Patois vivant


Madone du Pic de la Roue (Essertines)

 

Régis Poyet

enregistrée par Jean-Baptiste et Marie Chèze

pour une veillée du groupe Patois Vivant dans les années 1980
au Centre social de Montbrison, rue de Clercs


(patois de Chazelles-sur-Lavieu)


Le tailleur de pierre

pour écouter cliquer ci-dessous

(4 min)

Régis Poyet, né à Chazelles-sur-Lavieu fut un simple maçon mais cet artisan laborieux excellait à travailler la pierre. Il a sculpté des croix et quelques statues de la Vierge, notamment la Vierge du Pic de la Roue à Essertines. En 1979, alors qu'il a 74 ans, il parle en patois de son métier à Jean-Baptiste et Marie Chèze :

Mon père travaillait la pierre,
et moi j'allais aussi pour l'aider
et apprendre en même temps.
Mais comme il faisait froid en hiver
à 900 mètres d'altitude,
je me suis plaint à ma mère
que j'avais trop froid.
Et ils ont décidé de me faire apprendre
à fabriquer des sabots,
les trois mois d'hiver...

Mais c'était surtout la pierre
qui me plaisait.
J'aimais la travailler.
Je ne me contentais pas
de la faire "marcher"
mais de la faire "parler"...

Pour faire cette Vierge,
il faut commencer
par le nez, les yeux.
Mais il faut trouver une pierre
qui convienne.
Alors je suis allé voir
dans les carrières,
je n'ai pas trouvé.
Et puis je me suis rappelé
qu'il y en avait une à Bard.

La pierre de la Vierge d'Essertines
pèse 750 kg, finie, taillée,
Elle est toute en granit.
C'est un ancien linteau
de porte de grange.
Elle a 2,40 m au-dessus du socle,
et le petit bénitier qu'il y a,
je l'ai trouvé
dans une carrière de pierre noire.

J'ai 74 ans, j'ai commencé en 1921
à travailler la pierre.
J'ai fait la Vierge d'Essertines,
celle de Valensanges.
J'en ai fait une pour Verrières,
sous la cure.
J'ai fait l'autel de Chazelles,
le bénitier.
J'ai fait des croix, une dizaine.
La dernière, j'y ai travaillé plus d'un an,
mais maintenant
je n'en peux plus,
je suis au bout,
il me faut une canne
pour marcher.

Propos de Régis Poyet interrogé par Marie Chèze-Fay en 1979, Patois Vivant, n° 14, juin 1984

[Tous nos remerciements vont à Mme Marie Chèze qui nous a transmis cet enregistrement]


dessin d'Andrée Liaud-Barou,
Patois Vivant, n° 14, juin 1984

Les statues de plein vent de Régis Poyet

                                                                            Monique Damon-Bonnefond

Là-haut, dans cette montagne à vaches où les vents coulis prennent à rebrousse-poil les feuilles argentées des peupliers et où les chemins de terre deviennent, suivant la saison, glace ou cloaque, le granit est pierre de bâtisseur.

Toutes les maisons qui cousinent autour des rues étroites, portent la marque de la truelle familière et des burins tranquilles qui ont taillé la roche dure. Les têtes aussi sont de granit, solides et peu enclines à mollir sous les coups et les grandes peurs. Plus l'âge est avancé, plus la cervelle est de bon sens, et souvent narquoise. La pierre grenue de l'habitat est, ici, symbole : les caractères n'ont rien de lisse. Leur rugosité est signe de tempérament.

Régis Poyet est enfant de ce pays-frontière qui trouve racines dans l'Auvergne proche et découvre, au pointu de ses bois, toute l'immense plaine des "ventres jaunes" (1). Le vieil artisan a vécu de pierre, par sa parenté maçonne. Au 24 août de l'année 1905, il naquit à Chazelles-sur-Lavieu, d'un père, surnommé Rambaud, et d'une mère qui comptait sur la truelle conjugale pour faire vivre la maisonnée.

Le premier écu d'or

Régis parle de ses premières années avec un rire dans son œil de genièvre :

On n'était pas riche. A 8 ans, j'ai été loué berger. J'y suis resté quatre mois, et le maître m'avait payé d'un louis d'or. Le seul que je n'aie jamais eu de ma vie. Mes parents l'ont utilisé. Ils en avaient besoin.

"Placé" chez des paysans jusqu'en 1921, et apprenant la Gaule et les Gaulois entre la Toussaint et Pâques, Régis fit comme tous les galopins de son âge et de sa génération : il prit le métier de son père, le beau métier de tailleur de pierre.

Mais, comme l'hiver on ne pouvait pas faire grand-chose à cause du froid, en 1922 et 23, mon père m'a envoyé apprendre à faire des sabots.

Un silence, puis, avec la simplicité de la constatation évidente :

Mais le bois, ce n'était pas pour moi. J'aimais mieux le granit.

Dans la petite cuisine, mitoyenne de son atelier où m'a accueillie le septuagénaire, une belle cheminée aux corbeaux arrondis domine le fourneau :

Je l'ai faite il y a bien vingt ans. Maintenant, je fabrique des cendriers.

Et tel un oiseau dans la main du magicien, la petite conque de pierre jaillit au bout des doigts de l'artisan.

Depuis que le médecin m'a dit qu'il ne fallait plus tant travailler, je taille ces petites choses mais j'ai acheté un compresseur électrique, il y a un an, pour ébaucher et je finis à la main.

Un autre long silence, puis Régis Poyet a un bref soupir :

Mon bras est usé, vous comprenez. Pendant cinquante ans, il a levé la massette.

La naissance d'un don

II avait déjà construit de nombreuses maisons, le maçon Poyet, édifié de beaux murs de granit, utilisé mille fois son fil à plomb, lorsqu'il découvrit son talent caché. Il conte l'affaire comme une histoire dont il a été acteur et spectateur tout à la fois :

J'étais à l'échelle. Un de mes hommes allait casser une pierre qui était belle. Je l'ai arrêté en lui disant : "Malheureux, tu ne vois pas que cette pierre est sculptée". C'était une Vierge. J'ai voulu la photographier parce qu'elle était vraiment superbe. Le propriétaire a refusé. Il y a eu une mission dans le pays. On nous a donné des images. C'était la même Vierge. Et je me suis dit : "Pourquoi est-ce que tu ne la sculpterais pas, toi aussi". C'est comme ça que c'est parti. J'ai tellement travaillé dans mon atelier, qu'à minuit, ma femme était obligée de venir me tirer de là en me disant : "Il faudra te lever demain".

C'est ainsi qu'est née la première sculpture de Régis Poyet, de Chazelles-sur-Lavieu : Notre-Dame-des-Champs, que chacun peut aller voir à la porte de la cure de Verrières.

Je crois
, dit humblement le paisible artiste, que j'ai le don. J'ai aimé sculpter. A partir de là, on est venu me chercher pour beaucoup d'autres statues.

Au soleil levant

Et les pierres d'autel (celle de l'église de son village, chapeautée d'une pierre meulière), et des rénovations de vieilles chapelles, de chœurs romans, de croix abîmées que ses mains créatrices remodelaient à la façon de ses anciens, ceux du grand Moyen Age.

Mais la fierté de cet homme simple, c'est la statue de plein vent qu'il a édifiée, pour la paroisse d'Essertines-en-ChâteIneuf. Il a mis 258 heures pour élaborer son chef-d'œuvre, à partir d'un bloc de granit trouvé sur les terres du maire de Bard :

Et qui me l'a donné sur- le-champ. Nous l'avons hissé sur un char et, après, j'ai pris ma massette et mes burins. Le jour de l'inauguration, il y avait beaucoup de monde.

- Vous étiez fier de vous ?

Coup d'épaule de dénégation.

- Pas fier, oh ! non, mais content d'avoir réussi mon travail.

Puis sur un ton confidentiel, l'artisan me suggère :

Allez donc la voir à Essertines. Elle est surtout belle, le matin, au soleil levant qui l'éclaire bien. Le soir, avec l'ombre, on ne peut pas bien voir son visage.

C'est gravé dans ma tête

Un jour, un archiprêtre ou un monseigneur n'a pas fait plaisir au tailleur de pierre. En visite à Chazelles, cette notabilité ecclésiastique a déclaré, après avoir franchi le magnifique porche roman de l'édifice : Il est sommaire votre autel.

La petite phrase pincée est entrée dans la tête de granit de Régis. II est revenu chez lui, a médité quelques jours, puis il a pris son bâton de pèlerin et a abouti chez les sœurs Sainte-Claire à Montbrison. Dans leur chapelle, il a relevé le modèle très pur de l'autel.

Mais sans le recopier, m'explique l'hôte avec noblesse. Je l'ai bien regardé, je l'ai bien étudié. Une fois que c'est gravé dans ma tête je n'oublie rien. Je suis revenu et j'ai fait l'autel…

Une pause : Il n'était plus sommaire.

Et là, un rire à la Colas Breugnon qui en voulait dire long à l'adresse de M. l'archiprêtre ou de monseigneur qu'on respecte sans flagornerie.

J'ai fait aussi le bénitier de l'église. Mais je n'ai pas voulu me faire payer pour ces deux sculptures. C'est pour mon pays.

Son pays ! Il l'aime, Régis Poyet, dit Rambaud, comme il en apprécie les habitants.

Vous pouvez le dire. Ici tout le monde est gentil pour moi. Surtout depuis que j'ai perdu ma femme.

La voix est soudain moins assurée et Régis me montre la photo de Claudia Granet qu'il épousa le 12 janvier 1928 et qui lui donna trois filles.

Maintenant, j'ai 10 petits-enfants et bientôt six arrière-petits-enfants. Venez voir. Venez avec moi.

Telle qu'elle-même

Mon hôte me fait sortir dans la rue où circule l'air gelé de l'après hiver et de l'avant printemps. Dans l'atelier, les burins et la massette sont éclairés par une verrière ouverte au ciel forézien. Un oiseau vient y lustrer ses ailes. Régis Poyet m'entraîne vers un beau granit qu'il a déjà sculpté sur une face :

Je fais cette croix pour mes petits-enfants. En souvenir de leur pépé. Je vais doucement, parce que mon bras usé me fait mal. Mais je veux la finir pour eux.

La main experte suit les chemins creusés par l'outil sur la roche grenue. Heureux petits-enfants pour qui, dans sa solitude que n'occulte pas la solidarité ambiante, un grand-père bâtisseur se met encore à genoux.

L'artisan me montre aussi le chariot sur lequel il transporte ses blocs et tout le matériau dont il fera jaillir l'âme emprisonnée :

Parce qu'il faut que vous sachiez, me chuchote de sa voix égale le dernier tailleur-sculpteur des montagnes du soir, que si le granit, après des millénaires, peut s'effriter à l'extérieur, à l'intérieur, la pierre reste telle qu'elle a toujours été.

Comme le cœur d'un vieux montagnard dont les cheveux ont pu prendre la couleur de "l'œillet blanc", mais qui a gardé, intact, l'amour transmis, jadis, par un simple maçon aux mains pétrifiées.

                                                                                                Monique Damon-Bonnefond

(1) Surnom donné, jadis, aux habitants de la plaine du Forez.

Cet article a été publié le 20 mars 1978, dans La Tribune-Le Progrès, nous le reproduisons, avec l'aimable autorisation de l'auteur que nous remercions vivement, en hommage à M. Régis Poyet, disparu il y a peu de temps [extrait de Patois Vivant n° 14, juin 1984]

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