Juillet 1794, la Terreur règne sur tout
le pays. Et jusqu'au fond des campagnes. Le 17 messidor de l'an
II (5 juillet 1794) l'agent national de Montbrison monte une expédition
pour arrêter un suspect. Sur dénonciation, sans doute,
car le but est précis.
Expédition nocturne
au Fay
Il faut arrêter Claude
Cogniasse, prêtre réfractaire, qui se cache
au Fay, hameau de Lérigneux.
Rousset
et Catton du comité révolutionnaire
de Montbrison, le citoyen Phalipon
avec quinze gardes nationaux et des gendarmes se mettent en route.
La troupe part de Montbrison
à 9 heures du soir. Elle arrive au Fay, "sur
les 2 heures après minuit." La maison Goure-Défarges
est cernée. Tout apeurée, une femme vient ouvrir.
Cette nuit-là, Agathe Défarges,
51 ans, femme de Martin Goure, est
seule au logis. Elle est questionnée. Y a-t-il chez elle
un prêtre réfractaire ou un étranger ? Elle
dit que non. Mais, à l'instant même, "un
homme pieds nus, gros et gras, vêtu d'une culotte noire et
d'une veste brune ou noire " sort de la grange,
bouscule les gardes nationaux et disparaît dans la nuit. C'est
Claude Cogniasse !
Dépitée, la troupe fouille la maison. Il y a des objets
compromettants : une paire de souliers, du linge avec les initiales
C.C., et surtout, deux bréviaires. Il faut des explications.
La maîtresse de maison déclare qu'elle a acheté
ces objets à un marchand inconnu au marché de Montbrison.
Elle ajoute que son mari travaille comme journalier à la
moisson chez un nommé Cogniasse
à Curtieux, près
de Montbrison. Et elle prétend
qu'il n'y avait personne chez elle. Agathe
Défarges est arrêtée, les objets saisis.
Arrestation à Curtieu
Le lendemain, Catton
et sa garde vont à Curtieux,
chez Cogniasse. Les moissonneurs sont
dans un champ près de Champdieu.
Martin Goure est là. Interrogé,
le malheureux déclare que l'étranger abrité
sous son toit est Claude Cogniasse,
un parent de sa femme. Après cette naïve déclaration,
il est conduit en prison. Le soir même, l'agent national Raymond
interroge les époux. Il se sert de leurs contradictions.
Agathe Défarges avoue que Cogniasse,
de Curtieu, est son beau-frère.
Mais elle dit ne pas savoir qui est Claude
Cogniasse. Son mari, devenu plus prudent, n'ajoute rien.
Il n'a jamais cherché à savoir le nom de son hôte,
ni quel était son état.
Les souliers constituent un indice sérieux. Ils sont rares
à la campagne où tout le monde porte des sabots. Ils
ne peuvent appartenir qu'à une personne d'une autre condition.
Les bréviaires sont encore plus compromettants. Selon les
époux, ils ont été achetés pour les
enfants. Agathe en a eu neuf d'un premier
mariage. Un de ses fils s'en est servi pour apprendre à lire
l'hiver précédent. Où mangeait l'étranger
? "A la grange ",
répond l'épouse. "A
la maison, au coin du feu ", dit le mari. Là
encore il s'agit d'une divergence significative : si l'hôte
prend ses repas à la grange c'est un vagabond de passage
hébergé par charité, s'il mange auprès
de l'âtre, dans la cuisine, il s'agit d'un invité bien
connu, parent ou ami.
Devant le tribunal
révolutionnaire de Feurs
Les époux Goure-Défarges
sont transférés à Feurs,
siège du Tribunal criminel du département. Le 28
messidor, ils sont interrogés
par le président Jean Bourgeois.
Martin Goure et Agathe
Défarges se défendent avec maladresse. La procédure
est expéditive. Reconnus coupables d'avoir caché un
prêtre réfractaire, ils sont condamnés à
mort le 16 thermidor. Huit jours plus
tôt, le 9 thermidor, la chute
de Robespierre annonce une réaction
contre le régime sanguinaire de la
Terreur. Mais le mouvement n'a pas encore atteint le Forez.
Le tribunal de Feurs, très antireligieux,
est intraitable. Les époux sont exécutés. Leur
sort frappa vivement la population de Lérigneux. Gens pauvres
et sans malice, Agathe et Martin étaient seulement coupables
d'avoir été hospitaliers
Et, sans doute, ils
n'avaient pas compris grand chose aux remous qui agitaient alors
le pays.