Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

Le curo vè vëre sou moladu

Le curé va visiter ses malades

lu par l'auteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(46 min 6 s)

Le curo vè vëre sou moladu

Coumo tou lou së le curo oye leyu son bréviaire, pé s'ère dzeyu. so veya olève bian, è se truvève intyé bian dourmillé : pa plu tô ô lë, pa plu tô indourmye. Kö dzour ère dyin son prumé chon, kan kokun topai o lo pôrto, no vë, douë vë… Fuguè ma le trejémou couo que l'intindai.

S'omossai de bri, sotai o taro tu drublun (1), olai boda lo crouëza in riquan lé sèle, poussai le controvin qu'ère ma intrebaillo é demandai : "qui est-ce ?" Ere le Motieu, le borô de tché Tumo que le vegne kar po lo grôsso (2), lo Fine, qu'ère prëto o meri.

Tché Tumo èron no bouno fomille : olèvon o lo mësso, vôtèvon bian, è pë èron pa sin re (3) Lo Fine oye odyu le molur de padre dou gorçou o lo garo de quotôrze, y demourève ma le Toine que foje mortsa in bon bian ô so feno lo Grite è louro ména : trë z'efan qu'èron ma pityi olôr. Le Motieu lé y'ère luyo dupë kokou bravou tin.

Le curo fuguai in pouo chuprë de söbë lo Fine dyin k'l'éta. Bian chur olève ovë quatre vïn chïn k'an o l'in doré po lo crouë. Ma so veya olève pa mo kan y'oye fai faire sé Pâques kokou tin dovan.

"E be don… lé fo la !" se dyezai le curo. Fignai de se vétyi, prenai sou grô sular, décrutzetai le pitye sa po lou sacromin que pindulève contro le relouodzu. Oropai so grôsso cano, tyuai, sorè lo pôrto coumo fo è filai ovec le Motieu.

Tché Tumo demourèvon dyin lou mozadzu de din no, pa loin de lou bouè. Fouye in bon mouman po lé grapi. Le curo è Motieu prénèront lo drissëre po lé côte de Sin Dzouan. Fouye se méfia de pas se détorse (4) in piè po lé përe ou dyin lé rase. Erusomin foje in dzantye clar de yuno, boreyèron pa po monta. Ma prenèron no bouno choua.

i s'oropèron o dzopa. Ma s'orétèron vitu in recougnussan Motieu que lou foje kisa. Lo Grite lou fozai intra è lou menai vè lo bretagne (5) von dzeye lo poro Fine. Ere o mëto décossa, le ju soro, lo gôrdje gran boda, ovec le pou cour, è in ralu que foje pido. Pore mondu (6) ! …

"Elle ramole (7) , elle ira pas loin" dyezai ma la Grite. Le curo y boyai lou doré sacomin, su condyechon coumo ère sin cougnussinche. Fozèron insin no preyëre è pë demourèron etye in bon mouman sin re dyere, in chuyan lo mouranto è in opétan lo fye. Yoye ma plu ékin o faire. Dô tin le relouodzu se bitè o suna lou duze couo de lé menë tutë drëte (8).

Tu po no vë… lo grôsso tsato nëre possai intre louré tsambe lo couo in l'ére. S'oprutsai dô lë, s'ocromoujai po prindre se n'élan è pë sötai chu le lë, plu éxactomin chu lo pétrigne de lo Fine.

"A tsa… ssst !…" fozai ma lo Fine in se redrissan d'un couo, è in ovizan tu kö mondu de drëtye o gotche sin re comprindre… "Quéke yo ?" Lo tsato foutai le can lestomin, tandyi qu'explikèron o lo gran mère ce qu'ère opré se possa. "N'an z'o pa idë de dérandza kô poru curo koum'ékin po re, lou dyezai ma lo Fine. Lessa me don dourmi trantyelo". Dô tin lo pityeto de tché Tumo orivai in panteya (9) è opintsai po lo pôrto. So mère l'invouyai vitu tourna dzëre.

Tou mè couyon le ju que le z'otrou olèron s'osseta vé lo mësu (10) po s'in remetre. Yoye ma o n'in rire. La Grite fozai no boun'efujon è lou lo vorsai bian tsodo. Le z'ouomou y odzoutèron no bouno gouto. E pë se coutordzèron tou insin in mouman in porlan de veno ou de l'otro.

O lo fye dô contu le curo orapai so tâche, l'otsobai in lo recoutyenan bian coumo fo. Se levai, tournai prindre son sa è so cano. Dyezai bouno në o tou que soyon pa coumo s'excusa. "La Grite vous portera un saucisson dimanche, en place (11), dyezai ma le Toine po tsoba… E pé vetyo. Le curo se rindai ô clar de yuno. Ma so veya olève mi o lo devola. Se tournai dzëre chu le couo d'in'uro (12), in se dyezan qu'ère pa prëtu d'échebla kö tour !…

Le curé va voir ses malades

Comme tous les soirs le curé avait lu son bréviaire, puis s'était couché. Il était en bonne santé et se trouvait encore bon dormeur : sitôt au lit, sitôt endormi. Ce jour-là il était dans son premier sommeil, quand quelqu'un tapa à la porte, une fois, deux fois… Ce ne fut qu'à la troisième fois qu'il l'entendit.

Il se leva rapidement, sauta à terre tout hébété, alla ouvrir la fenêtre (la croisée) en heurtant les chaises, poussa le volet qui n'était qu'entrebâillé et demanda : "Qui est-ce ?" C'était le Mathieu, le domestique de chez Tumo qui venait le chercher pour la "grosse" la Fine qui était près de mourir.

Chez Tumo était une "bonne famille" : ils allaient à la messe, ils votaient bien et ils n'étaient pas sans rien. La Fine avait eu le malheur de perdre deux garçons à la guerre de 14. Il ne lui restait que le Toine qui faisait marcher un bon domaine, avec sa femme, la Grite et leurs trois enfants qui n'étaient que petits à ce moment. Le Mathieu y était loué depuis déjà un certain temps.

Le curé fut un peu surpris de savoir la Fine dans cet état. Bien sûr elle allait avoir 85 ans à l'automne, à la fête de Sainte-Croix. Mais elle n'allait pas mal quand il lui avait fait faire ses Pâques quelque temps auparavant.

"Eh bien, donc, il faut y aller" se dit le curé. Il acheva de s'habiller, prit ses gros souliers, décrocha le petit sac pour les sacrements qui pendait le long de l'horloge… Il saisit sa grosse canne, éteignit, ferma la porte comme il faut et partit avec le Mathieu.

Ceux de chez Tume habitaient un hameau d'en haut, pas loin des bois. Il fallait un bon moment pour y grimper. Le curé et Mathieu prirent la coursière "par les côtes" de Saint-Jean. Il fallait se méfier de ne pas se tordre un pied sur les pierres ou dans les ornières. Heureusement il faisait un beau clair de lune, ils ne bataillèrent pas pour monter. Mais ils prirent une bonne suée.

Quand ils arrivèrent dans la cour de chez Tume les chiens se mirent à japper. Mais ils s'arrêtèrent vite en reconnaissant Mathieu qui les faisaient taire. La Grite les fit entrer à la maison et les conduisit vers la bretagne où couchait la pauvre Fine. Elle était à moitié découverte, les yeux fermés, la bouche grande ouverte, avec le souffle court, et un râle qui faisait pitié. Pauvres gens !

"Elle ramole, elle n'ira pas loin", dit seulement la Grite. Le curé lui donna les derniers sacrements, sous condition, puisqu'elle était sans connaissance. Ils firent ensemble une prière et puis ils restèrent là un bon moment, sans rien dire, en regardant la mourante et en attendant la fin. Il n'y avait plus que ça à faire. Pendant ce temps l'horloge se mit à sonner les douze coups de minuit pile.

Soudain… La grosse chatte noire passa entre leurs jambes la queue en l'air. Elle s'approcha du lit, s'accroupit pour prendre son élan, et puis elle sauta sur le lit, plus exactement sur la poitrine de la Fine.

"A chat… sst !…" fit seulement la Fine en se redressant d'un coup, et en regardant tout ce monde de droite à gauche sans rien comprendre. "Qu'est-ce qu'il y a ?" La chatte ficha le camp lestement, tandis qu'ils expliquèrent à la grand-mère ce qui était en train de se passer. "On n'a pas idée de déranger ce pauvre curé comme ça pour rien, leur dit seulement la Fine, laissez-moi dormir tranquille". Pendant ce temps la petite dernière de chez Tume arriva en chemise et regarda par la porte en se cachant. Sa mère l'envoya vite se recoucher.

Tous plus confus les uns que les autres ils allèrent s'asseoir à la "maison" pour s'en remettre. Il n'y avait plus qu'à en rire. La Grite fit une bonne infusion et la leur versa bien chaude. Les hommes y ajoutèrent une bonne goutte. Et puis ils bavardèrent tous ensemble un moment en parlant de l'une ou de l'autre.

En fin de compte le curé saisit sa tasse, l'acheva en la vidant bien comme il faut. Il se leva, reprit son sac et sa canne. Il dit bonne nuit à tous qui ne savaient pas comment s'excuser. "La Grite vous portera un saucisson dimanche, prochain en place dit seulement le Toine pour finir… Et puis voilà… Le curé rentra chez lui au clair de lune. Mais ça allait mieux à la descente. Il se recoucha sur le coup d'une heure en se disait qu'il n'était pas près d'oublier ce tour !…



(1) Tu drublu : "tout double", mal réveillé, ahuri, hébété.
(2) La "grosse" : l'aînée, ce n'est pas péjoratif.
(3) Les trois conditions pour constituer une "bonne famille" pour les populations pratiquantes d'alors.
(4) En patois on "se détord" un pied.
(5) La bretagne : chambre la plus chaude de la maison, pour les anciens.
(6) "Pauvres gens !", expression fort employée dans ces cas-là.
(7) Ramoler : avoir le râle de la mort.
(8) Minuit "toutes droites" : pile, comme les aiguilles du cadran.
(9) Le panteya : la chemise de nuit à longs pans.
(10 La "maison", lo mësu, est la cuisine, le lieu de vie. La maison se dit le bâtiment, le batyemin.
(11) In place, "en place", expression n'ayant pas de sens précis, utilisée très souvent en patois.
(12) Une bizarrerie du patois concernant les heures : on dit l'uro, l'heure. Pluriel : le z'ure (trë z'ure : 3 heures), sauf après 5 et 9 : chink'oure, pourquoi ?

Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004,
Centre social de Montbrison

Retour


Ecoutons le patois du Forez


Patois de St-Jean

Patois du Forez



Retour page accueil