Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

Le goutaru

Le goûter de quatre heures

lu par l'auteur

pour écouter cliquer ci-dessous

(5 min 30 s)

Le goutaru

Ai dedzouo conto coumo se possèvon lé méssou tché nou dyin le tin. Kant'ère le mouman de mëre se fouye dégona churetu che se levève l'oro dô mëdye que foye évouéra lo recôrdo. Olôr le gonè olève o lo louoye le yu ou le dzô o lo pointye dô dzour. Foje patche avec dou trë monôre que le chudyon louron voulan bian impoto ototso o l'épalo ô de no ficelo.

In'orivan beyon le cafë è pë couminssèvon louron trové. Vegnon mindza lo supo vé lo mësu chu lé nov'oure. Tournèvon ôtour de mëdye è dyemi po dyina è o bôr de në po lo supo. Ekin foje de bouné dzournè in'étyi.
O quatre ure ère le mouman de goutoruna. Che lé tare èron radjebu le z'ouomou vegnon mindza lo par vé lo mësu. Ma ch'èron loin lou fouye pourta chu plache le goutoru coumo nan dyeje.

E ce qu'orivai o mon gran père que deye ovë kokou nö ou dé z'an. So mère oye fai no bouno péla ô de foreno, de lè, è de zi, le tu bian botyu. L'oye fai couëre, sin lo lessa brula, dyin lo gran pêlo ô d'iôlu de crouéza. Ere bian dzinto, bian dôra, bian tsodo… E pë, coumo chintye bou !… Foje invë o de kö petye que chugnève… Ô se sondzève : "N'ôro be por me, élè".

So mère déleyai lo péla chu in gran pla de taro, l'inroulai dyin in tourtsu, é l'instolai o pla ô fon dô gran ponié dô bur. Pleyai in votsar ô se z'arte dyin in journal, le posai dyin in sa de tyalo contr'in yitre de vïn è le quar d'un pan.

"Porto vitu tut'ékin o lou méssunié dô tin qu'é tso. Churetu, varso pa le yitre è casso pa le pla". Opré tute lé recoumandochon le petye filai léstomin, ma in fozan otinchon o pa trouo branssuya é o re cossa.

Kan le z'ouomou le veyèron oriva fignèron de méssuna louro dyemé dzarbo, l'étindèron contro l'otro, y posèron le voulan dechu è pikèron le couve de contro.

S'instolèron o tyu pla o l'ombro d'in gran frèsse bian tantchu è dépleyèron lo mindzaille.

Le yitre ère pa cosso gne déboutso, le pan è le frumadzu oyon fai bon ménadzu. E churetu le gran pla ère intacte ovec lo dzinto péla dechu. Coumo chïntye bou klo péla : ère intye bian tsodo, bian dôra de lou dou la, pissève l'iôle djustu coumo fouye. Le petye lo dévôrève dô ju. "Me lo lèssoran be gouta…"

Lou z'ouomou s'oprétèron o se sorvi. Le gonè oye toyo lé trantse de pan. Tsakun coupai so par de péla, lo pôsai chu son pan in lo soran ovec le pouce gotsu è s'oropai o lo mindza : no gourdza de péla chu no gourdza de pan. Kan tsakun se fugai sovye n'in demourève in bon moursè que le petye latsève pa dô ju.

"Tourna faire", dyezai le gonè ô bou d'in mouman. "Garo, sondzai le petye, make l'otsobeson pa ". Tsakun toyai in moursè de ce que demourève. Finalomin y oye ma in pitye moursè de réste. "Soro por me, sin sôbé, y sondzoran be…"

Ma pa du tu !… Vun de lou méssunié, d'ozar le plu safru de tou, ovançai son coutè è de lo pointye pikai le doré moursè de lo péla.
"Ô ! yo, kô couo ô yë", se bitai ma o gôla le petye. Fugai plu fôr que se. Z'oye étsopo !
Tou le z'ouomou s'orétèron de mindza in pouo couyon. "Mon grô, zô fouille dyere, te n'ôrian lésso no bouno par". In fozan ekin, elklou qu'oyon pa tsobo n'in sôvèron tsakun no pityeto gourdza. Lé posèron chu in dzantye moussè de pan. Eke n'ère be in pouo écroso è gréssou, ma le petye se ye djetai dechu coumo ch'oye odyu no fan de vui dzour.

Mindzai so veya d'un boun'opetye, avec no gourdza de frumadzu è no pityeto goula de vïn po tu faire devola. Klo péla ère fran bouno. Ma churetu, ère-ti fièru d'ovë goutoruno po lé tare ô lou méssunié.

Le goûter de 4 heures

J'ai déjà raconté comment se passaient les moissons chez nous jadis. Quand c'était le moment de moissonner il fallait se dépêcher surtout si se levait le vent du Midi qui faisait se perdre la récolte. Alors le patron allait à la loue le lundi ou le jeudi à la pointe du jour. Il s'accordait avec deux ou trois ouvriers qui le suivaient avec leur volant (1) bien enveloppé de chiffons et attaché à l'épaule avec une ficelle.

En arrivant ils buvaient le café et ils commençaient leur travail. Ils venaient manger la soupe à la maison sur les neuf heures. Ils revenaient autour de midi et demi pour dîner et à la tombée de la nuit pour la soupe. Tout ça faisait de bonnes journées en été.
A quatre heures c'était le moment de goûter (goûtaronner). Si les terres étaient proches les hommes venaient manger la portion à la maison. Mais s'ils étaient loin il fallait porter sur place le goûtaron comme on disait.

C'est ce qui arriva à mon grand-père qui devait avoir quelque neuf ou dix ans. Sa mère avait fait une bonne poêlée avec de la farine, du lait et des œufs, le tout bien battu. Elle l'avait fait cuire, sans la laisser brûler, dans la grande poêle avec de l'huile de colza. Elle était bien jolie, bien dorée, bien chaude… Et puis, comme elle sentait bon !… Elle faisait envie à cet enfant qui regardait. Il pensait : "Il y en aura bien pour moi là-bas".

Sa mère fit glisser la poêlée sur un grand plat en terre, l'enroula d'un torchon et l'installa à plat au fond du grand panier du beurre. Elle enveloppa un vachard (2) avec ses artisons dans un journal, le posa dans un sac de toile à côté d'un litre de vin et du quart d'un pain.

"Porte vite tout ça aux moissonneurs pendant que c'est chaud. Surtout ne renverse pas le litre et ne casse pas le plat". Après toutes les recommandations l'enfant fila rapidement, mais en faisant attention à ne pas trop secouer et à ne rien casser.

Quand les hommes le virent arriver, ils achevèrent de moissonner leur demi-gerbe, l'étendirent à côté de l'autre, y posèrent le volant dessus et piquèrent le coffin à côté.

Ils s'installèrent assis par terre à l'ombre d'un grand frêne aux branches abondantes et déballèrent le ravitaillement.

Le litre n'était pas cassé ni débouché, le pain et le fromage avaient fait bon ménage. Et surtout le grand plat était intact avec la belle poêlée dessus. Comme elle sentait bon cette poêlée : elle était encore bien chaude, bien dorée des deux côtés, elle dégouttait d'huile juste ce qu'il fallait. L'enfant la dévorait des yeux. "Ils me la laisseront bien goûter…"

Les hommes s'apprêtèrent à se servir. Le patron avait taillé les tranches de pain. Chacun coupa une portion de poêlée, la posa sur son pain en la serrant avec le pouce gauche et se mit à la manger : une bouchée de poêlée sur une bouchée de pain. Quand chacun se fut servi, il en resta un bon morceau que le petit ne quittait pas des yeux.

"Refaites (servez-vous de nouveau)" dit le patron au bout d'un moment. "Gare, pensa l'enfant, pourvu qu'ils ne la finissent pas". Chacun tailla un morceau de ce qui restait. Finalement il n'y avait qu'un petit morceau de reste. "Il sera sûrement pour moi, ils y penseront bien".

Mais pas du tout. L'un des moissonneurs, sans doute le plus goulu de tous, avança son couteau et de la pointe piqua le dernier morceau de la poêlée.
"Oh ! là, cette fois ça y est", se mit à crier le petit. Ce fut plus fort que lui, ça lui avait échappé !
Tous les hommes s'arrêtèrent de manger un peu gênés. "Mon gros, il fallait le dire, nous t'en aurions laissé une bonne portion". Avec ça, ceux qui n'avaient pas fini en sauvèrent chacun une petite bouchée. Ils les déposèrent sur un joli morceau de pain. C'était bien un peu écrasé et graisseux, mais l'enfant s'y jeta dessus comme s'il avait eu une faim de huit jours.

Il mangea sa ration d'un bon appétit, avec une bouchée de fromage et une petite gorgée de vin pour tout faire descendre. Cette poêlée était très bonne. Mais surtout, comme il était fier d'avoir "goûtaronné" à la terre avec les moissonneurs.
(1) Le volant : grande faucille des moissonneurs.
(2) Le vatsar : fromage de lait de vache ; le tchorotu, fromage fait avec du lait de chèvre.


Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004,
Centre social de Montbrison


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