A la Croix : acquisition
du petit couvent de Sainte-Ursule
- Au milieu du 18e siècle, le deuxième couvent
des Ursulines de la ville est, faute de ressources suffisantes,
réuni au Grand couvent,
une maison du même ordre établi sur la colline
(aujourd'hui collège Victor-de-Laprade).
- Les bâtiments et l'enclos du Petit
couvent, près de la porte de la Croix,
mais hors des remparts, sont mis en vente pour 14 000 livres
(prix réduit ensuite à 12 000 livres) en 1752.
- Les recteurs sont intéressés par cette offre
car les bâtiments de l'hôpital du Bourgneuf
sont en ruine alors qu'au contraire
les batimens du second monastère des Ursules semblent
être construits exprès pour y loger les pauvres...
De plus il est bien situé, hors de la
ville.
- Quelques réparations hâtives sont faites
et le transfert les pauvres a lieu au faubourg de la Croix
(actuelle maison de retraite) en 1753.
Les bâtiments sont plusieurs fois remaniés
et agrandis autour du noyau central (l'ancien cloître
du petit couvent).
- Une nouvelle chapelle est bâtie en 1807 (en pisé
avec un fronton triangulaire) ; malheureusement elle est
détruite en 1982 et remplacée par la salle
polyvalente Noël-Collard.
Administration
et ressources de l'hôpital général
1 - Selon
les règlements de l'hôpital général
de Lyon.
- L'hôpital général de Montbrison a
été fondé et géré comme
l'hôpital général
de Lyon.
- Les premiers recteurs de
la Charité sont ceux de l'hôtel-Dieu mais le
budget est séparé. Ensuite il y a 12 recteurs
; ce conseil d'administration comprend, comme pour l'hôpital
: deux chanoines de Notre-Dame, des procureurs et avocats,
des marchands, un médecin... Ils ont des fonctions
bénévoles et
se réunissent chaque dimanche "en bureau"
:
- Le distributeur de pain,
- Le directeur des passants,
- Le directeur des pauvres honteux,
- Le directeur des troncs,
- Le directeur des adoptés,
- Le directeur des malades,
- Le directeur des habits,
- Le receveur ou trésorier
de la Charité a un rôle essentiel : il est
responsable de la gestion et en cas de difficultés
doit être assez riche pour avancer de l'argent à
la Charité. Il reçoit une indemnité
annuelle (50 livres). C'est souvent un notaire ou un marchand
aisé.
- Rapports entre hôtel-Dieu
Sainte-Anne et la Charité :
il y a séparation de la gestion et partage des tâches
: l'hôtel-Dieu soigne les pauvres,
l'hôpital général enferme les
marginaux.
2 - Les ressources de la
maison : un financement aléatoire, des expédients
- Les donations
: une multitude de donations (biens immobiliers ou argent)
de nobles et bourgeois mais aussi de petites gens (artisans,
vignerons, journaliers...).
- Les domaines constituent la première source
de revenus : citons-en quelques-uns
- Les Belles-Dents (à Savigneux),
- Le Rézinet (à Chambéon),
- Château, moulin et fonds de Vauberet à Montbrison,
- Des vignes, des jardins... des tours du rempart, de la
vigne, des fossés asséchés transformés
en jardins...
- Les aumônes (30 % des recettes) recueillies
notamment au moment de funérailles de notables. La
Charité envoie des pauvres (parmi "les plus
convenables"et bien "accoutrés" en
bleu) porter des cierges et prier pour le défunt
avec un bassin pour recevoir les offrandes.
- La grande misère de 1693-1694 (on ne recevra
personne jusqu'à ce que le nombre de pauvres se réduise
à 20).
- La levée des boues en 1699-1700 :
une expérience qui dure peu, le ramassage des ordures
de la ville avec un valet, un tombereau et une paire de
vaches... Les boues sont vendues au profit de la Charité.
La vie
au jour le jour
1 - Le personnel
au service des pauvres
- L'aumônier
est chargé de célébrer les offices religieux dans la chapelle
de la maison et de catéchiser les pauvres.
- Les dévotes servantes
des pauvres sont des filles issues du petit peuple.
Sans être religieuses, elles vivent d'une manière
assez comparable en observant les trois règles :
célibat, pauvreté et obéissance. Souvent
elles entrent très jeunes et lèguent tous
leurs biens à la Charité demandant simplement
qu'on les y héberge jusqu'à la fin de leur
vie (acte de "stabilité"). Elles sont 4
ou 5 sous la direction d'une "gouvernante des pauvres".
Une sur est qualifiée de maîtresse d'école.
- Les gardes de la Charité
ou les archers : 1 ou 2. Ils
sont chargés de faire la chasse aux mendiants dans
la ville et de les arrêter pour les conduire à
la Charité. Ils ont une sorte d'uniforme : justaucorps,
bas, souliers, hallebarde... Souvent ce sont d'anciens soldats...
Leur tâche est difficile, les gens prennent parfois
le parti des vagabonds.
- Les chirurgiens attachés
à la Charité visitent les pauvres de temps
en temps : Charles Collignon dit Lasonde (un surnom qui
en dit long), Pierre Louis Fray...
- Les surs Saint-Charles.
Aux 18e et 19e siècles, les religieuses Saint-Charles
remplaceront les dévotes
servantes des pauvres. Elles forment une communauté
distincte des surs institutrices à la Madeleine
puisqu'elles ont leur propre supérieure. En 1881,
elle s'appelle Etiennette Crozet. Il y a 7 autres religieuses,
assez âgées (la moyenne d'âge est de
58 ans). La supérieure a 80 ans. Les religieuses
s'occupent des vieillards et de jeunes orphelines.
- En 1881, la Charité
a 68 pensionnaires âgés et 15 enfants ou adolescents
âgés de 7 à 18 ans. La Charité
a ainsi gardé en partie sa vocation qui était
de s'occuper des enfants abandonnés. Le personnel
laïque comprend 5 domestiques et deux jardiniers pour
cultiver le clos de Charité et, au besoin, prêter
main-forte aux surs. Ce sont les successeurs des archers.
2 - Vie
quotidienne :
une discipline
rigoureuse
- Avant 1789, une rude discipline maintient le bon ordre
dans une communauté d'environ 50 personnes : moitié
hommes, moitié femmes. Ils sont rigoureusement séparés.
Un portier ferme la maison
chaque soir...
- Les manquements sont durement punis : carcan, fouet, cachot
au pain sec et à l'eau. Dans les cas les plus difficiles,
au lieu d'être enfermés les pauvres sont passés
dehors mais doivent rendre les souliers et la
casaque que la Charité leur a fournis.
- Le règlement intérieur de la maison tient
du régime carcéral et de la règle monastique.
- Le travail des pauvres est une préoccupation constante
des recteurs : aide à la marche de la maison, culture
du jardin et des vignes pour les valides, installation de
métiers pour fabriquer des rubans (pour les plus
jeunes)... avec plus ou moins de succès.
Le pain et le vin de chaque jour
:
- La Charité fabrique elle-même son pain et
tire de ses domaines son bled
(son seigle), son vin, du lait, des oeufs, des légumes...
et achète parfois un peu de viande de boucherie.
Elle se chauffe avec son bois, achetant exceptionnellement
du charbon de terre à Saint-Etienne.
- Régime spartiate mais convenable. A l'abri de la
misère, le pauvre a une vie paisible et bien ordonnée
dans une maison qui ressemble assez à un couvent.
Cour intérieure
de la maison de retraite :
restes du cloître du petit couvent de Sainte-Ursule
Les fonctions de la Charité :
du renfermement
des pauvres
à la maison de retraite d'aujourd'hui
1 - Qui sont les pauvres de la Charité ?
Selon le
registre des entrées concernant la période
1745-1792)
chaque année une quinzaine de pauvres entrent à
la Charité. Il s'agit surtout d'enfants
trouvés et d'orphelins
(qui avant sept ans étaient nourris par l'hôtel-Dieu)
et de quelques adultes.
Les enfants
- Enfants abandonnés
Le nombre important d'enfants et d'adolescents justifie
qu'il y ait une sur "maîtresse d'école".
Ces enfants, que le règlement recommande de tondre
pour éviter la vermine, se trouvent mêlés
à des vieillards, des infirmes et des adultes, parfois
anciens vagabonds, ce qui était un sérieux
inconvénient.
Près du quart d'entre eux meurt dans l'établissement,
une autre partie quitte la Charité sans la permission
du bureau, en "s'évadant" comme le précise
le registre ;quelques-uns sont retirés par leur famille,
enfin une petite minorité est placée chez
des paysans ou des artisans.
- Enfants du seigneur de Charlieu
:
Fanny de Pennemard, veuve de Gilbert Henrys, écuyer
et seigneur de Charlieu, présente trois de ses enfants
au bureau de la Charité pour
qu'ils y soient reçus jusqu'aux prochaines fêtes
de Noël afin d'être nourris et eslevés
à la crainte de Dieu et y apprendre à lire.
La dame de Charlieu verse pour cela 113 livres. Le bureau
accepte les trois enfants mineurs : Jeanne Henrys, dix-sept
ans, Jacques Henrys, neuf ans et demi, Gilbert Henrys, huit
ans.
- Enfants désobéissants
et libertins :
fonction plus curieuse, la Charité sert de maison
de redressement pour les enfants obstinés. Ainsi
le 18 novembre 1770, André Desbruns, sculpteur de
son état, demande au bureau de la Charité
d'emprisonner son fils Jean-Baptiste pendant quinze jours.
Il sera nourri au pain et à l'eau et battu une fois
par jour par le garde durant la première semaine.
L'enfant manquoit au respect qu'il
luy devoit en luy faisant des menaces et luy avoit fait
plusieurs tours qui ne tenoient rien moins que du libertinage.
Il paie six sols par jour pour faire exécuter cette
pénitence.
Les
adultes :
- Ce sont des vieillards, quelques impotents et handicapés
mentaux, des imbéciles
comme on dit alors sans que cela soit péjoratif.
- Le motif premier et général de la réception
à la Charité est, naturellement, l'indigence
mais cette cause se conjugue avec d'autres difficultés
: carences familiales, infirmités, vieillesse...
Il y a très peu d'enfermements après arrestation.
- Presque tous sont des journaliers, vignerons, jardiniers
ou des artisans : charpentiers, cordonniers, tisserands,
boulangers...
- En principe la Charité n'admet que les pauvres
de la ville. Sont encore exclus les incurables,
estropiés, gens affligés d'écrouelles
ou d'humeurs froides et ceux qui ont des maladies
contagieuses.
- Après la Révolution le nombre des enfants
abandonnés grossit énormément (jusqu'à
70-80 par an pendant la Restauration et la Monarchie de
Juillet). On installe un tour (une armoire ronde tournante
dans le mur), au faubourg de la Croix pour les recueillir
plus facilement. Il fonctionne de 1830 à 1859.
D'autres fonctions :
- L'assistance aux pauvres externes
: La Charité donne des secours en argent aux pauvres
externes (les pauvres "honteux" sont secourus
en secret).
- Les filles tombées en faute : quelques
cas de prostituées, filles
et veuves débauchées et étrangères
qui ont fait des enfants...
2 - La petite communauté
de l'Ancien Régime
- L'hôpital général sert aussi, déjà,
de "maison de retraite". Ainsi, après une
vie au service des malades, Estienne Chantelauze, ancien
praticien de Montbrison, demande, le 19 août 1764,
à être reçu pour être nourri,
entretenu et blanchi comme les autres pauvres. Il abandonne
à la Charité la pension viagère annuelle
de 80 livres que lui verse son frère, ne se réservant
que 6 sols par semaine.
- Les pauvres renfermés
de Montbrison forment une communauté réduite.
Le 26 décembre 1700, ils sont au nombre de 38, hommes
et femmes, outre la gouvernante et deux surs. Le 16
août 1711, ils ne sont que 34. Le 4 mars 1736, à
la Charité se trouvent 45 pauvres : 25
hommes, 20 femmes, la sur gouvernante, la sur
maîtresse d'école, 3 servantes, 2 pour la maison
et une pour avoir le soin des 3 vaches qu'on a dans la maison
pour en avoir le laitage, et 2 valets pour les domaines
les vignes et le jardin.
- On voit bien le caractère rural que revêt
alors la maison. Le mélange des générations
et des sexes en faisait une sorte de vaste maisonnée
- de 40 à 50 personnes - sous la houlette de la gouvernante
des pauvres.
- Grâce au dévouement des surs et au
zèle, parfois tatillon, des administrateurs, la Charité
est bien gérée. La maison au budget modeste
vit en autarcie avec ses domaines. Elle est donc moins vulnérable
en cas de crise économique.
- Les pauvres renfermés décemment nourris
et hébergés y ont une vie paisible mais austère,
à l'abri de la misère mais sans liberté
personnelle. Sans doute la taille de l'établissement
permet-elle à certains habitués de se faire
une vraie place en participant notamment aux travaux de
la maison. Cumulant de multiples fonctions : orphelinat,
hospice, maison de correction, bureau de bienfaisance, pour
ne citer que les principales, la Charité a eu, en
son temps, un rôle essentiel et a rendu, malgré
des imperfections évidentes, de grands services dans
la lutte contre la misère.
3 - Aujourd'hui
- La maison de retraite d'aujourd'hui a remplacé
la Charité. Au cours du 20e siècle et particulièrement
à partir des années 60, il y a eu de profondes
transformations : modernisation et "humanisation"
de l'établissement, cependant les lieux restent les
mêmes.
- Les pensionnaires ne sont plus ni les
pauvres ni les renfermés
mais des personnes du "troisième" et du
"quatrième âge" (on n'ose plus dire
"des vieux"). Les dévotes
servantes sont remplacées par un personnel
compétent et attentif, une animation existe... avec
une certaine vie sociale pour les pensionnaires. L'établissement
est incorporé - et c'est une riche idée -
dans tout un ensemble ouvert : jardin public, parc animalier,
complexe sportif... où circulent des gens de tous
les âges.
Petits
établissements voisins
1 - Saint-Jean-des-Prés
:
Saint-Jean-des-Prés (établi à Montbrison
avant 1180 dans le faubourg du même nom) est une commanderie
de l'ordre militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem.
C'est un établissement d'un genre particulier qui
n'a pas, semble-t-il, une grande fonction hospitalière
même s'il y a, sans doute, une infirmerie.
2 - Saint-Lazare : pour le
service des lépreux
Maladrerie fondée en 1148 par Guy II entre Moingt
et Montbrison (au niveau de la source la
Romaine) pour les malades
de la maladie de lèpre. Ce petit établissement
avec un recteur reçoit une dizaine de malades. En
1670, il est rattaché à l'hôtel-Dieu
de Montbrison. La chapelle Saint-Lazare est démolie
en 1729 et ses pierres sont réutilisées pour
la réfection de la chapelle Sainte-Anne.
3 - Saint-Antoine : calmer
les douleurs du mal des ardents.
En 1278, Guy VI fonde une commanderie de l'ordre de Saint-Antoine-de-Viennois
(en Isère) dans le faubourg de la Madeleine (une
rue rappelle son nom). Il s'agit de soigner les malades
touchés par l'ergotisme gangreneux causé par
un parasite du seigle.
4 - Champdieu : un petit hôpital-hospice
qui a cinq siècles.
En 1500, Pierre de La Bâtie, prieur de Champdieu,
fonde un hôpital pour les pauvres de Champdieu et
Essertines. Cet hôpital devenu maison de retraite
fonctionne encore aujourd'hui.
5 - Asile de Saint-Jean-de-Dieu
dans l'ancien prieuré de Savigneux qui ne survit
pas à une terrible épidémie de typhus
en 1825.
Conclusion
Après cette évocation
de la vie de la Charité, nous pouvons faire une double
constatation à propos des hôpitaux montbrisonnais
:
Il y a eu, tout à la fois, au cours des siècles
:
De profondes mutations
- Locaux transformés, agrandis (Charité) ou
déplacés (hôtel-Dieu).
- Financements différents (on passe de la charité
publique au financement par la collectivité)
- Statut du personnel (spécialisation, laïcisation...)
- Fonctions : soigner et
guérir plus que nourrir
et héberger.
Cette évolution est normale : un hôpital n'est
pas un monument historique ; il s'adapte ou disparaît
comme la maladrerie Saint-Lazare et l'hôpital Saint-Antoine.
Une vraie et forte continuité,
ce sont
- Les mêmes lieux : Montbrison et toute sa région.
- Les mêmes missions mais élargies : au service
de ceux qui naissent (la maternité), qui souffrent
(l'hôpital), qui finissent leur vie (la maison de
retraite)
avec
- Le même dévouement des personnels (des dévotes
servantes des pauvres
et des Augustines au
personnel laïque d'aujourd'hui).
Montbrison a vraiment une grande tradition hospitalière.
Joseph
Barou
(Extrait de la
causerie présentée le 12 avril 2003 au "Printemps
de l'histoire",
Centre Social de Montbrison : La tradition hospitalière
à Montbrison : Hôtel-Dieu et Charité)
Pour obtenir ce texte en format pdf cliquer :
La
Charité de Montbrison
(7 pages)
Autre
page :
Joseph
Barou,
La Charité de Montbrison
(1695-1789)
(38 pages)
Le faubourg de
la Croix, un quartier rénové