Les vieilles coutumes ont disparu.
C'est le cas de la plupart de celles qui entouraient la fête
de Pâques. Il y a un siècle, le temps pascal était
fortement marqué tant sur le plan religieux que sur le plan
civil et économique. Fête du printemps avec l'abandon
traditionnel de la tenue d'hiver pour celle des beaux jours. Le
chapeau de paille réapparaît. Surtout, le temps est
faste pour le commerce après les pénitences de carême
! Seuls les poissonniers font grise mine.
A Montbrison, pour préparer
Pâques, un usage immémorial voulait que les devantures
soient décorées pour le Jeudi
Saint. C'était, d'une certaine façon, un contrepoint
aux festivités de Noël et de fin d'année. En
1904, le journal local " l'Avenir
montbrisonnais ", consacre un reportage à
l'aspect mercantile des fêtes pascales. La " Tupinerie
", le principal axe commerçant de la ville,
est tout particulièrement concernée.
Bazar Dupayrat : " Au bonheur
des dames"
Les magasins de tissus ont la vedette, surtout celui de M. Brun
: " L'il ébloui ne sait
qu'admirer le plus
des soieries Pompidour, de toutes teintes,
rosées, mauves, vertes, bleu tendre, avec d'éblouissantes
théories de fleurs fantaisie, ou des Louisines brochées
dont les jours délicats et les teintes liliales ou rosées
doivent fournir de délicieux corsages aux transparences discrètes
". Et le chroniqueur, charmé et lyrique, cite encore
les plumetis de Tarare, les étamines de Saint-Quentin. Il
évoque même Pierre Loti et
ses " mousmés ".
Nous sommes presque au grand bazar d'Istanbul
Quant à Gonnard, le concurrent
de Brun, il tente de rivaliser en installant
une " scène vivante "
avec ses mannequins !
Le bazar Dupayrat (devenu plus
tard " Les Galeries Modernes
") a mis tous les articles dehors. C'est comme au " Bonheur
des Dames " cher à Emile Zola.
Plusieurs cordonniers montrent des chaussures dignes "d'ambassadeurs
ou de reines", pas moins ! Notons encore parmi les
commerces remarqués, deux enseignes réputées
: " la Belle Jardinière
" et la " Ville de Lyon
". Pour la confiserie, MM. Cour,
Buffaz et Motte
ont déployé leurs talents : des trésors de
gourmandise, dit-on. Le bijoutier Morel
a sorti tout ce qui brille.
Dernière promenade des
bufs gras
Cependant la palme revient aux bouchers et aux charcutiers.
Le mercredi et le jeudi saint, ils ont promené des bufs
gras fleuris et enrubannés à travers la ville : "de
superbes bêtes, holocaustes prochains des fêtes de Pâques".
Coutume ancienne, semble-t-il, qui perdure encore à Montbrison
au début du 20e siècle. La "Boucherie
forézienne" de M. Garnier présente
à sa devanture deux bufs entiers entourés de
trois veaux superbes, de moutons et d'agneaux. Le tout décoré
de feuillages et de fleurs. On cite encore Bordet,
Chauve, Plassard,
Giraud
Pâques est un jour
béni pour la profession ! Dans nombre de familles, pour une
fois, de " la viande" paraît à table. Le
"cul de veau" remplace le
poisson ou l'habituelle cochonnaille.
Le reportage se termine sur une note moins gaie. M. Cheuzeville,
marbrier au 37, rue Martin-Bernard,
présente son chef-d'uvre. Un monument funéraire
! Le buste en marbre d'un notable, M. Crépet,
huissier, maire de Saint-Georges-Haute-Ville,
un travail paraît-il remarquable. Tout à fait semblable
à la photo du défunt ! Au-dessous, le sculpteur a
aussi réalisé "une pleureuse,
agenouillée d'une expression saisissante pour symboliser
la famille éplorée". Curieuse conclusion
pour célébrer la joie pascale !
Retenons surtout que Montbrison est un centre commercial
actif. La ville est petite mais possède, tout comme aujourd'hui,
un centre-ville bien achalandé. Et la ville est le rendez-vous
obligé, pour emplettes, de tout le pays montbrisonnais.
(Joseph Barou)