Patois vivant



Les saisons et les travaux


de
Jean Chassagneux

 

Olin in tsan

lu par l'auteur

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Olin in tsan

Porla d'ola in tsan (1) ô dzour d'onë, forye rire tu le mondu. D'obôr sorye plu rintablu. E pë lé pityeté férme de dyïn le tin an disporéchu. Lou poyesan se son équipo : lé plu pityeté férme an vïn ou trinto vatse defô, sorè dyïn no clôtyuro électrique. Vikin dyin in'otru mondu.

In dyeje nö cin trinto, tute lé mësou de nôtro montagne porèvon le bétya. Le latsèvon douë vë dö dzour, dö më de mè djuk'opré lo Toussin, tan que foje bou. Fouye kokun que y possève chin k'our por dzour.

Fo dyestinga le megnu bétya : lou coyou, le fë, le tchôre, dô grô bétya : lé vatse è lou tsovio. Kan t'èro ma pitye, o nö dë z'an, è pru poro lou coyou, opré l'écouolo ou in vocanche. N'oyan trë ou quatre o pora po le prouo ou dyïn lo triôlëre : no grosso caille po tyua, n'ossemin et dou tsampossou. Tsa couo vegne mon copin. Ne z'omusèvan, é pa olôr que porèvan le mi. Che léssèvan lo caille chïntre lé trufe, nou fojan moruna.

Oyan ôche dou tré tchôre è kokë fë. Ô se porèvon tudzour ô lé vatse. Ma in uvar, mémou che foje bian frë, lé sourtyan. Ôrion prë lo této grôsso (2), dyeje mo gran mère ! E pé, truvèvon tudzour koko veya o brouta.

Le tsovè, se, ère tudzour defô dyin son parc, von truvève so vio. Ma lé vatse, yèllé, lé fouye mena in tsan. N'oyin jomè mè tegnu de së. Oyan besoin d'un bon tche. L'oyan tsôje, drisso, que sëze bian voyin, tudzour prëtu, è que cougnussëse tsaque vatche. Lé deye coure po doré, lou morze le tolu che fouye, in s'ocromoujan o taro po évita le couo de piè. N'oyin odyu de z'odrë è de fran voyin.

Kan t'ère l'uro de latsa lo bordzëre ère etye ô son tche. détotsève le bétya in lou boyan lo djerekchon : dyé chu, dyé chu... dyé lïn, dye lïn... ou otro veya.

Kan lo prumëre vatche, tudzour lo mémo, lo plu dégourdyo, oye prë lo bouno dyerekchon, tu le mondu filève, le tche ô métan, lo couo in l'ér in dzopan. Fouye se méfia de pa crouéza le trupè d'un vije, lé vatse se serion incourneyè.

Tsa couo tyerèvan ma radjebu, d'otré vë plu loin, è olôr fouye kaje dyemè uro po oriva. Ma lé vatse oyon vitu repéro le tchemye. In orivan ô prouo fojan mindza in pouo de boun'arbo ou de reviöre. Nou tegnan dovan po z'oportéra, è nou méfièvan de pa léssa le betya golupa o trovar.

Kan nôtron bétya oye in pouo mindzo, no vinteno de megnute, le revirèvan po le patyé, von yoye de tché, de z'abru, de bolio, ô bôr dô ri. Les vatse pouyon tsortsa louro vio, oyon mè d'ékampadzu. Fouye churveya le brovou, che n'oyan vun, è lé béte lé mè courëre. Le z'invouyèvan le tche : "Tè Médor, vè kar lo Blondo, piko-lo, orapo-lo..." Le tche s'exécutève de bri... "Tè, lèsso-lo, ché bian voyin, vïn kar de pan". Oye drë o in croutu que sourtye de nôtro pouotche.

E dyu poro lé vatse bian suvin dôtin de lé vocanse. Z'omèvo bian. Pourtèvo un yubre è m'ossetèvo in boyan in couo d'u o mon betya, de taz'in tin. "E pa éklou que lèyon in paran que paron le mi", me dyeje in dzour mo tanto. Oye be in pouo résu !

Kan mo mère ou lé fene èron in tsan, è que louron bétya ère reviro, s'ocupèvon o couse, o brutsa, ou o fiola ovec louro coulegne. D'otrë vë se sunèvon intre yèlle è se coutordzèvon dö tin que louré vatse mindzèvon.

Oyan tudzour lé fë è lé tchôre ô nou. Po lé fë lo veya olève, èron pochinte, courion pa trouo. Ma klé garye de tchôre n'in fojon ma o louro této. Lé gôlèvan de loin : ne z'ovizèvon de no... Yoye ma le tche po lé faire tegni trantyele. Ai tudzour dye : che y'oye pa lou tchôrotou, indyurorian pa lé tchore !

Demourèvan in tsan douë zure o pe pré. Oyan l'uro, ou ovisèvan le sule, ou be nou sunèvon. E kan nôtron bétya ère sölu, olèvan clore. Gôlèvan in pouo fôr : "Ô clôre ô... ô clôre ô !" Lé vatse compregnon. Lo prumëre filève, in této, le z'otre chudyon, avec le tche è le bordjé. In orivan po lo cour olèvon biöre vé le batsa. Le tche ère étye po le z'impotsa de se batre. Opré, rintrèvon vé l'étrablu, tsakuno o louro plache. Le z'ototsèvan ô lo tsëno o louro crëpye, clôyan lé fë è lé tchôre è dunèvan in bon truya de pan ô tche : l'oye bian mérito. E vetyo, nôtron bétya ère clôyu, djuko notro vë.

Allons aux champs

Parler d'aller aux champs, au jour d'aujourd'hui, ça ferait rire tout le monde. D'abord ce ne serait plus rentable. Et puis les petites fermes de jadis ont disparu. Les paysans se sont équipés : les plus petites fermes ont vingt ou trente vaches, dehors, fermées dans une clôture électrique. Nous vivons dans un autre monde.

En 1930 toutes les maisons de notre montagne gardaient le bétail. Elles le lâchaient deux fois par jour, de mai à la Toussaint, tant qu'il faisait beau. Il fallait quelqu'un qui y passait cinq heures par jour.

Il faut distinguer le petit bétail : les cochons, les brebis, les chèvres, du gros bétail : les vaches et les chevaux. Quand j'étais petit, à neuf dix ans j'ai assez gardé les cochons, après l'école ou aux vacances. Nous en avions trois ou quatre à garder dans le pré ou le champ de trèfle : une grosse truie pour tuer, un porcelet pour la reproduction, et deux porcelets à engraisser. Parfois venait mon copain. Nous nous amusions, et ce n'était pas alors que nous gardions le mieux. Si nous laissions la truie découvrir les pommes de terre, nous nous faisions gronder.

Nous avions deux ou trois chèvres et quelques brebis. Elles se gardaient toujours avec les vaches. Mais en hiver, même s'il faisait bien froid, nous les sortions. Elles auraient pris la grosse tête, disait ma grand-mère. Et puis elles trouvaient toujours quelque chose à brouter.

Le cheval, lui, était toujours dehors dans son parc, où il trouvait sa vie. Mais les vaches, elles, il fallait les mener aux champs. Nous n'en avons jamais tenu plus de six. Nous avions besoin d'un bon chien. Nous l'avions choisi, dressé pour qu'il soit bien vaillant et qu'il connaisse chaque vache. Il devait les courir par derrière, les mordre au talon s'il fallait, en s'écrasant à terre pour éviter le coup de pied. Nous en avons eus de très adroits et de bien vaillants.

Quand c'était l'heure de lâcher (les bêtes), la bergère était là avec son chien. Elle détachait le bétail et leur donnait la direction : là-haut, là-haut... Là-bas en bas, là-bas en bas... ou autre chose.

Quand la première vache, toujours la même, la plus dégourdie avait pris la bonne direction, tout le monde partait, le chien au milieu, la queue en l'air en jappant. Il fallait se méfier de ne pas croiser le troupeau d'un voisin, les vaches se seraient battues à coup de corne.

Parfois nous menions les bêtes à côté, d'autre fois plus loin, et alors il fallait presque une demi-heure pour arriver. Mais les vaches avaient vite repéré le chemin. En arrivant au pré nous faisions manger un peu de bonne herbe ou de regain. Nous nous mettions devant pour le répartir, et nous nous méfiions de ne pas laisser le bétail galoper à travers.

Quand notre bétail avait un peu mangé, pendant une vingtaine de minutes, nous le retirions dans le pâturage, où il y avait des rochers, des arbres, des genêts au bord de la rivière. Les vaches pouvaient chercher leur vie, elles avaient davantage d'espace. Il fallait surveiller la petite génisse si on en avait une, ainsi que les bêtes les plus "couratières". On leur envoyait le chien : "Tiens Médor, va chercher la Blonde, pique-la, attrape-la". Le chien s'exécutait rapidement. "Tiens, laisse-la, tu es bien vaillant, viens chercher du pain". Et il avait droit à un croûton qui sortait de notre poche.

J'ai gardé les vaches bien souvent pendant les vacances. J'aimais bien. J'emportais un livre et je m'asseyais en donnant un coup d'œil à mon bétail de temps en temps. "Ce ne sont pas ceux qui lisent en gardant les bêtes qui les gardent le mieux", me disait un jour, ma tante. Elle avait bien un peu raison !

Quand ma mère ou les femmes étaient au champ, et qu'elles avaient fait reculerleur bétail (de la bonne herbe), elles s'occupaient à coudre, à tricoter, ou à filer avec leur quenouille. D'autres fois elles s'appelaient entre elles et elles bavardaient pendant que leurs vaches mangeaient.

Nous avions toujours les brebis et les chèvres avec nous. Pour les brebis, ça allait bien, elles étaient patientes et ne couraient pas trop. Mais ces espèces de chèvres n'en faisaient qu'à leur tête. Nous les criions de loin : elles nous regardaient de haut. Il n'y avait que le chien pour les faire tenir tranquilles. J'ai toujours dit : s'il n'y avait pas les "chèvretons", nous "n'endurerions" pas les chèvres !

Nous restions au champ deux heures environ. Nous avions l'heure, ou nous regardions le soleil, ou bien on nous appelait. Et lorsque notre bétail était repu, nous rentrions (nous allions fermer). Nous criions un peu fort : " Ô clôre ô..." Les vaches comprenaient. La première partait en tête, les autres suivaient avec le chien et le berger. En arrivant dans la cour, elles allaient boire au bac (le "bachat"). Le chien était là pour les empêcher de se battre. Puis elles rentraient à l'étable, chacune à sa place. Nous les attachions avec la chaîne à leur crèche. Nous enfermions les brebis et les chèvres et nous donnions un bon quartier de pain au chien : il l'avait bien mérité. Et voilà, notre bétail était fermé jusqu'à une autre fois.

(1) L'expression signifie : garder les bêtes, et non aller se promener dans la campagne.
(2) Prendre la grosse tête comme les chèvres : une expression qui signifie prendre le noir en restant toujours enfermé.


Extrait de l'ouvrage du Père Jean Chassagneux : Les saisons et les travaux,
Village de Forez, 2001, Centre social de Montbrison

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Mise à jour le 18 décembre 2009