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Les
débuts difficiles de l'enseignement agricole dans la
Loire :
La
ferme-école de la Corée
(1845 - 1848)
Sous
la Restauration, l'agriculture française a un impératif
: accroître la production afin de donner au pays son autonomie
complète. L'Etat commence, dès le règne
de Louis-Philippe, à se préoccuper, non seulement
de protéger l'agriculture, mais aussi de la développer.
Alors apparaissent les inspecteurs généraux de
l'agriculture et les premières fermes-écoles (1).
C'est la grande époque des comices agricoles et des sociétés
d'agriculture (2).
Le conseil général de la Loire et la Société
d'agriculture (S.A.) de Montbrison, animés par des notables
propriétaires terriens (3), sont particulièrement
actifs, et 1845 voit la création de la première
ferme-modèle du département, au château
de la Corée sur la commune de Champdieu. Le Journal de
Montbrison et surtout la Feuille du
cultivateur forézien dont les collections
sont déposées à la Diana nous permettent
de suivre les premiers pas de l'école pratique d'agriculture
de la Loire.
Fondation
Dès
1843 le projet est dans l'air et la S.A. désigne une
commission pour étudier l'établissement d'une
ferme-école dans le Forez. A la séance du 4
janvier 1844, la commission présente un rapport détaillé
établi d'après les renseignements recueillis
sur la ferme-école qui vient d'être fondée
dans la Nièvre à l'initiative de la Société
d'agriculture de ce département (4). La société
montbrisonnaise dresse ensuite sur des bases analogues, mais
avec des chiffres plus modestes, un plan de financement :
- 2 400 F sont prévus pour le fermage de 80 à
100 ha de terre médiocre.
- 2 000 F constitueront le traitement du directeur.
- 1 600 F formeront, avec les produits nets de l'exploitation,
un fonds de réserve pour les cas imprévus.
La S.A. doit donc trouver 6 000 F annuellement pour la ferme-modèle
et ceci au moins pendant les six premières années.
Pour financer le projet, une société est composée
: 100 actions payables en 6 annuités de 25 F chacune
sont offertes aux souscripteurs (5). La S.A. versera 500 F
sur ses propres ressources (6). De plus, elle espère
que le conseil général attribuera 1 000 F par
an sur les fonds destinés à encourager l'agriculture
et que le ministère accordera 2 000 F "car
il s'est donné pour règle d'aider ceux qui s'aident
eux-mêmes" (7).
Un équilibre s'établit donc entre fonds publics,
3 000 F provenant du ministère et du conseil général,
et fonds privés, 3 000 F provenant des souscriptions
et des cotisations de la S.A. Ce financement donne une double
tutelle au nouvel établissement. C'est une forme de
cogestion assez "moderne" pour l'époque.
Le 3 avril 1845, le préfet donne communication à
la S.A. de l'arrêté par lequel le ministre de
l'agriculture accorde de manière officielle son concours.
Il s'agit d'une subvention pour le traitement du directeur,
d'un surveillant et pour les services d'un médecin
et d'un vétérinaire ; 1500 F sont aussi attribués
pour le mobilier ainsi qu'une somme de 225 F par élève.
Une commission composée de MM. d'Assier, du Chevalard,
Pommerol aîné et Dalicout est constituée
pour suivre la mise en place de l'école. Dès
le 15 janvier 1845, les pouvoirs publics proposent un directeur,
M. Ziélinski (Zielewsky ou Zielenski, le nom est diversement
orthographié), ancien directeur de l'école pratique
de la Lozère.
Ce dernier visite avec les membres de la commission plusieurs
domaines qui pourraient convenir pour établir la ferme-école.
La difficulté vient surtout des bâtiments qui
devront être assez vastes et convenables afin de loger
le personnel et les élèves.
Les efforts de la commission aboutissent vite et le 12 mars
1845 le ministre de l'agriculture prend un arrêté
établissant l'Ecole pratique
d'agriculture pour le département de la Loire
au château de la Corée, commune de Champdieu.
Elle sera ouverte le 11 novembre suivant. M. Ziélinski
en devient officiellement le directeur (8). L'école
est placée sous la surveillance du préfet et
d'une commission spéciale nommée par le ministre
où se retrouvent des membres du conseil général
et des dirigeants de la S.A. (9)
Les
buts de l'institution
"L'école,
essentiellement gratuite, est destiné à former
d'habile cultivateurs capables de diriger dans son entier,
avec intelligence et succès une exploitation rurale
importante"(10) . Les responsables de la S.A.
mettent beaucoup d'espoir dans cette création. M. d'Assier,
comparant dans un discours l'agriculture française
et celle de l'Angleterre, constate : "la
cause de la supériorité agricole en Angleterre
gît principalement dans l'instruction et l'aisance de
la classe qui exploite le sol" (11). Il souhaite
que, par le moyen de l'école d'agriculture annexée
à la ferme-école, tous les agriculteurs foréziens
deviennent des exploitants éclairés :"Supposez
par exemple, Messieurs, que tous les chefs d'exploitations
grandes ou petites de notre contrée, d'inhabiles qu'ils
sont en général, devinssent tout à coup
des agriculteurs consommés. Après une courte
série d'années, combien le pays n'aurait-il
pas changé d'aspect et avancé dans le sens d'une
plus abondante production. Eh bien ! cette substitution de
chefs d'exploitations habiles à la place de ceux qui
aujourd'hui marchent aveuglément dans l'ornière,
l'établissement des Fermes-écoles a pour but
de l'accomplir" (12) .
Statut du directeur
Le directeur est défini comme fermier en son nom personnel
et exploitant "à ses
risques et périls" afin qu'il soit
intéressé aux résultats de l'exploitation.
Il reçoit aussi un traitement annuel de 2 000 F. Il
a le profit du travail des élèves, à
charge pour lui de les entretenir mais pour cela, le ministère
lui accorde une somme de 150 F par an et par élève.
Il doit justifier de l'utilisation des autres sommes qui lui
sont versées à titre de subvention pour le fermage,
le cheptel ou l'amélioration foncière du domaine.
Ce système fait que le directeur ressemble plus à
un chef d'exploitation qu'à un responsable d'établissement
d'enseignement d'aujourd'hui. Cela peut expliquer partiellement
les difficultés que connaîtra la ferme-école.
Le domaine de la Corée
"Le
manoir de la Corée mire ses tours élancées
dans l'eau verdâtre d'un étang. C'est une construction
rectangulaire flanquée aux angles de tours rondes,
sveltes et d'un style très pur, délicatement
ajourées. On attribue la construction de la Corée
à Jean Perrin, châtelain de Montbrison qui s'y
retira vers 1589..." (13) Il avait appartenu
successivement aux familles Perrin, de Tréméolles,
de Lévis, de Rostaing, Guillot, Bulliod, Horizet, avant
de passer à la famille Rater qui, le 1er novembre 1845,
le loue pour 6 ans à M. Ziélinski. Le domaine
comprend 120 ha environ "de
terrains d'une incontestable médiocrité"
mais une extension sera possible le 1er novembre 1848.

Dessin
d'Emile Jourda de Vaux, Emile Salomon,Les châteaux
historiques du Forez, 1916
Admission
des élèves
L'école est en place, il ne manque que les élèves.
Le 16 octobre 1845, l'examen d'admission se déroule
à midi à la préfecture (Montbrison).
"Chaque aspirant doit produire
:
1°- Un acte de naissance dûment légalisé
;
2°- Un certificat de bonne conduite, signé du maire
de la commune où il réside ;
3°- Un certificat de médecin, constatant qu'il
a été vacciné ou qu'il a eu la petite
vérole ;
4°- Une attestation du curé de sa paroisse, établissant
qu'il a fait sa première communion".
Subsidiairement à toutes ces garanties, "les aspirants
devront savoir lire et écrire, et connaître les
premiers éléments de calcul".
(14)
La première année le concours réunit
9 candidats et 6 d'entre eux sont retenus (15). Le jeunes
gens doivent avoir entre 15 et 18 ans. Plus tard, en 1853,
l'âge minimum sera fixé à 19 ans accomplis.
La durée des études est de 4 ans et, précision
qui serait digne des principes de l'école d'aujourd'hui,
"il ne peut être admis
dans la ferme-école qu'une seule classe d'élèves,
tous apprentis, tous soumis au même régime et
aux mêmes travaux, enfin tous reçus gratuitement"
(16).
Un uniforme renforce cet aspect égalitaire. Le trousseau
que doit fournir la famille est modeste et bien adapté
; il comprend :
1 - Deux habillements complets, dont
un neuf et l'autre de travail ;
2 - Deux blouses bleues ;
3 - Six chemises, dont 3 neuves ;
4 - Quatre mouchoirs de poche ;
5 - Quatre paires de bas ou chaussettes ;
6 - Une limousine ;
7 - Un chapeau et une casquette ;
8 - Une paire de souliers et 2 paires de sabots."
(17)
Programme et pédagogie
Le programme des études de la ferme-école est
ainsi défini :
"Outre l'enseignement primaire
qui comprend l'instruction religieuse la lecture, l'écriture,
les principes du calcul, celui donné à l'école
s'étendra aux notions générales des sciences
naturelles en ce qu'elles ont de plus usuellement applicable
à l'agriculture pratique, à la géométrie
ou mesure des surfaces, arpentage et nivellement ; à
la construction et emploi raisonné des machines simples
et instruments aratoires ; à l'hygiène des animaux
domestiques, à la comptabilité rurale, en un
mot à tout ce qu'il est nécessaire de savoir
pour bien conduire une exploitation" (18).
La pédagogie sera active et "les
élèves devront prendre une part sérieuse
et réelle à tous les travaux de l'exploitation,
qu'il exécuteront comme le feraient des domestiques
à gages" (19). Cette dernière
précision explique peut-être la désaffection
dont l'école aura bientôt à souffrir.
Les élèves bénéficient d'un certain
enseignement mais ils travaillent comme des valets de ferme,
sans salaire si ce n'est quelques primes prévues pour
récompenser le zèle et la bonne conduite. Ces
primes, qui seront déposées à la caisse
d'épargne de Montbrison, - économie oblige -,
doivent faciliter les débuts du nouvel agriculteur
et surtout lui permettre de s'assurer contre les chances du
recrutement (20).
A la ferme-école, à compter du 11 novembre 1845,
les apprentis "soigneront les
animaux, prépareront les engrais ; ils laboureront,
sèmeront, moissonneront, faucheront ; ils seront appliqués
à la culture du jardin ; la plantation, la greffe et
la taille des arbres leur seront montrée..."
(21) Ces travaux seront dirigés par M. Ziélinski,
directeur, M. Pin, qualifié de "Surveillant-Maître,
Instituteur", le docteur Rey, médecin et M. Culty,
vétérinaire.
Les instructions officielles leur recommandent "d'éviter
les idées spéculatives trop élevées...
les systèmes hasardés et encore contestables..."
Il faut que l'enseignement de la ferme-école soit seulement
"l'explication fort simple,
mais raisonnée, de la pratique. Il convient de ne pas
perdre de vue que cette institution n'est pas destinée
à former des savants mais de bons cultivateurs..."
(22)
Installée au château de la Corée, chaperonnée
par l'administration et les messieurs distingués de
la S.A., l'école pratique laisse bien augurer de sa
réussite et le chroniqueur de la
Feuille du cultivateur forézien annonce
fièrement à la fin de l'année 1845 :
"l'établissement qui
pouvait contribuer de la manière la plus efficace aux
progrès de l'agriculture, est définitivement
acquis au pays."(23) L'école pratique
d'agriculture de la Corée tiendra-t-elle ses promesses
?
Les premières années
Le 2 juin 1846 une somme de 1 500 F est accordée par
le ministère à la demande de la S.A. pour la
ferme-école de la Loire. Il est précisé
que cette somme "devra être
employée à acheter un taureau et deux vaches
de la race de Salers, plus deux vaches de la race d'Aubrac"
(24). Aux yeux des pouvoirs publics, ces deux races sont particulièrement
recommandables pour améliorer le cheptel bovin de la
région.
L'école sert de centre de documentation et de démonstration.
Charrue à la Dombasle, herse, rouleau, semoirs rayonneur,
houe à cheval. et charrue à butter les pommes
de terre sont déposés à la ferme-école.
"Tous les agriculteurs peuvent
les examiner" (25). De plus M. Ziélinski
met gratuitement le taureau de la ferme à la disposition
de tous les agriculteurs qui souhaitent faire saillir leurs
vaches.
Malheureusement l'année 1846 est désastreuse
sur le plan climatique. Le concours d'entrée pour l'année
1846-1847, prévu pour le 18 octobre 1846 est reporté
au 31 à cause d'inondations catastrophiques dont souffre
la plaine du Forez.
Rapport de mai 1847
Au printemps 1847, la S.A. charge une commission de visiter
la ferme-école et d'établir un rapport. MM.
de Quirielle père, Rombau et Faye présentent
un long document daté du 3 mai 1847 (26) qui nous permet
d'apprécier alors la situation de l'établissement.
Le cheptel comprend 6 paires de bufs, "en
partie de race charolaise et de forte taille",
un très beau taureau de Salers, 15 vaches, 100 moutons
et 10 porcs. La commission constate que l'on a tiré
"un très heureux parti
d'anciens bâtiments mal disposés et d'un local
fort resserré". La "bergerie
est très aérée, sans fenil au-dessus"
et parmi les étables construites à neuf, les
"toits
à porcs" paraissent "parfaitement
entendus".
La
commission examine le projet de culture pour 1848 qui fait
une large place aux cultures fourragères (27) et admire
particulièrement une pièce de trèfle
de 2 à 3 ha, "bouquet
des cultures de M. Ziélinski". Le directeur
a, comme convenu, utilisé 3 000 F des subventions du
conseil général et de la S.A. pour les frais
de culture. Il a acheté tous les fumiers qui étaient
à vendre dans un rayon de 10 km mais il s'agit d'une
marchandise peu abondante et "il
a donc fallu, pour obtenir des engrais, acheter des fourrages
et des animaux pour les consommer. Il était impossible
de se les procurer autrement" (28). Les améliorations
foncières consistent en nivellements, fossés
neufs, épierrement, rases sourdes et les amendements
en apports de chaux (18 m3 par ha de chaux de Sury ).
Quant à la condition des élèves la commission
note une amélioration du régime alimentaire
avec "usage journalier du vin"
et "viande de boucherie à
certains jours de la semaine" . Sur le plan
pédagogique l'équipe enseignante est renforcée
par "un maître de pratique
destiné à suivre les élèves dans
les champs et à leur donner chaque jour et à
chaque instant la démonstration pratique de toutes
les opérations agricoles" (29).
La commission se déclare "pleinement satisfaite"
de la gestion de la maison et constate "le
bon emploi des fonds accordés par les souscripteurs.
Elle souligne que le directeur "a lui-même engagé
une somme considérable de ses deniers"
dans la souscription. Tout est-il si bien ? En fait l'école
manque d'élèves. Des 6 apprentis entrés
en novembre 1845, 3 ont interrompu leurs études, il
en reste seulement 3 parmi ceux admis l'année suivante,
si bien que le concours d'admission d'octobre 1847 offre 11
places.
Pour les rapporteurs on ne saurait contester l'utilité
de l'école de la Corée. Elle fournit au pays
un modèle de meilleure culture, ouvre la voie des améliorations.
Il faut "qu'on fasse taire toutes
les préventions pour la juger" et que
les agriculteurs se fassent eux-mêmes une opinion :
"L'école est ouverte
à tout le monde pour que chacun puisse la juger. Qu'on
la visite, qu'on l'examine, elle est créée pour
cela qu'on s'assure si les bestiaux y sont mieux soignés,
les terres mieux préparées, les fumiers mieux
tenus qu'ailleurs, qu'on sache par soi-même si les élèves
ne retirent pas un grand profit de l'instruction qui leur
est donnée et si le temps qu'ils y passent est un temps
perdu." (30)
Premières difficultés
L'école de la Corée est d'ailleurs à
l'avant-garde, car c'est seulement le 28 octobre 1848, trois
ans après sa fondation, qu'une circulaire du ministère
organise et généralisé l'enseignement
agricole. Le texte prévoit, dans chaque arrondissement,
des fermes-écoles dispensant un enseignement sur trois
ans avec un effectif minimum de 24 élèves (31).
A la Corée les élèves font défaut,
ce qui inquiète fort les responsables de la S.A. :
"on ne paye pas, mais on est
payé pour se faire instruire... Peut-on faire plus
? Pouvait-on s'attendre à ce que les demandes d'admission
seraient si rares... L'avenir de l'école ne saurait
être compromis par cette coupable insouciance. On va
chercher compléter son personnel par élèves
étrangers" (32).
Les élèves étrangers ne viennent pas,
à une exception près (33) et la situation est
catastrophique à la fin de l'année 1848 ; il
y a 13 apprentis au lieu des 24 prévus. Les pouvoirs
publics s'inquiètent de cet échec et le ministre
pense qu'il convient de transférer l'école ailleurs,
mais il consulte auparavant le conseil général
et la société d'agriculture.
Pour les autorités c'est l'état sanitaire de
l'établissement qui est en cause :"on
avait espéré que le local choisi, s'il n'était
pas entièrement à l'abri des influences climatériques
du pays, du moins, par sa position saine et élevée,
en serait en partie affranchi ; malheureusement il n'en a
pas été ainsi, et malgré les soins et
les améliorations successivement apportées au
régime des élèves, ils n'ont pu traverser
une seule année sans que presque tous ne payassent
le tribut aux maladies régnantes à certaines
époques..." (34) spécialement
à la fin de l'été et en automne.
Alarmée par la menace de suppression qui plane sur
sa chère école, la S.A. désigne une commission
pour la visiter et établir, une nouvelle fois, un rapport
MM. du Chevalard, Bournat et Faye et le docteur Briard reconnaissent
"que si
la position de la ferme-école de la Corée semble
expliquer jusqu'à un certain point la cause des maladies
qui ont été signalées, on ne saurait
avec certitude les attribuer à cette position".
Pour la commission "cet
emplacement présente de meilleures conditions de salubrité
que tout autre à choisir dans l'arrondissement de Montbrison"
et l'école a finalement les mêmes "fâcheuses
conditions" que l'ensemble du pays et il convient
de s'y adapter.
"Les élèves sont
bien logés, leurs dortoirs et les salles d'exercice
suffisamment aérés, leur régime alimentaire
est infiniment meilleur que celui des agriculteurs du pays,
puisqu'ils mangent du pain bluté au dixième
et qu'ils ont tous les jours du vin et de la viande"
(35). La commission cherche des causes psychologiques aux
malaises des élèves : "A
cet âge, le tempérament n'est point formé
: les élèves n'ont ni la force morale, ni la
force physique pour lutter contre les influences du climat.
Eloignés de leurs familles, soumis à une règle
qu'ils supportent impatiemment, l'ennui ne tarde pas à
s'emparer d'eux, le dégoût de leurs occupations
vient bientôt après..." ; ils
sont alors "accessibles à
toutes espèces de maladies" (36).
La commission préconise quelques remèdes. En
ce qui concerne les locaux, "l'abattis
de quelques grands arbres trop rapprochés de l'habitation,
la suppression d'une pièce d'eau trop rapprochée,
l'ouverture d'une large tranchée au nord des bâtiments".
Pour les élèves "l'usage
de ceintures de flanelle et de chaussettes de laine"
(37).
Pour conclure son rapport M. du Chevalard repousse le transfert
de l'école "qui équivaudrait
à sa suppression". Pour la commission,
les frais déjà engagés et les conventions
établies avec le propriétaire sont aussi des
arguments majeurs.
Enfin elle émet le vu que l'effectif de l'école
soit complété avec des soldats du département,
fils de cultivateurs, n'ayant donné aucun sujet de
plainte et à qui il reste 4 ans de service à
accomplir. Pour la commission ce serait une solution idéale.
Elle offrirait à l'école des "bras
vigoureux, des hommes déjà pliés à
la discipline militaire, et qui accomplissent un service obligé"
. Plus tard, "ils seront capables
de diriger une exploitation, ils sauront commander et se faire
obéir" (37).
Au cours de la 2e session de 1848, le conseil général,
répondant au ministre, reconnaît la nécessité
de transférer la ferme-école dans une localité
plus salubre de l'arrondissement. L'assemblée départementale
souhaite aussi qu'une autre ferme-école soit immédiatement
créée dans l'arrondissement de Roanne (38).
Pourtant la ferme-école de la Corée ne fut pas
supprimée. Le 8 janvier 1849 le ministre, prenant en
considération les observations faites par la S.A.,
donne un sursis ; il décide que l'établissement
ne sera point transféré et que les travaux d'assainissement
reconnus nécessaires seront aussitôt exécutés.
Par une nouvelle lettre du 29 janvier à M. du Chevalard,
le ministre, décidément très compréhensif
fait savoir qu'il accorde une nouvelle somme de 800 F destinée
à être donnée en prime aux meilleurs élèves.
*
* *
On
ne fit pas appel aux militaires et la ferme-école qui
avait donné, dans les premiers temps, bien des espérances
et beaucoup de soucis à ses promoteurs semble ensuite
prendre sa vitesse de croisière. Elle continuera à
fonctionner de longues années (39) sous la direction
de M. Ziélinski.
Est-ce l'usage des chaussettes, les nouvelles primes ou le
fait qu'avec le temps bien des préventions étaient
tombées parmi les agriculteurs foréziens ? Demi-échec
d'une réalisation généreuse, la ferme-école
de la Corée a marqué une étape importante
dans le développement de l'enseignement agricole de
notre région et mis en relief le rôle très
positif dans ce domaine de la Société d'agriculture
de Montbrison.
Joseph
Barou
Liste
des élèves de la Ferme-école de la
Corée en 1848-1849
o Patural, 22 ans, Trelins, admis
en nov. 1845
o Faure André, 19 ans, Saint-Jean-Soleymieux, admis
en nov. 1845
o Masse, 21 ans, Roanne, admis en nov. 1845
o Pin, 19 ans, département de la Lozère, admis
en nov. 1845
o Faure Barthélemy, 17 ans, Saint-Jean-Soleymieux,
admis en nov. 1846
o Delorme, 16 ans, Balbigny, admis en nov. 1847
o Robin, 19 ans, Saint-Julien-Molin-Molette, admis en nov.
1847
o Viricel, 19 ans, Grammond, admis en nov. 1847
o Chaine, 16 ans, Prétieux, admis en janv. 1848
o Just, 18 ans, Veauche, admis en fév. 1848
o Veyre, 19 ans, Saint-Julien-Molin-Molette, admis en fév.1848
o Guetat, 18 ans, Rive-de-Gier, admis en mars 1848
o Dumas, 20 ans, Saint-Julien-Molin-Molette, admis en juillet
1848
Il
y a 13 élèves au lieu des 24 prévus ;
la rentrée de 1849 a été un échec
complet : aucune inscription en novembre 1948, une en janvier
1848, deux en février, une en mars 1948 et une en juillet
de la même année (J. de M. n° 889 du 11 février
1849).
(Communication
à la DIANA
Bulletin,
tome XLVIII, n° 3, 1983
Notes
(1) Le premier établissement de ce type est fondé
en 1822 a Roville, petit village de Lorraine, par Mathieu de
Dombasle (1777-1843), agronome français, inventeur et
promoteur, notamment, de la charrue qui porte son nom.
(2) Les sociétés d'agriculture sont un héritage
de la société éclairée de l'Ancien
Régime. Sous la Restauration, particulièrement
après 1830, elles connaissent une vive renaissance. Très
bourgeoise de recrutement (fonctionnaires, avocats, médecins
et propriétaires terriens s'y côtoient), elles
ont une vocation agricole mais s'intéressent souvent
aussi à l'histoire, l'archéologie, les sciences
naturelles voire la poésie, jouant, au niveau du chef-lieu
d'arrondissement le rôle des sociétés savantes.
(3) La Société d'agriculture de Montbrison que
nous désignerons par S.A., fondée le 18 novembre
1818, compte 40 membres en 1845 ; parmi ses animateurs et les
premiers souscripteurs pour la ferme-école notons : P.
de Daunant, préfet de la Loire, Joseph d'Assier, président
de la S. A. et ancien président du conseil général,
Chavassieu, vice-président de la S. A., du Chevalard,
recteur d'académie, adjoint au maire de Montbrison, secrétaire
puis président de la S. A.
(4) La propriété choisie par la société
d'agriculture de la Nièvre a 400 ha ; le fermage se monte
à 11 000 F et 151 ha sont cultivés directement
par la ferme-école.
(5) Ces 100 actions se répartiraient ainsi suivant le
projet :
- 40 pour les membres de la S.A. de Montbrison.
- 10 pour le propriétaire "en considration des bonifications
dont son domaine bénéficiera".
- 5 pour le directeur de la ferme-école "comme garantie
de sa bonne gestion".
Les 45 actions restantes sont "offertes au zèle
de tous les propriétaires de l'arrondissement".
Michel Bernard est trésorier de la souscription. Parmi
les souscripteurs, outre les animateurs de la S.A. déjà
cités, relevons : MM. Augustin de Meaux, de Quirielle,
F.H. Boyer de Montcel, A. de Murard, Du Rosier, député,
J. H. Jordan, Charles de Rochetaillée, le marquis de
Sasselange et le général baron de Perron (Cultivateur
Forézien, n°2, 1844, p. 60)
(6) Chaque membre de la S.A. paie une cotisation annuelle de
20 F. Cette somme est partiellement reconvertie en jetons de
présence qui sont reversés au cours des réunions
de la société dans le but de "stimuler l'exactitude"
des adhérents. La S. A. sacrifie les jetons afin de verser
500 F par an à la ferme-école.
(7) Cultivateur forézien, n° 1, année 1844,
p. 20-21.
(8) Arrêté du 12-03-1845, signé Cunin-Gridaine,
extraits dans Cultivateur forézien, n° 3-4, 1845,
p. 124 à 127.
(9) Du Chevalard, président, Chavassieu, secrétaire,
le général baron de Perron, Ch. de Rochetaillée
et trois membres du conseil général : le baron
d'Ailly, MM. Joseph d'Assier et Sigean, cf. Cultivateur forézien
n° 3-4, 1845, p. 128.
(10) Ibid. p.129.
(11) Discours prononcé par M. d'Assier au comice de Boën,
le 23 sept. 1845 (Cultivateur forézien, n° 3-4, 1845,
p. 109).
(12) Ibid. p. 114-115.
(13) Salomon, Les châteaux historiques du Forez, 1906.
(14) Journal de Montbrison, n° 663, du 13 sept. 1845.
(15) Voici par ordre de mérite les lauréats :
1 - Laurent Jean-Marie, de Ste-Agathe-la-Bouteresse,
2 - Chaland Jean-Antoine, de Montverdun,
3 - Paturall, de Trelins,
4 - Michalon Jean, de Prétieux,
5 - Faure André, de Chenereilles,
6 - Masse François, de l'arrondissement de Roanne.
(liste tirée du Cultivateur forézien n° 3-4,
1845, p.128 ; le Journal de Montbrison du 18 oct. 1845 indique
Antoine Passel, né à Moingt et omet Patural en
donnant la liste des reçus)
(16) Circulaire du ministère du 28-10-1848, J. de M.
n° 861 du 5-11-1848. Si les études sont interrompues
la famille doit le remboursement des frais de pension que l'école
a assurés.
(17) Cultivateur forézien, N° 3-4, 1845, p. 127.
(18) Journal de Montbrison, n° 663, du 13-09-1845.
(19) Article 5 de l'arrêté du 12-03-1845. Cultivateur
forézien, n° 3-4, p.125.
(20) J. de M., n° 663, du 13-09-1845, le service durait
sept ans.
(21) Ibid.
(22) J. de M., n° 861, du 5-11-1848.
(23) Cultivateur forézien, n° 3-4, 1845, p.122.
(24) J. de M., n° 702 du 13-06-1846.
(25) J. de M., n° 716.
(26) J. de M. du 19-06-1847 et du 26-06-1847 et Cultivateur
forézien , 1847, n° 2, p.86 à 92.
(27) Projet de culture pour 1848 :
froment 24 ha 37a 50 ca
seigle 33 ha 77 a 58 ca
trèfle de Hollande 20 ha 59 a 53 ca
jarousse d'hiver 1 ha 69 a 37 ca
trèfle incarnat 1 ha 65 a 40 ca
raves, raifort 5 ha 2 a 40 ca
colza 4 ha 45 a 78 ca
Le reste pour les cultures de printemps : 29 ha 44 a 74 ca (orge,
avoine, pomme de terre)
(28) Rapport du 3 mai 1847, Cultivateur forézien 1847,
n° 2 p. 86-92, présenté à la S.A. le
6 mai 1847 par M. Faye.
(29) Ibid. p. 94.
(30)
Ibid. p. 94.
(31) J. de M. N° 61, du 5-11-1848.
(32) J. de M. du 20-11 -1847.
(33) L'élève Pin, peut-être apparenté
au "surveillant-maître- instituteur" Pin, est
natif de la Lozère.
(34) J. de M. du 14-12-1848. Il s'agit des fièvres paludéennes.
(35) Journal de Montbrison, N° 872, du 14-12-1848.
(36) Journal de Montbrison, des 17 et 21 décembre 1848
(37) Ibid.
(38) Journal de Montbrison, du 14-12-1848. Effectivement un
arrêté du 22-09-1849 établit la ferme-école
de Mably. Le nouvel établissement ouvre ses portes en
novembre de la même année, 10 élèves
sont admis chaque année pour trois ans, âge minimum
requis 16 ans.
(39) L'annuaire du département de l'a Loire de 1878 signale
la disparition récente des deux fermes-écoles
(La Corée et Mably). Après 1850, la ferme-école
connut encore des problèmes. Le 26 août 1852, dans
un rapport adressé au préfet, M. Ziélinski
se plaint de l'indiscipline des élèves et de fréquents
renvois pour le motif d'inconduite ou d'incapacité (J.
de M. du 26-08-1852) ; l'enseignement n'a jamais été
une tâche de tout repos !
*
* *

(Archives
de la Diana)
Le château de la Corée (cliché de la fin
du XIXe siècle)
(Archives
de la Diana)
Entrée du château de la Corée
(cliché de la fin du XIXe siècle)

La Corée
(clichés d'août 2017)
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* *
La
fondation de la ferme-école de la Corée
et son directeur
par
le docteur
Eugène Rey
En
1845, sur les instances de M. de Daunant, préfet de la
Loire, le comte de Gasparin ministre de l'agriculture institua
pour l'arrondissement de Montbrison une école pratique
d'agriculture dont le siège fut fixé à
la Corée près de Champdieu, dans un vaste domaine
appartenant à la famille Rater. La direction de cette
école fut confiée à un Polonais jeune encore,
réfugié en France depuis quelques années
à la suite de la révolution sévèrement
réprimée par l'empereur de Russie, Nicolas 1er.
Elève
de l'école de Grignon, M. Z. joignait aux connaissance
spéciales que nécessitaient ses fonctions une
instruction générale assez étendue, une
tenue habituellement soignée, même un peu trop
élégante pour le milieu dans lequel il était
désormais appelé à vivre, et un cachet
particulier de distinction qui le faisait soupçonner,
au premier coup d'oeil, d'appartenir à une famille haut
placée dans son pays natal.
On le disait comte dans son entourage ; mais je ne l'ai jamais
vu ou entendu se parer de ce titre contrairement à la
plupart de ses compatriotes et co-exilés qui se disaient
à peu près tous généraux, colonels
ou tout au moins capitaines ; tous décorés de
l'aigle de Pologne au ruban bleu comme mon carrossier, qui ne
se faisait pas faute en toute occasion d'appeler le prince Massalski
son cousin.
M.
Z. avait imposé à ses douze premiers élèves
le joug d'une discipline sévère. Il le prenait
de haut avec eux ; et s'il n'en était pas aimé,
il en était craint. L'école naissante marchait
donc assez bien sous sa ferme direction. Il était marié
à une femme qui dans sa première jeunesse avait
dû être remarquablement belle ; mais ses manières
hautaines, son regard froid et dédaigneux la rendaient
très peu sympathique au personnel de l'école...
Historiettes
foréziennes et vieux souvenirs , Librairie
Emile Faure, Montbrison,
Imprimerie E. Brassart, 1896.
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DOCUMENTS
Fondation
de la ferme-école
1845
(article
tiré de la Feuille du cultivateur forézien,
années 1846, n° 3 et 4)




Le
domaine de la Corée
douze ans plus
tard
description par M. Ziélinski
(brochure
tirée des archives de la Diana)







































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La
Corée

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Les
fièvres à Champdieu au milieu du XIXe siècle...
Lettre de
M. Ziélinski à M. Alphonse...



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Relations
entre la ferme-école de Roville et la ferme-école
de la Corée
Lettre de Mathieu de Dombasle à M. Ziélinski

Pages
spéciales sur des sujets voisins
Voir
aussi l'étude de Claude Latta
publiée par Village de Forez
:

Les
transfomations agricoles
et l'élevage du cheval en Forez
dans la seconde moitié du XIXe siècle
Mis
à jour le 21 août 2017 |
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