La
vieille marchande d'allumettes
et le gendarme
Les allumettes.
Une belle trouvaille ! Depuis le temps de "La Guerre du Feu"
les hommes ont cherché un moyen commode d'allumer et de porter
la précieuse flamme. La foudre ne tombe pas chaque jour, grâce
à Dieu. Ce fut donc une préoccupation quotidienne. Car
même avec de l'amadou bien sec, il faut battre longtemps le briquet.
Rappelons-nous Pierrot qui est au clair de lune, dont la chandelle et
morte et qui n'a plus de feu.
Phosphore blanc ou phosphore rouge
On utilisa d'abord des bûchettes, les chènevottes,
dont le bout était trempé dans du soufre fondu. Elles
ne s'enflammaient qu'au contact du feu. En 1809, arrivent les allumettes
chimiques qui utilisent de l'acide sulfurique. Pas très commode
! En 1831, un certain Charles
Sauria, collégien à Dôle
(Jura) invente les allumettes phosphoriques.
Très bien, mais le phosphore blanc est trop inflammable. On le
remplace, sur le frottoir, par du phosphore rouge. L'allumette devient
enfin pratique. Elle est presque indispensable aux fumeurs. Belle occasion
pour l'associer au tabac et la taxer !
La loi du 2 août 1872
impose le monopole de l'Etat pour la fabrication et la vente des allumettes
chimiques. Aussitôt naît une production clandestine. De
petits trafiquants se procurent du soufre et du phosphore. De petits
blocs de bois tendre fendus sur une partie de leur longueur sont trempés
dans différents bains. Les allumettes ne sont détachées
qu'au moment de l'utilisation.
Chasseur de taupes
et marchand d'allumettes
Ils fabriquent, tant bien que mal, des allumettes
un peu rustiques. Plutôt bien d'ailleurs car elles sont réputées
de meilleure qualité que celles de la Régie.
Elles s'enflamment même trop vite. Le paquet entier peut brûler
d'un seul coup si le dosage n'est pas bon !
Des colporteurs proposent leur marchandise dans la
campagne. L'abbé Jean Canard, l'historien
du Roannais, se souvient d'un individu nommé Morel,
originaire de Montbrison, qui passait,
chez lui, à Saint-Romain-d'Urfé,
dans les années 1920 :
"Officiellement, il
vendait de la mort aux rats et divers produits empoisonnés pour
se débarrasser aussi bien des petits rongeurs : souris, mulots
que des taupes, cafards, cloportes, limaces
Mais tous ses clients
savaient qu'on pouvait aussi lui demander des allumettes de contrebande".
Pas de pitié
pour la veuve Aufray !
Ce trafic était souvent le fait de petites
gens. Il ne rapportait que quelques sous et n'était pas sans
risques. Ainsi, en novembre 1908, à
Montbrison, le gendarme Mercier prend en
flagrant délit de colportage d'allumettes de contrebande la nommée
Marie Pitelet, veuve Aufray,
une habitante de Moingt.
Cette femme âgée de 77 ans est sans
profession. A n'en pas douter, c'est l'indigence qui lui fait pratiquer
ce commerce risqué. Qu'importe, il y a la loi. Pas de pitié
! Le gendarme verbalise. Pire, la bonne vieille va en prison "en
attendant qu'une solution soit donnée, par l'administration des
contributions indirectes, à son offre de transaction"
comme le relate "l'Avenir Montbrisonnais". Pour un
tel crime, elle risque une amende de 300 à 1 000 F et de 6 jours
à 6 mois de prison ! On ne sait comment finit son affaire.
Depuis, beaucoup d'autres manières
de faire du feu sont apparues. L'allumette a perdu de son importance.
Au début des années 1990
le monopole de l'Etat est tombé. En 1995,
la Société d'Exploitation Industrielle
des Tabacs et Allumettes (la SEITA) a même été
privatisée. Mais on peut encore la craquer, la petite allumette
familière. Elle est plus poétique que le briquet à
gaz. Elle seule convient vraiment pour allumer une bougie. Ou, mieux
encore, un cierge.