Tout
début du 20e siècle : des questions,
en apparence anodines, peuvent révéler
un climat politique passionné à une
époque où progressivement la République
s'affermit dans les esprits et les curs.
Rue Tupinerie
ou rue de la République ?
Grave question à l'ordre
du jour du conseil municipal de Montbrison du 25
février 1901 : faut-il
débaptiser la rue Tupinerie ? M.
François, conseilleur municipal d'opposition
voudrait que la Tupinerie soit nommée rue
de la République.
Il y a là-dessous un peu de politique. Il
s'étonne que la ville n'ait encore donné
le nom de la République à aucune
de ses rues. Selon lui en nommant ainsi la voie
principale de la ville, cette
manifestation républicaine recevra le meilleur
accueil de la majorité des habitants.
Façon de dire : plus républicain que
moi tu meurs !
Leçon de civisme
Le maire, M. Chialvo, répond
que ses opinions républicaines
sont aussi fermes que celles qu'il est convaincu
de trouver chez ses collègues.
Et de donner une leçon de civisme à
son conseil : Le meilleur
moyen de faire aimer la République ne consiste
pas à inscrire son nom ou sa devise sur les
murs, mais à mettre en pratique les principes
de liberté, égalité, et de
fraternité, à secourir de ses ressources
les malheureux, à améliorer le sort
des travailleurs.
Il ajoute que si la Tupinerie
s'était appelée rue Impériale
comme s'appelait à Lyon la rue
que l'on nomme aujourd'hui de la République,
il y a longtemps que la modification se serait imposée.
Puis il passe bravement à l'histoire locale.
Depuis le 16e siècle, la
Tupinerie porte un nom local, spécial, qui
rappelle une industrie jadis prospère et
renommée ; c'est un hommage rendu à
des travailleurs...
Et d'ailleurs de grandes métropoles donnent
l'exemple : Lyon n'a pas
changé le nom de la rue Tupin, Marseille
conserve dans la Cannebière le souvenir de
petites cabanes de pêcheurs qui peuplaient
le rivage. Ces souvenirs sont honorables...
Et Monsieur Victor
Hugo ?
Le vu de M. François
est donc repoussé à mains levés.
Mais le conseiller revient à la charge demandant
que la rue Saint-Jean
se nomme désormais rue
Victor-Hugo, en souvenir
du plus grand poète du 19e siècle.
Le maire objecte que la rue Saint-Jean, nommée
ainsi depuis le 12e siècle reste seule pour
rappeler la donation faite par les comtes de Forez
aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem
de terrains marécageux qui furent transformés
en jardins et prairies d'où Saint-Jean-des-Prés.
Là fut construite la Commanderie auprès
de laquelle se groupa vite un faubourg. Quant au
nom de Victor Hugo, dit-il, ce
n'est pas en souvenir de l'homme politique mais
du poète qu'il se perpétuera...
Le conseiller Dupuy fait alors une habile proposition
: garder son nom à la Tupinerie
et chercher une autre rue pour honorer
la République. Et la question est renvoyée
en commission...
Il y a aujourd'hui effectivement une
rue de la République qui coupe
le faubourg Saint-Jean mais de nombreux Montbrisonnais
continuent de l'appeler de son ancien nom : route
de Lyon. Qu'il est difficile de changer
les habitudes !
Joseph
Barou