Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

Benë tché son curo

Benoît chez son curé

lu par l'auteur
(2004)

pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min 11 s)

Benë tché son curo

Dyïn le tin yoye in curo vé Sin Dzouan qu'ère bian fai po faire (1). Le mondu l'omèvon bian. Ere tudzour de bou z'émur, bian porlère (2) avec tu le mondu. Nan le pouye la vëre kan nan vouye, nan z'ère tudzour bian rechudyu.

Foje régulièromin son servissu. Djeje së mësso avec bian de relidjon. Olève tudzour vëre sou moladu, foje bian son cotochémou ê tu…

Por ozar ô boreyève in tsëre kan predzève è foye boreya éklou que l'écoutèvon. Le pore diablu s'in sourtye pa. Oria dye no tono dyin in buré. Ma, o par ekin, le mondu l'estyemèvon fran. Que vouyi ti, nan pö pa ovë tute lé koyetè…

In dzour Benë tché Tiène olai vé lo curo po coumanda lé mësse de son défun père po son bou de l'an. Ere mar, s'ère koke pouo bito in retar de tye ne lè po le mortso, in coutordzan vun ou l'otru… Kan fugai vé lo curo èron dedzouo opré mindza, le curo pé lo Moria so chevinte. Suyon dyina de boun'uro tou dou vé lé onz'ure è dyemie.

Ma yoye pa d'impourtanche. "Asseyez-vous Benoît", y dyezai ma le curo in se ponan lo gordje. Benë se fozai pa preya : y'oye lontin qu'ère chu sé tsambe è sufri koke pouo dö crupignu. Kan fugai osseto, se coutordzèron tou insin. Porlèron dô tin, dô gouvarnomin, dô z'èlekchon, mè que d'uno, sin échebla le pri de lou pityi coyou vé Sin Boune è vé lo Vilo. Le curo soye tudzour pa se que Benë ère vegnu faire. Ma ovec lou poyesan fo prindre son tin è lou lésso porla. De tuté fossou ékin l'impotsève pa de mindza è de biöre.

De son la Benë ôrye bian indyuro de prindre koko faire. Couminsève o ovë lo coura basso (3). So supo de vé le modye ère dedzouo prionsso. Vëre biöre è mindza le z'otru ekin vou douone de z'invë.

O bou d'in mouman le curo fignai po y demanda : "Alors Benoît, c'est tout ce qu'il y a de neuf chez vous ?" Benë se ponai la moustatche in preporan so réponso. In francé, bian chur. Posse que ô curo, ô mëtru d'écouolo, ô nutére, o lou jandarmou n'an porlève pa potué. Ere pa convenablu, ékin se foje pa dyin le poyi.

Olôr ye répondai : "bin, Monsieur le Curé, voilà : ma femme a une chèvre qui lui a fait trois chevreaux. Deux qui tètent et un qui regarde"… Le curo éklotai de rire. "Maria, apportez un verre !" Oye compré dô prumé couo. Lo Moria, yelo, olai vitu kar in vëru dyin le drisso è se bitai ma o rire in bon mouman opré. No bravo fille, ma pa de lé plu couëte. Y oye fouyu in pouo de tin po comprindre lé veyè.

Ekin s'otsobai bian po tu le mondu. Orétèron le dzour de lé mësse. Trinkèron insin notro vë, è coumo le curo olève figni de dyina, Benë y gagnai no bouno par de frumadzu fôr que le doré conu fozai bian devola. Se dégonai o se rindre in sondzan o so Tônine que le morunorie de s'étre bito in ribouoto notro vë.


Benoît chez son curé

Jadis il y avait à Saint-Jean un curé qui était très agréable. Les gens l'aimaient bien. Il était toujours de bonne humeur, parlant facilement à tout le monde. On pouvait aller le voir quand on voulait, on était toujours bien reçu.

Il faisait régulièrement son service. Il disait sa messe avec religion (dévotion). Il allait toujours voir ses malades, il faisait bien son catéchisme et tout…

Cependant il bataillait en chaire quand il prêchait et il faisait batailler ceux qui l'écoutaient. Le pauvre diable ne s'en sortait pas. Vous auriez dit un taon dans un beurrier. Mais à part ça les gens l'estimaient tout à fait. Que voulez-vous, on ne peut pas avoir toutes les qualités.

Un jour Benoît chez Tienne (Etienne) alla à la cure pour commander les messes de son défunt père, à l'occasion de son bout de l'an. C'était mardi, il s'était quelque peu mis en retard ici ou là à travers le marché en bavardant avec l'un ou l'autre. Quand il fut à la cure, ils étaient tous deux en train de manger, le curé et la Maria sa servante. Ils avaient l'habitude de manger de bonne heure tous les deux vers onze heures trente.

Mais il n'y avait aucune importance. "Asseyez-vous Benoît", dit le curé en s'essuyant la bouche. Benoît ne se fit pas prier : depuis longtemps il était sur ses jambes et il souffrait quelque peu du dos. Quand il fut assis, ils discutèrent tous ensemble. Ils parlèrent du temps, du gouvernement, des élections, et d'autres, sans oublier le prix des porcelets à Saint-Bonnet et à Montbrison. Le curé ne savait toujours pas ce que Benoît était venu faire. Mais avec les paysans il faut prendre son temps et les laisser parler. De toute façon ça ne l'empêchait pas de manger et de boire.

De son côté Benoît aurait bien enduré de prendre quelque chose. Il commençait à avoir l'estomac dans les talons. Sa soupe du matin était déjà loin [profonde]. Voir boire et manger les autres, ça vous donne des envies.

Au bout d'un moment le curé finit par lui demander : "Alors Benoît, c'est tout ce qu'il y a de neuf chez vous ?" Benoît s'essuya la moustache en préparant sa réponse. En français, bien sûr. Parce qu'au curé, au maître d'école, au notaire, aux gendarmes on ne parlait pas patois. Ce n'était pas convenable, ça ne se faisait pas dans le pays.

Alors il lui répondit : "Monsieur le Curé, voilà, ma femme a une chèvre qui a fait trois chevreaux : deux qui tètent et un qui regarde"… Le curé éclata de rire : "Maria, apportez un verre !" Il avait compris du premier coup. La Maria, elle, alla vite chercher un verre dans le placard (le dressoir) et ne se mit à rire qu'un bon moment après. Une brave fille, mais pas des plus dégourdies (cuites). Il lui avait fallu un peu de temps pour comprendre les choses.

Cela se termina bien pour tout le monde. Ils fixèrent le jour des messes. Ils trinquèrent une autre fois, et comme le curé allait finir de dîner, Benoît y gagna une bonne portion de fromage fort que le dernier verre (canon) fit bien descendre. Il se hâta de rentrer chez lui en pensant à sa Tônine qui le disputerait pour s'être mis en ribote une nouvelle fois.
(1) Expression très employée : "Fait pour faire", c'est-à-dire agréable, sympathique, d'humeur égale.
(2) Bian porlère : qui parle volontiers (c'est une qualité) ; mo porlan : qui parle mal, grossier (c'est péjoratif).
(3) Lo coura basse : avoir lo coura basse, profonde, traduction exacte de "l'estomac dans les talons".


Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004, Centre social de Montbrison


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