Patois vivant



Jean Chambon

(1915-1994)

 

Petites histoires

racon
tées par Jean Chambon

(patois de Saint-Bonnet-le-Courreau)

enregistrées au cours des veillées du groupe Patois Vivant
au Centre social de Montbrison, rue de Clercs, dans les années 1980


La cueillette des pommes

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(54 s)

Une servante placée dans une ferme rencontre sa sœur à la sortie de la messe du village.


Alors, le dimanche, la Juliette, elle trouve sa sœur, à la sortie de la messe. Elle lui dit :

- Qu'est-ce vous faites chez Durand ?
- Oh ! il m'emmerde. Il me fait toujours ramasser des pommes. Et puis, mon patron, il tient l'escabeau dessous. [Il me fait] toujours monter à l'escabeau et il regarde par-dessous.
- Mais, c'est pour voir tes culottes, pardi !
- Ha bon ! Si c'est comme ça, je l'aurai bien, quoi.

Le dimanche suivant, elles se retrouvent, la Juliette et sa sœur. Elle lui dit :

- Tu montes toujours à l'escabeau pour ramasser les pommes ?
- Oh ! mais hé ! Il ne m'a plus, cette fois. Il ne regarde plus mes culottes.
- Mais comment tu fais ?
- Eh bien, avant de monter à l'arbre, je vais derrière un buisson, je quitte mes culottes, je les cache dans le buisson et puis après je monte sur l'escabeau. Pour voir mes culottes, il peut toujours courir !

Voyage en train

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(2 min 26 s)


Il y avait un gars de Saint-Julien-la-Vêtre, qui pouvait avoir une vingtaine d'années, vingt-deux ans. Et son frère aîné était à la maison et il dit à sa mère et ses parents :

- Mon frère est à la maison, moi je suis de reste. Vous ne pouvez pas me donner un "gage" [un salaire], je suis obligé de partir, travailler ailleurs. J'ai envie d'aller à Boën.
- Si tu as envie de partir, tu n'as qu'à partir parce qu'on ne peut pas te donner un gage. Parce que notre propriété, on n'a que cinq vaches. Ce n'est pas avec cinq vaches qu'on peut nourrir toute la maisonnée, quoi.

Alors le Baptiste prit le train et il alla à Boën. Pour s'embaucher, il alla voir chez Gauchon.

- Qu'est-ce que tu as comme métier ? Le directeur lui demanda.
- Oh ! Je suis paysan.
- Oh ! Bien oui. On aime bien ceux de la montagne. Tu feras bien notre affaire. On va te mettre à arranger la ferraille, décharger les wagons. T'es costaud, ça fera bien notre affaire.

Il s'embaucha chez Gauchon, quoi. Puis au bout de dix, douze ans - bien sûr, il s'était marié, entre temps - il y a eu le garçon, le garçon aîné qui faisait sa première communion. Et pour la première communion, il invita toute sa famille : sa mère - parce que son père était mort - il y avait sa mère, son frère, la femme de son frère et puis les trois enfants. Toute la famille vint à Boën pour le repas de première communion.

Alors le jour de la première communion, ils allèrent prendre le train à Saint-Jean-la-Vêtre, le frère aîné et toute la famille, la mère… Et ils arrivent au guichet. Il dit au chef de gare :

[suite en français]

- Je voudrais trois places et demie pour Boën. Mais vous êtes combien ?
- Eh ben, mais on est quatre quoi. Il y a ma mère, il y a ma femme, il y a moi, les deux gamins. Et le petit, le petit là qui…
- Le petit, mais il est ben grand ce petit ! Il a quel âge ?
- Il a sept ans, mais il ne va pas payer… il est grand quoi, il a sept ans ; il ne va pas payer, il va payer demi-tarif …
- Mais comment, il a plus de sept ans, il a des culottes longues ! Il a plus de sept ans ce gamin !

[retour au patois]

- Oh ben ! L'autre lui dit :
Si vous regardez à la longueur des culottes, ça ne fait que trois places et demie. Parce que ma mère n'en a pas, ma femme en a des courtes, et le gamin qui en a une grande, ça ne fait que trois places et demie !

Mariage du soleil et de la lune

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(2 min 30 s)

Le soleil s'ennuyait de tourner tout le temps autour de la terre et de voir toujours les mêmes choses : l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique et toutes ces mers qui étaient toutes les mêmes. Il voyait bien la lune, de temps en temps, mais juste le temps de se dire bonjour et de continuer à tourner. Un jour, il se dit que cette lune était bien jolie. Elle a la figure bien ronde et bien rouge. Elle ferait bien ma "bataille" [mon affaire] pour me tenir compagnie. J'ai bien envie de la demander en mariage. Une fois, au cours d'une éclipse, ils bavardèrent un bon moment. Le soleil avait tout à fait envie de la lune pour femme. Il s'arma de courage et lui demanda : Veux-tu être ma femme ? La lune devint encore plus rouge qu'avant et répondit : Mais, bien sûr, mais il faut demander au Père éternel - Bon je m'en occuperai, dit le soleil.

Le lendemain, le soleil alla voir le Bon Dieu et lui expliqua qu'il aimait bien la lune, qu'elle lui plaisait bien, qu'il la trouvait jolie et qu'il voulait se marier avec.
Mais tu n'y es plus, répondit le Bon Dieu, ça ne peut pas faire… Vous ne serez jamais ensemble. Quand tu te couches, elle, elle se lève et quand elle se couche, toi, tu te lèves.

- Ça ne fait rien. Tous les matins et tous les soirs nous nous rencontrerons. Nous bavarderons un petit moment et puis on peut bien coucher ensemble un quart d'heure ou vingt minutes tous les matins et tous les soirs.
- Enfin tu vois bien ton affaire, dit le Bon Dieu, mais ça m'étonnerait que ça dure longtemps.

Et ils fixèrent la date du mariage pour le 24 du mois d'août. Ce jour-là il y avait une éclipse qui durait quatre heures. Ils pouvaient faire une grosse noce. Ils invitèrent Vénus, Saturne, Mars et Jupiter, tous des gens haut placés. Ils firent un gros banquet, burent beaucoup de canons. Mais il fallait faire vite. Ils n'avaient que quatre heures pour tout faire et puis, après, il fallait partir chacun de son côté et continuer à tourner autour de la terre.

Ça fit bien cinq ou six ans. Ils s'aimaient bien. Ils se rencontraient toujours deux fois par jour, pas longtemps mais assez pour faire des petits. A force de se rencontrer si souvent et si vite que le soleil se lassa. Il alla trouver le Bon Dieu et se plaignit de sa femme. Le Père éternel lui répondit :

- Je t'avais averti que ça ne durerait pas et que ça ne pouvait pas faire.

Le soleil lui répondit :

- Ça ferait bien mais elle est pleine tous les mois et n'arrête pas de me faire des étoiles. Il y en a tellement que je n'en sais pas le compte et je ne peux plus les compter !

L'inséminateur

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(1 min 57 s)

La Rosalie avait deux vaches, une blonde et une "bardelle", une "bardelée (1)", pas une "bardelle". Elle avait entendu parler que, maintenant, il y avait l'insémination artificielle, [qu'] il n'y avait pas besoin de mener la vache au taureau et que l'inséminateur faisait cette chose tout seul.

Un jour la Blonde se mit à vouloir le taureau. Et comme la Rosalie et son homme, Mathieu, n'avaient pas bien le temps de mener la Blonde, de mener la Blonde au taureau dans le hameau d'à côté qui était à trois kilomètres, ils pensèrent, tous les deux, en passant la nuit, d'essayer cette insémination artificielle et de téléphoner à l'inséminateur qui arriva le lendemain matin chez la Rosalie. Ils se demandaient bien, tous les deux, comment ça allait se passer pour faire ça tout seul.

L'inséminateur arrive à la maison. Il demanda un seau d'eau tiède et du savon. Il quitte sa veste, se lave les mains… La Rosalie accroche la veste à un clou contre l'escalier. Il demanda quelle vache voulait le taureau. La Blonde, dit la Rosalie, qui est dans le coin, au fond de l'étable. Et, très discrètement, dit à l'inséminateur en s'en allant :

- Vous trouverez bien un clou pour accrocher vos culottes.


(1) Bardelée : avec une robe tachetée ; bardelle : vache stérile, parler local.

Carabine

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(3 min 20 s)

A Saint-Bonnet, ici, il y avait un célibataire, bordel, il avait une jolie petite ferme. Et il avait plus de trente ans, il ne trouvait pas à se marier parce qu'il était de la campagne, quoi. Et, à la sortie de la messe, le curé allait bavarder avec ses paroissiens [ouailles], quoi. A la sortie de la messe, il discutait :

- Alors, Félix, toujours pas marié ?
- Je ne peux pas me marier. Il n'y en aucune qui veut de moi dès que je parle que je suis paysan. J'ai pourtant mis la machine à traire, j'ai pourtant fait réparer la maison, et puis j'ai mis le machin pour évacuer le fumier, tout. Une ferme-modèle, quoi. Il n'y en a aucune qui veut venir se marier avec moi.
- Oh ! Bordel, c'est dommage. T'es bon type.
- Je suis bien joli, bien tout… [rires] mais il n'y en a aucune qui me veut !
- Oh ! ben, écoute, tu ne sais pas, je réfléchirai. J'en parlerai à mon collègue de Sauvain. Il y a de braves filles à Sauvain qui ne sont pas si fières qu'à Saint-Bonnet. J'en parlerai. Il t'en trouvera une, lui.
- Vous croyez, Père curé ?
- Oui, oui, je m'en occuperai. Tu verras que ça fera.

Alors au bout d'un mois, quoi, le curé de Saint-Bonnet en parla au curé de Sauvain.

- Tu n'aurais pas une fille, bonne à tout faire, pour aller à la campagne, quoi.
- Attends, quoi, la Félicie de chez Picot, ferait peut-être son affaire.
- Fais le nécessaire… Essaie ["tâche moyen"] de les faire rencontrer, quoi.

Et puis, le curé de Sauvain et celui de Saint-Bonnet se mirent d'accord ["dans la manche"] ensemble. Ils les firent rencontrer pour la Saint-Barthélemy (1) de Saint-Bonnet-le-Courreau. Alors ils firent connaissance. Alors cette jolie fille et ce type, ça faisait bien. Il faut se marier.

- Tu veux te marier ?
- Oui, oui, je veux me marier. Bon sang, tu as une jolie petite propriété, tu as l'évacuateur de fumier, tu as la machine à traire. Moi, je suis allée à l'école ménagère, je sais faire la cuisine, ça fera tout, tout bien.
- Il n'y a qu'à se marier.

Et puis après le mariage, il trouve le curé de Saint-Bonnet, quoi.

- Alors, Félix, ça marche ?
- Oh! Il lui dit : Ça marche bien, oh la ! Ça marche bien ! Oui. Et puis je suis bien tombé. Elle sait tout faire.

Et cette fille, ce n'est pas Félicie qu'elle s'appelait, c'est Carabine. J'ai dit Félicie avant, je me suis trompé. C'est Carabine qu'elle s'appelait.

- Carabine, elle sait tout faire. Elle sait faire la soupe, elle sait traire, elle charge le fumier, elle fait face à tout ["elle abonde de partout"] quoi. Et puis, même la nuit. Ça va tout à fait ["franc"] bien, quoi. Je suis tout à fait content.
- Tant mieux !

Et puis au bout de trois mois, il trouve à nouveau monsieur le curé, à la sortie de la messe.

- Ah ! Monsieur le curé, il faudra peut-être bien penser au baptême, là, parce que ça s'approche.
- Mais déjà ! Il n'y a pas si longtemps que tu es marié !
- Oh ! Il dit, oui, vous m'avez fait prendre la Carabine mais vous m'avez pas dit, quand je l'ai prise, qu'elle était chargée !


(1) Fête patronale du village.

Une paire de sabots

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(1 min 43 s)

[La Phine] qui était jeune mariée était tout à fait heureuse en ménage. Son mari était tout à fait gentil et surtout amoureux de sa femme. Aussi, après neuf mois de mariage, est né un garçon et la Phine (1) alla accoucher chez la mère Vacher, en ville [Montbrison]. Tout allait bien dans le ménage mais un an après arriva une fille. Et encore un an après, une autre fille. Alors la Phine, tout à fait démoralisée par toutes ces naissances, qui étaient bien rapprochées parce que ça faisait trois enfants en trois ans, elle dit à la mère Vacher :

- Dites, mère Vacher, vous qui êtes dans le métier, il n'y a pas une combine pour arrêter d'avoir des enfants comme ça, parce que ça commence à m'en faire un peu ? Vous qui connaissez la chose, il faut me donner quelque chose pour arrêter d'avoir des enfants.
- Eh Bon ! Elle dit, attends. Tu fais bien de m'en parler. J'ai un truc qui fait tout à fait bien, qui est radical. Et c'est pas cher.
- Mais comment ? C'est bien simple ?
- Oui, oui, c'est tout à fait simple. Tu achètes une paire de sabots. Tu les tiens bien propres, bien sûr. Et tu les laisses sous le lit. Tu les mets seulement pour te coucher.

Alors la Phine, toute heureuse de cette combine, sans chercher à savoir comment une paire de sabots pouvait empêcher d'avoir des enfants, profita bien de ses nuits avec son mari. Mais au bout de trois mois elle alla de nouveau trouver la mère Vacher et lui dit :

- Dites donc, mère Vacher, votre combine n'a pas marché. Je suis encore enceinte.
- Mais comment ? répondit la mère Vacher. Tu as coupé la ficelle qui reliait les deux sabots ?
- Eh bien ! oui. Je pouvais pas monter dans le lit comme ça.
- Oh ! C'est pas étonnant ! Il faut coucher avec les sabots mais sans couper la ficelle.

(1) Joséphine.

La chienne Mirza

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(1 min 35 s)

Alors la bonne sortit promener le chien, cette chienne, la Mirza. La patronne lui dit :

- Toinette va promener le chien. Mais fais attention, elle commence à être en chaleur, ne la laisse pas s'approcher des chiens.
- Non, non ! Madame, je ferai attention, n'ayez crainte. Je verrai bien Mirza.

Alors la Toinette trouve une copine, trouve une copine, du dimanche d'avant… Qu'elles avaient bien dansé ! qu'elles s'étaient bien amusées… ! tout ça. Et en discutant, elle ne s'en est pas occupé et il y a un chien qui chope, qui chope Mirza. Il monta sur Mirza, et les deux chiens [sont] accouplés…Oh ! Bordel, que faire ? Il n'y a qu'à attendre… Puis après les chiens se séparèrent, quoi.

Et puis, un peu plus loin, quoi, elle [Toinette] trouve un amoureux. Alors elle dit : il faut faire attention, cette fois, pas laisser prendre la chienne parce qu'alors la patronne ne fera pas beau… Alors elle trouva son amoureux et ils commencent à bavarder un petit moment, quoi. Alors tellement pris par la conversation, il y a un autre chien qui la prend à nouveau. Je suis obligée d'attendre, quoi. Et puis après… je suis obligée d'attendre un quart d'heure que les chiens se séparent.

Elle rentra à la maison. Elle [la patronne] dit : Toinette, vous rentrez bien tard ! Elle lui dit : Mais ne vous plaignez pas, ma pauvre dame, parce que j'ai trouvé une copine, j'ai voulu lui dire bonjour, quoi, et puis, en moins de temps ça été fait. Et un peu plus loin, là-bas, j'avais beau faire attention, il y a un autre chien qui l'a prise. Mais je suis vite rentrée parce qu'après j'en ai vu un autre qui venait de loin. Il avait une couverture. Alors je me suis dit : ça y est, il va passer la nuit avec Mirza. Ça fait que je suis vite rentrée.

La feuille de vigne

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(1 min 11 s)

C'était un dimanche, en été. On ne savait pas bien que faire avec la femme. Et il y avait une exposition, au prieuré, à Champdieu. Une exposition de dessins, de portraits de peintre… Et une après- midi, le dimanche, on va aller voir cette exposition. On a laissé l'auto à Champdieu puis on est allé voir cette exposition.

Il y avait de belles photos. Il y avait la mer avec un bateau dessus. Plus loin il y avait la montagne, des fleurs. Puis plus loin il y avait des bustes de femme - qui étaient pas mal d'ailleurs. Et puis il y en a une qui était bien décolletée ; un peu plus loin, il y a une qui était bien décolletée, jusqu'ici [geste]. Bien jolie.

Et puis, un peu plus loin, il y en avait une autre, mais alors, tout entière, elle était, bien balancée et toute nue. Et, en bas, il y avait une feuille de vigne. Et bien, bordel, je regardais cette feuille de vigne… Je me dis. Ça ne va pas tomber ? La [ma] femme était devant qui filait et [qui] commençait à s'énerver.

- Eh ! Qu'est-ce que tu attends, là-bas ? Tu viens ?

J'attends l'automne !

 

La chienne Finette

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(1 min 4 s)


La Finette, de Planchat (1), nous l'avions dressée, avec mon frère Marius. Un brancard, quoi, deux roues de landau de gosses, un brancard et des ficelles. La chienne était attachée par le collier, quoi. La chienne était bien dressée, pour aller chercher de l'herbe pour les lapins, bien sûr.

La Finette marchait bien : trot, trot, trot, trot… Puis, comme ça marchait bien, mon frère Marius monta dans le char, quoi. La Finette filait bien. Il monta dedans, quoi : trot, trot, trot, trot… Contente, elle avait peut-être fait cent, deux cents mètres. Le chemin [était] à plat, ça allait bien.

Mon Marius, tellement content, [dit] :

- T'es bien vaillante, ma Finette, t'es bien vaillante !

Il lui disait, dans le char. La chienne, contente comme tout, commence à remuer la queue. Elle ne pouvait pas bien se tourner, elle recula, recula. Elle ne vit pas le Marius dans le char, elle reculait, elle reculait… Pof ! Elle recula sur le talus, dans les ronces, les broussailles.

Eh bien ! il s'en voulut de l'avoir vantée, la Finette ! S'il avait su, il n'aurait rien dit, Ça allait tout à fait ["franc"] bien.

(1) Un hameau de Saint-Bonnet-le-Courreau.

L'étable des chèvres

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(4 min 9 s)

Alors je vais vous raconter l'histoire de… - que beaucoup connaissent, bien sûr - mais il faut bien commencer par quelque chose. L'histoire du Toine et de la Toinette de Saint-Didier-sur-Rochefort qui n'avaient qu'une petite propriété de quatre ou cinq vaches, une douzaine de brebis, quatre ou cinq chèvres, beaucoup de chiens. Et ils vivaient seulement de… pas bien riches. Quatre vaches, il n'y a pas pour aller… Le panier à provisions [pidance] pour aller au marché n'était pas bien gros, les samedis… le jeudi, puisqu'ils allaient à Boën. Alors la femme, elle… Ils travaillaient comme des assommés, tous les deux, l'homme et la femme. Et puis ils avaient des enfants. Ils avaient trois, quatre gamins, quoi. Ils peinaient [barreyâ ? (1)] de misère. Et puis après, la femme, elle vit que les autres allaient travailler "par les villes", qu'ils se promenaient bien. Elle dit à son homme :
- Ecoute, j'en ai assez de travailler dans cette garce de montagne, ici. Jamais on ne sort, jamais on n'a pris de congé.
Et le Toine dit :
- Eh bien ! Toinette, tu ne sais pas, on va bientôt avoir la retraite. On va demander l'IVD (2) et la première retraite que je toucherai, on ira se promener. On ira… Je te mènerai à Paris.
- Tu ne veux pas aller à Paris ?
- Ah si !
- Tu ne connais pas, Paris ?
- Eh ! je connais ben ! Du temps de la guerre, quand j'ai eu ma première permission, je suis resté tout le jour à Paris pour attendre mon train pour venir à Boën. Et j'étais à Paris, je connais bien Paris.
- Si tu veux ! Je ne demande pas mieux que d'aller me promener.

Alors la retraite arriva. Quarante mille francs, qu'il toucha. Il les mit de côté, ces sous, et ils partirent. Son garçon, l'aîné, qui avait une voiture les mena à la gare de Boën. Et ils avaient préparé les provisions, beaucoup de "chèvretons (3)", du saucisson, du fromage, deux ou trois œufs, du jambon (4), bien sûr, la gourde.

Et puis les voilà partis. Ils prennent le train à Boën. Paris ! Paris-Austerlitz ! Bon, ils partaient, tous les deux. Ils arrivèrent vers cinq six heures, à peu près. Ils allèrent voir un hôtel.

- Il faut d'abord aller demander un hôtel pour coucher parce que, tu comprends, on a bien le casse-croûte mais il ne faut pas manger… Ce soir, on est obligé de souper. On soupera à l'hôtel quoi.

Ils demandèrent :
- Il reste des places pour coucher ?
- Oui, oui, il y a pour coucher.
- Et vous soupez ?
- Oui, oui. Nous soupons, nous soupons ici.
- Qu'est-ce qu'il y a au menu ?
- Eh ben , il y a du "bouilli", du pot-au-feu.
- Alors ça fera très bien notre affaire.

Alors le patron de l'hôtel dit : Installez-vous, quoi.
- On montera bien à la chambre après.

Ils posèrent le panier à provisions dans le corridor. Et les voici partis pour souper, quoi. On commença à servir la soupe, une soupe de pot-au-feu. Et puis ils commençaient à manger. Et puis la femme dit, la Toinette dit :
- Dis donc, où est l'étable des chèvres ?
- L'étable des chèvres, mais il n'y a pas d'étable des chèvres, ici.
- Je veux aller "tomber de l'eau".
- Ah ! Tu veux aller pisser.
- Oui.
- Ah bon ! Tu sais bien où on a posé notre panier à provisions, tu prendras ce couloir et puis au fond, tu verras, il y a un endroit, tu verras, il y a un W et un C et puis, tu verras, il y a une espèce de soupière, tu feras tes besoins et tu reviendras.

Alors, la voilà partie, là-bas, dans ce WC. Lui mangeait sa soupe.
Il dit :
- Mais, bordel, elle ne revient pas ! Q'est-ce qu'elle fait ?

Alors il attendait, toujours pas de Toinette. Il passe au fond du couloir. Il appelle :
- Toinette ! Eh ! Où es-tu ?
- Je suis ici.
- Mais, qu'est-ce que tu fais ?
- Je suis coincée dans la soupière.
- Mais tu ne pouvais pas sonner ?
- Mais je sonnais bien mais toutes les fois que je tirais la cloche il y en a un qui "s'amenait" par-derrière et qui m'envoyait un seau d'eau par les fesses. Ça fait qu'après j'ai arrêté de sonner.


(1) Barreyâ : avoir de la peine à faire quelque chose, travailler péniblement… (Louis-Pierre-Gras, Dictionnaire du patois forézien, 1863).
(2) IVD : indemnité viagère de départ, allocation créée en 1962 pour la retraite des paysans.
(3) Fromages de lait de chèvre.
(4) En patois : chambe de peur, littéralement "jambe de porc".

 

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mise à jour le 6 juin 2013