Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

Lé sanssouote

Les sangsues

lu par l'auteur
au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison (2004)

pour écouter cliquer ci-dessous

(3 min 57 s)

Lé sanssouote

Le grô Lôrin de vé Vialo ère moladu. Pa talomin, ma enfin so veya olève pa dupë kokou bravou dzour. Invouyai so feno, lo Tônine, vé lo Villo consulta le medzoche, le "docteur Chantermerle". Un bon medzoche, koke pouo bouryu, è pa tudzour bian coumouodu. Ma enfin !…

Lo Tônine lé devolai y expliquai lé veyê dyin le megnu tan bian que pouguai… "Mettez-lui des sangsues à l'anus", y dyezai ma Chantemerle. Vetyo, po mê qu'équin.
In montan vé Vialo lo Tonine se sondzève : lé sansouote manquon pa, ô gno tudzour dyin lo pétzëre doré lo mësu. Ma l'anus, que vë klo veya ? Enfin, vérin be.

Kan fugai rindyo olai vitu kar de sanssouote bian vigourete è le z'odyuzai dyin in té. Veyai lo Fine que possève è y contai tuto lo veya. "Savé-ti ce qu'ë l'anus ?" - Nin savou re, dyezai lo Fine. Manque ma la demanda o tché Piar. Louron ga o odyu son sortyefica, nou van ransogna. - Sin sôbë", répondai lo Fine.

Tché Piar truvèron ma le grô osseto ô coufïn dô fuo. "Soyé-tu ce qu'ë l'anus ?" y demandèron lé fene. Sour coum'un tyupi, le grô lou répondai ma : "Coumo dyi ? - Que vë l'anus ? - N'in savou re, n'ê jomai intindyu porla de kin". Virai ma lo této po crotsa dyin lo flurëre, è pé vetyo…

Nôtré douë fene le pikèron etye. Eron pa mê ovancè… Tu d'in couo lo Fine dyezai : "Ma, le curo n'in parle be lo dyomindje o lo mësso : agnus Dei qui tollis peccata mundi !… - In éfai, y'oyan pa sondzo", répondai lo Tônine.

Ôrye be monto vé Tsozèle po la demanda ô curo. Ere in sint'ouomou, ma nan le cragne koke pouo. E pë… lé doué fene éjetèron : lez'ère évi qu'ère pa bian fai po faire d'ola y demando ekin.

Olôr lo Tônine oye ma plu no veya o faire : tourna devola vé lo Villo… Opétai le lindemouo po fila.

Oye bouno tsambo, mortsa y foje pa de peno. Z'oye fai tuto so vio. Orivai vé le medzoche que y'e répondai ma : "Au trou du cul, grosse bête !" Y foutai ékin po le na è se virai de l'otru la po rire.

Tuto couyuno lo Tônine tournai vé Vialo in presso. Vegne d'inritchi son vocabulaire d'in mou sovin que cougnuche pa. Se dégonai po monta è opliquai vitu le remèdu o se n'ouomou : ô boun'indrë , kö couo ! y fozai éfê d'ô prumé couo. So veya olai mi tu de chuitye. Dou trë dzour opré ère fran remetyu.

Klou dou contu dô grô Lôrin son vrai. Vou z'ofourtyissu que se son posso koum'ékin. Lou tenu de mon défun père Jean Pierre tché le Goluno, qu'oye po l'obitudo de dyere de
messondze…
Les sangsues

Le gros Laurent de Vioville était malade. Pas tellement, mais enfin il n'allait pas très bien depuis quelques bons jours. Il envoya sa femme, La Tonine, à Montbrison consulter le médecin : le docteur Chantemerle. Un bon médecin, quelque peu bourru et pas toujours bien commode. Mais enfin.

La Tonine y descendit, lui expliqua les choses dans le détail, aussi bien qu'elle put… "Mettez-lui des sangsues à l'anus" lui dit simplement Chantemerle. Voilà, pas plus que ça…
En montant à Vioville la Tonine songeait : les sangsues ne manquent pas, il y en a toujours dans la mare derrière la maison. Mais l'anus, qu'est-ce que c'est que ça ?… Enfin, nous verrons bien.

Quand elle fut arrivée elle alla vite chercher des sangsues bien "vigourettes" et les apporta dans un tesson. Elle vit la Fine qui passait et lui conta toute l'affaire. "Sais-tu ce que c'est l'anus ? - Je n'en sais rien, dit la Fine. Il n'y a qu'à aller demander à chez Piar. Leur garçon a eu son certificat, ils vont nous renseigner. - Certainement", répondit la Fine.
Chez Piar elles ne trouvèrent que le "Gros"(1) assis au coin du feu.

"Savez-vous ce que c'est l'anus ?" lui demandèrent les femmes. Sourd comme un tupin, le Gros répondit seulement : "Comment tu dis ? - Qu'est-ce que c'est l'anus ? - Je n'en sais rien, je n'ai jamais entendu parler de ça". Il tourna la tête pour cracher dans les cendres, et puis voilà…

Nos deux femmes le plantèrent là. Elles n'étaient pas plus avancées… Tout d'un coup la Fine dit : "Mais, le curé en parle bien le dimanche à la messe : agnus Dei qui tollis peccata mundi… - En effet, nous n'y avions pas pensé", répondit la Tonine.

Elle serait bien montée à Chazelles pour aller demander au curé. C'était un saint homme, mais on le craignait un peu. Et puis… les deux femmes hésitèrent. Il leur semblait que ce n'était pas bien chose à faire que d'aller lui demander ça.

Alors la Tonine n'avait plus qu'une chose à faire : redescendre à Montbrison… Elle attendit le lendemain pour partir.

Elle avait bonne jambe, marcher ne lui faisait pas de peine. Elle l'avait fait toute sa vie. Elle arriva chez le médecin qui lui répondit seulement : "Au trou du cul, grosse bête !" Il lui flanqua ça au nez et se tourna de l'autre côté pour rire.

Toute honteuse la Tonine revint à Vioville en grande presse. Elle venait d'enrichir son vocabulaire d'un mot savant qu'elle ignorait. Elle se dépêcha de monter et appliquer vite le remède à son mari : au bon endroit cette fois. Il lui fit effet du premier coup. Il alla mieux tout de suite. Deux ou trois jours plus tard il était entièrement remis.

Ces deux contes du gros Laurent sont vrais. Je vous affirme qu'ils se sont passés comme ça. Je les tiens de mon défunt père Jean Pierre chez le Galonné qui n'avait pas l'habitude de dire des mensonges.

(1) Le gros : l'ancêtre, terme non péjoratif très employé.

 

Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004, Centre social de Montbrison


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