Faire
le pan
Tute lé mëzou
dô poyi oyon in four de kö tin. O dépossève
doré le batyemin, ovec son couvér de työlé
rionde, que fouye bian intretegni. De l'otru la, dunève
chu le fournié, no piéche von se foje lo véssèlo,
le biöre dô betya, ovec lo tsôdëre
de lé trufe, le coufin dô fuo su lo tcheminèye
è le crumê. Ere impourtan le four ; por me
ère ôche in mistére : ko sa ce que se
possève doré klo pityeto pôrto ?
Ere mo gran mère que foje le pan, tou lou quïnze
dzour. Eran set, fouye set pan de chin ou së kilo.
Y oye douë z'opérochon o faire. Savou plu po
lo tyuno couminsève. Ma kö dzour lo fouye pa
la imborossa.
Yoye le trovè de lo pâto o faire è o
pétri. O couminsève po mejura so foreno, po
odyure l'ègo è lo sa. M'invouyève kar
le bol de levan tché le vije qu'oye couyu le doré.
E pë s'oropève o mélandza tu t'ékin,
o y'édz édzormiöda le levan, è
o zö pétri. Tyun trovè ! Y fouye de tin
è y pregne no bouno choua !
Léssève bian leva lo pâte le tïn
nécessére. Sourtye no gropa de levan po le
vije. Olève kar lou set poya, lou gorgne de pâto
è lou lessève tsoba de leva chu lo mê
(1).
Dô tin le four tsôfève. Mo gran mère
l'oye oyumo de boun'uro ovec de fogouo de garne. Kan t'ère
bian'obrando, y possève de z'étèle
de fo tan que n'in fouye. Soye kan le four sorye o poin,
in ovisan vitu de ta z'in tin lo vöte de brique, djuko
que sëze de no talo coulou.
Kan le four è lo pâto èron o poin, bodève
lo porto po sôtre lé brase è le z'eflour,
in se méfian. Lè bitève dyin le coufin,
pregne l'ékouba : kl'éspéjo de gran
bolè mantso, po ninteya le four.
Oropève lo grando palo è pregne in poya, y
l'oboutsève dechu, foje de rêsse ô d'in
coutè chu lo pâto è l'invouyève
ô fon dö four. Fouye pa faire tutsa lou pan,
è se dégona po pa léssa fila lo tsolou
dö four.
Ovan de sora y bitève no pompo, in pan po lou petyi
; tsa couo no tourto ou in pâtyé de poume,
sin échebla in bon pla de trufe ô four que
régolorion tu le mondu. E pé sorève
lo pôrto ovan d'étrema lou poya dyin in couin.
Ekin chïntye bou l'ôdur dô pan opré
couëre. Yoye mo plu opéta Le tin que fouye.
Me ropèlu plu kan ; mo gran mère, yèlo,
z'ö soye. Ovan lo fye sourtye ce qu'ère plu
vitu couë. E kan vegne le mouman, bodève tan
pouo lo pôrto po ovisa è chintyena. O soye
vitu che le pan ère couë ou pa.
No vë lo fourna couëtye, y oye ma o lo défourna.
Tournève oropa lo grando palo, olève kar tsake
pan vun opré l'otru. L'odyuje belomin è le
déleyève d'in couo sec chu le couvér
de lo mê.
Klou pan crokèvon, tsôfévon, chïntyon
bou. Ere plu fôr que me : ch'éro dyin sé
trouss, me dyeje ma : sôr me dö pa !
Opré fouye lésso éfreji le four. N'oye
po lontin, tsa kouo djuk'ô lindemouo. O la fye y oye
ma plu otsoba de le ninteya po notro vë.
Lou pan éfrejon bèlomin. Kan t'ayon tsobo
mo gran mère le z'otérève dyin lo mê,
in londzou, vun contro l'otru. Ocossève bian lo patëre,
in se méfian de dji lessa de ficle, o coso de lou
ra. Erusomin lou tsa èron tudzour étye o ruéta.
Lou set pan nou fojon douë semane. Le z'olèvan
kar vun opré l'otru. Lou prumé dzour èron
bou, crokèvon, chintyon bou. Vé lo fye de
lo segondo semano ère pa lo mémo. Oyon dyurche
è croutolevo. Ô prïntin couminsèvon
de muji. Lou doré croutou èron po le tche
; tsa kouo foje in pouo lo grimache po lou cotsa.
Fuquè coum'ékin djuk'in dye je nö sin
trinto, o pe prë. Mo gran mère vegne veille,
obandunè lo patëre è le four. Dunpë
yevrèran nôtro foreno ô boulondjé
que possève è qu'odjuje le pan tu fai è
tu fre. E pè tu bèllomin le four s'é
dédzatye, lé brique de lo vöto an ébouyo,
son couver s'ét'écroso. Öro y demouore
ma plu lo plache de lo porte, boutsa ô de brique.
Vetyo lo tristo fye de nôtron four.
(1)
Lo mê, lo patëre désignent le même
meuble : la huche à pain, la maie.
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Faire
le pain
Toutes les maisons du pays avaient un four, en ce temps-là.
Il dépassait derrière le bâtiment, avec
son toit couvert de tuiles rondes, qu'il fallait bien entretenir.
De l'autre côté il donnait sur le fournil : une
pièce où se faisaient la vaisselle, la pâtée
pour le bétail, avec la chaudière à cuire
les pommes de terre, l'âtre sous la cheminée
et la crémaillère. C'était important
le four ; pour moi c'était aussi un mystère
: qui sait ce qui se passait derrière cette petite
porte ?
C'était ma grand-mère qui faisait le pain, tous
les 15 jours. Nous étions sept, il fallait sept pains
de 5 à 6 kg. Il y avait deux opérations à
faire. Je ne sais plus par laquelle elle commençait.
Mais ce jour-là, il ne fallait pas aller l'embarrasser.
Il y avait le travail de la pâte à faire et à
pétrir. Elle commençait par mesurer sa farine,
par amener l'eau et le sel. Elle m'envoyait chercher le bol
de levain chez le voisin qui avait cuit son pain le dernier.
Et puis elle se mettait à mélanger tout ça,
à y délayer le levain et à y pétrir.
Quel travail ! Il lui fallait du temps et elle y prenait une
bonne suée.
Elle laissait bien lever la pâte le temps nécessaire.
Elle sortait une poignée de levain pour le voisin.
Elle allait chercher les sept corbeilles, les garnissait de
pâte et les laissait finir de lever sur la maie.
Pendant ce temps le four chauffait. Ma grand-mère l'avait
allumé de bonne heure avec des fagots de résineux.
Quand il avait bien pris, elle y passait des bûches
de fayard tant qu'il en fallait. Elle savait quand le four
serait à point en regardant vite de temps en temps
la voûte de brique, jusqu'à ce qu'elle soit de
telle couleur.
Quand le four et la pâte étaient à point,
elle ouvrait la porte pour sortir les braises et les cendres,
en faisant attention. Elle les mettait dans l'âtre ;
prenait cette sorte de grand balai à manche, pour nettoyer
le four.
Elle saisissait la grande pelle, prenait une corbeille, la
renversait dessus, et faisait des traits avec un couteau,
sur la pâte. Puis elle l'envoyait au fond du four. Il
ne fallait pas faire toucher les pains, et se dépêcher
pour ne pas laisser partir la chaleur du four.
Avant de fermer elle y mettait une miche, un pain pour les
enfants, parfois une tarte ou un pâté de pommes,
sans oublier un bon plat de pommes de terre au four qui régaleraient
tout le monde. Et puis elle fermait la porte avant de ranger
les corbeilles dans un coin.
Ca sentait bon l'odeur du pain en train de cuire. Il n'y avait
plus qu'à attendre le temps nécessaire. Je ne
me souviens plus combien. Ma grand-mère, elle, le savait.
Avant la fin, elle sortait ce qui était plus vite cuit.
Et quand arrivait le moment, elle ouvrait un peu la porte
pour regarder et sentir. Elle savait vite si le pain était
cuit ou pas.
Une fois la fournée cuite, il ne restait qu'à
la sortir du four. Elle reprenait la grande pelle, allait
chercher chaque pain l'un après l'autre. Elle l'amenait
doucement et le délestait d'un coup sec sur le couvercle
de la huche.
Ces pains craquaient, chauffaient, sentaient bon. C'était
plus fort que moi : si je me trouvais dans ses jupes, elle
me disait : " Sors-toi de là ! "
Ensuite il fallait laisser le four se refroidir. Il en avait
pour longtemps, parfois jusqu'au lendemain. A la fin, il ne
restait qu'à le nettoyer pour une autre fois.
Les pains refroidissaient lentement. Quand c'était
fini, ma grand-mère les rangeait dans la huche, en
longueur, l'un contre l'autre. Elle fermait bien la maie,
en se méfiant de ne pas laisser d'intervalle, à
cause des rats. Heureusement les chats étaient toujours
là à tourner.
Les sept pains nous duraient deux semaines. Nous allions les
chercher l'un après l'autre. Les premiers jours ils
étaient bons, ils craquaient, sentaient bon. Mais à
fin de la deuxième semaine c'était autre chose.
Ils avaient durci, la croûte s'était soulevée.
Au printemps, ils commençaient de moisir. Les derniers
croûtons étaient pour le chien ; parfois il faisait
un peu la grimace pour les croquer.
Ce
fut comme ça jusqu'en 1930, à peu près.
Ma grand-mère prenait de l'âge, elle abandonna
la maie et le four. Depuis nous livrâmes notre farine
au boulanger qui passait et qui amenait le pain tout fait
et tout frais. Et puis… tout doucement le four s'est
désagrégé, les briques de la voûte
se sont effondrées, le toit s'est écrasé.
Maintenant il ne reste plus que l'emplacement de la porte,
bouché avec des briques. Voilà la triste fin
de notre four.
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