Le curo
vè vëre sou moladu
Coumo
tou lou së le curo oye leyu son bréviaire, pé
s'ère dzeyu. so veya olève bian, è se
truvève intyé bian dourmillé : pa plu
tô ô lë, pa plu tô indourmye. Kö
dzour ère dyin son prumé chon, kan kokun topai
o lo pôrto, no vë, douë vë
Fuguè
ma le trejémou couo que l'intindai.
S'omossai de bri, sotai o taro tu drublun (1),
olai boda lo crouëza in riquan lé sèle,
poussai le controvin qu'ère ma intrebaillo é
demandai : "qui est-ce ?" Ere le Motieu, le borô
de tché Tumo que le vegne kar po lo grôsso
(2), lo Fine, qu'ère prëto o meri.
Tché Tumo èron no bouno fomille : olèvon
o lo mësso, vôtèvon bian, è pë
èron pa sin re (3) Lo
Fine oye odyu le molur de padre dou gorçou o lo garo
de quotôrze, y demourève ma le Toine que foje
mortsa in bon bian ô so feno lo Grite è louro
ména : trë z'efan qu'èron ma pityi olôr.
Le Motieu lé y'ère luyo dupë kokou bravou
tin.
Le curo fuguai in pouo chuprë de söbë lo Fine
dyin k'l'éta. Bian chur olève ovë quatre
vïn chïn k'an o l'in doré po lo crouë.
Ma so veya olève pa mo kan y'oye fai faire sé
Pâques kokou tin dovan.
"E be don
lé fo la !" se dyezai le
curo. Fignai de se vétyi, prenai sou grô sular,
décrutzetai le pitye sa po lou sacromin que pindulève
contro le relouodzu. Oropai so grôsso cano, tyuai, sorè
lo pôrto coumo fo è filai ovec le Motieu.
Tché Tumo demourèvon dyin lou mozadzu de din
no, pa loin de lou bouè. Fouye in bon mouman po lé
grapi. Le curo è Motieu prénèront lo
drissëre po lé côte de Sin Dzouan. Fouye
se méfia de pas se détorse (4)
in piè po lé përe ou dyin lé rase.
Erusomin foje in dzantye clar de yuno, boreyèron pa
po monta. Ma prenèron no bouno choua.
i s'oropèron o dzopa. Ma s'orétèron vitu
in recougnussan Motieu que lou foje kisa. Lo Grite lou fozai
intra è lou menai vè lo bretagne (5)
von dzeye lo poro Fine. Ere o mëto décossa, le
ju soro, lo gôrdje gran boda, ovec le pou cour, è
in ralu que foje pido. Pore mondu (6)
!
"Elle ramole (7) , elle
ira pas loin" dyezai ma la Grite. Le curo y boyai lou
doré sacomin, su condyechon coumo ère sin cougnussinche.
Fozèron insin no preyëre è pë demourèron
etye in bon mouman sin re dyere, in chuyan lo mouranto è
in opétan lo fye. Yoye ma plu ékin o faire.
Dô tin le relouodzu se bitè o suna lou duze couo
de lé menë tutë drëte
(8).
Tu po no vë
lo grôsso tsato nëre possai
intre louré tsambe lo couo in l'ére. S'oprutsai
dô lë, s'ocromoujai po prindre se n'élan
è pë sötai chu le lë, plu éxactomin
chu lo pétrigne de lo Fine.
"A tsa
ssst !
" fozai ma lo Fine in se
redrissan d'un couo, è in ovizan tu kö mondu de
drëtye o gotche sin re comprindre
"Quéke
yo ?" Lo tsato foutai le can lestomin, tandyi qu'explikèron
o lo gran mère ce qu'ère opré se possa.
"N'an z'o pa idë de dérandza kô poru
curo koum'ékin po re, lou dyezai ma lo Fine. Lessa
me don dourmi trantyelo". Dô tin lo pityeto de
tché Tumo orivai in panteya (9)
è opintsai po lo pôrto. So mère l'invouyai
vitu tourna dzëre.
Tou mè couyon le ju que le z'otrou olèron s'osseta
vé lo mësu (10) po
s'in remetre. Yoye ma o n'in rire. La Grite fozai no boun'efujon
è lou lo vorsai bian tsodo. Le z'ouomou y odzoutèron
no bouno gouto. E pë se coutordzèron tou insin
in mouman in porlan de veno ou de l'otro.
O lo fye dô contu le curo orapai so tâche, l'otsobai
in lo recoutyenan bian coumo fo. Se levai, tournai prindre
son sa è so cano. Dyezai bouno në o tou que soyon
pa coumo s'excusa. "La Grite vous portera un saucisson
dimanche, en place (11), dyezai
ma le Toine po tsoba
E pé vetyo. Le curo se rindai
ô clar de yuno. Ma so veya olève mi o lo devola.
Se tournai dzëre chu le couo d'in'uro
(12), in se dyezan qu'ère pa prëtu d'échebla
kö tour !
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Le curé va voir ses malades
Comme tous les soirs le curé avait
lu son bréviaire, puis s'était couché.
Il était en bonne santé et se trouvait encore
bon dormeur : sitôt au lit, sitôt endormi. Ce
jour-là il était dans son premier sommeil, quand
quelqu'un tapa à la porte, une fois, deux fois
Ce ne fut qu'à la troisième fois qu'il l'entendit.
Il se leva rapidement, sauta à terre tout hébété,
alla ouvrir la fenêtre (la croisée) en heurtant
les chaises, poussa le volet qui n'était qu'entrebâillé
et demanda : "Qui est-ce ?" C'était le Mathieu,
le domestique de chez Tumo qui venait le chercher pour la
"grosse" la Fine qui était près de
mourir.
Chez Tumo était une "bonne famille" : ils
allaient à la messe, ils votaient bien et ils n'étaient
pas sans rien. La Fine avait eu le malheur de perdre deux
garçons à la guerre de 14. Il ne lui restait
que le Toine qui faisait marcher un bon domaine, avec sa femme,
la Grite et leurs trois enfants qui n'étaient que petits
à ce moment. Le Mathieu y était loué
depuis déjà un certain temps.
Le curé fut un peu surpris de savoir la Fine dans cet
état. Bien sûr elle allait avoir 85 ans à
l'automne, à la fête de Sainte-Croix. Mais elle
n'allait pas mal quand il lui avait fait faire ses Pâques
quelque temps auparavant.
"Eh bien, donc, il faut y aller" se dit le curé.
Il acheva de s'habiller, prit ses gros souliers, décrocha
le petit sac pour les sacrements qui pendait le long de l'horloge
Il saisit sa grosse canne, éteignit, ferma la porte
comme il faut et partit avec le Mathieu.
Ceux de chez Tume habitaient un hameau d'en haut, pas loin
des bois. Il fallait un bon moment pour y grimper. Le curé
et Mathieu prirent la coursière "par les côtes"
de Saint-Jean. Il fallait se méfier de ne pas se tordre
un pied sur les pierres ou dans les ornières. Heureusement
il faisait un beau clair de lune, ils ne bataillèrent
pas pour monter. Mais ils prirent une bonne suée.
Quand ils arrivèrent dans la cour de chez Tume les
chiens se mirent à japper. Mais ils s'arrêtèrent
vite en reconnaissant Mathieu qui les faisaient taire. La
Grite les fit entrer à la maison et les conduisit vers
la bretagne où couchait la pauvre Fine. Elle était
à moitié découverte, les yeux fermés,
la bouche grande ouverte, avec le souffle court, et un râle
qui faisait pitié. Pauvres gens !
"Elle ramole, elle n'ira pas loin", dit seulement
la Grite. Le curé lui donna les derniers sacrements,
sous condition, puisqu'elle était sans connaissance.
Ils firent ensemble une prière et puis ils restèrent
là un bon moment, sans rien dire, en regardant la mourante
et en attendant la fin. Il n'y avait plus que ça à
faire. Pendant ce temps l'horloge se mit à sonner les
douze coups de minuit pile.
Soudain
La grosse chatte noire passa entre leurs jambes
la queue en l'air. Elle s'approcha du lit, s'accroupit pour
prendre son élan, et puis elle sauta sur le lit, plus
exactement sur la poitrine de la Fine.
"A chat
sst !
" fit seulement la Fine
en se redressant d'un coup, et en regardant tout ce monde
de droite à gauche sans rien comprendre. "Qu'est-ce
qu'il y a ?" La chatte ficha le camp lestement, tandis
qu'ils expliquèrent à la grand-mère ce
qui était en train de se passer. "On n'a pas idée
de déranger ce pauvre curé comme ça pour
rien, leur dit seulement la Fine, laissez-moi dormir tranquille".
Pendant ce temps la petite dernière de chez Tume arriva
en chemise et regarda par la porte en se cachant. Sa mère
l'envoya vite se recoucher.
Tous plus confus les uns que les autres ils allèrent
s'asseoir à la "maison" pour s'en remettre.
Il n'y avait plus qu'à en rire. La Grite fit une bonne
infusion et la leur versa bien chaude. Les hommes y ajoutèrent
une bonne goutte. Et puis ils bavardèrent tous ensemble
un moment en parlant de l'une ou de l'autre.
En fin de compte le curé saisit sa tasse, l'acheva
en la vidant bien comme il faut. Il se leva, reprit son sac
et sa canne. Il dit bonne nuit à tous qui ne savaient
pas comment s'excuser. "La Grite vous portera un saucisson
dimanche, prochain en place dit seulement le Toine pour finir
Et puis voilà
Le curé rentra chez lui
au clair de lune. Mais ça allait mieux à la
descente. Il se recoucha sur le coup d'une heure en se disait
qu'il n'était pas près d'oublier ce tour !
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