
Marie Grange
Notre-Dame-des-Anges
(1)
Le
village de Chalain-le-Comtal, dans la plaine du Forez, est à
9 km de Montbrison. On voit de loin la flèche élancée
de son église qui a fêté le centenaire de
son édification en 1995.
Ce qui nous intéresse aujourd'hui est l'antique pèlerinage
à la Vierge Marie et à saint Guy (2)
qui, depuis le Moyen Age, amenait de nombreux fidèles.
Ils venaient y invoquer Notre-Dame-des-Anges et demander à
Dieu, par son intercession et celle de saint Guy (prénom
cher à nos comtes), la guérison des enfants chétifs
qui ne marchaient pas, et le soulagement des manifestations
épileptoïdes qui accompagnaient les fièvres
intermittentes de notre région (danse de Saint-Guy).

dessin
: Roger Faure
La chapelle
de Notre-Dame-des-Anges
Les
documents anciens citent la chapelle de Notre-Dame-des-Anges
dès 1327 (3). A environ
quatre cents mètres à l'est du village, dans le
cimetière, on voit, au sommet et à l'aplomb des
balmes s'inclinant vers la plaine basse de la Loire, au-dessus
de la carrière d'argile actuelle, les restes de l'ancienne
chapelle. Ces vestiges consistent en une nef et un cul-de-four
plus étroit. Ce cul-de-four a trois pans à l'extérieur.
La voûte en plein cintre est éclairée au
centre et à droite par deux fenêtres romanes inégales.
L'arcade, dont le pignon est découronné, porte
entre deux piliers à imposte sobrement moulurés
que buttent des contreforts en éperon. Ce détail
est visible de l'extérieur. La toiture repose sur une
corniche formée d'un filet et d'une doucine. Cette construction
en matériaux calcaires bien appareillés pourrait
dater des premières années du Xllle siècle.
Avant sa restauration, en 1888, la chapelle mesurait 6 m de
long sur 5 m de large. Agrandie antérieurement par une
nef en cailloux roulés de la Loire, elle a été
reconstruite en pierres calcaires. Le travail du chur
(la coquille) est beaucoup plus soigné ; partie pierres
de taille, partie pierres à chaux.
La couverture du toit est faite de tuiles rondes pour la partie
la plus ancienne et de tuiles plates pour la nef. Sur la façade,
au-dessus du petit portail à deux vantaux, des ferrures
supportent une cloche. Le campanile qui surmonte l'édifice
a deux baies géminées et est surmonté d'une
croix.
Pour entrer dans la chapelle il faut descendre deux petits degrés
en maçonnerie. Sur le sol de la nef on remarque une grande
croix latine en matériau gris foncé, sans inscription.
On accède au chur par une marche recouverte de
marbre blanc précédant une barrière avec
portillon en bois sculpté. L'autel et le tabernacle sont
en bois. Sur le tabernacle est posée une statue représentant
une vierge à l'enfant en bois polychrome.
La voûte du chur est peinte en bleu ; on voit la
trace des étoiles à six branches qui la décoraient.
Les murs du chur, recouverts de plâtre lisse, sont
ornés d'une peinture représentant des draperies
agrafées dans les tons de brun rosé. L'intérieur
de la nef a des traces de peinture murale bleue recouverte de
chaulage blanc. L'ensemble est assez vétuste et le mobilier
pauvre.

dessin
: Roger Faure
Un sanctuaire modeste mais ancien
Des
archéologues ont mis à jour, dans le pré
jouxtant le cimetière, des squelettes d'origine très
ancienne dont la tête était tournée vers
l'est. Au moment des guerres de Religion une bataille se serait
livrée auprès du cimetière. Selon Thomas
Rochigneux, le curé Ollier et l'abbé Peurière,
archiprêtre de Notre-Dame de Montbrison on y aurait trouvé
des armes et un casque. En 1595, le marquis de Saint-Sorlin,
commandant les troupes catholiques, surprit Chalain-le-Comtal,
fit piller et ravager tout ce qui s'y trouvait. Ce qui fit dire
à Anne d'Urfé dans une lettre adressée
"aux huguenots de Lyon" "que c'était
une très belle et très signalée prise,
pour un prince, de s'attaquer à la maison d'un gentilhomme".
En 1662, lors de sa visite pastorale, Mgr de Neuville cite à
quatre cents pas de l'église la chapelle détachée
dite de Notre-Dame-des-Anges.
Après qu'on eut cessé d'enterrer dans le cimetière,
en 1743, la chapelle servit encore au culte. On y venait en
pèlerinage, la messe y était célébrée
tous les vendredis et parfois les mercredis, et ce, jusqu'à
la Révolution. Au moment où elle fut restaurée
on découvrit sous le badigeon des restes de peintures
comparables à celles que possédait en 1790 l'ancienne
église de Grézieux-le-Fromental (démolie
en 1888).
Par trois fois des incendies ravagèrent l'édifice
mais aucune trace de feu ne fut relevée sur les murs
de la coquille (chur). Les fidèles trouvaient le
moyen de mettre en sécurité leur protectrice.
Pendant les années 1789-1795, Peyron. garde-chasse de
M. de Curraize et grand-père de Peyron qui était,
en 1888, secrétaire de mairie, cacha la statue dans la
cave de sa maison qui était située sur la place
de l'église pour la soustraire aux profanations. Pendant
longtemps les habitants de Chalain ont ignoré ce qu'était
devenue la madone. En 1888. lors de la restauration de la chapelle,
M. Henry Forissier fut mis au courant de ce fait par M. Peyron
lui-même. Pendant la Révolution la table d'autel
de la chapelle fut transportée au Bréat et la
pierre sacrée servit de bonde à l'étang
Bardoire. Lorsque M. Forissier acheta le domaine, en 1890. il
fit transporter à nouveau cette lourde pierre à
son emplacement primitif. Le transfert eut lieu le 14 août
1890. Le fardier mené par des bufs se brisa à
l'entrée du cimetière, comme pour indiquer que
c'était là, le terme du transport. Le curé
de la paroisse, M. Ollier, désira qu'elle serve de seuil
à la chapelle restaurée, ainsi fut fait.
La tradition populaire et la chapelle de Notre-Dame-des-Anges
La
population du village de Chalain avait une foi simple, profonde
et sa dévotion envers la Mère du Sauveur ne fut
jamais mise en péril malgré les attaques de l'esprit
du mal. Depuis des siècles la tradition populaire rapporte
les faits merveilleux qui entourent les endroits où se
manifeste la présence divine :
"Le bouvier (qui) garde ses troupeaux dans la grande
prairie de Chalain et pose la statue (au milieu des bêtes
pendant qu'il s'absente) pour se rendre à l'office. Lorsqu'il
revient, la Vierge est revenue à la chapelle, les bufs
paisibles broutent : cet événement fit grand bruit
dans le Forez...
Deux autres bergers veulent faire l'essai, ils posent la statue
dans la prairie, mais vont chaparder des fruits dans le verger
de la Pommière, laissant leurs bêtes à la
garde de la Vierge. Lorsqu'ils reviennent, les bufs se
sont enfuis et la statue est retournée à la chapelle.
Furieux, ils frappent l'effigie, du sang coule et jaillit sur
les murs. Les dits bergers "séchèrent",
moururent de langueur, cherchant à se détruire.
Vers les années 1793, un meunier d'un village voisin
vola la cloche de la chapelle, toute sa famille eut une fin
malheureuse.
Une autre famille qui acheta la chapelle comme bien national,
mourut tout entière pour avoir voulu négocier
un bien sacré."
Lorsqu'on fit de cet édifice un magasin à fourrage
il fallut consolider les murs. C'est aux descendants de cet
homme : M. Dunis que le conseil municipal acheta l'emplacement
de l'ancien cimetière abandonné en 1743 et rétabli
en 1883.
Restauration de la chapelle
En
1870, la somme de 4023 F votée par le conseil municipal
pour des frais de guerre fut consacrée à la restauration
de la chapelle. Elle eut lieu en 1888. Le devis, arrêté
par M. Etienne, architecte stéphanois. fut exécuté
par les frères Chapelle, maçons à Saint-Galmier.
La chapelle fut meublée grâce à la générosité
des paroissiens. Les bancs furent commandés à
M. Peycellon, menuisier à Boisset-les-Montrond. Les vitraux
sont le travail des Mauvernay, peintres-verriers, de Saint-Galmier.
Le vitrail représentant Notre-Dame-de-Lourdes est un
don de M. le curé Ollier. La décoration offerte
par M. Forissier et Mme Valérie Balaÿ a été
exécutée par M. Mauvernay d'après les dessins
de M. Etienne.
Une inscription au-dessus de la porte d'entrée, à
l'intérieur, donnait le nom de quelques habitants de
Chalain mais l'humidité l'a détruite. Des travaux
plus récents, en 1950, ont été faits pour
la conservation de la chapelle.
Après la restauration de 1888-1890, la bénédiction
solennelle eut lieu le deuxième dimanche après
Pâques. La statue fut portée processionnellement
de la maison Peyron jusqu'à la chapelle par MM. Peyron
et Antoine Olivier, ancien maire, suivis du conseil municipal.
Après la bénédiction, par ordre du maire,
M. Henry Forissier, elle fut placée à l'endroit
où elle se trouve aujourd'hui par MM. Chaffangeon, adjoint,
Peyron et Olivier.
La statue de Notre-Dame-des-Anges (4)

dessin
: Roger Faure
|
Nous
avons devant nous une statue de bois sculptée polychrome
mesurant un mètre de la base du socle à l'extrémité
des fleurons de la couronne. Le socle porte une entaille
dans sa partie inférieure arrière d'environ
un demi-centimètre et le dos de la statue est plat
comme si elle devait être placée contre un
pilier ou dans une niche.
Cette vierge à l'enfant est vêtue d'une robe
rouge à manches longues avec des revers blancs. La
robe est ajustée, le décolleté large
et carré bordé d'un galon doré. Elle
forme des godets à partir des hanches et a les plis
du bas légèrement cassés, le pied droit
chaussé de noir montre la pointe d'un soulier couvert.
Le manteau de cour vert qui recouvre en partie la robe est
posé sur les épaules et non agrafé.
Le côté droit replié laisse voir la
doublure de vair, le côté gauche enveloppe
l'épaule et le bras ; ce vêtement remonte légèrement
sur la nuque. La statue ne porte pas de voile, les cheveux
bruns largement ondés, couverts par le manteau à
l'arrière ont des mèches retombant sur la
poitrine.
La couronne, très mutilée, comporte un large
bandeau d'orfèvrerie surmonté de fleurons.
Elle est taillée à même le bois. La
chevelure est rejetée à l'arrière sans
raie. Le visage est allongé, les paupières
abaissées, l'expression plutôt sévère.
L'enfant Jésus repose dans le creux du bras gauche
et dans la main droite de la Vierge dont les mains sont
longues et fortes. Il est nu, son buste est tourné
face au public et il tient àdeux mains une grappe
de raisin noir. Son expression est indéfinissable.
La présence de cette grappe peut faire penser au
symbole du sang du Sauveur versé pour la rédemption
des hommes. Cette statue - très hiératique
- fait penser à l'époque
de Charles VI. M. Forissier, quant à lui, propose
la date de 1380. pour sa réalisation.
|
Puissent ces quelques notes sur la chapelle de Notre-Dame-des-Anges
de Chalain-le-Comtal inciter nos lecteurs à découvrir
bien d'autres choses passionnantes que recèlent nos villages
foréziens.
Marie
Grange
dessins
de Roger Faure
(1) Ce travail a été réalisé
d'après les notes recueillies par Henry Forissier (1857-1932)
époux de Marie Onffroy de Vérez et ses fils : Henri
Forissier (1888-1937) et Roland Forissier (1889-1973) époux
de Thérèse Jullien (1880-1945) avec l'aimable autorisation
du fils de Roland Forissier, Alain-Roland Forissier, père
mariste au Burundi, né à Boisset-les-Montrond en
1929. Nous exprimons ici toute notre gratitude.
(2) Saint Guy (ou Vite) est fêté
le 15 juin avec saint Modeste et sainte Crescence. Issu d'une
famille noble de Sicile, il fut élevé par Crescence,
sa nourrice, et Modeste, l'époux de celle-ci. Ils furent
martyrisés en 303. C'est l'un des quatorze saints auxiliateurs,
souvent invoqué contre la chorée ou "danse
de Saint-Guy".
(3) Cf. Dictionnaire de Dufour.
4)
Cette statue a malheureusement été volée
à la fin du mois de novembre 1999
: A
Chalain-le-Comtal, c'est également dans la chapelle du
cimetière qu'on a constaté la disparition de Notre-Dame
de Chalain, une belle sculpture en bois polychrome du XVIe siècle.
Cette
statue, due probablement à un sculpteur forézien,
est encore de tradition gothique dans l'atitude hiératique
des personnages et le traitement des formes. C'est un exemple
intéressant de Vierge au raisin : l'enfant présente
des deux mains une grappe, préfiguration de la Passion
et de l'Eucharistie [Anne Carcel]...
[Presse
locale du 8 décembre 1999]

(cliché
J. Barou)
Notre-Dame-des-Anges,
chapelle du cimetière,
Chalain-le-Comtal, 14 mai 1998

(cliché
J. Barou)
Notre-Dame-des-Anges,
chapelle du cimetière
*
*
*
Notice
d'Henry Forissier

(archives de
la Diana, fonds Brassart)
Pages concernant des sujets voisins :

Vie religieuse
Conception
: David Barou
documentation et suivi
: Joseph Barou
questions,
remarques ou suggestions s'adresser :
Mis à
jour le 25 novembre 2011
|
|
|