Edouard-Alfred
Martel
Spéléologue
français,
né à Pontoise le 1er juillet 1859,
mort au château de la Garde
(Saint-Thomas-La-Garde, Loire)
le 3 juin 1938.
Avocat, agréé auprès du tribunal
de commerce
de Paris de 1886 à 1898,
il a fait des explorations souterraines
dont
les résultats ont servi à constituer
une nouvelle branche
de la géographie physique,
la spéléologie.
De 1883 à 1887, il explora la région
des Causses cevenols.
A partir de 1888, avec Gaupillat et Launay,
il fit de hardies descentes
dans les gouffres ou puits,
inconnus jusque là, de Dargilan,
Bramabiau, Padirac...
Il fit de même en Angleterre,
en Irlande, en Autriche, au Péloponèse,
à l'île Majorque.
Il fonde et devient secrétaire général
de la Société de Spéléologie (1895).
Il enseigne à la Sorbonne (1899) : cours libre
de géographie souterraine.
En 1901, il collabore à l'élaboration de la carte
géologique de France.
En 1928, il devient président de la Société
de Géographie.
Principaux ouvrages :
Les Cévennes et la région
des causses (1889) ; les Abîmes (1894) ; L'Irlande
et les Cavernes anglaises (1897) ;
la Spéléologie (1900) ; Padirac (1901)
;
et surtout la France ignorée
(1928-1930 ; 2 volumes).
En ligne :
Edouard
Martel
père de la spéléologie française
par Marguerite Fournier
(format pdf, 3 pages)
Avis de décès
d'Edouard Martel
M. Martel,
le grand explorateur
de cavernes
par Jacques Boyer
Sciences et Voyages,
n° 198, du 14 juin 1923
Voir aussi
la page spéciale :
Emile
Reymond
Gouffre de Padirac
L'entrée du gouffre
Le pas du crocodile
Salle de la Fontaine
L'aven Armand
Au pied de la grande stalagmite
La forêt vierge
A la gloire
de Edouard Alfred Martel
Monument inauguré
le 29 mai 1927,
érigé par souscription publique
du Syndicat d'initiative
de Millau.
J. Mallet, sculpteur.
Le Rozier,
Gorges du Tarn
La ville de Meyrueis, Lozère,
a rendu hommage
à Edouard-Alfred Martel
en donnant son nom à
l'une de ses rues
|
gestion
du site : Joseph Barou
questions,
remarques ou suggestions :
s'adresser :
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Edouard-Alfred Martel
(1859-1938)
(photo
de la couverture de Sciences et Voyages, n° 198, du 14 juin
1923)
Edouard
Martel
père de la spéléologie française
par Marguerite
Fournier
Le congrès des spéléologues,
qui s'est tenu récemment à Montbrison, a remis en mémoire
celui qui fut considéré comme "le
Père et l'Apôtre de la spéléologie française",
Edouard-Alfred Martel, né à
Pontoise le 1er
juillet 1859, et décédé au château
de Saint-Thomas-la-Garde le 3
juin 1938. Il y résidait depuis 1922
avec son épouse qui lui survécut une quinzaine
d'années.
Mme Martel, née Aline de Launay,
aimait à évoquer les souvenirs d'une vie aventureuse
à laquelle elle avait été mêlée
sans cependant y prendre une part active :
Je me contentais de l'accompagner et de l'attendre
à la sortie des gouffres en admirant le "recto" du
paysage alors qu'il en découvrait le "verso" dans
les entrailles de la terre... Si vous aviez vu dans quel état
il remontait !... Un véritable égoutier !
En effet, cet avocat parisien, issu d'une famille de juristes, n'avait
qu'une passion : celle de s'enfoncer sous terre pour découvrir
les lois de la géographie et de l'hydrogéologie souterraine.
Il n'en abandonna pas moins sa profession et, pendant douze ans, mena
de front la plaidoirie et la spéléologie... En 1889,
il abandonna le barreau pour suivre sa véritable vocation...
Un demi-siècle de voyages et d'explorations, des centaines
de curiosités naturelles révélées, des
régions désertiques transformées en centres de
tourisme, des études sur les eaux souterraines dont le résultat
appliqué à l'hygiène sauva bien des vies humaines,
tel fut le bilan de l'existence de ce grand savant, de ce beau vieillard
aux yeux clairs que les habitants de Saint-Thomas-la-Garde ont côtoyé
pendant seize ans sans se douter de sa popularité mondiale.
De 1888 à 1936, tantôt pour son plaisir, tantôt
chargé de missions officielles, Edouard Martel explora, en
France, les Causses, le Jura, la Savoie, le Dauphiné, les Pyrénées,
la Bretagne, le Vercors, la Provence... à l'étranger,
la Belgique, le Péloponnèse, l'Autriche, la Norvège,
l'Irlande, les Baléares, le Caucase, l'Asie Mineure et plusieurs
régions des États-Unis... Il parcourut des sites magnifiques
et découvrit des merveilles.
Pourtant, ajoutait
Mme Martel, les plus beaux
sites du monde ne valurent jamais pour lui les plateaux arides des
Causses, ses "chers Causses" auxquels il revenait tous les
ans, qu'il a, pour ainsi dire, écumes, les parcourant en tous
sens avec sa caravane itinérante transportant les échelles
de corde, les treuils, les poulies, les bateaux de toile, le téléphone,
les appareils à lumière électrique et à
magnésium. L'émoi était grand parmi les populations
des hameaux perdus qu'il traversait. Les gens se demandaient s'il
s'agissait d'un cortège d'émigrants ou d'un cirque,
mais les "renseignés" précisaient que c'était
la troupe du "Monsieur qui voyageait pour les trous !"
C'est le 9 juillet 1889 qu'il découvrait le gouffre de Padirac.
Il descendait seul dans ce colossal entonnoir et éprouvait
une impression fantastique qu'il traduisit ainsi : // me semblait
être au fond d'un télescope ayant pour objectif un morceau
circulaire de ciel bleu.
Pendant des heures et des heures, Edouard Martel et ses compagnons,
venus le rejoindre par l'échelle de corde, scrutèrent
le fond de l'abîme guidés par le murmure d'une eau courante...
Découvrir cette rivière souterraine, la suivre dans
son parcours, tel fut désormais le but de l'exploration...
D'année en année, de hardiesse en hardiesse, de danger
en danger, de fatigue en fatigue, le sous-sol des Causses livra aux
touristes des merveilles qui comptent parmi les plus belles du monde
entier : Padirac ... Dargilan...
Bramabiau... L'aven Armand
surnommé "Le rêve des mille
et une nuits", "la Forêt-Vierge",
"l'Apothéose des cavernes"
avec ses 400 stalagmites aux formes fantastiques, véritables
arbres de pierre aux feuillages nacrés d'une transparence de
fine porcelaine...
La vie d'Edouard Martel a été écrite de façon
magistrale par son disciple Norbert Casteret. Il montre le courage,
la ténacité, la témérité d'un homme
"qui trouva toujours l'énergie
de combattre uniquement pour la cause idéale de la science
et acquit la célébrité en se vouant - à
la lettre - a une tâche obscure, à des problèmes
d'une nouveauté et d'une complexité qui avait découragé
et effrayé ses devanciers".
Titulaire de nombreuses distinctions, particulièrement du grand
prix des sciences physiques, fondateur et président de la Société
de la spéléologie, plusieurs fois lauréat de
l'Institut, Edouard Martel eut le privilège exceptionnel d'assister,
le 11 juin 1927, à l'inauguration
de sa propre statue. Après avoir reçu la cravate de
commandeur de la Légion d'honneur, il fit lui-même tomber
le voile recouvrant son buste, dressé au bord du Tarn, sur
un piédestal de roches et de stalagmites...
Mais depuis 1922, ce grand voyageur avait élu le Forez pour
y terminer, dans la douceur et la paix, une vie si bien remplie. Il
aimait cette région où la famille de son épouse
avait des attaches (Mme Martel était, en effet, la sur
de Mme Emile Reymond, le glorieux sénateur-aviateur de la guerre
de 14).
Les deux dernières années de sa vie furent douloureuses
:
Il avait à peu près perdu la
vue et ne pouvait ni lire ni écrire. Il supportait cependant
son mal avec courage, réconforté par les espérances
chrétiennes. Il s'éteignit le 3 juin 1938 au matin.
Ses funérailles eurent lieu en l'église de Saint-Thomas-la-Garde.
Toute la population lui rendit les derniers devoirs et c'est, porté
à bras par des hommes du pays, que son cercueil fut transporté
jusqu'à la sortie du village où une automobile le ramena
à Paris.
Conformément à sa volonté, ces cérémonies
s'effectuèrent sans aucun apparat, sans discours, dans la plus
grande simplicité. Il quitta en silence notre monde turbulent
et trop oublieux pour regagner le silence souterrain qu'il avait tant
aimé au cours de cinquante années de son existence vouée
aux ténèbres de la terre (Norbert Casteret).
Dans le Forez, la disparition de M. Martel passa presque inaperçue.
On ignorait son uvre ; les échos de sa renommée
n'étaient parvenus que très atténuée dans
ce pays aux horizons calmes et aux lignes simples. A Montbrison, où
il se faisait conduire en voiture par son cocher on le voyait chaque
dimanche assister à la grand-messe dans la collégiale.
C'était, disait-on, un grand savant, on l'admirait, on le respectait,
mais on ne savait rien de plus...
Ayant tout donné à son pays, et jusqu'à sa santé,
M. Martel avait placé en exergue dans un de ses derniers ouvrages
cette phrase empreinte d'une mélancolique sérénité
:
Se consoler des hommes par l'étude et
l'admiration de la nature. Sans intérêt, sans ambition,
aimer et pratiquer la science pour son utilité...
Et si l'oeuvre reste inachevée, transmettre l'outil aux remplaçants,
pour sortir sans bruit vers le Grand Repos !...
Et Dieu sait s'il y a eu des mains, et s'il continue d'y en avoir,
pour recueillir l'outil transmis par Edouard Martel et poursuivre
sa tâche !
Mme Martel acheva paisiblement sa vie au château de Saint-Thomas-la-Garde
entourée de ses souvenirs et des multiples objets qu'elle avait
rapportés de ses pérégrinations à travers
le monde... Elle affectionnait particulièrement les poupées
et en possédait une collection magnifique. Après sa
mort, ses nièces et héritières, Madames Renouard
et Fournier, de Paris, en firent don à la ville de Montbrison.
Ce fut le début du musée de la Poupée qui connaît
aujourd'hui une grande renommée.
Marguerite Fournier-Néel
(extrait de
Village de Forez n° 7, juillet 1981)
Album
Au
château de Saint-Thomas-la-Garde (Loire)
Carte postale
en l'honneur de E. A. Martel
signature de M. Martel
Un
article d'une revue spécialisée
M. MARTEL, LE GRAND EXPLORATEUR
DE CAVERNES
DANS une paisible demeure du quartier
Saint-Georges, M. Edouard-Alfred Martel - " l'homme des cavernes
", comme on l'a plaisamment surnommé - songe aujourd'hui
à prendre un repos bien gagné par près d'un demi-siècle
d'explorations dans les entrailles du globe. L'éminent géologue
a visité, en effet, de nombreux abîmes, non seulement
en France, mais dans la plupart des pays d'Europe. Il a parcouru des
centaines de kilomètres de galeries souterraines. Il a découvert
des gouffres insondables au milieu desquels coulent des rivières
dont on ne soupçonnait même pas l'existence et, grâce
aux documents recueillis dans ces antres mystérieux, il a créé
une nouvelle science ; la spéléologie ou spéologie.
SA JEUNESSE
De souche campagnarde, E.-A. Martel naquit à Pontoise le Ier
juillet 1859 et s'éprit, dès son jeune âge, des
beautés pittoresques du sol français, soit en admirant
les extraordinaires falaises d'Étretat où il passa ses
premières vacances, soit à Chamonix et dans les Pyrénées
où sa famille le mena dès 1864 et 1866. Brillant élève
du lycée Condorcet, il remporte le premier prix de géographie
au Concours général (1877), puis, devenu bachelier,
il visite, pendant ses congés annuels, la Suisse et l'Italie,
l'Angleterre et l'Autriche, et se voit imposer la simple licence en
droit, car ses parents veulent lui donner une carrière plus
lucrative que celle d'explorateur.
Aussi, malgré son aversion pour les arguties du code, notre
futur spéléologue, après avoir été
clerc d'avoué pendant cinq ans, succède, en 1886, à
son père comme avocat agréé au Tribunal de commerce
de Paris, profession qu'il exercera pendant une douzaine d'années.
Tout en entravant singulièrement sa carrière scientifique,
les affaires judiciaires ne l'empêchent pas de consacrer tous
ses loisirs à des voyages d'exploration et de dévoiler
les secrets cachés de la nature.
L'ALPINISTE LEQUEUTRE DÉCIDE DE SA VOCATION
A. Lequeutre fut alors son véritable " aiguilleur ",
comme il nous le confia au cours d'un des entretiens nécessités
par la composition de notre article.
De 1879 à 1882, cet alpiniste distingué, ami et collaborateur
de Franz Schrader, venait de révéler au public français
les splendeurs ignorées des gorges du Tarn et des Cévennes
avoisinantes. " Allez donc en Lozère, dit-il au jeune
Martel, je suis trop vieux pour m'atteler à une aussi grosse
besogne. Explorez les terrains de ces sites merveilleux. Vous y accomplirez
probablement une belle tâche, en vous faisant un nom. "
Notre basochien ne manqua pas de suivre les conseils du perspicace
pyrénéiste et, de 1883 à 1886, visita, un mois
par an, les Causses et le Plateau central, de Riom à Nîmes,
en scruta les recoins sauvages et publia sa première uvre
géographique, consacrée à Montpellier-le-Vieux
et au canon du Tarn (1885).
SES PREMIÈRES EXPLORATIONS SOUTERRAINES
DANS LES CAUSSES (GROTTES DE DARGILAN ET DE PADIRAC)
Enfin, après une première mission topographique dans
les Alpes où, comme officier de réserve, il escalade
le mont Blanc et quelques cimes environnantes, " l'homme des
trous " commence son pénible labeur spéléologique.
Dès 1888, il révèle les prestigieuses stalactites
la grotte de Dargilan (Lozère) et signale dans celle de Bramabiau
(Gard) la première rivière souterraine, sur laquelle
un bateau démontable en toile lui permet de naviguer. Puis,
l'année suivante, ses méthodes d'explorations se perfectionnent.
Aux cordes et aux échelles de corde, indispensables pour faciliter
les descentes dans les gouffres des plateaux calcaires des Causses,
percés comme de gigantesques écumoires, s'ajoute l'usage
du téléphone portatif. Au cours de deuxième campagne,
il scrute quatorze avens, véritables " portes de l'enfer
", que personne n'avait forcées avant lui. On ignorait
absolument la topographie de ces abîmes dans lesquels, selon
les traditions locales, bêtes et gens avaient maintes fois disparu.
Alors Martel découvre, entre autres merveilles, une des plus
effrayantes des cavernes de France, la grotte de Rabanel (près
Ganges, Hérault), dont le fond se trouve à 212 mètres
au-dessous du niveau du sol et dans laquelle aucun homme n'a encore
osé descendre. A la même époque, il rencontre
la rivière souterraine de la Sorgues du Sarzac (Aveyron), qui
ne tardera pas à devenir l'objet d'une application industrielle
de force motrice. Mais surtout il explore méthodiquement le
fameux goufffre de Padirac (Lot), ouvert au public depuis 1899 et
qui, l'an dernier, a accueilli plus de 20 000 visiteurs.
Mentionnons parmi les zélés compagnons de voyage de
M. Martel, son cousin, G. Gaupillat, qui dut cesser sa collaboration
en 1893, Emile Foulquier, décédé en 1919, Louis
Armand, qui fut un de ses aides les plus fidèles jusqu'à
sa mort (1921), le naturaliste Armand Viré, dont Sciences et
Voyages a publié un article remarquable sur les sourciers,
le géologue E. Fournier, son plus actif émule, et le
dessinateur Louis Rudaux.
QUELQUES HEURES SOUS TERRE AVEC M. MARTEL
Mais tout n'est pas rose dans le difficile métier d'explorateur
de grottes et, pour nous rendre compte difficultés qu'il présente,
nous allons accompagner M. Martel dans une de ses randonnées,
aux péripéties toujours identiques et émouvantes,
à quelques variantes près.
D'abord, les opérations préliminaires (sondage du trou
avec une cordelette et des poids en fonte, mise en ordre des outils,
examen géologique et topographique des abords) exigent plusieurs
heures. Cela fait, on dévide les cordages et on place les échelles.
A ce moment, chaque explorateur revêt un costume approprié
: forts souliers à lacets, guêtres, vêtements de
laine avec nombreuses poches, large pantalon, bourgeron en toile assez
solide pour ne pas se déchirer sur les saillies rocheuses,
et casque de cuir bouilli pour amortir le choc des pierres qui se
détachent souvent au passage. En outre, dans une sacoche portée
en bandoulière, le spéléologue en chef a soin
de mettre tout un attirail d'objets indispensables : grosse bougies,
magnésium en ruban, allumettes, briquet, corne-olifant, un
marteau, un couteau, une ficelle, un thermomètre, un baromètre,
une boussole avec papier quadrillé pour relever la topographie,
et autres instruments scientifiques ; enfin, une petite pharmacie,
quelques vivres et de réconfortants cordiaux. Notre excursionniste
est alors " paré ", comme disent les marins. Armé
d'un petit poste téléphonique, il s'installe donc sur
un bâton de 60 centimètres de long, fixé en son
milieu au bout d'une corde de 200 mètres et il crie à
ses hommes : " Lâchez tout ! " Immédiatement
la corde file entre les mains d'une demi-douzaine de solides gars.
D'autre part, un collaborateur spécial dévide le câble
téléphonique, en réglant le débit sur
celui de la corde. L'explorateur, soutenu par son escarpolette et
par l'échelle de corde le long de laquelle il descend, disparaît
lentement dans les entrailles de la terre. Peu à peu, on ne
distingue plus sa voix, mais approchons-nous du téléphoniste
et sténographions le dialogue échangé.
L'explorateur. - Allô ! Allô !
Le téléphoniste resté à la surface. -
Qu'y a-t-il ?
L'explorateur. - Halte ! je n'y vois plus clair, j'allume ma bougie.
Le téléphoniste. - Compris, j'attends vos ordres.
L'explorateur. - Lâchez ! le puits est large. Tout va bien,
déroulez plus vite !
Le téléphoniste. - A quelle profondeur êtes-vous
?
L'explorateur. - Je suis au bout de la troisième échelle
: 60 mètres, je crois...
L'explorateur. - Faites donc attention ! Je reçois une grêle
de pierres sur la tête.
Le téléphoniste. - C'est un chien qui se promène
trop près du bord. Ici, Médor !
(Quelques minutes de silence, puis la conversation reprend.)
L'explorateur. - Lâchez doucement : j'arrive à une très
mauvaise passe. La section se rétrécit et l'échelle
est en tire-bouchon.
Le téléphoniste. - Compris.
Dix minutes s'écoulent et une forte secousse agite le câble.
C'est l'échelle que l'explorateur vient de rejeter dans le
vide après en avoir soigneusement démêlé
l'entortillage compliqué. La descente reprend. Émotion
: la corde est coincée. Enfin, au bout d'un quart d'heure,
tout s'arrange ; l'explorateur est remonté par l'échelle
jusqu'au passage difficile. L'accident est réparé et
le bas du gouffre atteint.
Le spéléologue se détache alors de la corde et
inspecte le fond de la caverne, pendant que l'équipe du haut
se repose. Il commence par apercevoir autour de lui les objets les
plus hétéroclites : branchages, outils, carcasses d'animaux
qui dégagent une abominable odeur de charnier. Aussi, pour
ne pas être trop incommodé, il doit brûler du papier
d'Arménie ou de l'encens.
Quand divers puits se succèdent dans la grotte, il faut recommencer
la même manuvre plusieurs fois avant de rencontrer le
fond. Là, on se trouve souvent en présence d'un lac.
On doit alors descendre un bateau imperméable, dont le type
le plus pratique a été imaginé par l'Américain
Osgood. Cet engin se monte en un instant et il se case facilement
dans une malle en bois.
M. MARTEL FAILLIT PÉRIR PLUSIEURS FOIS
AU COURS DE SES EXPLORATIONS SOUTERRAINES
Les promenades à plusieurs centaines de mètres sous
terre ne se font donc pas sans risques. Indépendamment des
ruptures de cordes ou de fils téléphoniques et des éboulements
inhérents aux descentes ou aux remontées, d'autres accidents
guettent parfois les cavernicoles. Ainsi, M. Martel fit un jour naufrage
dans la rivière de Padirac. Le frêle esquif qui le portait
avec ses deux compagnons chavira. Les explorateurs prirent un bain
forcé et très froid, tandis que les bougies s'éteignaient
- J'ai compris alors, nous dit M. Martel, la répulsion instinctive
que certaines personnes éprouvent pour l'obscurité des
cavernes et j'ai apprécié, pendant quelques secondes,
toute l'horreur de cette nuit profonde, absolue, comme le néant
!
La petite troupe parvint heureusement à se tirer de ce mauvais
pas (1895).
De même, l'exploration du gouffre de Gaping-Ghyll, dans le Yorkshire
(Angleterre), fut aussi très mouvementée. M. Martel
parvint à descendre dans cet entonnoir où tombe un ruisseau
qui vient s'y briser sous forme de cascade écumeuse, à
100 mètres de profondeur. N'ayant trouvé personne pour
l'accompagner dans cette expédition hardie, il décida
de l'accomplir seul. Il lança donc, dans le trou béant,
80 mètres d'échelle, suivis de 35 mètres de double
corde lisse, puis il s'installa sur son bâton-siège et
en route. Bien que douché constamment par l'eau au cours de
la descente, il put toucher le fond et y découvrir une immense
caverne où la colonne liquide forme comme une stalactite mouvante.
Quand il voulut remonter, il prit le téléphone dont
l'autre poste était tenu par Mme Martel, sur le bord de l'abîme,
et la conversation suivante s'engagea : " Allô, allô
! je me rattache et je vais remonter ! Tirez doucement... Allô
! entendez-vous ?... Il n'y a donc personne là-haut ! Allô
! que se passe-t-il ? "
Mais hélas ! l'appareil reste muet, l'eau empêche le
microphone de fonctionner. Transi par les filets liquides qui l'arrosent
copieusement, le courageux explorateur rassemble ses forces et crie
à tue-tête : " Tirez, mais tirez donc ! " Enfin,
sa femme et ses aides finissent par l'entendre et, après vingt-huit
minutes d'une angoissante remontée, il aperçoit l'orifice
du puits. Il est sauvé !
Une autre fois, en 1903, dans la caverne à ruisseau thermal
de Matsesta, près de Sotchi (Caucase occidental), il faillit
être asphyxié par l'hydrogène sulfuré,
au cours de la mission que lui avait confiée le gouvernement
du tsar, sur la proposition du ministre de l'Agriculture de Russie,
M. Yermoloff, et dont il a rendu compte dans un de ses livres les
plus curieux et peut-être le moins connu : la Côte d'Azur
russe. Et que dire encore des mouches charbonneuses ou venimeuses
au fond des gouffres du Vaucluse et des Pyrénées, du
paludisme dans ceux du Péloponèse et de Circassie, etc.,
etc.
M. MARTEL A VISITÉ LES PLUS IMPORTANTES
CAVERNES D'EUROPE ET DES ETATS-UNIS
Les explorations du savant hydrogéologue
s'étendirent à presque toute l'Europe, au Caucase, à
l'Asie mineure et jusqu'aux États-Unis ; il en consigna les
résultats dans une quinzaine de volumes et dans plus de 500
mémoires ou articles de revues. Le premier de ces ouvrages,
consacré aux Cévennes, parut en 1890, et onze éditions
n'ont pas épuisé son succès auprès du
public. Comme nous le disait son auteur :
- J'ai le regret de ne pouvoir refondre à mon gré -
vu la crise actuelle de la librairie - cette uvre de jeunesse
avec les autres livres que y ai publiés : les Abîmes
(1894), l'Irlande et les cavernes anglaises (1897), la Spéologie
au XXe siècle (1905-1906), l'Évolution souterraine (1907),
les Cavernes et eaux souterraines de la Belgique (1911), avec Van
den Broeck et Rahir, et le Guide de Padirac, dont une nouvelle édition
va paraître dans le courant de 1923.
SA DÉCOUVERTE DU MODE DE CONTAMINATION
DES FAUSSES SOURCES CALCAIRES
Mais nous n'aurions qu'une idée bien imparfaite de l'oeuvre
de M. Martel, si nous le considérions comme un simple "
cavernicole ". Observateur sagace, il ne se contenta pas de lever
les plans de plus de mille grottes de l'ancien et du nouveau monde.
Il chercha à asseoir sur des bases solides l'hydrologie souterraine.
Le plus important des résultats qu'il a obtenus dans ce domaine
est sa découverte du mode de contamination, par les abîmes
et les pertes de rivières, des fausses sources des terrains
calcaires, connues aujourd'hui sous le nom de résurgences.
Au moyen d'expériences classiques de coloration à la
fluorescéine, le savant spéléologue démontra
que les eaux d'infiltration peuvent véhiculer, d'amont en aval,
les germes de graves maladies épidémiques, et notamment
la fièvre typhoïde. Avec l'ardeur d'un véritable
apôtre, il entreprit, dès 1891, une campagne pour réclamer
les mesures hygiéniques qui s'imposaient comme une inéluctable
nécessité sociale après toutes ses constatations.
Il a prouvé que, dans les régions dépourvues
de terrains filtrants, autrement dit de vraies sources des sables
- les seules donnant toutes garanties sanitaires - l'administration
devrait surveiller avec soin lé captage des eaux d'alimentation
et établir un périmètre de protection contre
les causes de pollution ou, en cas d'impossibilité d'application
des règles précédentes, employer des méthodes
de purification d'une efficacité reconnue.
Les Duclaux, les Brouardel, les Michel Lévy, les Léon
Labbé et autres spécialistes connus le soutinrent dans
cette propagande, qui aboutit aux articles de la loi du 15 février
1902, établissant les périmètres de protection,
interdisant le jet des animaux morts et d'ordures dans les abîmes
ou pertes de rivières. Depuis lors, la fièvre typhoïde
a diminué des trois quarts en France, et la vaccination anti-typhoïdique
abaissa encore le pourcentage précédent.
Martel a résumé ses quarante années de découvertes
hydrogéologiques et condensé les recherches de ses prédécesseurs,
de ses émules ou de ses élèves sur le même
sujet, dans son Nouveau traité des eaux souterraines (1921),
exposé magistral de l'état actuel de cette question,
d'une si grande portée pratique.
Et cependant l'auteur s'accusa modestement devant nous de n'avoir
pu le rédiger d'une plus parfaite. Il nous déclara aussi
que ses de ses opinions ne seraient peut-être pas admises sans
conteste, bien qu'il se soit appliqué " à les prouver
de son mieux ".
Quant à nous, ne fermons pas ce livre sans y relever la surprenante
remarque faite par M. Martel pendant son voyage aux États-Unis
(1911). Malgré l'uvre colossale du GeologicaI Survey,
les Américains n'ont guère abordé jusqu'ici l'étude
scientifique complète de leurs énormes cavernes. De
Mammouth Cave, des geysers du Yellowstone Park et du grand Canon du
Colorado, le savant hydrogéologue français a rapporté
des observations plus précises que celles effectuées
avant lui par plusieurs spécialistes transatlantiques !
SON INDÉPENDANCE DE CARACTÈRE
N'EMPÊCHA PAS M. MARTEL D'OBTENIR DES DISTINCTIONS NOMBREUSES
ET HONORIFIQUES
Quelques mots échappés à M. Martel, au cours
d'une de nos conversations, vont nous permettre de faire connaître
maintenant le caractère de l'homme privé.
- Je n'ai pas eu, nous dit-il, le temps d'être ambitieux ! Mon
farouche besoin d'indépendance m'écarta de toutes fonctions.
Ainsi, j'ai fini par me trouver partout en marge. Mais cela me gara
du moins de la politique, où l'on tenta de m'entraîner,
et qui m'aurait englouti obscurément !
Néanmoins, l'Académie des sciences reconnut plusieurs
fois les mérites de son uvre en lui décernant
notamment le grand prix des sciences physiques, en 1907.Mais ses lecteurs
et amis regrettent que la docte compagnie ne l'ait pas appelé
dans son sein.
Le vaillant explorateur exerça, du reste, son activité
dans divers domaines. Terrassé un moment par les excès
de travail et de fatigue, il dut se démettre de sa charge d'agréé,
puis son énergie morale, son enthousiasme et son désintéressement
lui permirent de se consacrer alors d'une façon plus complète
à sa science favorite. D'abord il exposa ses vues, dans un
cours libre de géographie souterraine, qu'il professa à
la Sorbonne, de 1899 à 1905. Ensuite, il dirigea la Nature
de 1905 à 1918, avec son beau-frère, le géologue
Louis de Launay, et siégea depuis 1903 au Conseil supérieur
d'hygiène publique.
D'autre part, chargé de nombreuses missions par le ministère
de l'Agriculture, il put en particulier effectuer la première
descente complète du merveilleux grand Canon du Verdon (Basses-Alpes),
avec A. Janet, Lecouppey de la Forest, L. Armand, etc. Depuis 1910,
il a entrepris de lutter contre le projet de construction du barrage
de Genissiat. Selon lui, cet " acte de vandalisme " aurait
pour conséquence de noyer complètement, sous 39 à
69 mètres d'eau, la porte et le canon du Rhône : ce serait
" un crime de lèse-nature ", qui abîmerait
l'un des sites les plus remarquables de France et, en outre, l'ouvrage
risquerait " de ne pas tenir " !
Patriote ardent, et n'ayant pu obtenir sa réintégration
dans l'armée en 1914, M. Martel se consacra, pendant la guerre,
au service de nos blessés, comme infirmier bénévole
de la Croix-Rouge. Son dévouement à la cause de la santé
publique lui a d'ailleurs valu, en 1922, la médaille d'or des
épidémies, à laquelle il n'attache guère
moins de prix qu'à sa rosette d'officier de la Légion
d'honneur !
Malgré la venue de l'âge, le savant géographe
poursuit actuellement la mise en ordre de nombreux matériaux
inédits, d'où va sortir prochainement sans doute un
nouveau livre. Enfin, il reste attaché, comme collaborateur
de la carte géologique de France, à la réfection
des captages d'eau potable détruits ou pollués par les
Allemands dans le département de la Marne.
Jacques BOYER
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