Rond-point
de Montbrison avec un décor réalisé
pour le centenaire des Jardins ouvriers de la ville
d'après une idée de Pierre-Marie Dutreuil.
Les
jardins ouvriers
de
Montbrison
(1908-2008)
Cent
ans de bonnes récoltes !
Le
22 novembre 2008 prochain, lors de leur assemblée générale,
les Jardins Ouvriers de Montbrison vont fêter leur centenaire.
Avec un riche bilan. Retour sur une belle et longue histoire
A
la fin du 19e siècle, le courant
du "catholicisme social" essaie de lutter contre la pauvreté
de la classe ouvrière. Les catholiques "sociaux" se
soucient d'aider les indigents tout en respectant leur dignité.
Mais il faut trouver des formes d'assistance autre que l'aumône.
L'homme n'est pas fait pour mendier. Il a le droit de vivre de son travail...
La création des jardins ouvriers est une réponse à
cette préoccupation.
Le mouvement débute vers 1890. Il
s'appuie sur les idées de l'économiste et sociologue Frédéric
Le Play. Selon lui, les problèmes sociaux peuvent être
résolus en organisant la société autour de la famille,
de la religion et de la propriété. Le patronage est le
moyen d'action choisi.
En 1889, à Sedan,
Félicie Hervieu, loue des jardins
pour des familles indigentes. En 1891,
elle forme une association. L'uvre de
la reconstitution de la famille gère ainsi les premiers
jardins ouvriers. Les résultats sont bons. La presse parle de
l'uvre nouvelle. Dans le pays, l'exemple est suivi : Nord,
Lozère, Pas-de-Calais, Somme
En 1896,
l'abbé Jules Lemire fonde la Ligue
française du coin de terre et du Foyer. Au même
moment, des jardins ouvriers sont créés en Belgique,
en Allemagne, aux Etats-Unis,
en Angleterre et en Italie
Et
Montbrison suit l'exemple de Saint-Etienne
Vers 1890, le bassin stéphanois subit une forte crise. Un important
chômage frappe mineurs et passementiers. En 1895, le père
Volpette, un jésuite du collège Saint-Michel, a l'idée
d'organiser des jardins ouvriers à Saint-Etienne. Il veut "
enserrer toute la ville noire dans une riante ceinture de jardins ".
Son but : aider l'ouvrier, occuper ses loisirs, lui rendre ses racines
rurales. Les jardins ouvriers de Saint-Etienne se développent
vite. On compte un millier de parcelles en 1908. Montbrison va s'inspirer
de ce qu'a réussi le Jésuite stéphanois.
Montbrison participe au catholicisme social du début du siècle.
Il a une floraison d'uvres variées : P'tits fifres, Petits
bergers et bouviers, Union catholique des cheminots, patronages et cercles
divers
Le Cercle d'études sociales de Notre-Dame organise
des causeries où alternent sujets profanes et études religieuses.
A ce travail de réflexion, il joint des actions concrètes.
En mars 1908, il fonde des "Jardins ouvriers" sur le modèle
des jardins stéphanois.
Les buts de la nouvelle uvre sont les mêmes qu'à
Saint-Etienne. Il s'agit d'abord de " donner à l'ouvrier
gêné par une nombreuse famille le moyen de se procurer
des légumes ce qui constitue pour son maigre budget une aide
précieuse. " On espère aussi des résultats
moraux. Le rédacteur du bulletin paroissial se félicite
:
" Pour obtenir ces légumes, ces fleurs, ces fruits, il a
fallu faire un effort, secouer l'engourdissement qui amène la
misère
On veut d'abord avoir des légumes aussi beaux
que les autres, puis on veut avoir les plus beaux... C'est aussi un
moyen de combattre l'alcoolisme car l'ouvrier qui aime son jardin aura
vite fait de déserter le cabaret. Le travail de la terre développe
les habitudes d'économie et de prévoyance. Le lien de
la famille est resserré... "
Il faut se sentir un peu propriétaires, même à titre
précaire car " le droit de propriété est comme
le complément nécessaire de la personnalité. Celui-là
seul qui possède un coin de terre a pleinement conscience d'être
quelqu'un, c'est-à-dire un être libre, capable de se suffire
par lui-même et ne dépendant directement au moins, de personne.
" On voit toute la valeur qui est, alors, attachée à
la notion de propriété.
Les
premiers jardins
Le Cercle loue un vaste terrain, rue de Bellevue (vers l'actuel supermarché
Casino) et le divise 19 de lots de 140 m2. Ils sont prêtés
gratuitement aux familles. Il y a quatre conditions pour obtenir un
jardin :
l° - Etre honnête ;
2° - En avoir besoin
3° - Ne pas travailler les dimanches et jours de fêtes.
4° - Ne rien céder de son jardin sans une permission expresse.
Pour les admissions il n'est nullement tenu compte des opinions ou des
croyances des candidats...
En 2008, 100 ans après, il reste trois de ces règles.
Mais le repos du dimanche a disparu.
Le dimanche 3 mai 1908, à six heures du soir, on tire au sort
des parcelles : 19 lots de 140 m2 : superbes
jardins, bien disposés et abondamment pourvus d'eau
Le bulletin paroissial écrit fièrement : l'uvre
des jardins ouvriers est donc définitivement créée.
Il a raison. En décembre 1908, après la première
récolte, on se réjouit, sur un ton un peu paternaliste
: Voilà
donc une charité bien ordonnée entre les mains de ces
braves gens. Les ouvriers auront eux aussi, comme
tout bon Montbrisonnais qui se respecte, un petit clos pour passer le
dimanche en famille...
En 1909, les récoltes sont très belles. Les jardiniers
participent à l'exposition horticole du 19 septembre. Cela doit
les encourager à mieux faire, à
aimer la terre, la bonne terre nourricière qui, si joyeusement,
leur donne ses fleurs et ses fruits plantureux . Ils obtiennent
le 1er prix dans la section " Amateurs ", avec médaille
d'argent et prime de 15 F. Le bulletin paroissial s'enthousiasme : "
oignons énormes, carottes monstrueuses, pommes de terre grosses
comme des concombres, choux gigantesques, invraisemblables... "
C'est le pays de cocagne ou le paradis terrestre !
Une petite fête réunit les familles le 2 octobre 1910,
à la salle des uvres (l'actuel cinéma Rex). Il y
a distribution de prix puis causerie sur l'uvre des jardins ouvriers.
Un phonographe débite un peu de musique. Et l'assemblée
générale se termine par une projection de cinéma.
Pour financer l'uvre, le Cercle organise des spectacles. Le 28
novembre 1909, on joue "Yvonnik", épisode de la Terreur
en Bretagne, devant une salle comble. Le 18 décembre 1910, la
compagnie Benoist Mary interprète " Les petits oiseaux "
de Labiche et " Le gendarme est sans pitié " de Courteline...
Une
action dans la durée
Après la Grande Guerre, l'uvre se reconstitue vite. En
1919, deux grands terrains situés à Vaure sont loués
aux Etablissements Chavanne-Brun Frères. Ils constituent 63 jardins
d'une surface totale de 13 000 m2. En 1929 s'ajoute une nouvelle section
avec 72 jardins. Il y a alors 135 parcelles, soit 3 ha de cultures potagères.
Les jardins ouvriers sont encore une uvre sur laquelle le clergé
de Notre-Dame a la haute main. L'abbé Freycinnet, le curé
Romagny, l'abbé Bourg dirigent le comité de patronage
qui comprend peu de vrais jardiniers. Un prêtre conduit l'assemblée
générale annuelle qui a lieu dans la maison des uvres.
Quelques bonnes paroles aux jardiniers, une prière et le paiement
de la cotisation constituent l'essentiel de la réunion. Discussions
ouvertes et élections ne sont pas de mise. Depuis 1919 les jardins
sont loués et non cédés gratuitement aux sociétaires
: 10 F par an puis 12 F en 1926, 14 F en 1932, 14 F également
en 1940, 50 F en 1982, 120 Fen 1999 et, aujourd'hui, la modique somme
de 20 euros.
La défaite et l'occupation entraînent une sévère
pénurie. Le temps des restrictions provoque une extension des
jardins. En 1940, un terrain, route de Saint-Etienne, à Moingt,
permet de constituer 30 nouveaux jardins. En 1941, des sections sont
formées, route de Boën (19 jardins) et sur le terrain des
" Forges et Aciéries de Meudon " (3 jardins). En 1941,
il y a 187 jardins pour une superficie totale de 40 975 m2.
Dans le même temps, la société évolue. Pour
suivre loi du 31 octobre 1941 relative aux jardins ouvriers, elle se
transforme en une association. La Société des Jardins
Ouvriers de Montbrison est déclarée le 27 décembre
1941. Le bureau est formé de laïcs : Félix Buisson
(président), Louis Baisle (vice-président), Georges Massacrier
(secrétaire) et Robert Antoine (trésorier). Le secrétaire
d'Etat au Travail du gouvernement de Vichy agrée la nouvelle
société le 14 novembre 1942.
Le jardinage est alors une activité très encouragée.
Ainsi, le journal Le Nouvelliste de Lyon attribue des récompenses
aux bons jardiniers. En janvier 1942, Victor Fournier, correspondant
du journal à Montbrison, distribue 2 300 F et 18 plaques émaillées
" pour être placées dans leurs jardins ou sur leurs
tonnelles par les jardiniers primés ". L'association reçoit
un beau diplôme...
La déconfessionnalisation, commencée en 1941, n'est encore
que partielle dans les années 50. Le bureau ressemble encore
beaucoup à un comité de patronage. Les notables l'emportent
sur les vrais jardiniers. Ainsi, en 1953, le président est aussi
directeur de la Mutualité Sociale Agricole, le vice-président,
un avocat, le trésorier un employé de banque et le secrétaire,
un commis au trésor. Et le bureau comprend un commandant en retraite
! Mais les assemblées annuelles se tiennent désormais
en mairie et non plus dans un local paroissial.
En 1965, un projet d'intérêt général met
en péril les jardins : la rectification de la route départementale
n° 8, à la sortie nord de la ville. Le nouveau tracé
doit entraîner la disparition de 147 parcelles sur 177. Grand
émoi chez les jardiniers. Le président Georges Massacrier
écrit à Marius Vicard, conseiller général
de l'époque... Certains cultivent leur lopin depuis plus de 20
ans ! Le projet se réalise pourtant avec un peu de retard. Les
surfaces disponibles se réduisent comme peau de chagrin. En 1968,
il ne reste plus que 68 jardins. Le mouvement semble irréversible.
La proche campagne montbrisonnaise se couvre de nouvelles constructions.
De plus, dans les années qui suivent, des tiraillements internes
affaiblissent encore la société.
Aujourd'hui
: un important rôle social
A partir de 1975 un redressement s'opère. Des jardins sont déplacés
à cause de la construction de la caserne des pompiers et l'installation
du stade des Jacquins. Mais l'aide de la Ville permet de créer
de nouvelles sections : Maupas-Sud, les Granges, Bicêtre. Avec
les sections de La Providence et de la route de Saint-Etienne les jardiniers
disposent de 242 parcelles soit plus de 6 ha de terres.
Au cours des 25 dernières années, l'urbanisation de Montbrison
entraîne plusieurs déplacements. Les jardiniers ne souffrent
pas trop de ces reclassements grâce à l'action des municipalités
successives. Heureusement, toutes ont été aux côtés
des jardiniers. Aujourd'hui, ils disposent de 215 parcelles réparties
en deux sections d'égale importance : le Bicêtre et les
Purelles (depuis 1992).
En 1994, deux vieux jardiniers, Louis Demore et Maurice Durret reçoivent
la médaille de la ville de Montbrison. Juste récompense
pour 50 années de bénévolat ! Depuis 1995, une
équipe renouvelée dirigée Gérard Laurendon
apporte dynamisme et ouverture. Citons des initiatives intéressantes
: parrainage d'un jeune par un adulte pour l'entretien d'un jardin,
parcelle attribuée aux scolaires (école d'Estiallet),
collaboration avec l'ADAPEI
Des activités de loisirs se
sont multipliées : concours de boules, participation eux fêtes
de la Fourme, sorties
Bref, les Jardins ouvriers se portent bien.
Et le président n'a qu'un souhait à formuler : "
Que ça continue longtemps et dans une grande convivialité.
"
Un siècle s'est écoulé depuis l'initiative du Cercle
d'études de Notre-Dame. Les jardins ouvriers ont toujours
un grand intérêt. Ils concernent 215
familles (près de mille personnes). Leur importance économique,
autrefois essentielle, a décru. Mais ils jouent un rôle
essentiel sur le plan social. L'abri de jardin sert de mini-résidence
secondaire même si l'on n'y habite pas vraiment. Les sections
sont de véritables aires de loisirs. Parmi les adhérents,
on trouve encore des ouvriers chargés de famille, mais aussi
des catégories sociales très variées. Une vraie
mixité sociale en somme.
Il y a un bon nombre de familles d'origine étrangère.
Ces activités horticoles sont un merveilleux facteur d'insertion
dans le tissu social montbrisonnais. Portugais, Espagnols, Marocains,
Algériens, Tunisiens, Turcs, Bosniaques, Cambodgiens
cohabitent
fraternellement avec les jardiniers foréziens. Quelle association
fait autant pour rapprocher des gens bien différents par l'origine,
la culture et le mode de vie ?
L'association a une gestion très démocratique : respect
scrupuleux des statuts, bureau élu au suffrage secret. Et tous
les jardiniers sont tenus, sous peine d'amende, de participer à
l'assemblée générale.
Soulignons le dévouement de tous les administrateurs bénévoles
d'hier et d'aujourd'hui. Ils acceptent des tâches parfois ingrates
: faire respecter le règlement intérieur, percevoir les
cotisations, arbitrer de menus litiges, répartir avec équité
les parcelles libres. Il leur faut une bonne dose de patience, de la
fermeté et un sens aigu du bien commun. Les jardins ouvriers
sont un magnifique lieu pour la convivialité.
Bravo, les jardiniers !
Cent ans de bonnes récoltes, ça se fête.
Joseph
Barou
(La
Gazette du 17 octobre 2008)
Sources : Bulletins
paroissiaux ; témoignages de membres de la société
des Jardins ouvriers de Montbrison ;
archives de l'association aimablement mises à notre disposition
(en 1983) par M. Durret que nous remercions vivement.
En 2008, l'Association des
jardins ouvriers que préside Gérard
Laurendon dispose de 215 parcelles de 200 m2 chacune réparties
sur 2 sites : l'un au Bicêtre,
à Savigneux et l'autre dans la
zone des Granges.
Le Père
Volpette
Félix
Volpette, fils de paysans auvergnats né le 2 octobre 1856
dans le Puy-de-Dôme, élève au collège de
Billom, novice chez les Jésuites à Clermont-Ferrand,
voeux en 1878, ordonné prêtre en 1885, directeur spirituel
au collège Saint-Michel de Saint-Etienne à partir de
1890, décès à Saint-Jean-Soleymieux le 21 septembre
1922.
Le Père
Volpette entouré d'une famille nombreuse
Les
Jardins ouvriers de Montbrison doivent
beaucoup à l'exemple donné par les réalisations
du Père Volpette à Saint-Etienne.
Ce jésuite qui était directeur spirituel d'institution
Saint-Michel s'était ému
de la misère d'une partie de la population stéphanoise,
notamment au cours de l'année 1893.
Il fonda alors l'Oeuvre de jardins familiaux.
D'autres suivirent son exemple.
En 1914,
une Fédération des Associations
des Jardins Ouvriers et Familiaux de la Loire est créée.
En 1970, elle comptait 16 associations
et 2 300 adhérents dans le département dont 1 600 à
Saint-Etienne. Le président fédéral était
alors Michel Vacher.
En 1991,
les Jardins Volpette comptaient 1 650
jardiniers répartis en 32 sections.
Jardins Volpette : 21, rue Aristide-Briand
et de la Paix, Saint-Etienne
tél. 04 77 32 98 56
Sources : Bulletin
municipal Saint-Etienne-Aujourd'hui,
n° 91, février 1992.
Jardins Volpette
à Saint-Jean-Bonnefonds
Album
Paiement
des cotisations chez les jardiniers
salle du Rex, à Montbrison
(photo de la Dépêche du 9 janvier
1958,
cliché Marguerite Fournier, archives Diana)
(photo de la Dépêche du 12
janvier 1959,
cliché Marguerite Fournier, archives Diana)
(photo de la Dépêche du 9 janvier
1961,
cliché Marguerite Fournier, archives Diana)
2008
Le conseil d'administration des Jardins ouvriers
de Montbrison :
de gauche à droite, 1er rang : Noël Dufour, André
Gardon,
Maurice Seyve, René Masson ; 2e rang : Françoise Brossier,
Gérard Laurendon, Jean Brun, Joseph Combe, Guy Chmara,
Christian Vincent, Robert Demeure, Marc Goyet
(Jean-Luc Brenier et Jean Dupin étaient absents)
Char préparé
par les jardiniers pour les fêtes
de la Fourme de 1996
pour rappeler le centenaire de la fondation en France
des Jardins ouvriers par l'abbé Lemire.
Les pouvoirs publics attentifs
au destin des Jardins ouvriers
Assemblée générale 2006
(de gauche à droite : Philippe Weyne,
maire de Montbrison,
le président Gérard Laurendon et
Liliane Faure, conseillère générale)
Pour
devenir jardinier