Patois vivant



Jean Chambon

(1915-1994)

 

La moto de Jean

Jean Chambon

(patois de Saint-Bonnet-le-Courreau)

enregistrement au cours des veillées du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, rue de Clercs, le 4 mai 1984


pour écouter cliquer ci-dessous

(6 min 9 s)

Avant la guerre de 39, j'avais une grosse moto : une 350 culbutée, 4 chevaux. Je l'avais achetée d'occasion : seize cents francs. J'ai acheté cette moto quand j'étais au régiment à Clermont avec les sous que j'avais gagnés quand j'étais placé, valet, dans les fermes de Saint-Bonnet. Ce qui me fit acheter cette machine c'est que mon frère fut affecté au même régiment que moi alors que j'avais fait un an. Le service, alors [adon], était de deux ans.

Nous nous en servions pour venir en permission de vingt-quatre heures ou de trente-six heures et même, des moments, en permission de minuit. Ça allait plus vite que le train, d'autant plus qu'il fallait monter de Montbrison à Planchat (1), à pied.

Quand la guerre se déclara je l'amenai à Planchat, chez ma mère, où elle resta sous le hangar [chapi] les cinq ans de ma captivité. Personne n'y toucha, il n'y avait pas d'essence. Quand je revins, en quarante-cinq, j'étais content de retrouver ma moto que j'aimais bien. Mais on ne pouvait guère rouler. Ils [les pouvoirs publics] donnaient des bons d'essence de cinq litres par mois et "ça n'abondait guère".

Je me mariai et l'année d'après il m'arriva des jumeaux [éna bessounè]. Comment faire pour aller se promener en moto ? Comme du temps de la guerre j'étais agent de liaison avec un side-car, il me vint l'idée d'emmancher un "side" à ma moto. J'avais repéré chez Béraud le carrossier un side[-car] de l'armée dans un tas de ferraille. J'allais lui demander de me le vendre et il me le laissa pour mille francs. Avec Blanchet le serrurier - qu'on a bien connu - nous montâmes ce panier sur la moto. Ça me coûta six cents francs de travail. C'était pas cher.

Mais pour essayer ce side-car, j'allai demander à mon beau-frère Joseph de venir avec moi. C'était un samedi après-midi. Joseph, bonne pâte, ne se fit pas prier. En arrivant devant chez Blanchet, je lui dis : "Monte dans cette corbeille". Je voulais essayer mon side-car. Mon Joseph était à peine monté dedans que je démarrai au guidon de la moto. Et nous voici partis vers Savigneux : première, seconde, ça allait tout à fait ["franc"] bien.

Mais quand je passai sous le pont du chemin de fer, que je pris la troisième, je me tournai vers mon beau-frère qui se mit à transpirer, en passant par toutes les couleurs, du rouge au vert. Il soufflait, il n'en pouvait plus. Je lui criai : Ça ne va pas Joseph ? Il me fit signe que non. Alors je m'arrêtai, vers la route de Précieux. Alors il me dit : Tant que tu allais à trente ou quarante à l'heure, ça allait mais quand tu as pris la troisième que tu roulais à soixante à l'heure je ne pouvais plus suivre, tu ne m'avais pas dit que le panier…, le side-car n'avait pas de fond.

En arrivant de faire cet essai je confectionnai vite un plancher en planches de caisse que j'ajustai solidement au fond du side. Et la première grande expédition fut de monter à la fête de la Saint-Barthélemy, à Saint-Bonnet où on était invités à dîner, en famille. Au milieu de l'après-midi du dimanche de la Saint-Barthélemy, la femme sort le matelas [lo cuitre] du lit des jumeaux qui avaient de huit à neuf mois pour l'étaler ["aplater"] au fond du side-car avec une alèse en caoutchouc et un petit oreiller ["carré"] par-dessus. [Elle] prépara un petit panier où elle mit la lampe à alcool à brûler, deux fioles en verre du biberon, beaucoup de carrés de serviette-éponge, les "pampers" n'existaient pas encore. [Elle] enfonce ce panier dans le pointu [du side-car] devant le matelas. [Elle] couche les gamins qui avaient un grand sourire de monter dans cette caisse en fer et d'être dehors. La femme, à cheval sur le porte-bagages, moi au guidon, et nous voilà partis, tous les quatre, sur la route Nouvelle.

Ça marcha bien jusqu'à la Guillanche, mais quand arriva le premier virage, il fallut prendre la première. Et ça montait pas vite mais ça allait quand même d'autant plus que les gamins dormaient. Mais quand on fut vers la chapelle d'Essertines-Basses, voilà que mon side se sépare de la moto. Le side s'affala sur la route. Une barre qui reliait le tout se dessouda. J'arrêtai, bien sûr, mais dès que ça ne pétait plus, les jumeaux se réveillèrent et se mirent à pleurer ["bialer"]. La femme les sort de la caisse, les promène un peu sur la route, mais du moment que ça ne pétait plus, ça n'allait plus. Elle sortit donc du panier la lampe à alcool pour leur faire chauffer un biberon mais pas d'allumettes. On les avait oubliées. Que faire ?

Je commençai donc à dévisser cette barre d'attache du panier avec une clé à molette que j'avais fait suivre, sans trop savoir comment j'allais réparer mon affaire. Mais voilà qu'une auto montait sur la route. C'était Jean Bernard qui allait aussi à la fête de Saint-Bonnet. Il s'arrête, me propose ses services. Et il se trouva d'avoir du fil de fer et des allumettes. Nous avons réparé notre engin tant bien que mal et nous sommes repartis quand même. La moto et le side-car étaient, après la réparation, un peu déséquilibrés. Ça tirait sur un côté "affreux" mais nous sommes arrivés à Saint-Bonnet pour midi. Pas besoin de vous dire que les biceps des bras me faisaient bien mal quand nous sommes arrivés au bourg.

(1) Hameau de la commune de Saint-Bonnet-le-Courreau.



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mise à jour le 13 juin 2013