Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

Vé Roué dô tin de lo Révoluchon

Au Royet pendant la Révolution

lu par l'auteur
(2004)

pour écouter cliquer ci-dessous

(5 min 31 s)

Vé Rouè dô tin de lo Révoluchon

Vou z'ai porlo de mo gran mère moternelo "lo Glôdine". Ôro vou porlorë de me n'otro gran mère, lo mère de mon père, no goluna don, lo quatriémo. S'opelève Marie Liotier, ère néchouo vé Rouè, in pitye mozadzu de lo coumuno de Dyumëre que se trouove djustu rajebu lou boué. Ô fan portyo de lo grand'épino bouéza de lou mon dô Forè. De bravou boué make son éto rovodzo po lo grand'oriche de tsolande quatre vin dyeje nö.

Le z'ancétre de mo gran mère tegnon no bouno fermo vé Rouè dyé chu o onze cin d'oltitude. Dô tin de la révoluchon le mondu de la montagne oyon tou refuso lé lué dô gouvarnomin contro lo relidjon è lou prétre.

Lou curo oyon pourtan contribuo o lou prumé suksè de la révoluchon. Ere yelou churetu qu'oyon inspiro è écreyu lou fomeu coyè de doléance. Yoye ma bian yelou qu'oyon d'instrukchon dyin lou pityi violadzu.

E pë ékin se gatai kan l'Assemblée constituante vôtai lo constituchon civilo dô clergé in juyè milo sèt cin quatre vin dë è le sormin o y préta in novambre. Lé veyé tsandsèron dô tu t'ô tu.

Bian de curo chinèron le sormin, lou plu vieu o ce que m'an dye. Biocouo se rétroctèron pouo de tin opré. Ma lo mojorito refusèron de china è fuguèron fourço de fila è de s'ékondre. Ere lou "non-jureurs", lou réfroctère.

Fugai n'époquo bian tristo po tu le mondu. Lou prétre "jureurs" qu'oyon préto sormin èron numo dyin lé porouotse. Ma bian de mondu lou vouyon pa è s'odrissèvon o de prétre "non-jureur".

Vikion d'un la de l'otru, intretegnu po le mondu o l'ékondyo. Possèvon dyin lou violadzu de në churetu po dyere lo mësso, moria le mondu, botyisa lou petyi, boya lou sacromin o lou moladu.
Eklou que se fojon oropa po lou blu, lou jandarmou de la révoluchon èron imprisuno è tso couo fujeyo ou guillotino o Fur ou vé Yon.

O Fur ère Javogues que broyandève tu. Et le mondu le crognon coumo le fuo. Vun de me z'anchan prédécésseur le curo de Saint-Laurent-Rochefort oye be chino le sormin ma se fozai prindre o ékondre in prétre réfractère. Fugai oreto, meno o Fur è fujeyo.

Vou vo conta ce qu'orivai tché le z'ancétre de mo gran mère, ochu vé Rouè de klou tin. Demourèvon dyin lo dorëre mësu dô mozadzu, rajebu lou boué. E y'oye in prétre refroctère que possève tsa couo è vegne ludza tché yèlou.

Oyon bian colculo lé veyè. Y oye lo grôsso tché Yôtié, lo vieille gran mère koke pouo infirmo que sourtye plu de so tsambro è que se foje odyure son mindza. Kan le prétre possève ludzève vé lou gronié è mindzève ovec lo gran mère.

Ere bian o l'obri : che lou blu montèvon de vé Dyumëre le mondu lou veyuon vegni, ovortyon tché Yotié po faire fila le prétre. Doré le plocar de tsambro yoye no pôrto que boyève chu le doré dô batyemin o l'intra de lou boué. Ere éjo sôta defô è s'étsopa in ka d'olérto.

Yo no vë tché Yôtié vegnon de luya no pityeto chevinto po faire le trovè è s'ôccupa de lo gran mère. Make y oyon pa intye dye qu'in prétre possève tsa couo in s'ékondan.

In dzour n'ère orivo vun o l'improviste ma dindyu n'oye porlo. Kokou dzour opré lo dzouéno bone se coutordzève ô no vijeno. E y dyezai : "Tche Yôtié, y comprènu re ; dumpé kokou dzour lo gran mère o prë d'opetye. S'é bita o mindza ; ô mindze lo poyin po rossoji".

Lo vijeno ère bian o couran : olai vitu conta ékin o lo fomille : "Méfia vou, vôtro chevinto parle trouo, y fo vitu explika lé veyè è y dyere de se kisa".
E ce que fozèron de bri. Lo dzuèno continuai son trovè sin r
e plu dyere o dindyu. Et le prétre fugai jomai inquiéto.

Au Royet pendant la Révolution

Je vous ai déjà parlé de ma grand-mère maternelle "la Glaudine". Maintenant je vous parlerai de mon autre grand-mère, la mère de mon père, une "galonnée" donc, la quatrième. Elle s'appelait Marie Liotier, elle était née au Royet, un petit hameau de la commune de Gumières qui se trouve juste au ras des bois. Ils font partie de la grande épine boisée des monts du Forez. De jolis bois, mais ils ont été ravagés par la grande tempête de Noël 1999.

Les ancêtres de ma grand-mère tenaient une bonne ferme au Royet, là-haut à 1 100 m d'altitude. Pendant la Révolution tous les gens de la montagne avaient refusé les lois du gouvernement contre la religion et les prêtres.

Les curés avaient pourtant contribué aux premiers succès de la Révolution. C'étaient eux surtout qui avaient inspiré et écrit les fameux cahiers de doléances. ils étaient bien les seuls à avoir de l'instruction dans les petits villages.

Et puis cela se gâta quand l'Assemblée constituante vota la constitution civile du clergé en juillet 1790 et le serment à y prêter en novembre. Les choses changèrent du tout au tout.

Pal mal de curés signèrent le serment, les plus âgés à ce qu'on m'a dit. Beaucoup se rétractèrent peu de temps après. Mais la majorité refusa de signer et ils furent obligés de fuir et de se cacher. C'étaient les non-jureurs, les réfractaires.

Ce fut une bien triste époque pour tout le monde. Les prêtres "jureurs" qui avaient prêté serment étaient nommés dans les paroisses. Mais beaucoup de gens ne les voulaient pas et s'adressaient à des prêtres "non-jureurs".

Ils vivaient d'un côté et de l'autre, entretenus par les gens en cachette. Ils passaient dans les villages la nuit surtout pour dire la messe, marier les gens, baptiser les enfants, donner les sacrements aux malades.
Ceux qui se faisaient prendre par les bleus, les gendarmes de la Révolution étaient emprisonnés et parfois fusillés ou guillotinés à Feurs ou à Lyon.

A Feurs c'était Javogues qui commandait tout. Et les gens le craignaient comme le feu. Un de mes anciens prédécesseurs, le curé de Saint-Laurent-Rochefort avait bien signé le serment, mais il se fit prendre à cacher un prêtre réfractaire. Il fut arrêté, conduit à Feurs et fusillé.

Je vais vous dire ce qui arriva chez les ancêtres de ma grand-mère, là-haut au Royet en ce temps-là. Ils habitaient la dernière maison du village tout près des bois. et il y avait un prêtre réfractaire qui passait parfois et venait loger chez eux.

Ils avaient bien calculé les affaires. Il y avait la vieille grand-mère Liotier quelque peu infirme qui ne sortait pas de sa chambre et se faisait apporter sa nourriture. Quand le prêtre passait il logeait dans les greniers et mangeait avec la grand-mère.

Il était bien à l'abri : si les bleus montaient de Gumières les gens les voyaient venir, ils avertissaient chez Liotier pour faire partir le prêtre. Derrière le placard de la chambre il y avait une porte qui donnait sur l'arrière du bâtiment à l'entrée des bois. C'était facile de sauter dehors et de s'échapper en cas d'alerte.

Une fois, chez Liotier, on venait de louer une jeune servante pour faire le travail et s'occuper de la grand-mère. Mais ils ne lui avaient pas encore dit qu'un prêtre passait parfois en se cachant.

Un jour, il en était arrivé un à l'improviste mais personne n'en avait parlé. Quelques jours plus tard la jeune bonne bavardait avec une voisine. Et elle lui dit : "Chez Liotier, je n'y comprends rien ; depuis quelques jours la grand-mère a pris de l'appétit. Elle s'est mise à manger. Elle mange nous ne pouvons plus la rassasier.

La voisine était bien au courant ; elle alla vite conter ça à la famille. "Méfiez-vous, votre servante parle trop, il faut vite lui expliquer les choses et lui dire de se taire".
C'est ce qu'ils firent très vite. La jeune fille continua son travail sans ne plus rien dire à personne. Et le prêtre ne fut jamais inquiété.


Croix du Royet

Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004, Centre social de Montbrison


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