Le pays de Saint-Bonnet,
tout près du Velay, a eu ses béates. Gachat, le hameau
d'Apinac, possède encore, tout près de la chapelle,
sa maison de la béate. Et le mot de béate, "la
biate" en patois, a encore un écho dans la mémoire
collective des gens de notre région.
Car elle est vraiment atypique, pittoresque et émouvante, cette
fille du peuple qui a les traits d'une simple femme de la campagne
et qui vit comme une religieuse. Elle ne prononce pas de vux
mais respecte fidèlement pauvreté, chasteté et
obéissance. Son costume, simple et digne, est celui de tous
et pourtant ressemble à celui de la sur.
Elle ne vit pas dans un couvent, sa communauté est l'assemblée
: les habitants du hameau qu'elle rassemble régulièrement
dans sa maison. Elle ne chante pas l'office mais enseigne le catéchisme
et fait réciter la prière. Elle seconde ainsi avec ferveur
le clergé local. La communauté du hameau, qui a bâti
sa maison, est allée la chercher au Puy. Et chacun, selon ses
moyens, prend en charge son entretien. Mais elle n'aura ni retraite
ni pension. Tant de générosité lui donne en retour
une vraie autorité, le respect et l'affection de tous.
Son couvent est
une maison semblable à celle des pauvres. Le seul ornement
en est un clocheton pour annoncer la classe, le cours de dentelle,
la prière. Car son logis sert aussi d'école, d'atelier,
de lieu de réunion. On peut toujours s'y rendre en cas de besoin.
Rien de ce qui concerne la vie quotidienne des gens du lieu ne laisse
la béate indifférente. Elle s'occupe des tout-petits,
instruit un peu les enfants, apprend la dentelle aux jeunes filles,
s'occupe des malades, habille et veille les morts. Toute l'année,
elle conseille et soutient les habitants des hameaux oubliés
du Velay quand souffle la burle
Notes
de lecture :
Voyage au pays des béates
Un beau livre édité chez De
Borée vient d'être consacré
aux béates par quatre auteurs vellaves : Auguste Rivet, Philippe
Moret, Pierre Burger et André Crémillieux, tous gens
érudits et connaissant parfaitement leur province.
Auguste Rivet,
retrace d'abord deux siècles de leur histoire. Elles apparurent
au 17e siècle dans le sillage de la Congrégation
des Dames de l'Instruction de l'Enfant-Jésus,
créée au Puy-en-Velay par Anne-Marie Martel. L'attachement
de la population fit qu'elles souffrirent peu de la Révolution.
Au 19e siècle, avec l'organisation progressive
de l'école par l'Etat, les autorités académiques
trouvèrent en Haute-Loire une situation particulière.
Il existait déjà une sorte d'enseignement, notamment
pour les filles, dans l'ensemble de la région. Cependant il
ne répondait pas aux normes. La béate savait mieux la
dentelle que l'orthographe. Le catéchisme et les prières
lui étaient plus familiers que l'histoire et la géographie.
Sa proximité du peuple et son bon sens remplaçaient
les diplômes.
Mais elle ne coûtait rien à l'Etat.
Les pauvres pouvaient compter sur elle. Et, contrairement à
beaucoup d'autres lieux, la plupart des femmes du Velay, savaient
lire et parler un bon français. La béate s'effaça
progressivement pour laisser la place à l'institutrice.
Bien
sûr, de beaux esprits trouvèrent intelligent de se moquer
d'elles. Philippe Moret, dans une remarquable deuxième partie
intitulée L'inspecteur et la béate, a cherché,
lui, à les comprendre. En s'appuyant sur les rapports officiels
des inspecteurs de Jules Ferry, il montre qu'il y a eu un véritable
"choc des cultures" (c'est son expression), entre le Monsieur
à redingote et lorgnon qui venait de la ville et la maîtresse
du hameau portant la coiffe et la croix d'argent. L'administration
hésite longtemps. Il y a eu parfois bienveillance, tolérance,
souvent dédain et même un peu de persécution.
La distance est toujours restée. Finalement les béates
ont été évincées du service de l'enseignement.
Philippe Moret se pose la question : "Elles-mêmes,
souhaitaient-elle y être intégrées, enrégimentées
?"
Au chapitre suivant André Crémilleux va à la
rencontre de la béate. "Il faut
chercher la béate, il faut l'aborder et sa maison aussi, l'assemblée,
sur la pointe des pieds, sans faire de bruit
" écrit-il.
Il a, en effet, parcouru la Haute-Loire, dans ses moindres hameaux,
à la recherche de la maison au frêle campanile.
Il nous présente
la béate, dans ses meubles, dans la salle d'assemblée,
entre l'horloge et la statuette de la Vierge. Le carreau à
dentelle et les fuseaux ne sont pas loin. C'est la partie la plus
pittoresque et, disons-le, la plus émouvante de l'ouvrage.
Les illustrations, pleines de poésie et très abondantes,
sont dues au talent et aux recherches d'André Crémillieux.
Enfin,
en annexe, figurent une série de documents : rapports officiels,
articles, extraits de roman qui ont nourri les controverses au temps
où Jules Ferry parlait des béates devant Messieurs
les parlementaires.
Les auteurs parlent des béates avec tendresse
et humour, des belles qualités qui étaient les leurs
: abnégation, fidélité, modestie. Et surtout
ils insistent sur leur rôle méconnu et les difficultés
qu'elles ont rencontrées. Plus qu'une réhabilitation,
le Voyage au pays des Béates est une véritable
reconnaissance pour le travail accompli. Peut-être même
s'agit-il d'un hommage ?
Les auteurs du Voyage
au pays des Béates
Auguste
Rivet, ancien professeur au lycée
du Puy et ancien maître de conférence à l'université
de Saint-Etienne, docteur ès lettres, responsable du Centre
culturel départemental de Haute-Loire.
Philippe Moret a commencé sa carrière
professionnelle à l'Ecole normale supérieure et l'a
terminée à l'inspection générale de l'Education
nationale, historien du Velay, président de la société
d'histoire de Monistrol.
Pierre Burger, photographe illustrateur d'ouvrages sur l'art
religieux.
André Crémillieux, retraité
de l'enseignement, s'intéresse notamment à l'ethnologie
régionale, animateur du musée des Arts et Traditions
Populaires du Monastier-sur-Gazeille.