
Hommage
au pisé
Le
27 décembre 1900, sous la voûte blasonnée de
la Diana, l'archéologue Vincent Durand, présente à
ses savants collègues dianistes une étude assez inattendue.
Rien moins qu'un hommage au pisé ! Ce mode de construction
si simple et si économique très répandu dans
le Forez. C'est un sujet un peu "vulgaire" pour les éminents
spécialistes de la société savante, s'excuse-t-il
en préambule. Et pourtant.
La technique est simple à
mettre en uvre mais demande un maçon habile, et qui
ne craint pas sa peine. Car le mur est toujours épais, le
plus souvent d'un demi-mètre. Avec la construction en pierres
sèches, c'était le travail préféré
d'un vieux maçon. Il avait pourtant travaillé pour
les monuments historiques au château de Sury,
à l'abbaye d'Ambierle
et au prieuré de Champdieu
Seulement de la terre et
un peu de chaux
Que faut-il ? Le matériau le plus commun
: de la terre. Prise sur place, il faut seulement qu'elle ne soit
pas trop sableuse, le mur s'effriterait vite. Ni trop argileuse,
la chaleur le ferait fendiller. Evitons la terre noire du potager
trop riche en humus. Choisissons plutôt celle, un peu forte,
de la vigne voisine. Prenons soin de l'enlever juste au-dessous
de la couche arable, de bien la fouler et la recouper.
Sur un muret de pierre bien assis sur les fondations,
la construction commence. Deux grands plateaux de bois reliés
par des chevrons servent de moule. Ce sont les "banches".
Il suffit de remplir, couche par couche, avec de la terre, humide
et non pas mouillée. Et puis il faut manier vigoureusement
"la dame", cet outil
que les dictionnaires appellent "la
hie", et bien tasser. On monte ainsi de quelques
décimètres. Ensuite prenons patience et laissons sécher
un peu. Quelques jours après, les "banches"
sont déplacées et sur un mince lit de chaux, l'ouvrage
est repris.
Si l'artisan est vaillant et n'a pas oublié
son fil à plomb, le mur sera droit et solide. Légèrement
crépi et couvert de tuiles creuses, bien cuites, sonores,
presque brunes, il tiendra cent ans et plus
La maison sera
chaude en hiver et fraîche en été. Et quand
elle aura fait son temps, il n'en restera qu'un petit tas de terre.
Quoi de plus écologique ?
Pour les châteaux
aussi
Le pisé n'est pas réservé
aux plus modestes. Il a été utilisé pour des
bâtiments prestigieux. La Diana
en témoigne. La façade de pierres de taille façon
Viollet-le-Duc fait oublier
les murs principaux. Bâtie vers 1300,
ils sont en terre : un pisé noirâtre, et même,
selon les spécialistes, d'assez mauvaise qualité.
Cependant ils ont sept siècles
Beaucoup de châteaux de la plaine du Forez
bâtis aux XVIIe et XVIIIe siècles sont en pisé
: Montrouge, Vaugirard, Chabet, Merlieu,
les Périchons, Sasselanges à Veauchette
Tout comme l'église de Saint-André-le-Puy et le bel
ensemble voisin. Même des tours rondes étaient construites
ainsi. La prestigieuse Bâtie d'Urfé,
orgueil de la Plaine, doit aussi beaucoup à ce modeste matériau.
Au cur de Montbrison,
il y a encore de nombreuses bâtisses en pisé. Souvent,
seules les façades sont en pierre. C'est le cas de la chapelle
des Pénitents. La tradition n'est pas tout à fait
interrompue, puisqu'une maison du boulevard
Gambetta a été rebâtie en pisé,
il y a peu d'années.Non, le pisé n'est pas réservé
au "chapit", à
la "fenière"
et à la loge de vigne.
Conservons avec soin ce qui reste un peu partout en Forez de ce
petit patrimoine.
Joseph Barou
Pour en savoir plus :
- Vincent Durand, "Les constructions en pisé",
Bulletin de la Diana, tome XI, p. 514-523.
- Jacky Jeannet, Gérard Pollet, Pascal Scarato, Le pisé,
patrimoine, restauration, technique d'avenir, éd. Nonette,
1986.
[La Gazette du 4 mai 2007]
Nous présentons
dans cette page une étude
de l'archéologue Vincent Durand,
secrétaire de la Diana,
sur les constructions en pisé.
Cette technique est très présente
en Forez particulièrement dans la plaine.
Le travail de Vincent Durand a le mérite
d'être clair et précis.
Il donne ses lettres de noblesse au pisé,
mode de construction utilisé, de tout temps,
aussi bien pour bâtir le château
que la grange ou la loge de vigne.
LES CONSTRUCTIONS
EN PISE
[Bulletin de la Diana, tome 11, p. 514-523]
Les constructions en pisé.
- Communication de M. Vincent Durand
[27 décembre 1900]
Je crains, Messieurs, que le sujet dont je voudrais vous entretenir
un instant ne vous paraisse bien peu digne d'intérêt.
Il s'agit d'un mode de construction vulgaire, pratiqué tous
les jours sous vos yeux pour des bâtisses modestes et où
il semble tout d'abord que l'archéologie n'a rien à
voir. Je veux parler des constructions en terre battue ou pisé.
Technique et matériaux
Vous savez comment nos maçons les exécutent. Deux
panneaux, longs généralement de 2 mètres sur
1 m 10 à 1 m 20 environ de hauteur et formés de planches
assemblées sur des traverses, sont disposés verticalement
en regard, à une distance égale à l'épaisseur
qu'on se propose de donner à la muraille. Ils sont maintenus
dans cette position par des cadres formés d'une semelle percée
de mortaises et logée dans un créneau ménagé
dans une assise inférieure de pierre ou de pisé, de
deux poteaux terminés par des tenons qui s'engagent dans
les mortaises de la semelle et dans celles d'une traverse supérieure
ou chapeau. Souvent une des mortaises de la semelle est remplacée
par une série de trous destinés à recevoir
un piton de fer qui remplace lui-même le tenon du poteau correspondant.
De courts bâtons, d'une longueur convenable, maintiennent
à l'intérieur l'écartement des panneaux et
des coins de bois chassés dans les mortaises donnent à
tout le système la rigidité nécessaire. L'espèce
de caisse ainsi constituée peut être fermée
à ses bouts par une planche verticale s'appuyant sur des
barres de fer passées horizontalement dans des trous percés
à l'extrémité des panneaux.
Dans cette caisse ou forme,
on jette à la pelle et par couches successives de 0 m 10
à 0 m 15 centimètres au plus de la terre élevée
au besoin de la même manière sur un échafaudage
inférieur. Cette terre est fortement tassée dans la
forme à l'aide d'un lourd pilon de bois aplati sur les côtés
et coupé carrément au bout.
La terre la plus convenable est celle qui provient de la décomposition
d'une roche granitique ou porphyrique. Elle doit être, autant
que possible, exempte de détritus de nature organique et
contenir une faible quantité d'argile. De la proportion de
cet argile dépend en grande partie la qualité du pisé.
Si elle est trop faible il n'a aucune cohésion et se désagrège
rapidement ; si elle est trop forte, il se fendille en séchant,
se boursoufle et tombe par larges plaques sous l'action des pluies.
Le pisé bien fait et avec de bons matériaux
constitue des murs fort solides qui finissent par acquérir
assez de dureté pour être difficile à percer
et faire feu sous le pic. Mais ils restent toujours sensibles à
une humidité prolongée ; il est donc indispensable
de les élever sur un soubassement en pierre de 0 m 60 à
1 mètre de hauteur.
Le pisé en Forez
Il est probable que l'usage du pisé est fort ancien en Forez.
On a cru reconnaître son existence au Beuvray
et il n'est pas téméraire de penser qu'il était
de même chez nous à l'époque gauloise. Pour
l'époque gallo-romaine, le doute n'est guère possible.
Le peu de hauteur des substructions de cette époque que l'on
découvre journellement dans nos campagnes et la rareté
des pierres de constructions mêlées aux décombres
indiquent assez que les murs étaient en terre battue qui
est retournée promptement à l'état de terre
végétale après que ceux-ci ont été
renversés sur le sol. Des constructions même assez
soignées paraissent avoir été élevées
de la sorte, car à Saint-Clément,
commune de Montverdun, j'ai pu voir
des portions d'enduit en mortier peint, reposant directement sur
une aire probablement antique et que recouvrait une couche de terre
absolument exempte de pierres ; cette couche représentait
évidemment un ancien pisé sur lequel l'enduit aurait
été appliqué .
Je ne saurais citer d'exemple encore subsistant de construction
en pisé remontant à l'époque romaine ou même
aux premiers siècles du moyen âge. L'édifice,
à date certaine le plus ancien à ma connaissance où
le pisé ait été employé est la salle
de la Diana bâtie vers
l'an 1300. L'ouverture, en 1885,
de la porte mettant en communication la salle de nos séances
avec le musée a même permis de reconnaître que
ce pisé fait avec une terre noirâtre riche en humus
et peu consistante était de fort mauvaise qualité.
Cette circonstance, et le choix du pisé, à la fois
expéditif et économique, pour élever les murs
de la Diana, alors que les carrières
voisines de Moind et de Ruffieu
donnaient en abondance d'excellentes pierres à bâtir,
semblent fournir, pour le dire en passant, un argument de plus à
l'appui de l'opinion qui voit dans cette salle un édifice
élevé d'urgence et en quelque sorte improvisé
pour les fêtes de mariage du comte Jean
Ier. Il est possible que d'autres très vieilles bâtisses
en pisé éparses çà et là en Forez
remontent à la même époque ou même à
une époque antérieure ; mais aucune notre chronologique
ne permet d'en fixer exactement l'âge, et il faut descendre
dans l'enceinte extérieure de l'ancien château de
Poncins, laquelle date assez probablement de la fin du XIVe
ou du commencement du XVe siècle, pour trouver un second
exemple de construction en pisé ancienne dont on puisse fixer
l'âge avec une approximation suffisante. Ce mur d'enceinte
est d'une épaisseur considérable et il prouve bien,
par sa résistance pendant des siècles aux causes de
destruction, la solidité relative que peut acquérir
le pisé bien fait. On s'étonnera peut-être de
le voir employé dans un ouvrage de fortification, cela peut
s'expliquer par une construction hâtive dans un moment de
péril imminent.
Mais peut-être bien ces murs en terre battue se comportaient-ils,
contre l'artillerie du temps, mieux qu'on ne le supposerait à
première vue. Le boulet qui aurait disjoint les pierres d'un
mur fraîchement bâti en ébranlant toute la masse
devait se contenter de percer un trou dans la terre battue. J'ai
aussi constaté à Saint-Germain-Laval
l'emploi du pisé pour surélever les murs de la ville
du côté le plus exposé à une attaque,
celui du nord ; mais je ne saurais assigner une date à cette
construction, elle n'était peut-être que du XVIe siècle.
Presque tous les châteaux élevés dans la plaine
du Forez au cours des XVIIe et XVIIIe siècles ont été
construits en pisé : Montrouge,
Vaugirard, Chabet,
Merlieu, les
Périchons, etc. Dans quelques-uns de ces châteaux
on observe des tours cylindriques aussi édifiées en
pisé ; les formes employées à cet effet ont
dû être établies d'une manière un peu
différente : c'est-à-dire en planches verticales clouées
sur des chevrons courbes de rayon convenable.
Evolution de la technique
Les vieux pisés, dont les crépissages dérobent
trop souvent les particularités de structure, sont invariablement
formés par la juxtaposition et la superposition de blocs
rectangulaires de terre battue dont les joints verticaux se croisent
et offrent absolument l'aspect d'un mur de pierres de taille de
très grand appareil, posée presque toujours à
sec sans interposition de mortier. On remarque parfois l'emploi
de planches intercalées accidentellement entre deux assises.
Je ne pense pas qu'il faille y voir une note chronologique, mais
une simple précaution d'un maçon pressé de
continuer son tour lorsque par une cause quelconque la dessiccation
de l'assise inférieure n'était pas assez avancée
pour supporter sans danger les coups de pilon battant la nouvelle.
Il en va autrement d'un artifice employé pour assurer la
liaison des angles. Des chevrons noyés intérieurement
dans la masse de l'un des blocs extrêmes pénètrent
dans celui appartenant au mur adjacent qui vient s'y appliquer.
Cette disposition alternait d'assise en assise. Je ne l'ai observée
que dans des pisés d'apparence ancienne.
Dans la suite des temps, l'usage s'introduisit d'intercaler dans
les joints tant horizontaux que verticaux une couche de mortier
maigre de chaux ne s'étendant pas jusqu'au centre du mur
et battue dans les formes en même temps que la terre. En outre
des lits intermédiaires de mortier vinrent fortifier l'extrémité
des blocs de pisé formant angle. Peu à peu on prit
l'habitude de renforcer par de semblables lits de mortiers intermédiaires,
mais toujours en moins grand nombre, les blocs de pisé composant
le corps de la muraille.
Au XVIIIe siècle, une innovation importante fut introduite
dans la construction de la muraille en pisé. Jusqu'alors,
comme je l'ai déjà dit, ces murailles étaient
formées de blocs rectangulaires de terre battue, les joints
verticaux se correspondant de deux en deux assises. Cette disposition
provoquait fréquemment des lézardes réunissant
ces joints à travers les assises intermédiaires. Pour
remédier à ce grave inconvénient on imagina
de disposer l'extrémité des blocs en gradins. Le mur
d'une maison de l'ancien cloître des chanoinesses de Leigneu,
crépi seulement depuis quelques années, offrait un
curieux exemple de cette disposition qui conduisit, à la
fin du siècle, à une solution plus simple qui consiste
à incliner les joints extrêmes des blocs de terre battue,
cette inclinaison des joints se dirigeant en sens inverse à
chaque assise. L'inclinaison des joints était de 75 degrés
au commencement du XIXe siècle : c'est, du moins, ce que
nous apprend Du Lac de la Tour d'Aurec ; celle universellement adoptée
aujourd'hui est de 45 degrés.
Plus récemment encore une pratique nouvelle a été
introduite, qui ajoute beaucoup à la solidité de la
muraille et tend à devenir de plus en plus commune. J'ai
dit que les pisés modernes présentent de nombreux
cordons de mortier appliqués à l'intérieur
des formes et battus avec la terre. Ces cordons dans les murs non
crépis présentent beaucoup plus de résistance
aux intempéries que les parties en simple terre battue, en
sorte qu'au bout d'un certain nombre d'années ils font plus
ou moins saillie sur la muraille. Cela devait conduire et a conduit
en effet à revêtir celle-ci d'une mince couche de mortier
posée et battue dans la forme elle-même. On obtient
ainsi un crépissage fort uni et solide ; il suffit ensuite
de fermer les trous de boulin.
Je ne parlerai que pour mémoire d'une espèce de construction
mixte dont j'ai vu de rares exemples malaisés à dater
et qui a été aussi inspirée par le désir
de rendre plus résistante la surface extérieure du
pisé. Il s'agit de murs revêtus de pierre de petite
dimension, posées, à l'intérieur des formes,
en assises correspondant à chaque couche de terre foulée.
Il est probable que dans ce système de construction, la terre
jetée et foulée entre les pierres jouait le rôle
de mortier. Ceux des parements ainsi obtenus que j'ai pu examiner
m'ont paru d'une médiocre solidité.
Depuis quelque temps le mâchefer, produit par la combustion
du charbon dans les grands établissements métallurgiques,
tend à se substituer à la terre dans la confection
du pisé, additionné dans la masse d'une certaine quantité
d'eau. Cette matière constitue un tout d'une dureté
et d'une résistance comparables à celle de la pierre
elle-même, en sorte que l'on peut se dispenser de rapporter
dans les murs les encadrements des portes et des fenêtres
et sceller directement leurs ferrures sur le pisé. C'est
un immense avantage. Mais les murailles en mâchefer restent
poreuses, se laissent aisément traverser par la chaleur et
le froid, si elles ne sont pas revêtues d'un bon crépissage.
A cet égard elles sont inférieures aux murailles en
terre battue moins conductrices de la chaleur et du froid.
Revenir au pisé
Enfin un engouement peu justifié fait de nos jours délaisser
de plus en plus le pisé pour la pierre. Cette préférence
se manifeste dans les constructions particulières, mais surtout
dans les édifices publics, presbytères et maisons
d'école. Celles-ci bâties à neuf en si grand
nombre dans ces vingt dernières années. Une sotte
vanité en est trop souvent la cause. De même qu'on
voit des paroisses de cinq ou six cents âmes se donner de
ridicules églises à trois nefs qui ont la prétention
d'être de petites cathédrales, de même on les
voit se construire en pierre des palais municipaux et scolaires
croyant par là se donner des airs de grande ville. C'est
toujours l'histoire de la grenouille qui veut s'égaler au
buf. Et comme les petites communes ne sont pas riches et que
la maçonnerie en pierre et chaux coûte deux fois et
demie plus cher que le pisé, les plus fâcheuses économies
sont apportées dans ces bâtisses où tout est
sacrifié à l'apparence. Les murs trop minces, souvent
garni à l'intérieur de simple pierraille non enveloppée
de mortier, semblent construits exprès pour préparer
un asile assuré à des légions de rats. Les
pièces où l'air et l'espace sont parcimonieusement
mesurés sont trop chaudes en été et glaciales
en hiver. On élève ainsi à grands frais des
habitations peu solides et peu commodes, là où l'emploi
du pisé aurait permis d'obtenir avec la même dépense
des logements plus vastes, plus agréables et plus salubres.
Il est à souhaiter que les architectes renoncent à
ces fâcheuses préférences et que là où
le climat et la nature de la terre le permettent ils tirent meilleur
parti du procédé si simple et si économique
employé par nos pères.
Je suis même persuadé qu'en donnant aux murs un revêtement
de mortier comprimé en même temps que la terre et grâce
à quelques perfectionnements faciles à imaginer dans
la forme et dans la mise en place des panneaux sur lesquels ceux-ci
vont se mouler il serait facile d'obtenir un effet décoratif
qui ne serait pas sans agrément.
Vincent Durand
Album

(cliché J. Barou)
Beau bâtiment de ferme en pisé
(Saint-Martin-la-Sauveté)

(cliché J. Barou)

(cliché J. Barou)
Beaux bâtiments en pisé (pays de Saint-Martin-la-Sauveté)

(cliché J. Barou, 13 novembre 2016)
Et à Pouilly-les-Feurs

(cliché J. Barou)
Ferme en pisé (Gouterelle, coteaux
foréziens)

(cliché J. Barou)
Clos (au-dessous de Châtelneuf)

(cliché J. Barou)
Loge de vigne (Marcilly-le-Châtel)
