Dans les monts du Forez, à 10
km de Montbrison, Verrières garde beaucoup de souvenirs
d'une vénérable institution : le séminaire.
Et, fait curieux, le lycée professionnel installé
dans le village en est même un lointain héritier.
Retour sur la disparition du petit séminaire de Verrières,
il y a juste 100 ans.
Un établissement ancien
et réputé
La maison est née en 1805, juste après l'époque
de la Révolution, dans un élan de foi grâce
à des personnages à forte personnalité. L'abbé
Pierre Périer, curé de
Verrières, organise une petite école cléricale
dans son presbytère délabré. Antoinette
Montet, la béate de Gumières,
sacrifie tous ses biens pour acheter la maison forte du Soleillant.
L'énergique abbé Jean-Joseph
Barou, originaire de Chalmazel,
organise la maison.
Et, parmi les tout premiers élèves, dans les
temps héroïques, figurent un bienheureux et un saint
: Marcellin Champagnat et le curé
d'Ars. De quoi auréoler un siècle d'activité
!
D'une cure délabrée
au "nouveau collège" :
bien des avatars
Le séminaire est d'abord installé dans la cure et
ses dépendances. Le bâtiment vétuste accolé
au nord de l'église ressemble à une ferme. Les élèves
dorment dans un grenier. Les fenêtres sont fermées
avec du papier. On y gèle en hiver, on y étouffe
en été. Beaucoup de travail et un régime
spartiate pour les collégiens, ce sont "les
bufs" de Verrières.
En 1807, grâce à
un don d'Antoinette Montet, le séminaire
s'installe pour quelque temps au château du
Soleillant tout aussi délabré. L'abbé
Barou, supérieur après
le curé Périer, fait
construire de nouveaux bâtiments tout près de l'église
: le "vieux collège".
Le séminaire s'y installe en 1819.
Le 3 décembre 1846, un
incendie détruit presque tout. Les dégâts
sont énormes. On hésite à reconstruire. Mais
le cardinal de Bonald, archevêque
de Lyon, décide : "Verrières
doit rester à Verrières". Sur les
plans de Dulac, le "nouveau
collège" est bâti : style rigoureux ordonnance
parfaite, sévérité monacale. Deux ailes avec
arcades flanquent un grand bâtiment central sans fantaisie.
Il s'ouvre sur une vaste terrasse. La chapelle, sans style précis,
est placée au centre avec un clocher surmonté d'une
petite coupole carrée. Ce sont les bâtiments du séminaire
jusqu'à sa fermeture de 1907.
Un riche bilan :
le séminaire des saints et des martyrs
Au cours du 19e siècle,
près de 4 000 élèves
ont étudié à Verrières.
Et, parmi eux, environ 2 000 sont entrés dans les ordres.
En 1905, 400 prêtres en fonction
dans le diocèse de Lyon sont
des anciens. De nombreux notables et beaucoup de membres de professions
libérales sont aussi passés à Verrières.
L'établissement bénéficie d'un grand prestige
dû à son histoire et au sérieux de son enseignement..
Son aire de recrutement est très vaste. Des estimations
montrent que le pays stéphanois, l'Ondaine
et le Jarez fournissent le tiers
de l'effectif. Verrières jouit
d'une excellente réputation sur le plan sanitaire. Il attire
donc les jeunes gens de la ville noire. Les Lyonnais sont nombreux,
loin des brumes de Saône et
Rhône. Le
massif du Pilat avec Bourg-Argental et Marlhes fournit
des élèves tout comme le plateau de Saint-Bonnet-le-Château,
l'Auvergne voisine et les confins
du Velay. En revanche, il y a peu
de Montbrisonnais. Ils fréquentent plus volontiers le petit
séminaire de Montbrison.
Dans la foule des anciens émergent des personnages marquants
: évêques, fondateurs d'ordres religieux, missionnaires,
martyrs pour la foi. Citons parmi ces derniers : le Père
Bouchand, tué à Tombouctou,
le Père Jourjon, martyrisé
en Chine, le dominicain Chatagneret,
fusillé à Arcueil en
1871 pendant la Commune... Mais le
plus connu des anciens est Jean-Marie Vianney,
le curé d'Ars, béatifié
en 1904 et canonisé en 1925.
Au moment des fêtes du centenaire, le séminaire
de Verrières n'est plus en
plein essor. Le nombre des élèves a diminué
depuis une dizaine d'années : 275 en 1879,
autour de 200 vers 1900. Il continue
pourtant à envoyer au grand séminaire la majorité
de sa classe de rhétorique.
L'orage s'annonce
1905, l'année de la
Séparation
Dans la période qui précède la Séparation
de l'Eglise et de l'Etat, le séminaire de Verrières
subit de fréquentes attaques de la presse anticléricale.
Ainsi, en juin, les fêtes du centenaire du séminaire
sont le prétexte à des sarcasmes. "Le
Montbrisonnais" voit dans ce rassemblement d'anciens
élèves un acte hostile à la République,
un moyen discret de diffuser les consignes politiques :
Mobilisation. - On nous écrit
: est-ce la proximité de la Séparation ? mais les
curés se livrent en ce moment à de vastes rassemblements
Mardi dernier, plus de six cents ecclésiastiques sont arrivés
à Verrières, venant de tous les coins du département,
de la Haute-Loire et même du Puy-de-Dôme. Il y en
avait tellement, tellement, que le chemin était, littéralement,
noir de monde !
Les républicains de Verrières
se sont creusé la tête pour savoir la cause de cette
grandissime réunion. D'aucuns disaient qu'il s'agissait
d'un grand baptême depuis longtemps attendu. Il semble bien
plutôt que les cérémonies qui sont mises en
avant ne soient qu'un prétexte. Avant que la Séparation
ne soit effective, ces messieurs se réunissent pour recevoir
le mot d'ordre. Il serait exagéré de supposer qu'ils
se rassemblent ainsi, comme certains oiseaux, pour s'en aller
en groupe. Cela ne risque pas ; le pays n'est pas mauvais ; et
l'on y vit bien.
Et le rédacteur signe bravement : "Un
groupe de citoyens".
Ces assauts répétés sont la forme locale
d'une campagne d'opinion visant à préparer la séparation
de l'Eglise et de l'Etat. Annoncée par l'anticléricalisme
militant du ministère Combes, la loi est votée en
décembre 1905 sous le ministère
Rouvier. L'Eglise catholique cesse
d'être une institution officielle mais conserve ses biens.
La loi stipule que dans un délai d'un an tous les biens
mobiliers et immobiliers de "tous
les établissements publics du culte" devront être
transférés à des "associations cultuelles".
L'encyclique "Vehementer nos"
du 18 février 1906 condamne
la loi mais la majorité des évêques de France
adopte un projet d'associations cultuelles à la fois canoniques
et légales. L'intransigeance de Rome bloque cette voie.
L'encyclique "Gravissimo officii"
de Pie X du 10
août 1906 contraint les catholiques à abandonner
les biens de l'Eglise. Elle leur interdit de constituer des associations
cultuelles.
Le petit séminaire de Verrières et son domaine
doivent donc passer sous séquestre. Il sera ensuite attribué
à une uvre, soit au département soit à
la commune.
Les fêtes du centenaire
Malgré ce climat difficile, le séminaire fête
avec éclat son centenaire. Fait heureux, cette manifestation
arrive juste après la béatification de Jean-Marie
Vianney qui a eu lieu le 8 janvier 1905.
C'est le plus célèbre de tous les anciens de Verrières.
En son honneur, un "Triduum"
solennel est célébré durant les fêtes
du centenaire du séminaire les 11,
12 et 13 juin 1905. Dans la chapelle, toute blanche et
entourée de fleurs, sa statue, uvre du sculpteur
Vermare, se dresse devant une draperie
rouge.
Cérémonies religieuses, repas de fête, discours
et chants se prolongent durant trois jours. Une vaste tente est
dressée sur la terrasse. En plus des élèves,
elle reçoit les 371 invités. Leur nombre et leur
qualité nous renseignent sur l'influence qu'a eu, au cours
du siècle, le séminaire. Il a formé beaucoup
de futurs prêtres. Parmi eux il y a 266 prêtres des
diocèses de Lyon et de Clermont.
Parmi ceux qui ne sont pas entrés dans les ordres se retrouvent
beaucoup de notables influents.
Derrière un optimisme de façade les discours
prononcés cachent mal l'angoisse du lendemain. Le père
Tiby s'adresse aux élèves :
"Nous sommes en pleine crise.
L'avenir est sombre, gros de menaces et de dangers. L'Eglise de
France, que va-t-elle devenir ? Dieu seul le sait
Demain
plus que jamais, elle aura besoin de prêtres savants et
pieux
Vous fournirez votre contingent, jeunes élèves.
Le diocèse de saint Irénée, le séminaire
du curé d'Ars comptent sur vous... "
Mais comme un sombre présage, un violent orage éclate
au cours du banquet. Les convives quittent la tente en toute hâte
pour se réfugier dans le séminaire. Osera-t-on toucher
à la vieille maison ? N'a-t-elle pas comme devise "Semper
Virens", toujours vert ! donc toujours vivant.

Deux élèves
illustres
Marcellin Champagnat, fondateur
des Maristes
En octobre 1805, un grand garçon
timide arrive du Pilat : Marcellin
Champagnat. Il est né le 20
mai 1789 à Marlhes.
A presque 17 ans, il entre dans la petite classe car son niveau
scolaire est faible. Et il a de la peine à s'adapter. Ses
biographes racontent :
"Comme il était très timide, les premiers jours
lui furent un peu pénibles. Il ne pouvait se résoudre
à demander ce qui lui était nécessaire ;
à table même, il n'osait présenter son assiette
pour être servi, et il fallut tout le pouvoir de la faim
pour le décider à faire comme les autres. Sa timidité,
son air embarrassé, ses allures de montagne lui attirèrent
d'abord les railleries de certains élèves étourdis".
Plus tard, à cause de son âge, Marcellin devient
une sorte surveillant :
"Tous les soirs, après avoir fait le tour du
dortoir, fermé les portes et les fenêtres, et s'être
assuré que tous les élèves étaient
couchés, il se mettait à étudier ses leçons
du lendemain jusque bien avant dans la nuit. Comme son lit se
trouvait dans une espèce d'alcôve, il put faire cela
pendant plusieurs années sans être aperçu."
Révisions bienvenues car Marcellin peine à
suivre. Après une année on pense à le renvoyer
pour insuffisance. Il met 5 ans pour parvenir à la classe
de rhétorique qu'il redouble. Un siècle plus tard,
Verrières sera pourtant très fier de l'avoir eu
parmi ses élèves. Souffre-douleur de ses copains
au début et élève bien médiocre Marcellin
n'a portant pas été dégoûté
des études. Devenu prêtre, il fonde une congrégation
enseignante, "la société des petits frères
de Marie". Les Maristes tiennent aujourd'hui des écoles
et des collèges sur tous les continents.
Jean-Marie Vianney,
le saint curé d'Ars
Jean-Marie Vianney arrive à Verrières en octobre
1812 dans la classe de philosophie de l'abbé Chazelles.
Il y reste un an. A 26 ans c'est un élève particulièrement
faible, plus âgé que son professeur. Le futur curé
d'Ars ne peut suivre l'enseignement en latin. Il fait partie d'un
petit groupe de sept élèves à qui l'on parle
en français. Malgré cela, en fin d'année,
il a encore des résultats très médiocres.
Les appréciations de ses maîtres le montrent : "travail,
bien ; science, très faible". Mais modeste et doux,
il a cependant un excellent comportement : "conduite, bonne
; caractère, bon". On n'en attend pas moins d'un futur
saint.
Il rencontre cette année-là Marcellin Champagnat
à Verrières. Comme lui, à cause de son âge,
il a un un rôle de surveillant. Le soir, dans le dortoir
qu'il surveille, il est autorisé à allumer un quinquet
afin de poursuivre son étude. Le séminaire est alors
installé dans la vieille maison forte du Soleillant. Le
confort reste très rudimentaire. On accède au dortoir
par une échelle après avoir quitté ses sabots.
Epoque héroïque ! C'est sans doute à Verrières
que le curé d'Ars a pris le goût des mortifications.
Les derniers jours
Verrières,
dans les monts du Forez, vendredi 14 décembre 1906. Deux
gendarmes à cheval s'arrêtent près du portail
du séminaire
Le lendemain la maison ferme ses portes
pour toujours. C'était il y a 100 ans.
La loi de séparation est publiée au Journal
officiel le 11 décembre 1905. Le 29 du même mois
un décret ordonne l'inventaire des biens des églises.
La mesure provoque des troubles dans plusieurs régions.
Mais une circulaire confidentielle du ministre de l'Intérieur,
Georges Clemenceau, ordonne le 16 mars 1906 de suspendre les inventaires
si ceux-ci exigent l'emploi de la force. Dans le diocèse
de Lyon les choses se passent bien. Tristesse et résignation
l'emportent sur la colère.
A Verrières, la fin de l'année scolaire 1905-1906
se déroule dans l'incertitude. A la rentrée de 1906-1907,
les effectifs fondent. Il reste 109 élèves seulement.
Des familles n'ont pas réinscrit leurs enfants. Le délai
prévu par la loi pour la fermeture s'achève en décembre.
Pour les derniers élèves, le personnel et le corps
enseignant, il faut se résoudre à quitter les lieux.
Ce départ est vécu douloureusement.
Les encouragements du
vicomte
Quelques jours avant l'expulsion, le vicomte Camille de Meaux
revient une dernière fois dans "son cher séminaire
de Verrières". C'est un familier, voisin et protecteur
de la maison. Son château de Quérézieux reçoit
le cardinal archevêque de Lyon ou les vicaires généraux
en visite à Verrières. Souvent, les élèves
en promenade sont ses hôtes.
Ce jour-là le vieux gentilhomme fait devant toutes
les classes réunies, maîtres et élèves,
une causerie d'histoire locale. Il traite du "rôle
joué par le Forez dans le relèvement de la France
après trois crises graves : la guerre de Cent ans, les
guerres de Religion et la "grande révolution".
Son discours est évidemment très engagé !
Il reprend l'ancienne devise de la province : "Forez
crie espérance" et achève son propos
par une vibrante exhortation : "Allons
donc de l'avant, comme nos ancêtres, tous unis ensemble,
et toujours espérance !" C'est son ultime
message à l'adresse de Verrières. Il meurt onze
mois plus tard, à Quérézieux.
Injonction préfectorale
Au cours de la journée du 12 décembre les supérieurs
des séminaires reçoivent injonction préfectorale
d'avoir, dans les 24 heures, sous menace de sanction de droit,
à disperser les élèves, les maîtres,
le personnel, et à évacuer les bâtiments.
Le 13 décembre, à 6 h 35 du soir, le sous-préfet
de Montbrison envoie un télégramme au préfet
de la Loire pour lui rendre compte de la situation à Verrières
et à Montbrison :
"Petit séminaire de Montbrison
a été évacué aujourd'hui par les élèves
sauf six dont les parents habitent des communes très éloignées
et qui partiront demain avec le personnel enseignant. Les clefs
de l'établissement seront remises par le supérieur
au maire, l'immeuble appartenant à la commune.
Notification a été faite ce matin par la gendarmerie
au petit séminaire de Verrières sans incident. Supérieur
a signé procès-verbal de notification et déclare
vouloir se conformer à la loi. Préparatifs de départ
ont commencé aujourd'hui mais en raison éloignement
voie ferrée et difficultés communication par suite
mauvaise saison supérieur a demandé délai
de trois jours pour prévenir familles et faire partir élèves.
Je vous adresse sa demande par courrier".
Le supérieur
demande un délai
En fait l'évacuation n'est pas encore réalisée.
Le père Bonjour, dernier supérieur, écrit
le 14 décembre 1906 au vicaire général de
Lyon pour faire le point de la situation :
"L'ordre
règnera désormais à Verrières : nos
élèves vont se disperser demain. C'est presque inhumain
d'obliger à se mettre en route par un temps de Sibérie
avec des routes obstruées par la neige, des enfants et
des jeunes gens qui n'ont pas une endurance à toute épreuve,
mais ainsi le veut la loi.
Elle nous avait déjà
été signifiée par les gendarmes quand j'ai
reçu votre lettre ; j'ai cru devoir demander un délai
pour le départ, je ne connais pas encore le résultat
de ma demande mais l'on m'a dit qu'après la date du 14
décembre, nous étions exposés à des
poursuites judiciaires ; voilà pourquoi nos élèves
rentrent tous demain dans leurs familles. Et nous les suivrons
de près. Quelques professeurs ont déjà déménagé.
Mais je vous assure que ce n'est pas gai de se trouver dans une
pareille nécessité, surtout en ce moment où
la tourmente fait rage sur notre montagne.
Nous avons, Dieu merci, trouvé
autour de nous les concours les plus empressés : c'est
à qui se mettra à notre service. Il y a encore de
bien braves gens à Verrières et si le séminaire
y comporte beaucoup d'indifférents ou d'adversaires, il
y rencontre aussi de nombreuses et vraiment cordiales sympathies".
Il s'en tient aux instructions de L'archevêché
:
Nous suivrons fidèlement vos
indications pour la question d'immeuble ; M. l'économe
recevra l'envoyé du gouvernement : celui-ci ne s'est pas
encore annoncé ; il y a des chances pour que nous ne recevions
pas sa visite avant lundi, et il entrera dans une maison à
peu près vide.
L'abbé Garel, l'économe,
restera jusqu'à la fin de janvier, sur ordre de ses supérieurs
pour garder la maison jusqu'à la prise de possession effective
par le séquestre.
L'abbé Bonjour organise avec soin la dispersion des
élèves. Il prévoit une rentrée prochaine,
dans d'autres lieux :
"M. Dubuf va conduire
demain huit de ses élèves à Oullins : pour
ceux-là du moins les études ne sont pas interrompues
à l'époque de l'année la plus favorable au
travail
Les autres ont reçu des devoirs à
faire, et dans une lettre adressée aux parents, je les
prie de veiller à ce que ce travail soit fait avec soin
: il sera rigoureusement exigé à la rentrée.
La rentrée ! J'ai bien donné
rendez-vous à nos élèves pour le courant
du mois de janvier mais c'est bien le cas de dire "in spens
contra spens".
Lettre mesurée, digne, émouvante où les
préoccupations pédagogiques et le souci de l'avenir
l'emportent sur l'amertume. Le supérieur n'oublie pas de
donner des devoirs pour ces vacances forcées. Pas question
de les bâcler, ils seront exigés à la rentrée.
Mais il avoue d'ailleurs aussitôt qu'il ne sait pas s'il
y aura une rentrée !
Départ avec un
temps exécrable
Le départ des élèves s'effectue donc
sans incident en plusieurs fois avec un temps détestable.
La Semaine religieuse de Lyon,
fait allusion au petit séminaire de Verrières :
"Là où la tempête
sévissait, il a fallu discuter avec les gendarmes sur le
danger que courait la santé des plus petits
Nos enfants
sont partis en pleurant. Le vendredi, 14 décembre, huit
cents enfants du peuple, jetés en moins de quarante-huit
heures hors des abris qu'un siècle entier de sacrifice
et d'amour leur avait préparés ont dû se réfugier
chez leurs parents..."
Le style très mélodramatique est bien dans
le ton de l'époque.
A Verrières il restait
seulement 109 élèves appartenant surtout aux grandes
classes : 19 en rhétorique (classe de première),
31 en seconde, 19 en troisième. Dans les petites classes,
il reste peu d'élèves : 9 en quatrième, 9
en cinquième, 9 en sixième, 6 en septième,
7 en huitième.
Parmi ces petits séminaristes 21 viennent de Saint-Etienne,
19 de Lyon ou du Rhône, 9 de Firminy ou de la vallée
de l'Ondaine, 8 de Saint-Chamond ou du Jarez, 7 des monts du Lyonnais,
5 du Pilat. Il y a seulement 9 enfants de Verrières : Montperoux
en quatrième, Arthaud et Barou en cinquième, Clavelloux
en sixième, Philippon, Rival et Solle en septième,
Dupin et Vial. en huitième. Pour eux le retour est beaucoup
plus facile.
Depuis longtemps les préparatifs du départ ont
été effectués. Il ne reste dans la maison
que le strict minimum. Selon le témoignage d'anciens habitants
de Verrières, il y a même une certaine mise en scène
afin de dramatiser le départ. Ainsi, dans le réfectoire,
le couvert est dressé avant la fermeture définitive.
Dans la maison désertée, les assiettes vides resteront
longtemps en place sur les tables dans le bâtiment fermé,
comme une ultime protestation.
Préparation aussi sur le plan financier. En vue du départ,
l'économe a fait en sorte qu'il y ait un passif. Les bâtiments
du séminaire avec les dépendances sont estimés
à 77 400 F mais l'établissement a 9 208 F de dettes.
L'administration recueille le passif comme l'actif. Et par la
suite, cette situation gêne beaucoup la municipalité
de Verrières qui veut les locaux.
Verrières se réfugie
à Montbrison
Le diocèse réorganise ses séminaires.
Le petit séminaire de Montbrison, dont les locaux appartiennent
à la ville, devient l'institution Victor-de-Laprade.
Et il est chargé d'accueillir Verrières.
Il s'agit alors d'obtenir un bon équilibre entre les
deux maisons. Verrières et Montbrison ont des traditions
différentes. Elles ont été pendant longtemps
presque des rivales. L'ancien supérieur de Verrières
est pourtant optimiste pour l'avenir. Le 4
janvier 1807 il écrit au vicaire général
de Lyon. Il le remercie de tout coeur
d'avoir conserver de Verrières "tout
ce qui pouvait être sauvé" et assure
que "Verrières a largement
sa place dans le corps enseignant".
Reste le cas des élèves. Le supérieur
se montre confiant. Il assure qu'ils seront fidèles : Tous
nos enfants ont été avertis de la rentrée,
et fortement encouragés à se rendre à l'appel
qui leur est adressé : plus de la moitié ont déjà
envoyé leur demande d'admission.
L'arrivée des élèves de Verrières
et de quelques-uns de leurs maîtres à l'institution
Victor-de-Laprade de Montbrison a
lieu le 20 janvier 1907. Grâce
à beaucoup de bonne volonté de part et d'autre tout
se passe très bien.
Une dernière promenade
Il reste la nostalgie. La première sortie de la nouvelle
communauté Montbrison-Verrières est pour retourner
dire adieu à la maison abandonnée. La "Semaine
religieuse de Lyon" se fait l'écho des
émotions ressenties :
"II y
a une quinzaine de jours, au cours d'une promenade, les enfants
de Verrières, réfugiés à l'institution
Laprade à Montbrison, sont venus saluer une dernière
fois leur cher séminaire. A plus d'un, le coeur a battu
bien fort, quand ils ont aperçu de loin le vieux clocher
et la vaste façade de la maison qui, il y a un mois, abritait
encore leur enfance...
A sa vue, le chant traditionnel a
jailli de leurs lèvres : "Verrières, Verrières,
nous t'aimerons toujours". Ils y ont mis toute leur énergie
et toute leur âme, et pourtant une grande tristesse les
étreignait tous. Ce toit n'est plus le leur."
Et pourtant, l'été revenu, l'alouette continue
à grisoller dans le ciel de la Feuillat.
A l'automne de la même année, le 4 novembre 1907,
le vicomte Camille de Meaux meurt
à Quérézieux.
Un "vieux Verrérien"
écrit à la "Semaine
religieuse de Lyon" pour rappeler tous les liens
qu'il y avait entre M. de Meaux et Verrières :
"Le séminaire de Verrières
n'existe plus ; mais il y a encore des curs verrériens,
et ces coeurs ont été douloureusement émus
en apprenant la mort de M. le vicomte de Meaux..." Et il
conclut : "Avec la mort de M. de Meaux, c'est, nous semble-t-il,
comme un peu plus du séminaire de Verrières qui
descend dans la tombe..."
Aujourd'hui Verrières
Les locaux sont attribués à la commune. Ils
connaissent ensuite bien des avatars. Ils sont pillés,
vendus, partiellement démolis, rebâtis, remaniés
La maison mutilée sert à des usages variés
: centre de détention (prisonniers alsaciens), préventorium,
colonie de vacances, orphelinat
A Verrières et dans les
villages voisins, les tribulations du petit séminaire causent
un traumatisme profond. Ensuite les divisions sont longues à
s'estomper. Et, aujourd'hui, le souvenir du "vieux
collège" perdure encore.
Après la Seconde Guerre mondiale, le site retrouve
une vocation éducative. Le centre d'apprentissage de 1946
devient en 1953 un collège
technique. Depuis 1991, le Lycée
professionnel régional du Haut Forez occupe des locaux
très modernes à deux pas du vieux clocher. Tout
à la fois une renaissance et une nouvelle histoire.
Joseph Barou
Sources principales : A.D.L.,
archives du diocèse de Lyon, archives municipales de Verrières.