Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

Le grô Goluno

Le "gros" Galonné

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Monrbrison (2004)

pour écouter cliquer ci-dessous

(6 min 10 s)

Le grô Goluno

Vou vo conta ce qu'orivai o mon gran père bele, c'éto dyere me n'orière gran père le grô Goluno. Son nu ère Jean Chassagneux, coumo me. Ou plutô é me qu'an opelo coumo se.

Pouoyu pa bian dyere de von t'ère. Z'ai jomai bian sôbu. Doréremin kokun d'ochu m'o dye que klo fomille Chassagneux sourtye de vé Gré, in mozadzu de Dyumëre. Ma sorye pa éta de porin ô l'otro fomille Chassagneux : "Tché lou motelô", ou be olôr de loin. N'in savou pa mê. Foudri tsortsa de tye ne lè dyin lou réjistre de lé porouotse. Coumo que sëze, deye ma ètre de pitye mondu que deyon pa ovë grô ca ô sule (1).

Kan t'ère fran dzuënu cougnuche no fille de vé Tsertarne. Dyin le tin kô mozadzu ère fôr. Ere éto bian plu tô le chef lieu de lo coumuno "Montagne-en-Lavieu". Yo dindyu plu ôro, o par in étyi. Ere lo fille dô grô Peyu. L'opelèvon koum'ékin, son nu ère Peillon.

Eke n'ère fran no bouno fomille : oyon po faire, olèvon o lo mësso è vôtèvon bian, c'éto dyere o drëtye bian chur. Foyon portyo de lou blan po le z'élekchon.

Jean è lo fille èron ma dzuënu è se convegnon bian tou dou. Ouai !… ma è lé fouoille d'impô que s'ocourdorion jomai. Jean s'in dutève be in pouo, ma enfin lè montai no dyomindje opré mëdye po faire so demando ô grô Peyu.

Ô, ékin trénai pa !… Fugai tô reglo… Le père y ogai vitu fai comprindre qu'in ga coumo se qu'oye ma sé brayu ô tyu è sou dou z'eklo orye jomai lo fille de tché Peyu.

Ogai ma o se tourna vira po la vëre oyur. O se luyai tché lo vevo Béalem que demourève vé Vialo. L'opelèvon "lo Goluna", posse qu'ère vevo d'in ôfichè, in copitaine de lo gardo nochônalo de vé lo Vilo, o se que n'an dye. Ere pa sin re. Ô contrére. Oye de bian, de boué è de sö. Ma oyon dji odyu de mèna. Coumo ère veyansano è que pouye pa faire ola kö grô bian tuto sulo, luyai Jean po faire son trovè.

Tu morsai bian. Fran bian mémou, puisque lo Goluna è Jean se morièron pouo de tin opré. Crèyu be que y'ogai de carte o battre ô lou nevou, o se que m'an dye. Ma enfin basto !… Koké sèzou possèron è pë lo Goluna merè. Tè don… Vetyo Jean qu'éritai de tu. Le churnu "Jean tché le Goluno". Ma ekin n'ère pa dzénan gne pesan o pourta. Churtu éritai dô bian : lou pra, lé tare, lou boué sin z'échebla lou sö in ordzin è in'ôr. Tutekin l'orandzève bian è y ingressève bian so pêlo (3).

In fozan ékin tournai grapi vè Tsetarne keto vë ovec son tsopè è sou sular sin sôbë… Lo belo l'oye pa ècheblo è l'opétève tudzour. E coumo lé veyê tsandzèvon dö tu t'ô tu, ékin fugai vitu reglo. "Kö kouo che lo vouole é tyo, lo pouoyé inmena", y dyezai ma le grô Peyu in y vorsan no bouno gouto.

L'inmenai pa kö dzour bian chur. Ekin se fai pa kan n'an z'é bian élevo. Ma le z'okourdaye tréneron pa. Se morièron dè ke lo coremo fugai tsoba. Oyon dedzouo pordyu koké bravé sézou, ôro se fouye dégona. Klo Peyuno venai don demoura vé Vialo ô se n'ouomou. Fugai lo segondo Goluna.

Oguèron quatre z'efan, don mon gran père que fugai in'otru Jean Chassagneux. E pë yèlo merai. Que faire avec kö grô bian è churtu de pétyeto mèna. Olève boreya lé përe (4). Olor se tournai moria ô no fille Damon de vé Gonso. Ere pa che loin de vé Vialo que Tsetarne. Fugai don lo trejémo Goluna è oguèron trë z'efan. Vetyo coumo fugai fai.

Ekin s'é posso dyin lé sezou dye je vui cin quorante o dye vui cin chinquanto. So pa exactomin lé date. Ma é ce que m'an dye chu mon gran père bele que s'ère bian morio trë couo. Que vouyé-ti, é de veyè qu'orivon tsa mouman. Fo pa n'in rire s'é mè éto veyu.

Tou klou détail de kl'istoire le zè ma sôbu bian tar pa d'otrou mondu de lo fomille Peyu. Posse que klé veyè de lé fomille se dyejon pa bian dyïn le tin tché nou, churtu o lou petyi. Ere pourtan coum'ékin : n'an ye pö re tsandsa.

Le "gros" Galonné

Je vais vous raconter ce qui arriva à mon arrière-grand-père "le gros Galonné". Son nom était Jean Chassagneux, comme moi, ou plutôt c'est moi qu'on a appelé comme lui.

Je ne peux pas bien dire d'où il était. Je ne l'ai jamais bien su. Dernièrement quelqu'un de là-haut m'a dit que cette famille Chassagneux sortait de Gruel, un hameau de Gumières. Mais elle n'aurait pas été apparentée à l'autre famille Chassagneux "chez les matelots", ou alors de loin. Je n'en sais pas plus. Il faudrait chercher ici et là dans les registres des paroisses. De toute façon ce ne devait être que de petites gens n'ayant pas grand-chose au soleil.

Quand il était très jeune il connaissait une fille de Chantereine. Jadis ce hameau était peuplé. Il avait été bien plus tôt le chef-lieu de la commune de la Montagne-en-Lavieu. Il n'y a plus personne actuellement sauf en été. C'était la fille du "gros Peyu". On l'appelait ainsi, son nom était Peillon.

C'était une très bonne famille : ils avaient de quoi faire, allaient à la messe et "votaient bien", c'est-à-dire à droite bien sûr. Ils faisaient partie des blancs pour les élections.

Jean et la fille n'étaient que jeunes et ils se plaisaient bien tous deux. Oui !… mais c'étaient les feuilles d'impôt que ne s'accorderaient jamais. Jean s'en doutait bien un peu, mais enfin il y monta un dimanche après-midi pour faire sa demande au gros Peillon.

Oh, cela ne traîna pas… Ce fut tôt réglé… Le père lui eut vite fait comprendre qu'un gars comme lui n'ayant que ses pantalons au derrière et ses deux sabots n'aurait jamais la fille de chez Peillon.

Il n'eut qu'à se "rentourner" pour aller voir ailleurs. Il se loua chez la veuve Béalem qui habitait à Vioville. On l'appelait "la Galonnée" parce qu'elle était la veuve d'un officier, un capitaine de la garde nationale de Montbrison à ce qu'on m'a dit. Elle n'était "pas sans rien" . Au contraire. Elle avait des biens, des bois et de l'argent. Mais ils n'avaient pas eu d'enfants. Comme elle était déjà âgée et qu'elle ne pouvait pas gérer cette grosse propriété seule, elle embaucha Jean pour faire son travail.

Tout marcha bien, très bien même, puisque la Galonnée et le Jean se marièrent peu de temps après. Je crois bien qu'il y eut "des cartes à battre"
(2) avec les neveux, à ce qu'on m'a dit. Mais enfin baste !… Quelques années passèrent et la Galonnée mourut. Té donc… Voilà Jean qui hérita de tout. Le surnom "Jean chez le Galonné". Mais ce n'était pas gênant ni lourd à porter. Surtout il hérita de la propriété : les prés, les terres, les bois sans oublier la fortune en argent et en or. Tout ça l'arrangeait fort et lui graissait bien sa poêle.

Avec ça il remonta à Chantereine. Cette fois avec son chapeau et ses souliers, sans aucun doute. La belle ne l'avait pas oublié et l'attendait toujours. Et comme les choses changeaient du tout au tout, ce fut vite réglé. "Cette fois si tu la veux tu peux l'emmener" lui dit le gros Peillon en lui versant une bonne goutte.

Il ne l'emmena pas ce jour-là, bien sûr. Cela ne se fait pas quand on est bien élevé. Mais les accordailles ne traînèrent pas. Ils se marièrent dès la fin du carême. Ils avaient déjà perdu quelques bonnes années, maintenant il fallait se dépêcher. Cette Peillonne vint donc habiter à Vioville avec son mari. Elle fut la seconde Galonnée.

Ils eurent quatre enfants dont mon grand-père qui fut un autre Jean Chassagneux. Et puis elle mourut. Que faire avec cette grosse ferme et surtout ces jeunes enfants ? Il allait avoir de grandes difficultés. Alors il se remaria avec une fille Damon de Gonsot. Ce n'était pas si loin de Vioville que Chantereine. Elle fut donc la troisième Galonnée et ils eurent trois enfants. Voilà comment ce fut fait.

Cela s'est passé dans les années 1840-1850. Je ne sais pas exactement les dates. Mais c'est ce qu'on m'a dit sur mon arrière-grand-père qui s'était bien marié trois fois. Que voulez-vous ? Ce sont des choses qui arrivent certains moments. Il ne faut pas en rire, cela s'est vu d'autres fois.

Tous les détails de cette histoire je ne les ai appris que bien plus tard par d'autres membres de la famille Peillon. Parce que ces choses de famille ne se disaient pas bien chez nous jadis, surtout aux enfants. C'était pourtant comme ça. On ne peut rien y changer.


(1) Expression disant qu'ils ne devaient pas être propriétaires terriens.
(2) Des cartes à battre : des difficultés imprévues.
(3) En patois, on "engraisse" la poêle : ça lui donnait de gros moyens de vivre.
(4) Batailler les pierres : éprouver de grosses difficultés (formule courante).


Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004, Centre social de Montbrison


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