Naissance, enfance et éducation
Pierre-Marie-Louis-Robert Gras, fils
de Pierre Gras, limonadier, place de l'Hôtel-de-Ville et de Marie-Anne-Eléonore
Gaingard, est né à Saint-Etienne le 15 décembre
1833..
Son père avait été quelques années auparavant
greffier de la justice de paix de Montbrison.
C'était un cafetier poète, auteur notamment d'une traduction
en vers des psaumes de David
(publié en 1846 par Labaume).
Il avait adressé cet ouvrage relié en velours blanc à
Marie-Amélie, la reine des Français connue pour sa piété
(et il avait été mortifié de recevoir une "gratification"
de 100 F). Il fut ensuite représentant d'une maison de vins de
Bordeaux et habita Lyon.
L.-P. Gras entre au petit séminaire
de Montbrison à 12 ans où il se trouve condisciple
d'Arthur David, fils de Jean-Baptiste David
qui avait été nommé en 1849 directeur de l'école
normale de Montbrison
Il se fait remarquer par une vive intelligence
mais a un tempérament lymphatique.
En 1852 il est en classe de rhétorique . En 1854, au lycée
de Lyon, il obtient le baccalauréat ès-lettres ( 2e prix
de dissertation française au palmarès du 8 août
1854).
Le difficile choix
d'une profession
D'un caractère indécis,
il ne sait quelle carrière choisir :
- Le barreau ?
Sa famille manque de moyens pour lui faire poursuivre des études
et puis il y a "l'insuffisance de l'ampleur
de sa voix" ; de plus il est "trop
timide pour les luttes oratoires". Il ne sera pas avocat.
- La médecine ?
C'est impossible : "Il en était
encore à se trouver mal en voyant saigner un poulet".
Le temps de la bohème :
Louis-Pierre Gras commence alors une vie de bohème.
Il visite l' Angleterre, fait un court
voyage outre-mer puis revient à
Lyon, dans sa famille.
A Bordeaux, il est, pendant quelque temps,
voyageur de commerce pour une maison de
vins.
Mais cette activité ne l'intéresse pas beaucoup :
"Aussitôt débarqué
dans la ville que lui fixait son itinéraire, il oubliait complètement
les clients dont il avait emporté l'adresse, il s'enquerrait
des curiosités des environs, prenait des notes sur l'histoire
locale, et son album sous le bras, allait faire des dessins de vieux
châteaux, ou relever les inscriptions à moitié effacées
par le temps.
A la fin de la journée, il était fort exact à la
table d'hôte, il égayait les convives par de spirituelles
boutades, se réservant dans quelques coins d'estaminet où
se terminait la soirée d'écrire à sa maison pour
l'informer que les affaires allaient très mal, et réclamer
de nouveaux subsides
"
Finalement, on le remercie de ses services.
En 1857, il habite Paris, au 63 de
la rue de Provence, dans un hôtel meublé, inscrit sous
le nom de Gras du Martel
Il est employé d'un agent de change : "Il
gagnait à ne pas faire grand chose". Il dépense
beaucoup, achète des gravures, des vignettes, des médailles
Il rencontre à Paris le chansonnier Pierre Dupont, l'auteur fameaux
de la Chanson des bufs.
En 1858, il habite une mansarde
place des Terreaux à Lyon et rédige des articles
pour le Progrès industriel,
un journal
politique hebdomadaire, qui devient en 1859 le
Progrès de Lyon.
Montbrison et la Diana
Il revient à Montbrison, chez
ses tantes, les surs Gaingard, qui tiennent un hôtel. Il
fréquente la bibliothèque municipale de la ville.
On parle alors de fonder la Diana, la Société
archéologique et historique du Forez, projet qui retient
toute son attention car sa véritable passion est l'histoire et
l'archéologie.
En 1861 M. de Saint-Pulgent, maire de Montbrison, devient préfet
de l'Ain. Il emmène Gras à Bourg-en-Bresse pour tenir
un emploi administratif.
Mais il revient vite à Montbrison : "La
bourse très plate, le cur gros d'espérances
"
Il cherche toujours sa voie : "Toujours
vêtu d'un complet gris à carreaux, il paraissait soucieux,
rêveur, marchant la tête basse, suivant les préoccupations
du moment. Aussi le public ne comprenait-il rien à l'allure mystérieuse
de ce petit homme, et l'avait-il surnommé le Chercheur de cailloux".
Il a la chance d'obtenir l'emploi d'archiviste de la Diana (qui
est créée en 1862) puis le titre de secrétaire
Le Chercheur de cailloux a trouvé
son chemin.
Gendre de Michel Bernard
Un bonheur ne vient jamais seul. Louis-Pierre Gras épouse
le 22 février 1865, Jeanne-Joséphine-Cécile Bernard,
fille de Michel Bernard.
Le biographe de L.-P. Gras dresse un portrait peu complaisant de la
mariée :
"Elle n'était plus de première
jeunesse, petite, et de plus malheureusement contrefaite, elle avait
été élevée avec beaucoup de soin. Elle passait
pour un Bas-bleu qui avait bien son mérite, connaissait à
fond ses classiques, lisait les romans à la mode, et tournait,
m'a-t-on dit, fort joliment les vers
"
Aussi, dit-il : "
Ce mariage étonna
beaucoup de gens, les bonnes langues surtout s'en donnèrent à
cur joie".
Louis-Pierre entre dans la bonne société montbrisonnaise.
Son beau-père Michel Bernard est un notable respecté :
directeur du Journal de Montbrison,
membre de la Société d'agriculture,
vénérable de la loge maçonnique,
maire du village d'Ecotay...
Observateur lucide et un peu amer
de la bonne société montbrisonnaise
Mais "il ne fut pas affolé
par sa bonne fortune" et continua à revêtir
son "éternel complet gris à
carreaux
" Sa nouvelle situation lui donne plus
d'assurance dans le nouveau milieu qu'il fréquente, notamment
la vieille aristocratie forézienne. Il n'est pas dupe des nouvelles
attentions qu'il reçoit. Il reste le fils d'un limonadier.
Il écrit de la société à Montbrison
:
"
bien des ambitions aidées par la fortune s'agitent
dans ce moment, et une démarcation très nette sépare
toujours notre aimable bourgeoisie de la prétendue noblesse du
pays" (lettre du 15 déc. 1872 à son ami
Arthur David).
Il se fabrique des armes fantaisistes : un écu évidé
entouré de lambrequins qui se détachaient d'un casque
ouvert à trois grilles ; un cygne d'argent sur azur, tourné
vers un soleil naissant d'or, au chef cousu de gueules chargé
d'une lyre d'argent renversée et la devise : "Peut-être
un jour !"
Poète
L.-P. Gras taquine
la muse mais sans grand succès et ne laisse pas de chef-d'oeuvres
:
Il est poète par tempérament
obéit à l'inspiration soudaine, s'envole dans un nuage,
mais ses forces le trahissent. Bientôt, son aile se fatigue, et
il tombe avant d'avoir atteint les sommets du Parnasse estime
son ami Arthur David..
Dessinateur
Au cours de ses pérégrinations, il effectue habilement
de nombreux croquis de toute nature : paysages, châteaux forts,
sculptures, blasons, inscriptions
mais on ne peut parler de lui
comme d'un véritable peintre. Ecoutons encore son biographe et
ami Arthur David :
"Peintre,
il ne l'a jamais été. Il a brossé par accident,
quelques tableautins, scènes de nature morte ou d'intérieur.
Mais l'imagination lui fait défaut : il esquisse une idée,
sans atteindre dans sa reproduction la médiocrité du plus
modeste rapin."
"Dessinateur dans le vrai sens du
mot, il ne l'a jamais été. J'ajoute qu'il n'y avait pas
en lui l'étoffe d'un artiste véritable. Il n'a point compris
la correction de la ligne, s'il savait imiter ou servilement copier
un modèle, il était incapable de composer un sujet
Il n'a laissé que quelques dessins fantaisistes, des vues de
châteaux en ruine, des reproductions de gravures anciennes
Au séminaire il faisait le désespoir de notre professeur
de dessin, M. Populus."
Il n'aime pas les modèles classiques
: "Il préfère
le paysage, l'indécis, le nuageux
"
Historien, archéologue, archiviste
de la Diana
Pierre-Louis Gras prend très à coeur ses nouvelles
fonctions de secrétaire et d'archiviste
de la Diana. Il se dépense sans
compter.
L'histoire, l'archéologie, l'ethnographie sont ses vraies passions.
Il accumule les notes et publie de nombreux articles. Son oeuvre est
considérable. Ses maîtres sont notamment le chanoine
de la Mure, Auguste Bernard qui
est son oncle par alliance
Retenons parmi d'autres deux ouvrages : Le
dictionnaire du patois forézien qui malgré
ses défauts reste encore souvent consulté et l'Evangile
des quenouilles foréziennes, un recueil de contes
populaires.
Hélas, il ne peut donner toute sa mesure et meurt
prématurément le 5 juin 1873
à Montbrison à moins de 40 ans laissant une veuve et une
fille née en 1866.
Les papiers de Louis-Pierre Gras sont déposés dans les
archives de la Diana.
J. B.