1851
Moingt,
gravure extraite de Touchard-Lafosse, La Loire pittoresque,
tome 1
Le village de
Moingt en 1836
Les archives municipales de Montbrison détiennent l'original
du recensement de la commune de Moingt pour 1836. Ce document
de 25 pages donne la liste nominative des habitants de la commune
groupés par "ménage" ou maisonnée,
ensemble des personnes vivant dans un même foyer. Le premier
inscrit est le chef de feu, le plus souvent le père,
quelquefois le grand-père pour une famille élargie
où cohabitent plusieurs générations. Suivent,
l'épouse, les enfants et autres parents vivant habituellement
au foyer (oncles, tantes, neveux, nièces) et enfin le
personnel domestique.
Le recensement de 1836 apporte des informations limitées
: nombre total d'habitants, nombre de ménages, nom, prénom,
état civil et âge de chaque personne. Une colonne
est destinée aux "Titres, qualifications, état
ou profession et fonctions". C'est la plus intéressante.
Une dernière, le plus souvent vide, est consacrée
à d'éventuelles observations. Il n'y a, malheureusement,
aucune indication de lieux : rues, hameaux, lieux-dits. La liste
est établie, ménage par ménage, apparemment
sans un ordre quelconque.
On ne sait pas qui a effectué ce recensement et avec
quelle méthode : visite d'un recenseur ? déclaration
des habitants en mairie ? Le premier ménage inscrit est
celui de Mathieu Claveloux qui se déclare cultivateur
et maire, âgé de 58 ans. Il vit avec son épouse
Claudine Péronin, 40 ans et ses deux fils : Antoine,
22 ans et Robert, 20 ans. Cette première mention semble
indiquer que le travail a été effectué
par le secrétaire de mairie après que les habitants
ont été invités à se présenter
à la maison commune. Mais, dans ce cas, se sont-ils tous
présentés ?
Ces recensements représentaient un travail long, difficile,
fastidieux, surtout à la campagne où il n'y avait
pas forcément un scribe expérimenté. Des
erreurs pouvaient facilement s'y glisser. C'est le cas à
Moingt où les récapitulations générales
sont fautives. Pour le nombre total des habitants, deux chiffres
différents sont notés dans le même procès-verbal
signé du maire : 704 habitants et 706 alors qu'il y a,
en fait, 701 recensés. D'autres erreurs se retrouvent
pour le nombre d'hommes mariés, de femmes mariées,
de veuves
L'écriture est négligée,
l'orthographe très fautive : marchan bouché pour
"marchand boucher", tallieur, teillieur, talieur,
thalieur pour "tailleur" de pierre, sirdelon pour
"scieur de long"
Malgré ces imperfections, le recensement donne des précisions
qui permettent d'esquisser la situation sociale et économique
de Moingt, modeste commune à la limite de la plaine et
des monts du Forez et située dans le voisinage immédiat
de Montbrison, petite ville qui, en 1836, est cependant la préfecture
de la Loire.
Démographie
La population totale de la commune
s'élève à 701 habitants et se répartit,
selon le formulaire de l'administration, en 330 personnes du
sexe masculin et 371 du sexe féminin. 130 hommes sont
mariés, 15 veufs et 185 "garçons" c'est-à-dire
encore enfants ou adultes célibataires. 131 femmes sont
mariées, 44 veuves et 196 "filles" donc enfants
ou adultes célibataires.
Cette population vit au sein de 178 ménages comptant
de 1 à 10 membres :
composition du ménage
nombre de ménages
%
1 personne
19 10,7
%
2 personnes 32
17,9
%
3 personnes 42
23,6
%
4 personnes 22
12,3
%
5 personnes 29
16,3
%
6 personnes 8
4,5
%
7 personnes 10
5,6
%
8 personnes 8
4,5
%
9 personnes 6
3,3
%
10 personnes 2
1,1
%
total 178
Plus de la moitié des ménages compte moins de
4 personnes. Il y a moins
de 20 % de ménages qui comptent
plus de 5 personnes et beaucoup d'entre eux incluent des domestiques
ou ouvriers qui n'appartiennent pas à la famille.
127 foyers déclarent 285 enfants de moins de 21 ans :
nombre d'enfants par foyer nombre
de foyers nombre
total d'enfants
1 49
49
2 32
64
3 26
78
4 12
48
5 3
15
6 4
24
7 1
7
total 127
285
Le nombre d'enfants présents
dans le foyer est relativement faible : 67 % d'entre eux ont
seulement de 1 à 3 enfants. Il y a peu de familles nombreuses
: 2,24 enfants par famille avec enfants, 1,6 enfant seulement
par ménage. Ces données sont insuffisantes. On
ne connaît pas la composition complète des familles
mais seulement les enfants qui sont présents en 1836
au foyer. Le recensement ne permet pas de dire si la vitalité
démographique de Moingt ressemble plutôt à
celle des villages des monts du Forez ou à celle de la
Plaine.
Situation économique
278 personnes déclarent
une profession ou un état. Trois grands secteurs regroupent
près de 90 % de la population active : d'abord l'agriculture
(55 % des professions déclarées), ensuite le commerce
et l'artisanat (19 %), enfin le travail de la pierre
(15 %)
spécifique à la commune de Moingt qui possède
des carrières.
L'agriculture
L'agriculture occupe la grande majorité de la population
active de Moingt dans 70 exploitations. Sans doute de 200 à
250 personnes si l'on comprend les conjoints et les grands enfants.
Nous relevons donc 74 cultivateurs ou "propriétaires",
5 vignerons, 37 journaliers et 37 domestiques chez un cultivateur.
20 fermes sont assez importantes pour employer, outre des journaliers,
du personnel permanent. Une seule emploie 4 domestiques ; au
foyer de François Baralier et de son épouse Claudine
il y a deux domestiques : Pierre Chartoire, 21 ans, et François
Molle, 13 ans, ainsi que deux servantes : Antoinette Chaut,
27 ans, et Flore Chartoire, 17 ans.
2 fermes ont chacune 3 domestiques. Jean Machon époux
de Marie Chantelauze emploie trois domestiques : Marie Chantelauze,
21 ans, Jean Bouchet, 15 ans, et Louis Péronnet, 15 ans.
Dans la famille de Jean Gauvin, 57 ans, et de son épouse
Marie Bouchet, 52 ans, vivent 9 personnes : leurs 3 fils qualifiés
de "cultivateurs" comme le père : Jean, 22
ans, Mathieu, 20 ans, Claude, 17 ans, leur fille Marie, 7ans,
et aussi trois servantes : Marie Vidal, 28 ans, Marie Pichon,
23 ans, et Jeanne Marie Ducroux, 18 ans.
8 fermes ont 2 domestiques (1), 9 en compte un seul (2). Ces
domestiques sont parfois très jeunes : 12 ans, 13 ans,
14 ans...
Il reste une cinquantaine d'exploitations, petites, voire très
petites, dont le cultivateur est proche du statut de journalier.
Pour autant Moingt n'apparaît pas comme une commune pauvre.
Théodore Ogier, vers 1850, relève que ses habitants
tirent un bon parti de l'agriculture et récoltent beaucoup
de vin et des fruits de première qualité. De plus,
il remarque que la proximité de Montbrison est un atout
:
Comme dans tous les villages-faubourg,
Moingt se ressent du voisinage de la ville de Montbrison ; son
territoire renferme beaucoup de petits clos avec pavillons servant
de maisons de campagne aux citadins. Les habitants proprement
dits sont en partie jardiniers ; ils trouvent un débit
facile et lucratif de leurs produits aux marchés de Montbrison
qui sert à alimenter non seulement la ville, mais encore
Saint-Etienne (3).
Commerce et artisanat
40 Moingtais sont commerçants ou artisans. On retrouve,
sans surprise, les métiers souvent présents dans
les bourgs d'une certaine importance : 6 marchands (sans autre
précision), 6 boulangers ou pâtissiers, 6 aubergistes,
6 tailleurs d'habits, 5 cordonniers, 4 charpentiers, 2 scieurs
de long, 1 débitant de tabac
Une quinzaine de domestiques
sont à leur service.
Le Moingt, la rivière qui traverse la commune, fait tourner
deux moulins et 4 Moingtais se déclarent meuniers. Parmi
eux se trouve Amable Favier qui emploie un ouvrier meunier et
un domestique. La proximité de Montbrison joue, là
encore, un rôle pour le développement du secteur
du commerce et de l'artisanat. En revanche il faudra attendre
1851 pour une première tentative d'industrialisation
avec l'installation d'une fabrique de rubans dans les bâtiments
de l'ancien prieuré Sainte-Eugénie (4).
Le
travail de la pierre
Moingt possède plusieurs carrières. Le travail
de la pierre constitue une activité d'une certaine importance
avec 41 professions déclarées. Il y a trois "maîtres
carriers". Mathieu Bertholet, 59 ans, maître carrier,
est à la tête d'une famille "élargie"
de 9 personnes. Il travaille avec ses fils Jean, 24 ans, et
Guillaume, 23 ans, tailleurs de pierre. Un autre fils, Mathieu,
28 ans, est militaire : 1er sapeur du génie. L'un des
fils, Jean, est marié et a un jeune enfant. La famille
emploie un jeune domestique, Pierre Libercier, 18 ans, et une
servante, Catherine Martin, 19 ans.
Un deuxième maître carrier se nomme aussi Bertholet.
Il s'agit de Guillaume, 45 ans, très probablement
apparenté avec le précédent. Marié
à Marie Clairet, il a quatre enfants et emploie une servante.
On retrouve le patronyme Bertholet à propos d'un fait
divers quelques années plus tard. En 1855, le 9 avril,
le mobilier et les outils de Mathieu Bertholet aîné,
tailleur de pierre à Moingt, sont saisis et vendus aux
enchères à la demande d'un boulanger du village
(5). Ce Mathieu Bertholet est probablement le fils aîné
de Jean Bertholet, l'ancien sapeur du génie.
Le troisième maître carrier est aussi apparenté
aux deux précédents. Mathieu Guiot [Guillot],
50 ans, est marié à Jeanne Bertholet. Ils ont
trois enfants : Claudine, 19 ans, Françoise, 17 ans,
et Marie, 12 ans. Le travail de la pierre à Moingt semble
l'apanage d'une seule famille.
Pour exploiter ces carrières, il y a 32 tailleurs de
pierre. Ajoutons à ces professionnels 3 voituriers et
les 3 forgerons maréchaux-ferrants dont l'activité
est indispensable pour le repassage des outils.
Les carrières de Moingt
(collection
particulière)
Les rentiers, notables et professions
diverses
Il y a six chefs de famille qui se déclarent "rentiers"
: trois hommes mariés (6) et trois veuves (7). Tous sont
assez âgés sauf un, Jules Rebufelle, âgé
de 32 ans. Il vit dans une famille élargie dont le chef
est son père, Jean-Baptiste, 70 ans, qui se déclare
"propriétaire". Jules est marié à
Augusta Saint-Léger et a trois enfants : Adonna, 7 ans,
Aspasie, 5 ans, et Célestine, 9 mois. Au même ménage,
appartient encore Frédéric Rebufelle, 28 ans,
qui est sergent au 41e léger. Cette famille - au patronyme
méridional - appartient au petit groupe des notables
de la commune.
Parmi les autres notables on retrouve trois professions inattendues
dans un village : un inspecteur des contributions directes :
Hilaire Benoît Goutorbe, 43 ans, un avocat, Christophe
Langlois, 71 ans, et un employé à la préfecture,
Jean Luizon, 28 ans. Ils sont recensés à Moingt
mais, évidemment, exercent leur activité à
Montbrison, alors préfecture de la Loire.
L'Eglise est représentée par le desservant de
la paroisse : Jean-Baptiste Coupart, curé de Moingt de
1834 à 1857. Il a alors 35 ans et vit avec son jeune
frère, Jean François Coupart, qui a 8 ans. A la
cure de Moingt, Marie Guillet, 47 ans, fait fonction de gouvernante.
Une petite communauté de religieuses de Saint-Joseph
regroupe cinq religieuses, toutes assez jeunes : Marguerite
Besson, la supérieure, 38 ans, Jeanne Marie Thinet, 30
ans, Marie Gay 27 ans, Magdeleine Nème, 26 ans, Antoinette
Courbier 29 ans. Le petit couvent loge deux petites pensionnaires
: Marie Thinet, 14 ans et Victoire Durand, 8 ans.
Enfin deux jeunes hommes assurent des fonctions municipales
: Jean Ras, 36 ans, est chef cantonnier et Etienne Laurent,
30 ans, garde champêtre.
*
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Le recensement de 1836, malgré ses limites, donne une
image de la situation démographique et économique
de Moingt sous la monarchie de Juillet. Cette petite commune
située à la limite de deux zones géographiques
bien nettes, la plaine et les monts du Forez, bénéficie
surtout de la proximité de Montbrison. Le marché
hebdomadaire et les foires de la ville permettent d'écouler
facilement sa production agricole. Les petits clos soigneusement
cultivés et agrémentés de "loges"
servent au délassement des Montbrisonnais aisés.
De plus, la présence de carrières permet une activité
complémentaire spécifique, le travail de la pierre.
L'antique petite cité moingtaise n'a rien à envier
à beaucoup d'autres villages du Forez.