout
son possible. Et une commission est créée pour suivre
la question.
Dans les semaines qui suivent M. Chialvo s'entretient directement avec
le général Girardel qui lui fait un accueil tout à
fait bienveillant. Encouragé, le maire consulte le génie
militaire pour avoir des données concrètes. Il faudrait
3 000 m2 de locaux nouveaux (soit 850 m2 de plancher par compagnie)
(10). Les propositions - non chiffrées - de la municipalité
sont transmises au Ministre en novembre 1903 (11). Il y aura donc, encore,
des avant-projets puis des projets et des propositions définitives.
Finalement le 16e RI ne fut jamais complètement concentré
dans la ville jusqu'à la dissolution du corps en 1923. Les efforts
des Montbrisonnais avaient été vains.
Joseph
Barou
(1) Délibérations du conseil
municipal de Montbrison du 5 juillet 1889, archives municipales.
(2) l s'agit du terrain qui entoure la maison de M. Levet, actuel siège
du Crédit Agricole, 18 boulevard Lachèze.
(3)
Notons en passant que suivant ces estimations on consomme 12 500 hl
de vin chaque année à Montbrison. Ce qui, femmes et enfants
compris, représente un demi-litre de vin et par personne et par
jour .
(4) Délibérations du conseil municipal de Montbrison du
2 octobre 1889, archives municipales.
(5)
Délibérations du conseil municipal de Montbrison du 6
novembre 1889, archives municipales.
(6) Délibérations du conseil municipal de Montbrison du
25 mars 1898, archives municipales.
(7) Délibérations du conseil municipal de Montbrison du
27 décembre 1898, archives municipales.
(8)
Délibérations du conseil municipal de Montbrison du 6
novembre 1899, archives municipales.
(9)
Délibérations du conseil municipal de Montbrison du 27
août 1903, archives municipales.
(10) Délibérations du conseil municipal de Montbrison
du 22 octobre 1903, archives municipales.
(11)
Délibérations du conseil municipal de Montbrison du 26
novembre1903, archives municipales.
En ligne :
Montbrison veut une nouvelle
caserne (format pdf, 6 p.)
1952
1952 : Marguerite Fournier-Néel évoque l'histoire de la caserne de Vaux de Montbrison (article de la presse locale du 14 janvier 1952)
La caserne à travers l'histoire
La caserne de Vaux (baptisé du nom du maréchal qui, en 1769, soumit la Corse) est un des édifices les plus caractéristiques de notre ville. On admire surtout son portail aux statues allégoriques, beau spécimen de l’art décoratif militaire du temps de Louis XV.
Elle date, en effet, du XVIIIe siècle. Avant cette époque la garnison de la ville ne se composait, en temps ordinaire, que de deux ou trois compagnies de troupes régulières qui étaient logées au château (Calvaire) ou cantonnées chez l’habitant. Avec les guerres de Louis XIV et de Louis XV, on vit s’élever un peu partout des casernes monumentales dont la plupart ont disparu ; la nôtre s’est conservée à peu près dans son état primitif.
Bâties sur la lisière orientale du parc des Comtes, elle fut commencée en 1730 aux frais de l’État ; les difficultés financières du règne de Louis XV obligèrent à abandonner les travaux jusqu’en 1750. À peine terminée, elle ne fut pour ainsi dire pas occupée et cédée à la ville, qui en ferait l’usage qu’elle voudrait. C’était l’époque où l’industrie du tissage se développait dans la région. À Montbrison, des métiers à bras avaient été installés dans les dortoirs des Cordeliers, à l’hôpital, à la Charité. On fit appel à l’industrie privée pour transformer la caserne en manufacture ; des capitaux, considérables pour l’époque, furent souscrits pour cette entreprise qui ne réussit pas.
Les guerres de la Révolution rendirent à notre caserne sa destination première, non plus pour la cavalerie, comme il en avait été décidé, mais pour l’infanterie. Le 16e Régiment d’Infanterie, qui devait l’occuper jusqu’en 1914, se distingua pendant les guerres de l’Empire. Il commémorait toujours avec foi l’anniversaire de la bataille de Wagram, qui était un de ses plus beaux titres de gloire.
Les Montbrisonnais d’avant 1914 gardent parmi leurs souvenirs d’enfance celui des pioupious en pantalon garance, aux képis raides et aux gants blancs (le dimanche) qui emplissaient la ville de cette animation bien particulière aux garnisons. À la tombée de la nuit, lorsque le portail s’ouvrait, c’était une véritable marée humaine qui déferlait rue de la Caserne et rue de l’Hôpital, pour s’engouffrer dans les cafés éclairés par la lumière blafarde des lampes à pétrole ou du gaz. Montbrison prenait alors un aspect très vivant et sympathisait de tout cœur avec ses fantassins.
Il était très fier d’eux lorsqu’ils défilaient au pas, musique en tête, pour se rendre au « Champ-de-Mars ». Les officiers, aux épaulettes rutilantes, caracolaient sur leurs chevaux bien bouchonnés par les ordonnances ; les sous-offs, à pied, avaient une allure non moins martiale.
La présence dans la ville des officiers de la garnison, lieutenant-colonel en tête, entretenait des relations mondaines dans la haute société montbrisonnaise, où le prestige de l’armée était grand. Les brillantes réceptions et les potins inévitables qui les accompagnaient fournissaient une abondante chronique… C’était l’heureux temps !
La caserne de Vaux a connu, depuis, d’autres destinations, dont la principale fut, en 1927, l’installation de deux pelotons de gardes républicains de la 4e Légion.
A cet effet, d’importantes réparations furent effectuées aux bâtiments, entièrement aménagés pour héberger les gardes et leurs familles. Aujourd’hui, après une assez longue absence, les gardes républicains reviennent prendre possession de ces locaux, dont une partie avait été provisoirement occupée par des ménages sans logis.
Construite pour l’armée, la caserne est revenue à l’armée…
M. V. F.
En ligne :
Marguerite Fournier, La caserne à travers l'histoire (1952)
1980
Les
derniers jours
de la caserne de Vaux

Démolition de
la caserne de Vaux
(cliché de Joseph Barou
du 31 juillet 1980)

Démolition de
la caserne de Vaux
(cliché de Joseph Barou
du 31 juillet 1980)

Démolition de
la caserne de Vaux
(cliché de Joseph Barou
du 31 juillet 1980)

Démolition de
la caserne de Vaux
(cliché de Joseph Barou
du 31 juillet 1980)

Démolition de
la caserne de Vaux
(cliché de Joseph Barou
du 31 juillet 1980)

Démolition de la caserne de Vaux
(cliché
de Roger Garnier du 9 août 1980)
Démolition de
la caserne de Vaux
(cliché
de Roger Garnier du 9 août 1980)
38 ans après : été 2018
Réfection du portail d'entrée l'un des derniers vestiges de
la caserne de Vaux,
Laetitia Cohendet, le Pays du 2 août 2018
