Depuis fort longtemps Montbrison possède
des établissements hospitaliers : hôpital et hospice.
Aussi de très nombreux enfants ont été abandonnés
à Montbrison. Plus de 5 000
du règne de Louis XV à la IIIe République
! Ils étaient le plus souvent "exposés",
c'est-à-dire déposés dans un lieu public,
dans la rue, à la porte d'une boutique ou d'une église.
Relevé par "l'archer"
de l'hôpital, le nouveau-né était baptisé
dans l'église Sainte-Anne
et, au plus vite, placé à la campagne. Par tradition,
la région de Saint-Jean-Soleymieux
comptait de nombreuses nourrices. Le salaire payé par l'hôtel-Dieu
était minime. Ces femmes appartenaient aux familles les
plus pauvres.
Les "enfants de l'hôpital"
vivaient dans les conditions difficiles : climat rude, malnutrition
A sept ans, s'ils avaient survécu, c'était en principe
le retour à Montbrison, à
la Charité où ils se
trouvaient mêlés aux vieillards et aux infirmes.
Mais les "recteurs"
de l'hospice souhaitaient souvent que l'enfant reste chez ses
parents nourriciers "sans gages".
Parfois ils versaient une "étrenne",
une somme de quelques livres pour encourager l'adoption.
"Benoît,
fils naturel de la nommée Marie"
Il arrivait que des liens affectifs forts se forment
entre les nourriciers et l'enfant trouvé. Et il n'est alors
nul besoin de prime ou d'un quelconque avantage pour inciter la
famille à garder l'enfant.
Le cas de Benoist, "fils
naturel de la nommée Marie", est, sous
ce rapport, exemplaire. Le 1er décembre 1751, alors qu'il
est âgé de trois mois, "Benoist"
est remis à l'hôpital Sainte-Anne.
Il est placé chez Jeanne,
femme de Claude Gay, de Reymondan,
hameau de la paroisse de Saint-Jean-Soleymieux,
près du château du Rousset.
En 1758, Benoît a 7 ans. Il
doit entrer à la Charité. Claude et Jeanne se sont
attachés à lui. Claude Gay
se décide à aller voir son puissant voisin, le seigneur
du Rousset, de l'illustre famille des Damas.
Il le prie d'intervenir afin que l'enfant reste définitivement
sous son toit.
Le
seigneur du Rousset prend sa plume
M. de Damas
taille sa plume d'oie et écrit à M. Paturel,
chanoine de la collégiale Notre-Dame
de Montbrison et l'un des recteurs de Sainte-Anne
:
" Monsieur,
Le nommé Gay qui a un enfant de l'hôpital m'est venu
trouver, pour vous prier de le lui laisser. Il a pris tant d'amitié
pour lui qu'il s'imagine que cet enfant est à lui et se
désole sur son départ ; comme il me paraît
que cet enfant est très bien soigné, et qu'il m'a
assuré qu'il lui donnerait l'éducation qui pourrait
lui être nécessaire, j'ose espérer Monsieur
que vous voudrez bien à ma recommandation le laisser chez
lui.
Lettre claire et précise qu'il conclut par des salutations
d'une politesse surannée : "J'ay
l'honneur d'être, Monsieur, avec la considération
des plus distinguées, votre très humble et très
obéissant serviteur." Et il signe tout
bonnement : "Damas".
Le seigneur du Rousset obtient satisfaction
pour son humble voisin. En juin 1758, le registre de l'hospice
mentionne à propos de Benoît : "a
été laissé sans rétribution à
Claude Gay... sur sa réquisition, ce, sur la lettre de
M. de Damas allongée ci-contre
". En effet, le billet écrit par ce dernier est encore
épinglé dans le registre conservé aux archives
hospitalières de Montbrison.
Les Damas n'avaient pourtant pas
bonne réputation dans le voisinage. Plus tard, en 1793,
un groupe de paysans conduit par le curé de Saint-Jean
attaque le château du Rousset.
Et le maître des lieux, le comte Claude-Marie,
est arrêté. Conduit à Feurs,
il est jugé le 28 décembre
1793, condamné à mort et exécuté
le même jour. Quant au destin de Benoît,
fils de la nommée Marie, nous
n'en savons rien. Sans doute fut-il plus ordinaire
Joseph
Barou