Patois vivant

 

Kokou contu d'odyéchu


de Jean Chassagneux

 

In' Ôvergna bian mo plosso

Un Auvergnat bien mal placé

lu par l'auteur
au cours d'une veillée Patois vivant
au Centre social de Montbrison (2004)


pour écouter cliquer ci-dessous

(3 min 19 s)



Ce récit comporte un jeu de mot intraduisible en français. L'enfant avait confondu deux mots
aux sonorités assez poches mais de sens très différents : orgna : furoncle, et ôvargna : auvergnat.

In'ôvorgna bian mo plosso

Dyïn mon poyi yo tudzour odyu kokun d'obilu po tyua lou coyou ô z'olintour de Tsolande. De kô tin ère le Botyiste. Zô foje ovec pléji, sin se faire preya ; son trovè ère tudzour bian fai. Mankève ma de le prèvegni kokou dzour dovan. Botyiste ère tudzour d'ocôr.

Y oye no vë, deye la sogna lo caille de tché Yodu. Eken'ère fixo in to dzour. Molèrusomin Botyiste oye prë in'orgna que le dzénève fran. L'oye oropo dyïn lo rêche. Lou journalistes dô Tour de Franço opèlon ekin : "un furoncle mal place". Eken'é fran dzénan. Yo ma se bita o lo plache.

Lo veille de lo cérémoni le botyiste chintai que pouye pa faire po le lindemouo. Y soye bian ma, posse que mankorie in bon dyina. Enfin sorye po n'otro vë. Ma churtu, coumo ère in'ouomou bian sorviablu è de parouolo, omève pa se dédyere (1).

In fozan ékin, fouye la ovortyi tché Yodu que pouye pa faire po le lindemouo. Ô sunè son petye le Nès qu'ère bian omitou è bian volontou. Y expliquai lo veya : "Dyera o tché Yodu : mon père pô pa vegni demouo tyua vôtro caille. So veya vê pa. O in'orgna dyin lo rèche".

Le Nès filai coumo n'eyossu. In ruto repetève lo consigne : "mon père so veya vè pa, o in'orgna dyin lo rèche… mon père so veya vè pa, …" Inche de chuetye…

Orivè tché Yodu ovec le pou cour. "Bondzour, mon père vindro pa tyua vôtro caille : so veya vè pa…" - "Vouo, ké ko ton père mon gro ?" y demandai lo Tônia tché Yodu. Oguè bian dyu tôr de l'intérompre. Ekin y'oye fran coupo se n'élan. Reprenai sa respirochon, ma se ropelève plus bian de lo chuëtye. Y répondai : " No, so veya vè pa : o in ôvargna dyïn lo rèche".

Oye confondyu l'orgna avec l'ôvorgna. Eke n'ère pourtan pa fran lo mémo veya. Ma ke vouyé-ti é t'éjo se trompa dyin lo vio.

Coumo que sëze tché Yodu comprenèron dô prumé couo. Ere de mondu bian rèsunable, y fezèron dji de rèflekchon, è se gordèron bian de ye rire ô na.

Dou trë dzour opré, lo Tônia olai prindre de nuvelle de Botyiste. So veya (2) olève mi. Le Nès ère o l'écouolo, lou comtai l'ofaire de l'orgna é de l'ôvorgna. N'in fozèron ma no riza.

Lo semano d'opré lo caille fuguè sogna.

Un Auvergnat bien mal placé

Dans mon pays il y a toujours eu quelqu'un d'habile pour tuer les cochons aux alentours de décembre. En ce temps-là c'était le Baptiste. Il le faisait avec plaisir, sans se faire prier. Son travail était toujours bien fait. Il suffisait de le prévenir quelques jours avant. Baptiste était toujours d'accord.

Une fois, il devait aller saigner la truie de "chez Yodu". C'était fixé un tel jour. Malheureusement Baptiste avait pris un furoncle qui le gênait beaucoup. Il l'avait attrapé dans le pli. Les journalistes du Tour de France appellent ça : "un furoncle mal placé". C'était très gênant. Il suffit de se mettre à la place.

La veille de la cérémonie le Baptiste sentait que ça ne pouvait pas faire pour le lendemain. Il le regrettait bien (il lui en savait mal) parce qu'il manquerait un bon dîner. Enfin ce serait pour une autre fois. Mais surtout, comme il était un homme bien serviable et de parole, il n'aimait pas se dédire.

En conséquence il fallait aller avertir chez Yodu que ça ne pouvait pas faire pour le lendemain. Il appela son fils, le Nès, qui était bien aimable et bien prêt à rendre service. Il lui expliqua la chose. "Tu diras à chez Yodu, mon père ne peut pas venir demain tuer votre truie. Ca ne va pas bien. Il a un furoncle dans le pli".

Le Nès fila comme un éclair. En route il répétait la consigne : "Mon père ne va pas bien, il a un furoncle dans le pli… Mon père ne va pas bien… Ainsi de suite…

Il arrive chez Yodu essoufflé. "Bonjour, mon père ne viendra pas tuer votre truie, il ne va pas bien…" - "Oh… Qu'est-ce qu'il a ton père mon gros ?", lui demanda la Tonia chez Yodu. Elle eut bien tort de l'interrompre. Ca lui avait complètement coupé son élan. Il reprit sa respiration, mais ne se souvenait plus bien de la suite. Il répondit : "Non, ça ne va pas bien, il a un Auvergnat dans le pli."

Il avait confondu le furoncle avec l'Auvergnat. Ce n'est pourtant pas tout à fait la même chose. Mais que voulez-vous, c'est facile de se tromper dans la vie.

En tout cas chez Yodu comprirent du premier coup. C'étaient des gens bien raisonnables, ils ne lui firent aucune réflexion et se gardèrent bien de lui rire au nez.

Deux ou trois jours plus tard, la Tonia alla prendre des nouvelles de Baptiste. Il allait mieux. Le Nès était à l'école, elle leur raconta l'affaire du furoncle et de l'Auvergnat. Ils n'en firent qu'une rigolade.

La semaine suivante la truie fut saignée.


(1) On aurait pu mettre "se débroya", littéralement poser sa culotte, terme plus vulgaire pour dire : manquer de parole.
(2) So veya : "sa chose", le mot est très employé pour dire son état de santé.


Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Quelques histoires de là-haut,
Village de Forez, 2004, Centre social de Montbrison


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