Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

Treze o trablo

Treize à table

lu par l'auteur au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison en 2004

pour écouter cliquer ci-dessous

(2 min 36 s)

Treze o trablo

Vou z'ai dedzouo dye que mo gran mère oye répons'o tu. Yoye no vë tché nou rechudyon de moriandère : lo nevouno de mon père que se moriève vè Morô. Coumo lé douë fomille èron bian d'ocôr (1) è se cougnuchon dupë lontin, fouye rechöre lou dzënu commo fo.

Coumo ère d'usadsu dyin le poyi lou formoyère (2) vegnon tudzour ocompogno ou plutô escourto de vun ou veno de louro fomille. Coum'ékin évitorion le z'o dyere. Du moin zö sondzèvon.

In orivan lou moriandère fojon lé presintochon che nan se cougnuche pa. E pé lo fiança bodève son sa de ké po faire gouta lé formaille. Dô tin le fianço tyerève lo tobotère de son djelè po ôfri no priso. Lé fene éturgnon in reyan. Opré nan se bitève o trablo.

Mo mère è mo gran mère oyon preporo in bon supa. Y oye po faire po tu kö mondu. In'efè y'oye de mondu : tché nou, ovec mo tanto Mori Lise, se n'ouomou Paul tchi Tsampagne è veno de louré fille.

Tu se possève bian, fran bian mèmou. Tu po no vë, avan de se bita o trablo Paul contai le z'invito, no vë, doué vë… Se trompève pa n'oye treze. Ekin le dzénève pa, ma k'olève dyere mo gran mère ? S'oprutsai de yelo è y fozai o l'ôreye : "Setin treze…" Lo Glôdine brontsai pa. Oye be comprë. Z'oye be veyu yelo mè ma dyeje re, ékin lo dérandzève pa, lo suporstyechon ère pa son fôr.

Foje éklo qu'ère sourdo. Olôr Paul s'oprutsai notro vë : "Setin treze…" Ma kô kouo lo rèponso tardai pa : "E be, fou le can defô, sarin ma plu duze !" Pa mè k'ékin… Tu le mondu se bitai ma o rire è s'otylèron o mindza d'in boun'opetye.

Treize à table

Je vous ai déjà dit que ma grand-mère avait réponse à tout. Il était une fois nous recevions chez nous des fiancés : la nièce de mon père qui se mariait à Marols. Comme les deux familles étaient bien d'accord et se connaissaient depuis longtemps, il fallait recevoir les jeunes comme il faut.

Selon l'usage du pays les fiancés venaient toujours accompagnés, ou plutôt escortés, d'un ou d'une de leur famille. Comme ça ils éviteraient les réflexions (les "à-dire") Du moins ils le pensaient.

En arrivant les fiancés faisaient les présentations si on ne se connaissait pas. Puis la fiancée ouvrait son sac en cuir pour faire goûter les dragées. Pendant ce temps le fiancé tirait la tabatière de son gilet pour offrir une prise. Les femmes éternuaient en riant. Ensuite on se mettait à table.

Ma mère et ma grand-mère avaient préparé un bon souper. Il y avait abondance pour tout ce monde. En effet il y avait du monde : chez nous, avec ma tante Marie Louise son mari Paul chez Champagne et une de leurs filles.

Tout se passait bien, très bien même. Tout d'un coup avant de se mettre à table Paul compta les invités : une fois, deux fois… Il ne se trompait pas, il y en avait treize. Cela ne le gênait pas, mais qu'allait dire ma grand-mère ? Il s'approcha d'elle et lui glissa à l'oreille : "Nous sommes treize…" Claudine ne broncha pas. elle avait bien compris. Elle l'avait bien vu elle aussi mais ne disait rien. Cela ne la dérangeait pas. La superstition n'était pas son fort.

Elle faisait la sourde. Alors Paul s'approcha une autre fois : "Nous somme treize…" Mais cette fois la réponse ne tarda pas : "Et bien, fiche le camp dehors nous ne serons plus que douze !" Pas plus que ça… Tout le monde se mit à rire et ils s'attelèrent à manger d'un bon appétit.
(1) On peut dire aussi : èron bian de couotche, une allusion à la "coche du pain", marque sur une baguette qui mettait d'accord le client et le boulanger.
(2) Formoyère ou moriandère : les fiancés.

Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004, Centre social de Montbrison


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