Dyïn le tin yoye in curo vé Sin Dzouan qu'ère
bian fai po faire (1). Le mondu
l'omèvon bian. Ere tudzour de bou z'émur, bian
porlère (2) avec tu le mondu.
Nan le pouye la vëre kan nan vouye, nan z'ère tudzour
bian rechudyu.
Foje régulièromin son servissu. Djeje së
mësso avec bian de relidjon. Olève tudzour vëre
sou moladu, foje bian son cotochémou ê tu
Por ozar ô boreyève in tsëre kan predzève
è foye boreya éklou que l'écoutèvon.
Le pore diablu s'in sourtye pa. Oria dye no tono dyin in buré.
Ma, o par ekin, le mondu l'estyemèvon fran. Que vouyi
ti, nan pö pa ovë tute lé koyetè
In dzour Benë tché Tiène olai vé lo
curo po coumanda lé mësse de son défun père
po son bou de l'an. Ere mar, s'ère koke pouo bito in
retar de tye ne lè po le mortso, in coutordzan vun ou
l'otru Kan fugai vé lo curo èron dedzouo
opré mindza, le curo pé lo Moria so chevinte.
Suyon dyina de boun'uro tou dou vé lé onz'ure
è dyemie.
Ma yoye pa d'impourtanche. "Asseyez-vous Benoît",
y dyezai ma le curo in se ponan lo gordje. Benë se fozai
pa preya : y'oye lontin qu'ère chu sé tsambe è
sufri koke pouo dö crupignu. Kan fugai osseto, se coutordzèron
tou insin. Porlèron dô tin, dô gouvarnomin,
dô z'èlekchon, mè que d'uno, sin échebla
le pri de lou pityi coyou vé Sin Boune è vé
lo Vilo. Le curo soye tudzour pa se que Benë ère
vegnu faire. Ma ovec lou poyesan fo prindre son tin è
lou lésso porla. De tuté fossou ékin l'impotsève
pa de mindza è de biöre.
De son la Benë ôrye bian indyuro de prindre koko
faire. Couminsève o ovë lo coura basso
(3). So supo de vé le modye ère dedzouo
prionsso. Vëre biöre è mindza le z'otru ekin
vou douone de z'invë.
O bou d'in mouman le curo fignai po y demanda : "Alors
Benoît, c'est tout ce qu'il y a de neuf chez vous ?"
Benë se ponai la moustatche in preporan so réponso.
In francé, bian chur. Posse que ô curo, ô
mëtru d'écouolo, ô nutére, o lou jandarmou
n'an porlève pa potué. Ere pa convenablu, ékin
se foje pa dyin le poyi.
Olôr ye répondai : "bin, Monsieur le Curé,
voilà : ma femme a une chèvre qui lui a fait trois
chevreaux. Deux qui tètent et un qui regarde"
Le curo éklotai de rire. "Maria, apportez un verre
!" Oye compré dô prumé couo. Lo Moria,
yelo, olai vitu kar in vëru dyin le drisso è se
bitai ma o rire in bon mouman opré. No bravo fille, ma
pa de lé plu couëte. Y oye fouyu in pouo de tin
po comprindre lé veyè.
Ekin s'otsobai bian po tu le mondu. Orétèron le
dzour de lé mësse. Trinkèron insin notro
vë, è coumo le curo olève figni de dyina,
Benë y gagnai no bouno par de frumadzu fôr que le
doré conu fozai bian devola. Se dégonai o se rindre
in sondzan o so Tônine que le morunorie de s'étre
bito in ribouoto notro vë.
Benoît
chez son curé
Jadis il y avait à Saint-Jean un curé qui était
très agréable. Les gens l'aimaient bien. Il était
toujours de bonne humeur, parlant facilement à tout le
monde. On pouvait aller le voir quand on voulait, on était
toujours bien reçu.
Il faisait régulièrement son service. Il disait
sa messe avec religion (dévotion). Il allait toujours
voir ses malades, il faisait bien son catéchisme et tout
Cependant il bataillait en chaire quand il prêchait et
il faisait batailler ceux qui l'écoutaient. Le pauvre
diable ne s'en sortait pas. Vous auriez dit un taon dans un
beurrier. Mais à part ça les gens l'estimaient
tout à fait. Que voulez-vous, on ne peut pas avoir toutes
les qualités.
Un jour Benoît chez Tienne (Etienne) alla à la
cure pour commander les messes de son défunt père,
à l'occasion de son bout de l'an. C'était mardi,
il s'était quelque peu mis en retard ici ou là
à travers le marché en bavardant avec l'un ou
l'autre. Quand il fut à la cure, ils étaient tous
deux en train de manger, le curé et la Maria sa servante.
Ils avaient l'habitude de manger de bonne heure tous les deux
vers onze heures trente.
Mais il n'y avait aucune importance. "Asseyez-vous Benoît",
dit le curé en s'essuyant la bouche. Benoît ne
se fit pas prier : depuis longtemps il était sur ses
jambes et il souffrait quelque peu du dos. Quand il fut assis,
ils discutèrent tous ensemble. Ils parlèrent du
temps, du gouvernement, des élections, et d'autres, sans
oublier le prix des porcelets à Saint-Bonnet et à
Montbrison. Le curé ne savait toujours pas ce que Benoît
était venu faire. Mais avec les paysans il faut prendre
son temps et les laisser parler. De toute façon ça
ne l'empêchait pas de manger et de boire.
De son côté Benoît aurait bien enduré
de prendre quelque chose. Il commençait à avoir
l'estomac dans les talons. Sa soupe du matin était déjà
loin [profonde]. Voir boire et manger les autres, ça
vous donne des envies.
Au bout d'un moment le curé finit par lui demander :
"Alors Benoît, c'est tout ce qu'il y a de neuf chez
vous ?" Benoît s'essuya la moustache en préparant
sa réponse. En français, bien sûr. Parce
qu'au curé, au maître d'école, au notaire,
aux gendarmes on ne parlait pas patois. Ce n'était pas
convenable, ça ne se faisait pas dans le pays.
Alors il lui répondit : "Monsieur le Curé,
voilà, ma femme a une chèvre qui a fait trois
chevreaux : deux qui tètent et un qui regarde"
Le curé éclata de rire : "Maria, apportez
un verre !" Il avait compris du premier coup. La Maria,
elle, alla vite chercher un verre dans le placard (le dressoir)
et ne se mit à rire qu'un bon moment après. Une
brave fille, mais pas des plus dégourdies (cuites). Il
lui avait fallu un peu de temps pour comprendre les choses.
Cela se termina bien pour tout le monde. Ils fixèrent
le jour des messes. Ils trinquèrent une autre fois, et
comme le curé allait finir de dîner, Benoît
y gagna une bonne portion de fromage fort que le dernier verre
(canon) fit bien descendre. Il se hâta de rentrer chez
lui en pensant à sa Tônine qui le disputerait pour
s'être mis en ribote une nouvelle fois.
(1) Expression
très employée : "Fait pour faire", c'est-à-dire
agréable, sympathique, d'humeur égale.
(2) Bian porlère : qui
parle volontiers (c'est une qualité) ; mo porlan : qui
parle mal, grossier (c'est péjoratif).
(3) Lo coura basse : avoir lo
coura basse, profonde, traduction exacte de "l'estomac dans
les talons".
Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques
histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004, Centre social de Montbrison