Un homme du petit peuple
Jean Mathieu Fauchet naît le 1er octobre 1878 à Champdieu,
dernier des cinq enfants enfant d'une famille paysanne très modeste.
Son père, Simon Fauchet, est un enfant abandonné, déposé
le 14 septembre 1836 à la porte de l'hospice de Montbrison. Il
est mis en nourrice au bourg de Champdieu chez Gabriel Lafond et son
épouse Françoise Claveloux.
A l'âge de douze ans, il est gardé par sa famille nourricière.
Il épouse Jeanne Claveloux , peut-être une parente de sa
famille adoptive. Le couple s'installe à Champdieu. Simon et
Jeanne ont cinq enfants. Trois d'entre eux meurent en bas âge.
Survivent seulement Antoinette, née en 1871, et Jean Mathieu.
Le petit Jean n'a que 4 ans quand son père, Simon Fauchet, meurt,
le 27 avril 1882. Vers onze ans, le jeune orphelin est placé
comme petit berger à la ferme Vial de Champdieu. Il ne fréquente
l'école du village que durant les mois d'hiver.
Avant et après ses trois années de service militaire,
il passe toute sa jeunesse à servir chez les autres. Quand il
se marie - tardivement - il est encore "à maîtres"
comme sa fiancée. Le 11 janvier 1912, il épouse à
Savigneux Marie-Gabrielle Couhard, du hameau de Cromeyrieu. Marie-Gabrielle
(1889-1974) est alors domestique chez Magand au domaine de la Croix-d'Or
à Précieux. Jean est "grand valet" chez Palandre,
maire de Champdieu, au domaine d'Angérieux à Champdieu.
Quand la guerre éclate Jean a 36 ans. Il est marié depuis
deux ans et vient d'avoir un enfant, la petite Jeanne, née le
1er août 1914, jour de la déclaration de guerre. Il doit
se présenter à la caserne de gendarmerie de Montbrison
le 5e jour de mobilisation avant seize heures". Il est affecté
au 216e régiment d'infanterie.
Restée seule avec sa petite fille, Marie-Gabrielle a de grandes
difficultés à faire valoir la toute petite ferme de Champdieu.
Elle reçoit l'aide d'une aïeule, la Mémée
Couhard, et de temps à autre, celle d'un prisonnier de guerre
allemand prêté par l'administration pour les gros travaux.
Jean fait toute la guerre comme simple soldat au 216e. Son régiment
est engagé de nombreuses fois dans les tranchées de l'Aisne,
notamment en janvier et février 1915. en mai 1915 il fait fonction
de cuisinier militaire. Il est blessé au bras en juin de la même
année et obtient 24 jours de convalescence.
En juin 1916, le 216e se trouve à Verdun et subit de lourdes
pertes. A trois autres reprises le régiment revient dans ce secteur.
Jean Fauchet montre un grand courage dans ces épreuves terribles.
Il fait l'objet d'une citation, reçoit la croix de guerre
Dans la nuit du 13 au 14 février 1917, il est sérieusement
gazé et doit être évacué à l'hôpital
de Loxéville. Rétabli mais profondément désespéré,
il repart plusieurs fois en première ligne en 1917 et 1918. Quand
arrive l'Armistice, il se trouve en permission à Champdieu. Le
21 novembre 1918, il doit encore rejoindre son unité à
Luxeuil pour être ensuite démobilisé.
La robuste constitution de Jean Fauchet lui a permis de survivre. Sur
le plan physique, il gardera seulement de cette période de sa
vie des "douleurs" dans l'épaule et une toux persistante
pendant l'hiver. Mais, bien sûr, cette douloureuse expérience
l'a définitivement marqué. Elle est indicible et il ne
pourra vraiment évoquer cette période qu'avec d'autres
anciens combattants, des compagnons de misère.
L'ancien combattant de 1914-1918
De retour à Champdieu il a deux autres enfants : Marie née
en 1919 et Jean Antoine en 1923. Après l'Armistice, le soulagement
général et le sentiment de la victoire baignent tout le
pays. Jean Fauchet oublie sans doute un peu, non pas les souffrances
passées, mais les sentiments pacifistes qu'il exprimait dans
ses lettres.
En famille, raconte sa fille Marie, il parlait très peu de la
guerre. Seulement à des compagnons, anciens combattants comme
lui. Il avait, en particulier, un ami nommé Nourrisson, issu
d'une famille très modeste de Champdieu. L'homme avait fait son
chemin et s'était installé comme restaurateur à
Paris. Il venait chaque année "en auto" à Champdieu,
allait au cimetière et visitait son copain Jean. Ils parlaient
longuement des épreuves passées.
Il était aussi très lié au père Batet ,
un prêtre professeur de philosophie au petit séminaire
de Montbrison qui avait fait la guerre comme officier. L'abbé
avait de vastes propriétés à Champdieu et en particulier
des vignes au lieu-dit "les Bourrus", vignes qu'il aimait
beaucoup et qui étaient voisines de celle de Jean. Il participait
aux réunions d'anciens combattants de Champdieu et était
le président des Poilus du village. L'abbé a été
par la suite aumônier des surs clarisses de Montbrison.
Jean ne manquait pas le traditionnel banquet des anciens combattants
où aucune femme n'était admise. Il disait qu'il avait
eu de la chance au regard de tous ceux qui avaient perdu la vie dans
cette guerre (56 tués pour la petite commune de Champdieu). Et
il racontait comment il avait obtenu sa citation dont nous n'avons pas
retrouvé le texte et à laquelle il semblait beaucoup tenir.
C'était près de Verdun, au fort de Vaux. L'artillerie
française tirait trop court et bombardait ses propres positions
avancées. Il fallait prévenir. Une estafette fut choisie
pour traverser une zone exposée. Elle ne passa pas. Une deuxième
non plus. Il n'y avait pas de volontaire. Jean Fauchet fut désigné.
Il réussit. La chance ou la destinée, comme on veut.
Toute sa vie, il exploite sa petite ferme de Champdieu. Il meurt le
27 mars 1956 dans son village. L'hiver précédent, il a
encore taillé sa vigne.
Les lettres de Jean Fauchet
à ses proches
Jean Fauchet écrivait beaucoup à sa famille, à
son épouse restée à Champdieu et aussi aux membres
de sa belle-famille, en particulier à son beau-frère Jean
Couhard. Ce dernier était cheminot et n'avait pas été
envoyé sur le front mais mobilisé comme employé
du PLM. Son épouse, une personne particulièrement dévouée,
écrivait régulièrement à tous les soldats
de la famille et conservait leur correspondance.
La fille de Jean Fauchet, Marie, épouse Coiffet, garde encore
précieusement des bribes de ce courrier. Elle a choisi 16 lettres
particulièrement significatives qu'elle a bien voulu confier
à Village de Forez.
Ce sont les documents que nous présentons dans ce cahier. Ils
sont d'un intérêt tout particulier. Jean Fauchet y parle
librement, avec le langage populaire, de sa vie de soldat. Il ne dissimule
pas ses sentiments. Il exprime ses fatigues, ses angoisses, ses colères,
son désespoir, surtout avec son beau-frère et sa belle-sur.
Les mots sont rudes pour qualifier la bêtise de la guerre et pour
critiquer les chefs militaires. Il ne semble absolument pas craindre
la censure.
Quant à son épouse, il cherche surtout à la rassurer
ce qui ne devait pas être chose facile : ne tire pas peine, ne
te fais pas de mauvais sang
Il est d'ailleurs constamment préoccupé
de ce qui se passe à Champdieu. Comment vont sa femme et la petite
Jeanne ? Le temps est-il favorable aux récoltes ? Les cochons
se vendent-ils bien ? Il donne des conseils pour le choix des cultures,
la vente des animaux
Ces dernières préoccupations
qui paraissent à première vue secondaires ne le sont pas
du tout. A Champdieu comme au front, il s'agit de vivre, de subsister.
L'on mesure ici toutes les peines que subissent alors beaucoup de gens
de l'arrière, les femmes de soldats surtout.
Le style est maladroit, avec de nombreuses répétitions,
une orthographe très fautive et des erreurs de syntaxe mais l'écriture
soignée et la signature élégante. Jean n'est pas
allé très longtemps à l'école pourtant il
exprime tout à fait ce qu'il ressent avec une vraie spontanéité,
sans fard ni outrance. On saisit aussi à travers de pauvres lignes
écrites au crayon sur ces petits feuillets l'attachement qu'il
a pour le "pays" : Champdieu, l'affection portée à
ses parents et l'amour envers sa femme et sa petite fille. Ma chère
Marie, ma chère Jeanne sont les expressions qui reviennent le
plus souvent.
Ces lettres ont aussi une valeur historique. Les témoignages
aussi directs de simples soldats, d'enfants du peuple sont en effet
beaucoup moins nombreux que ceux venant de catégories sociales
plus aisées. Le style est moins relevé mais l'authenticité
sans doute plus vraie. Le discours tenu par Jean Fauchet n'est pas s'en
rappeler celui du caporal Louis Barthas dans ses carnets de guerre .
Comme lui, il fait preuve d'un vrai courage dans l'action mais il dénonce
aussi la stupidité de la guerre et l'incurie des chefs militaires
peu économes de la vie de leurs hommes. Notre bandit de général
écrit-il le 15 juillet 1917. Toutefois il ne va pas jusqu'à
une profession de foi pacifiste.
Jean est patriote au sens d'ami de son pays, Champdieu, comme un vrai
paysan attaché à sa terre, la terre nourricière.
Il écrit à sa femme qu'il est temps de semer mais il ajoute
aussitôt que, peut-être, si personne ne semait, la guerre
serait plus vite finie (lettre du 1er octobre 1917). En 1915 déjà,
puis en 1917 surtout, aux moments difficiles des mutineries, il y a,
chez Jean Faucher, une réflexion profonde et une prise de conscience.
Mais s'il exprime à ses intimes sa révolte, il ne la traduit
pas en actes. Il ne le peut pas. Broyé par la machine militaire,
il reste une victime passive non sans avoir eu, quand il le fallait,
un comportement de héros.
Merci encore à Marie et Jean Antoine Fauchet, les enfants de
Jean Fauchet, d'avoir permis la publication des lettres de leur père.
Ces précieux et émouvants témoignages contribuent
à mieux faire connaître l'histoire des hommes qui ont fait
la Grande Guerre.
J. B.
1 - Les tranchées : On
dormait tout droit comme des chevaux
Ressons-le-Long le 28 janvier
1915
Chers beau-frère et belle-sur,
C'est avec plaisir que je vous écris deux mots pour vous faire
savoir de mes nouvelles et en même temps en appendre des vôtres.
Je vous dirai que je suis toujours en bonne santé et je désire
que ma lettre vous trouve de même.
Cher beau-frère, je vous dirai que je suis en repos à
Ressons voilà 6 jours. C'est à côté de Soissons.
Je ne sais pas si nous remonterons aux tranchées. On parle que
nous allons être relevés mais ce ne serait pas trop tôt
car voilà 4 mois que nous y roulons à coucher dehors avec
la pluie et le mauvais temps. En plusieurs fois, nous avons resté
5 jours en 1re ligne dans l'eau ou la boue jusqu'aux genoux. Et impossible
de s'asseoir sans parler de se coucher. On dormait tout droit comme
les chevaux. Aussi de 300 que l'on était par compagnie, nous
ne restons que 125 et encore tous malades.
Je vous dirai que j'ai reçu des nouvelles de Narcisse. Il est
en bonne santé lui aussi. Il n'y a que Joannès Presle
que je n'en sais pas de nouvelles.
Je vous dirai que nous avons eu une attaque par les Boches du côté
de Soissons. Vous pouvez croire que nous en avons étendu car
ils venaient en colonne et nous autres qui les attendions.
Au revoir chers beau-frère et belle-sur. Au plaisir de
se voir. Votre beau-frère qui vous aime.
Jean Fauchet
216e régiment, 21re compagnie, 4e section Secteur postal n°
58
2 - Les troupes coloniales : Les Marocains
arrivent
Maaste-Violaine
13 février 1915
Chers beau-frère et belle-sur,
C'est avec plaisir que je fais réponse à votre lettre
qui m'a fait plaisir d'apprendre de vos nouvelles et surtout de vous
savoir en bonne santé. Moi aussi je suis en bonne santé
et je désire que ma lettre vous trouve de même.
Cher beau-frère je vous dirai que nous sommes sortis de la ligne
de feu. Nous sommes à 18 km de Soissons depuis le 22 janvier.
Nous avons pas remonté aux tranchées. Nous sommes heureux
à comparer ces tranchées car en plusieurs fois nous y
sommes restés 5 jours sans être relevés les pieds
dans l'eau jusqu'aux genoux sans parler de se reposer une minute. Il
fallait dormir tout droit comme les chevaux. Aussi de 300 que l'on était
par compagnie nous restons que 130 et encore pas solides car le mauvais
temps nous a esquintés après y avoir resté 4 mois
à coucher dehors et aussi quelques morts et blessés.
Cher beau-frère je vous dirai qu'on vient de nous vacciner au
sérum pour la typhoïde. Ils nous ont vaccinés derrière
l'épaule gauche. Ca nous a tous mis malades. Il paraît
qu'on va nous le refaire 3 fois.
J'ai reçu des nouvelles de Narcisse. Il me dit qu'il y a passé
lui aussi et ça l'a fait bien souffrir mais à présent
il va mieux.
Cher beau-frère nous sommes été passer des revues
les jours passés à Harteme . C'est à 10 km de Maaste.
Nous y sommes été 2 jours de suite. Le premier jour c'est
le général de division Dolot qui nous a passés
en revue. Et le second jour c'est le général en chef Joffre.
Il y avait toute la division avec ses aéroplanes et autos.
Cher beau-frère je ne sais pas si nous resterons bien longtemps
où nous sommes. Je crois que nous allons aller mieux en arrière
ou des fois retourner aux tranchées. Nous ne le savons pas bien.
Je vous dirai que je ne sais pas des nouvelles à J. Presle. J'ai
reçu des nouvelles avant hier de Champdieu. Ils sont tous en
bonne santé.
Je vous dirai que les Marocains arrivent. Nous en avons trouvé
2 régiments les jours passés.
[
]
Cher beau-frère je ne vois plus grand chose à vous dire
pour le moment. En attendant vivement la fin de ce triste métier
au revoir donc chers beau-frère et belle-sur.
Votre beau-frère qui vous aime pour la
vie.
Jean Fauchet,
au 216e rég. d'inf., 21e comp., 4e section, secteur postal n°
58
3 - Près de Soissons :
Ils ne sont pas si méchants
Soissons le 4 mai 1915
Chers beau-frère
et belle sur,
C'est avec plaisir que je fais réponse à votre lettre
que j'ai reçue et qui m'a bien fait plaisir d'apprendre que vous
êtes tous en bonne santé. Moi aussi la santé est
toujours bonne et je désire que ma lettre vous en trouve de même.
Cher beau-frère, je vous dirai que je suis toujours à
Soissons en ce moment. Je suis à 6 kilomètres mais nous
avons resté quinze jours dans la ville. Nous prenons les petits
postes à côté des Boches mais dans ce secteur, ils
ne sont pas si méchants. Si nous tirons pas, ni eux non plus.
Mais un jour nous avons voulu prendre un petit poste boche qui nous
a coûté plus de 600 coups de canon. Nous avons pris deux
prisonniers et nous en avons tué 4 ou 5. Et la nuit après
ça été à leur tour. Ils ont repris le petit
poste et ils nous ont prit une patrouille prisonnière.
Ça ne m'étonne pas car avec les officiers que nous avons,
ils ne sont que bons pour la paye. Quand il y a une attaqué.
Ils sont tous à 500 ou 600 mètres en arrière. Aussi
il ne faut pas croire que nous sortirons les Boches de chez nous. Ils
sont trop mieux dirigés que nous. Enfin, je me demande à
quand finira cette vie. Si ça dure, nous sommes tous pour y passer.
Quant à la victoire, sûr que nous l'aurons pas.
Cher beau-frère, j'ai reçu des nouvelles de Narcisse.
Il est en bonne santé, lui aussi. J'ai aussi reçu des
nouvelles de Champdieu. Tout le monde va bien pour le moment. Je vous
dirai que je ne vas pas aux avant-postes car j'ai passé cuistot.
Ce n'est pas bien mon métier mais à la guerre on se débrouille
comme l'on peut. Au moins la nuit je suis tranquille je ne vais pas
travailler comme les autres.
Cher beau-frère, je vous envoie ma photo. Je termine donc en
vous embrassant bien fort. A bientôt ce jour de délivrance.
Je suis toujours votre beau-frère qui vous aime et qui pense
toujours à vous.
Jean Fauchet
4 - Toujours en première
ligne : Jamais ils les sortiront
Soissons 14 juillet 1915
Cher beau-frère, chère belle-sur,
Deux mots pour faire réponse à votre lettre qui m'a bien
fait plaisir de vous savoir en bonne santé. Moi aussi la santé
est très bonne et je désire que ma lettre vous en trouve
encore de même.
Je vous dirai que mon bras est guéri. J'ai repris mon service
aujourd'hui mais j'ai tiré 24 jours quand même que je n'ai
rien fait du tout.
Je vous dirai aussi qu'il y a des permissions pour tous ceux qui ont
fait au moins 6 mois de tranchées. Mais comme nous sommes toujours
en 1re ligne, il en part très peu : 7 tous les 10 jours. Il faut
1 an pour que la compagnie y passe toute et surtout que nous ne pouvons
pas être relevés car la brigade qui nous relève
a été transportée en auto au Moulin-sous-Touvent
comme renfort car ça tape dans ces contrées.
Cher beau-frère, nous aussi le secteur ne vient pas bon. Ils
ont pris à nous envoyer des bombes et tous les jours ils nous
en tuent quelques-uns. Nous sommes été obligés
de nous reculer à un poste que nous occupions. Tout ce qui s'y
trouvait a été tué ou blessé.
Il y a déjà quelque temps que je n'ai pas eu de nouvelles
de Narcisse. Sa dernière lettre était du 24. Jean Magand
est toujours avec moi et en bonne santé.
Cher beau-frère, je me demande à quand finira cette guerre.
C'est terrible quand même s'ils veulent attendre de les sortir
de chez nous. Jamais ils les sortiront et puis voilà déjà
plusieurs régiments qui ne veulent plus marcher mais je crois
que nous en ferons bien la même.
Au revoir donc cher beau-frère et chère belle-sur.
Votre beau-frère qui vous aime.
Jean Fauchet
[Adresse] Monsieur
Jean Couhard, Employé au P.L.M à Francheville-le-Bas,
Lyon (Rhône)
5 - Profond découragement
: Nous sommes tous pour y passer
Soissons 18 novembre 1915
Chers beau-frère, belle-sur,
Je fais réponse à votre lettre qui m'a bien fait plaisir
de savoir de vos nouvelles et votre bonne santé. Moi aussi la
santé est toujours assez bonne et je désire que ma lettre
vous en trouve de même.
Cher beau-frère, en ce moment je suis à Soissons. Je viens
de tirer 8 jours en 1re ligne. Là on est un peu plus tranquille
mais toutes les nuits, il nous faut aller travailler. Les 8 jours que
j'ai passés en 1re ligne, nous avons eu la pluie tous les jours
et ces salauds de Boches nous ont envoyé des bombes asphyxiantes
mais par bonheur que nous avions les tampons et lunettes contre ces
gaz mais ça nous a bien gênés quand même.
Enfin, cher beau-frère, je crois si ça continue nous sommes
tous pour y passer car je n'ai plus d'espoir. A ma compagnie de 63 que
nous venions du 103 nous ne sommes plus que 32 ou 33. Tout doucement
il en reste plus. Quant à aller en permission, je ne suis pas
prêt à y aller car le colon en veut pas de permission.
Il en part si peu que ça compte pas.
Enfin, cher beau-frère, ceux qui auront le bonheur de s'en aller
de cette guerre pourront s'en rappeler. Plus grand chose pour aujourd'hui.
Au revoir donc cher beau-frère et chère belle sur,
je suis toujours votre beau-frère qui vous aime et pense toujours
à vous.
Jean Fauchet
Au 216e rég. d'inf., 21e compagnie, 4e section, secteur postal
n° 58
6 - Combats à Verdun
: Je ne reste plus que tout seul
Le 10 juin 1916
Mon cher beau-frère,
belle sur,
Je m'empresse à faire réponse à votre lettre qui
m'a bien fait plaisir de savoir de vos nouvelles et votre bonne santé.
Quant à moi la santé est assez bonne et je désire
que ma carte vous en trouve de même.
Cher beau-frère, je vous dirai que je suis à Verdun. Nous
avons fait 6 jours de 1e ligne du 1er du mois, nous avons plus de la
moitié du régiment de perdue. Nous y avons laissé
à peu près 1 000 hommes. Il y a beaucoup de prisonniers
mais vous pouvez croire que c'est terrible. Sous un bombardement pareil
on marchait sur les cadavres et dans la boue. Tous les camarades du
pays ont été blessés ou prisonniers ou morts. Je
ne reste plus que tout seul. Il y en a beaucoup qui ont été
brûlés tout vivants.
C'est affreux. Je ne sais comme je me suis échappé. Nous
avions tombé juste sur l'attaque le 3 entre Veaux et le bois
de la Caillette au ravin de la mort. Mais c'est impossible de résister
sous leurs marmites. Notre artillerie est trop inférieure et
puis c'est trop mal dirigé. Enfin celui qui n'a pas vu Verdun
n'a rien vu. Je ne vois plus grand chose pour aujourd'hui.
J'ai reçu des nouvelles de Champdieu, ils sont en bonne santé,
je vous dirai que Magand est blessé mais ce n'est pas grave.
Au revoir donc, chers beau-frère et belle-sur.
Votre beau-frère qui vous aime.
Jean Fauchet
7 - Les gaz asphyxiants :
alors j'ai commencé à vomir
Ambulance de Rupt 17 février
1917
Mon cher beau-frère, chère belle-sur,
Je vous écris ces quelques mots pour vous faire savoir de mes
nouvelles et en même temps apprendre des vôtres. Je vous
dirai que je suis à l'ambulance . J'ai été empoisonné
par les gaz asphyxiants dans la nuit du 13 au 14. Ils nous ont bombardés
tout le jour avec des gros obus puis à minuit, après le
bombardement, ils nous ont envoyé 2 vagues de gaz. Ils se sont
amenés ensuite mais malgré que nous étions moitié
asphyxiés on les a bien reçus. Ils n'ont pas pu arriver
jusqu'à notre 1re ligne.
Je vous dirai que malgré mon masque j'en avais trop respiré.
Au jour je suis été me reposer dans un abri. Alors j'ai
commencé à vomir et puis que j'étais malade ainsi
que beaucoup de camarades. A 11 heures j'ai sorti de l'abri en croyant
que l'air me ferait du bien mais au contraire j'ai tombé mort.
Alors des camarades m'ont emporté au poste de secours. Ils m'ont
donné des drogues pour me faire vomir et des piqûres pour
ça. Enfin ça va mieux à présent mais je
vous assure que j'ai souffert. J'aimerais mieux une balle en pleine
tête que de mourir empoisonné.
Pour le moment je suis à l'ambulance de la division. Aujourd'hui
pour essayer de me lever mais je n'ai pas resté longtemps. Je
suis trop faible. Je ne prends que du lait, rien d'autre chose mais
je vois que ça va mieux tout de même. Je pense que d'ici
quelques jours je partirai dans quelque hôpital mais pour le moment
je suis trop faible.
Plus grand chose pour aujourd'hui. Je n'ai plus eu de nouvelles de Champdieu
depuis. Je pense que Marie doit se faire du mauvais sang mais rassurez-la
car ça va bien mieux.
Au revoir donc chers beau-frère et belle-sur.
Votre beau-frère
Jean Fauchet
8 - A
l'ambulance : Je serai guéri trop vite
malheureusement
Ambulance
26 février 1917
Ma très chère Marie,
Je m'empresse à faire réponse à ta lettre du 21
que je viens de recevoir et qui m'a bien fait plaisir de savoir de vos
nouvelles et votre bonne santé.
Quant à moi la santé ne va pas trop mal. Je serai guéri
trop vite malheureusement. Je vois que je ne pourrai pas être
évacué plus loin. Ca m'embête bien car je ne pourrai
pas avoir de perm. Je vois que dans 2 ou 3 jours si ça continue
il va me mettre sortant et j'irai encore à la compagnie de dépôt.
Nous étions 4 des asphyxiés. Il y en a déjà
un de parti. Je n'ai pas de chance d'être si robuste. Enfin je
ferai bien ce que je pourrai si je pouvais partir de cette ambulance
mais c'est bien difficile.
Ma chère Marie, je t'en prie, faut pas te faire du mauvais sang
car ça va bien mieux mais dans ce métier on ne cherche
pas à guérir. Si j'étais à la maison, il
y a plusieurs jours que je serais guéri. Je te dirai que je suis
toujours aux ufs et au lait mais ça ne m'empêche
pas de boire du pinard quand je peux. Enfin ça me fera toujours
tirer quelques jours que je suis mieux qu'en 1re ligne et ça
ne me retarde pas mon tour de perm.
Chère Marie, je te dirai que ces jours-ci il fait très
beau. Les nuits, il gèle encore pas mal. Je pense qu'au pays
il doit faire beau aussi. Je pense que ça doit avancer à
sécher. Tu me diras si la récolte se trouve un peu car
elle était cuite par les gelées. Je pense aussi que tes
veaux profitent toujours mais tu ne dois pas avoir trop de lait pour
leur donner.
Je ne vois plus grand chose à te dire pour aujourd'hui mais toujours
soigne-toi bien et ne tire pas peine de moi. Et embrasse bien ma petite
Jeanne pour moi.
Au revoir donc, chère Marie et chère Jeanne.
Ton époux et papa qui vous aime et embrasse bien fort et pense
constamment à vous.
Jean Fauchet
Un bonjour de ma part à la mère et aux amis.
9 - A l'hôpital de Loxéville :
Je suis très content
Loxéville 28 février
1917
Ma chère Marie,
Deux mots pour te faire savoir que je suis à l'hôpital
de Loxeville depuis ce soir. Je te fais porter cette lettre par un permissionnaire
de Saint-Etienne. Je te dirai que je suis très content et je
te dirai aussi que ça va toujours de mieux en mieux. Je termine
donc en vous embrassant tous bien fort.
Ton époux et papa qui vous aime et embrasse bien fort.
Jean Fauchet
Voilà mon adresse : 216e hôpital d'évacuation 17
Loxéville 17/2
10 - Toujours à l'hôpital :
Pour le moment je tousse beaucoup
Loxéville, Meuse
4 [mars] 1917
Cher beau-frère, chère belle sur,
Je m'empresse de faire réponse à votre carte qui m'a fait
plaisir de savoir de vos nouvelles. Quant à moi chers beau-frère
belle sur la santé va mieux. Je souffre bien moins à
présent. Je vous dirai que j'ai changé. Je suis à
l'hôpital de Loxéville pas loin de Bar-le-Duc.
Je ne suis pas mal, mieux qu'à l'ambulance. Enfin je pense d'ici
une quinzaine de jours aller en convalescence de 7 jours. Ça
sera toujours ça de tiré. Enfin pour le moment je tousse
toujours beaucoup car ça m'a déclaré une bronchite
mais je crois que je m'en sentirai longtemps car c'est très mauvais
ces gaz. Je crois que je ferai mieux d'hôpital à présent
que de service.
Cher beau-frère et belle-sur, je ne vois plus grand chose
pour aujourd'hui. Je termine donc en vous disant au revoir. Votre beau-frère
qui vous embrasse bien fort.
Jean Fauchet
au 216e d'infanterie
Hôpital d'évacuation 17/2
Erenoncourt Loxeville Meuse
11 - Repos "provisoire"
dans les Vosges : La récolte n'est pas mûre encore
Biffontaine le 24 juin 1917
Ma chère Marie, chère Jeanne,
Je m'empresse à faire réponse à ta lettre du 20
que j'ai reçue hier et qui m'a fait grand plaisir de savoir de
vos nouvelles et surtout votre bonne santé. Quant à moi
la santé est toujours très bonne et je désire que
ma lettre vous en trouve tous de même.
Ma chère Marie tu me dis qu'il est très sec mais je pense
qu'il aura fait comme dans les Vosges, il aura tombé de l'eau.
Voilà 4 ou 5 jours qu'il fait qu'à pleuvoir mais aujourd'hui
il a l'air de faire beau temps.
Je te dirai que nous sommes toujours au même endroit mais on s'attend
à embarquer d'un moment à l'autre car les bataillons sont
partis. Il n'y a que le dépôt. Je ne sais pas où
on va nous traîner. Il y a eu un chambard terrible quand ils sont
partis. Ca finira que personne ne marchera plus. D'ailleurs c'est tous
les régiments pareil. Il faut en arriver là ou bien il
n'y a pas de fin.
Ma chère Marie tu me dis que les petits cochons ont bien baissé.
J'espère que cette baisse pourra pas durer, que les tiens ne
doivent pas être vilains. A présent je pense, chère
Marie, que M. Lugnier est en perm. Je pense qu'il aura été
te voir. Tu me diras si Roland est en convalescence. Il va venir me
rejoindre à la caserne de départ.
Chère Marie tu me dis que Joseph a été voir tes
cochons mais je tiens pas que tu les vendes à lui car il est
pas si raisonnable.
Je ne vois plus grand chose à te dire pour aujourd'hui mais toujours
ne te fais pas de mauvais sang et soigne-toi bien et embrasse bien ma
petite Jeanne pour moi.
Je pense que tu vas faire couper ton pré dans la semaine quoique
tu as le temps. La récolte n'est pas mûre encore.
Au revoir donc chère Marie et chère petite Jeanne. Ton
époux et papa qui vous aime et embrasse bien fort.
Jean Fauchet
12 -
Écho des mutineries de 1917 : Notre
bandit de général
Sommelonne 15 juillet 1917
Cher beau-frère, chère belle-sur,
Je fais réponse à votre lettre que j'ai reçue les
jours passés et qui m'a bien fait plaisir de savoir de vos nouvelles
et votre bonne santé.
Quant à moi la santé est toujours assez bonne et je désire
que ma lettre vous en trouve tous de même.
Cher beau-frère, je vous dirai que je suis toujours à
la compagnie de dépôt. Nous sommes toujours dans la Meuse.
La division est à la cote 304 et le Mort-Homme. C'est encore
un coin pas bon. Je pense que je ne va pas tarder à remonter
en ligne car il y a des pertes tous les jours. Il faudra bien les remplacer.
Enfin d'ailleurs on est tous pour y passer.
C'est une guerre qu'on y voit plus de fin. Et puis il n'y a pas que
les Boches qui nous font la guerre, les Français nous en font
mieux voir que les Boches. Enfin, ce coup-là, notre bandit de
général qui en a tant fait massacrer est parti. Il a vu
que c'était temps car on lui avait promis de lui faire le coup.
Je vous dirai aussi qu'il y a eu un chambard formidable et y a eu un
régiment de ma division qui n'a pas voulu marcher. Ils ont zigouillé
quelques officiers et plusieurs gendarmes. Enfin, vivement que tous
fassent pareil autrement jamais nous en finirons. Ceux qui veulent sortir
les Boches, ils peuvent y venir, quant à nous, ils nous gênent
pas.
Au revoir donc chers beau-frère et belle-sur.
Votre beau-frère qui vous aime.
Jean Fauchet
13 - Grande revue
: Pétain nous a trouvés
assez gras pour nous mener à l'abattoir
Louze 1er octobre 1917
Mon cher beau-frère, chère belle-sur,
Je m'empresse à faire réponse à votre lettre du
21 que j'ai reçue et qui m'a fait grand plaisir de savoir de
vos nouvelles et en bonne santé. Quant à moi, la santé
est toujours assez bonne et je désire que ma lettre vous en trouve
tous de même.
Chers beau-frère, belle-sur, je vous dirai que nous sommes
toujours en repos mais je crois que nous allons partir bientôt.
Je ne sais pas où on va nous diriger mais après un repos
assez long sûrement que ce sera pas dans un bon coin que nous
allons aller. Enfin nous voilà encore pour un autre hiver. Ce
n'est guère encourageant aussi vous pouvez croire que le moral
est bas quand on se voit diriger par des bandits pareils.
Chers beau-frère belle-sur, je vous dirai qu'il fait tout
à fait beau où nous sommes. Je pense qu'au pays c'est
pareil mais il faudrait une pluie car ça doit être sec
pour semer. Mais d'un côté je voudrais que personne ne
sème rien au moins la guerre serait plus vite finie. Je vous
dirai que voilà 3 ou 4 jours je n'ai pas reçu des nouvelles
de Champdieu.
Je ne sais pas si c'est ma petite Jeanne qui va plus mal car elle a
été bien malade. Aussi le temps me dure d'avoir une lettre.
Je ne vois plus grand chose à vous dire que nous avons passé
la revue de Petain. Je crois qu'il nous a trouvés assez gras
pour nous mener à l'abattoir. Je termine donc en vous disant
au-revoir.
Cher beau-frère et chère belle-sur, votre beau-frère
qui vous aime et vous embrasse.
Jean Fauchet
14 -
Départ pour le repos :
Je t'ai envoyé ma citation
Le 15 oct. 1917
Ma chère Marie, chère Jeanne,
Je m'empresse à faire réponse à ta lettre du 11
qui m'a fait plaisir de savoir de vos nouvelles mais comme je vois vous
êtes bien enrhumées. Enfin j'espère que vous devez
mieux aller. Quant à moi la santé est toujours très
bonne et je désire que ma lettre vous en trouve tous de même.
Ma chère Marie, tu me dis que tu arraches les patates, comme
je vois tu en as encore eu [une bonne quantité] pour le morceau
que tu avais. Ce morceau du milieu il fallait bien s'y attendre qu'il
n'y en avait guère.
Chère Marie, tu me dis que tu pourrais semer à Malvaure
la semaine prochaine. Tu pourras commencer, si tu peux, [à] l'herser
cette semaine tout prêt quand même que ce ne soit pas labouré.
Je pense que ce doit être fini de débarrasser. Si tu peux
toute la semer cette terre, tu ferais pas mal car tu auras les Purelles
pour les patates mais il te faudra acheter quelques doubles de blé.
Ma chère Marie, tu me dis que M. David a été te
voir. Je pense que M. Lugnier sera été te voir aussi car
il est parti du 9 ou 10.
Je te dirai que ce soir nous sommes relevés. Nous allons en repos
pour 9 jours a Sommedieu . Je te dirai que c'est toujours le même
temps, la pluie.
Chère Marie je ne sais plus de nouvelles de François.
Je lui ai écrit il y a déjà un mois. Je n'ai pas
eu de réponse.
Chère Marie, je t'ai envoyé ma citation. Je crois que
c'est dans la lettre du 1er. Tu ne me parles pas si tu l'a reçue.
Plus grand chose à te dire pour aujourd'hui. J'aimerais [au]tant
rester en ligne où je suis car cette nuit nous avons 15 à
18 km à faire dans la boue et chargés comme des mulets
pour remonter au bout de 9 jours.
Enfin faut pas te faire du mauvais sang et ne tire pas peine de moi
et surtout soigne-toi bien et ainsi que ma petite Jeanne et embrasse-la
bien pour moi.
Au revoir donc, chère Marie et chère petite Jeanne.
Ton époux et papa qui vous aime et embrasse bien fort.
Jean Fauchet
15 - Du Foyer du Soldat :
Le temps me dure
18 octobre 1917
Ma chère Marie, chère Jeanne,
C'est avec plaisir que je fais réponse à tes 2 lettres
du 13 et du 15 que j'ai reçues toutes les 2 aujourd'hui et qui
m'ont bien fait plaisir de savoir de vos nouvelles et de votre bonne
santé.
Quant à moi la santé est toujours très bonne et
je désire que ma lettre vous trouve tous de même.
Ma chère Marie je suis été bien content de recevoir
tes lettres car le temps commençait à me durer car quand
je reste un jour de plus le temps me dure. Ma chère Marie tu
me dis qu'il ne fait pas bon au pays. Pour nous c'est pareil. Il a fait
2 jours de beau mais aujourd'hui encore la pluie.
Enfin je ne suis pas mal. On va travailler le jour mais comme travail
ce n'est pas dur. On a toujours les nuits de bonnes. Je te dirai que
j'ai vu Roland encore aujourd'hui. Il est en bonne santé lui
aussi.
Ma chère Marie tu me dis que Catherine a acheté un garçon
mais comme je vois il n'y a pas un gros morceau. Enfin j'espère
que tout aille bien. Tu me parles qu'il y a des sursis mais il faut
être en perm pour en avoir. Je ne sais pas encore bien comment
ça marche.
Chère Marie je t'ai envoyé ma citation vers le 1er septembre,
tu ne me parles pas si tu l'as reçue. Peut-être qu'elle
sera perdue.
Chère Marie je te
dirai que je pense que M. Lugnier a été te voir. Chère
Marie je pense que tu pourras commencer à semer ces jours-ci.
J'espère que tu auras bien vendu ton cochon. Plus grand chose
à te dire pour aujourd'hui. Je termine en te recommandant de
te bien soigner et ne tire pas peine pour moi. Et embrasse bien ma petite
Jeanne pour moi. Au revoir donc, chère Marie et chère
petite Jeanne. Ton époux et papa qui vous aiment et vous embrasse
bien.
Jean Fauchet
Je t'écris à
la veillée au foyer du soldat. Je vais me coucher. Bonsoir.
16 - Après l'Armistice : Enfin,
vivement la fuite
Le 28 novembre 1918
Cher beau-frère, chère belle-sur,
Je m'empresse à vous écrire ces 2 mots pour vous faire
savoir de mes nouvelles qui sont toujours très bonnes et je désire
que ma petite lettre vous en trouve de même.
Chers beau-frère, belle-sur, je vous dirai que je suis
été en perm. Je suis parti le 5. Ça fait que j'étais
à Champdieu le jour qu'on a cessé de se battre. Inutile
de vous dire quelle joie ce jour-là.
Je vous dirai que je suis reparti le 21 et je n'ai pas encore trouvé
mon régiment. Ils sont en Alsace comme troupe d'occupation. Je
devais rejoindre Luxeuil (Haute-Saône) et j'y suis toujours. On
attend toujours pour qu'ils nous fasse rejoindre mais tant que ma division
n'est pas arrivée à destination, ils ne nous font pas
partir. On s'y ennuie car comme ravitaillement c'est maigre. Nous sommes
1 200 à la même cuisine. Je vous parle d'un fourbi. Et
puis aucune lettre ne parvient. Enfin, vivement la fuite. Ça
vaudra encore bien mieux. Plus grand chose pour aujourd'hui. J'ai passé
une bonne perm. C'était plus gai que les autres.
Je termine donc pour aujourd'hui. Au revoir donc, cher beau-frère,
chère belle-sur. Votre beau-frère qui vous aime
et vous embrasse bien fort.
Jean Fauchet
Le 216e R.I. pendant la guerre de 1914-1918
Du 2 au 11 août 1914, constitution à
Montbrison du 216e régiment d'infanterie sous les ordres du lieutenant-colonel
Hertman. Régiment de réserve, il est pour l'essentiel
formé de réservistes du Forez et d'Auvergne. Il appartient
à la 125e brigade de la 63e division d'infanterie.
Le régiment quitte Montbrison le 11 août pour la front
Il gagne par étapes la frontière qu'il franchit près
de Belfort pour entrer en Alsace où il est en contact avec l'ennemi.
Le 25 août, il se replie dans les Vosges en franchissant le col
de Bussang. Il s'embarque à la gare du Thillot pour aller dans
l'Oise en passant par Paris.
Les 7 et 8 septembre, il participe à la bataille de la Marne
et subit de lourdes pertes. La moitié de l'effectif est mis hors
de combat. Le 11 septembre le 216e entre à Villers-Cotterêts
et le 12 il franchit l'Aisne. Le 20 septembre, autour de la ferme de
Confrécourt, il résiste à une violente contre-attaque
allemande avec des pertes sensibles. Le chef de corps est blessé,
4 officiers sont tués. Le 6e bataillon est cité à
l'ordre de l'armée. Le commandant Roux prend le commandement.
Les positions sont alors à peu près fixées. La
guerre de tranchées commence. Le 216e reste jusqu'au 22 janvier1915
sur le plateau boueux à fortifier ses positions en subissant
les tirs de l'artillerie allemande.
A la limite de l'épuisement, il est relevé le 22 janvier
et envoyé en repos à Ressons-le-Long. Là, le 216e
est reconstitué et équipé de neuf. Il est passé
en revue par les généraux Joffre et Franchet d'Esperey
le 11 février près d'Hartennes.
Le 26 février, il remonte en ligne dans le secteur de Vassenay
(Aisne) puis près de Soissons. Pendant les neuf mois qui suivent,
de mars à décembre 1915, le secteur reste relativement
calme.
Le régiment est relevé le 27 janvier 1916 et va cantonner
à Châtllon-sur-Marne. Il repart pour le front le 16 février
dans le secteur de La Neuville (Aisne).
Il est envoyé à Verdun le 1er juin. Il prend part, pendant
trois semaines, à de furieux combats notamment autour du fort
de Vaux. Les soldats du 6e bataillon creuse alors dans le bois de Vaux-Chapître
une tranchée qu'ils nomment "Montbrison".
Le 20 juin, le 216e est relevé et ses restes redescendent du
front par la "Voie Sacrée". Le régiment va ensuite,
par étapes, dans les Vosges.
Du 28 août au 28 septembre il est engagé en Alsace.
Le régiment part ensuite pour Verdun. Il arrive le 2 octobre
à Haudainville et monte en ligne, une nouvelle fois, devant le
fort de Vaux. Le 25 octobre il participe à l'attaque sur ce fort
qui suit la prise de Douaumont. Le fort résiste parce que la
préparation d'artillerie a été insuffisante. A
la fin d'octobre le 216e décimé est relevé et part
trois semaines en Argonne.
Il remonte en ligne le 25 novembre dans le secteur de Chauvoncourt près
de Saint-Mihiel. De décembre 1916 à mars 1917, le secteur
est relativement calme.
En avril 1917, il effectue de grandes manuvres avec toute la division
au camp d'Arche. Puis le régiment remonte au front dans les Vosges
(secteur de La Fontenelle). Le 18 juin, la 21e compagnie (celle de Jean
Fauchet) commandée par le capitaine Vincent de Saint-Bonnet exécute
un coup de main, pénètre jusqu'à la 3e ligne allemande,
fouille les abris, ramène des prisonniers et du matériel.
Elle est citée à l'ordre de l'armée. Le lieutenant-colonel
Lemaître prend le commandement du 216e.
Le 18 juin, le 216e est relevé, il part en repos à la
Bruyère. Le général Écochard prend le commandement
le la division.
Le 1er juillet, pour la 3e fois, le 216e remonte à Verdun et
occupe les lignes au pied de Mort-Homme. Il subit des attaques aux gaz
toxiques.
Le 17 août il est relevé par des troupes d'assaut et part
pour Louze, en Argonne, pour un temps de repos.
Le 1er octobre 1917, il remonte en ligne aux Éparges (Meuse).
Il est relevé le 7 novembre.
Pour la 4e fois, il repart le 8 décembre à Verdun où
il reste jusqu'au 18 janvier 1918. Il revient ensuite à l'arrière,
vers Sainte-Menehould. Le 20 février, il remonte en ligne en
Champagne. Le 16 juillet la division est relevée.
En juillet 1918, le 216e participe à la contre-attaque qui répond
à l'offensive sur le front de Champagne de Lüdendorff.
Le régiment est dissout à la fin du mois de juillet 1918.
notes d'après
les sites suivants :
63edi.canalblog.com
perso.wanadoo.fr/chtimiste/batailles1418
perso.wanadoo.fr/champagne1418
Cahier de Village de Forez, n°
20, février 2006