(J-P
C) Oh Jean Ayel, qu'est-ce que tu dis,
que dit Jean Ayel ?
(J A) Moi, eh bien moi, je suis né le 23/01/1923 à
Luriecq. Et puis, à trois ans, je perdis ma mère.
Oui, oui.
(J-P C) Trois ans, oh !
(J A) J'avais trois ans. J'étais assez turbulent et ma
grand-mère ne pouvait pas tellement me ''tenir''. Et puis,
il y avait autre chose, c'est que je cherchais ma mère
partout… Alors quand ils virent cela, ils me mirent, mon
père me mit en pension chez une tante à Feurs, et
tout de suite, j'étais en pension chez un oncle, un frère
de ma mère, et ma tante faisait des ménages, elle
me mit chez des religieuses qui s'occupaient de gamins comme ça,
mais qui nous apprenaient aussi, et puis après je rentrai
à l'école en maternelle, mais à cinq ans
je savais lire, à cinq ans je savais lire. Et puis après,
à sept ans et demi, mon père alla me chercher et
me ramena à la maison, il y avait ma grand-mère.
Mais ma grand-mère, ma grand-mère mourut six mois
après, ce qui fait que nous nous trouvions tout seuls avec
mon père et puis c'est bon. Alors moi ici, après,
j'allais à l'école à Luriecq. J'avais deux
itinéraires pour y aller, ou par les Baraques ou par Boron.
(G C) Sûrement…
(J A) C'était comme ça m'accordait le mieux.
(J-P C) Sûrement…
(J A) Mais, l'hiver mon père a dû parfois venir me
chercher, je filais le matin qu'il faisait bien beau, mais en
face de Boron, vers les Baraques, c'est que de la neige à
ne pas pouvoir passer.
(J-P C) Des congères ?
(J A) Oui oh ! la ! Et puis après, pour aller à
l'école, il avait des molletières de l'armée,
il me mettait des molletières aux jambes. Nous avions des
galoches hautes, à l'époque, ce n'était pas
des souliers, ni des bottes, encore moins.
Et puis c'est bon, quand j'eus deux trois ans après, notre
affaire s'est vendue. Et moi, je me suis loué à
droite et à gauche, et puis en 1937, le 3 janvier, j'allai
à Aboën et je restai loué quinze ans dans la
même maison, et puis quand je me suis marié, je suis
resté quinze ans fermier pour la même personne. Et
puis la femme… ce n'était pas bien loin, il n'y avait
qu'à sauter le mur pour y aller.
(J-P C) C'était bien commode.
(J A) Je n'ai pas tellement usé de souliers. Nous nous
mariâmes en 52.
(J-P C) 52. (J A) Cela fait 59 ans.
(J-P C) Eh oui !
(J A) Et puis, entre-temps, à vingt ans, il fallut filer
dans les fameux Chantiers de jeunesse.
(J-P C) Où c'est que tu étais ?
(J A) J'étais à Tronçais dans l'Allier, au
1 et au groupe 3 de Foucauld. Alors je fis un peu de tout, je
fis le façonnage qu'ils appelaient, je fis de l'abattage…
(J-P C) C'était Furioux ?
(J A) Et surtout le charbon de bois, je fis surtout le charbon
de bois. Ici, il m'en arriva une belle, parce que j'étais
chef d'équipe et je m'occupais de l'équipe de la
carbonisation. Et puis nous avions un dépôt pour
mettre les charbons de bois, et puis je me suis dit que font-ils,
ils restent bien, il est arrivé quelque chose. Et ils nous
avaient gonflés que le charbon de bois que nous faisions
c'était pour chauffer le monde à Montluçon.
Alors, moi je vis passer un gros camion, mais je ne fis pas attention,
je monte au dépôt, c'étaient tous des ''verts
de gris'' qui y étaient dedans.
(J-P C) Ah oui, oh ben alors !
(J A) Non de non ! Je redescendis à toute vitesse, en colère,
j'arrivai, parce qu'il y avait le concassage, alors c'était
le charbon de bois qu'on concassait et mettait en sacs, je leur
ai crié : reculez-vous tous, mais en français bien
sûr, reculez-vous tous, il y avait une grosse pelle en fer,
de toutes mes forces, je l'envoyai dans les transmissions. Alors,
il n'y a pas besoin de demander ce que cela fit, ça commença
par casser toutes les courroies et puis ça avait tout déréglé
le maté… oui. Il fallait du charbon pour le soir.
Et puis je dis, leur charbon, ils pourront se l'attendre
(J-P C) C'étaient les Allemands qui venaient le chercher
?
(J A) C'étaient les Allemands qui le voulaient. Et puis
je dis, attends que, ils pourront l'attendre un moment leur charbon.
Et puis ce n'est pas tout ça, après il y avait des
régleurs pour le chauffage pour les fours, ils s'occupaient
de régler la terre autour. Et moi sans faire cas de rien,
nous n'avions que des sabots car c'était défendu
de porter des souliers, quand nous montions sur les fours, ça
ramollissait les semelles et les clous tombaient, alors on n'avait
que des sabots. Avec la pointe de mon sabot, j'ai fait une toute
petite raie dans la terre. Alors les fours, ça leur faisait
une petite entrée d'air, et le lendemain quand on les ouvrait,
la moitié était de cendre, c'était du sabotage.
Mais deux jours après c'est pas tout ça, arriva
un camion d'Allemands, ils se mirent en position, il y avait deux
rangées de baraques, ils nous firent aligner une rangée
de chaque côté et un fusil mitrailleur en batterie
devant chacune et puis le… il y avait un chef quoi, un Allemand,
il donna un coup d'œil et vint tout de suite vers moi, il
me fit, il me dit de faire voir la baraque, il voulait voir s'il
n'y avait pas des armes, et puis c'est bon, ce n'est pas tout
ça, mais je marchais , il y en avait un qui me tenait le
canon du fusil dans les reins. Je passai du côté
de nos outils, et il me fit ''Halt hier'', halte ici, quand il
vit tous ces outils, il avait peur que je prenne une hache et
que je lui en donne un coup sur le nez, bien sûr. Je ne
l'aurais pas fait parce que, ce n'est pas que l'envie m'en manquait,
remarquez, mais c'est que je faisais tuer tous les autres, je
faisais tuer tous les autres. Parce que, quand on voit qu'il y
a deux fusils mitrailleurs en batterie, ça donne à
réfléchir quand-même.
Et puis c'est bon, le soir, il y eut un camarade, il me dit, mais
il te faut filer, tu ne vois pas que tu es repéré,
parce qu'il y avait d'autres chefs d'équipe, pourquoi il
[l'Allemand] est venu tout de suite vers toi, me dit-il. Tu es
repéré, il te faut filer d'ici, il me dit.
Et en effet le lendemain je me suis fait porter malade et je rentrai
à l'infirmerie de Tronçais. Et on filait de ça
avec de faux ordres de mission parce que, à l'époque,
dans la forêt de Tronçais, c'était interdit
d'avoir des lignes électriques, alors notre électricité
c'était une petite loco à vapeur qui faisait tourner
une dynamo. Alors mon ordre de mission, j'étais chargé
d'aller chercher de l'huile pour la machine. Et c'est un Chanut
de Saint-Thomas-la-Garde, il avait fait le tampon du groupement
dans une pomme de terre avec une lame de rasoir.
(J-P C) Ah oui ! ça se peut bien, il était tamponné.
(J A) Mais c'est que je n'étais pas fier, c'est que vous
vous rendez pas compte, c'est que quelques jours avant, il y en
avait deux qui s'étaient évadés, et puis
deux chefs de Tronçais les firent prendre par la Gestapo
en gare de Montluçon. Parce que nous, nous prenions le
train à Urçay et nous allions à Montluçon
après pour prendre Saint-Germain-des-Fossés.
(J-P C) C'était quelle saison ça, 43 ?
(J A) C'était en 43, mais ce qui se passait, c'était
en 44.
(J-P C) C'était la fin des chantiers.
(J A) Les chantiers étaient dissous le 24 ou le 27 juin.
Et ils nous mirent STO, maintenus sur place, maintenus sur place
; autrement on devait filer au camp d'Avord à Bourges qui
était bombardé tous les jours. Et nous restâmes
ici, c'est le commandant des Eaux et Forêts qui nous demanda
et demanda que nous restions. Et puis après, on a foutu
le camp, quelques jours après.
(J-P C) Tu revins à Aboën ? C'était le colonel
Furioux qui était le chef ?
(J A) Oui Furioux ou Furiux,
(J-P C) Tu l'as connu ?
(J A) Oui oui, mais nous, c'était plus le commandant Roy,
mais Furioux.
(J-P C) Il était venu en Allemagne, chez nous, Furioux.
(J A) Et justement, il revenait d'Allemagne, et le jour où
il revint d'Allemagne, il vint à Tronçais. On lui
avait dédié un chêne, à lui, le chêne
Pétain, non le chêne Colonel Furioux !
C'est nous le groupe 3 qui fûmes chargés de rendre
les honneurs.
(J-P C) Ce Furioux nous vint voir, il fut envoyé en Allemagne,
Furioux, pour s'occuper des STO, de nous. Alors, il était
allé à Vienne, et à Vienne, il s'était
fait chahuter, il s'était fait siffler, il s'était
fait huer, et chez nous à Auschwitz
[Bergeron : pour l'usine IG Farben, à côté
du camp de concentration-extermination]
on s'était dit, on va lui faire le même coup
[...] on
était tous rassemblés à la maison, à
la salle du camp, il y avait les Allemands et lui qui arrivèrent,
il arriva et fit péter un coup de poing sur la table :
''Je ne suis pas venu ici parce que j'aime l'Allemagne, je suis
venu ici parce que j'aime les Français qui m'ont dit ce
qu'ils faisaient. Je leur ai dit aux Allemands, je ne vous dirai
pas tout ce que je pense, mais ce que je vous dis, je le pense."
Ouh ! Et puis la radio anglaise eut le tort d'annoncer qu'elle
était bien contente que Furioux soit en Allemagne et huit
jours après les Allemands le passèrent dehors. Ouh,
c'était un dur Furioux !
(J A) Et pour en revenir à cela, quand nous étions
réunis autour du drapeau, il nous dit qu'il revenait d'Allemagne
et nous dit : ''Les gars des chantiers qui sont là-bas
nous ont dit, Colonel, Tronçais c'était le paradis.''
A comparer de… Et puis il y a une chose, je ne sais pas si
vous l'avez sue, qui lui était arrivée, il y avait
une commission d'armistice qui visitait tous les groupes et lui,
bien sûr, il était obligé d'y être quand
ils venaient, et il y eut un jour, ça se passait au groupe
3, ils nous le dirent mais il y avait un livre sur lequel ça
y est, et il y eut un officier allemand de la commission d'armistice
qui, quand il le vit, il fit : ''Encore vous !'' Et puis l'Allemand
se mit à conter que pendant la guerre de 14, il était
commandant, Furioux, à ce moment et l'autre aussi était
commandant, ils se battaient tous les deux l'un contre l'autre
dans un endroit et quand l'un prenait l'endroit, l'autre moment
c'était l'autre qui le reprenait. Quand il eut fini de
parler, Furioux dit : ''Ce que vous dites est parfaitement exact,
seulement le soir c'est moi qui ai couché sur les lieux,
dans le village.'' Et vous savez ce que fit l'Allemand, pour rendre
les honneurs à celui qui avait été son vainqueur
vingt-cinq ans plus tôt, il se recula d'un mètre
et lui fit le salut militaire. Eh oui ! il lui fit le salut militaire,
c'est dire qu'entre soudards eh bien ils reconnaissent leur valeur.
(J-P C) Eh oui ! tu avais fait huit mois de chantier ?
(J A) Dix, parce que le STO en plus.
(J-P C) Nous, on faisait huit mois.
(J A) C'était bien moins, mais nous après [le
chantier]
on était STO au groupe 3 de Foucauld. Et notre chef de
groupe, le chef Germain, fut tué huit jours après,
à Saint-Aignan-des-Noyers. Vous ne vous rendez pas compte,
ils étaient trois. J'ai pris la photo du monument.
(J-P C) il y en avait bien de ces jeunes qui étaient chefs
des chantiers ?
(J A) Il était sous-lieutenant dans l'armée ce chef
de groupe, eh bien à trois, ils arrêtèrent
une colonne de chars à Saint-Aignan-des-Noyers, au bazooka.
Alors les Allemands, vous comprenez, qui sont quand même
des soudards, quand la colonne de chars fut arrêtée,
le dernier des chars s'est dit qu'il y avait sûrement quelque
chose qui n'allait pas devant, et il y avait un petit bois au-dessus,
il suivit le bord du petit bois, tourna entre les maisons et puis
il vit les autres, il leur tira un coup de canon, ils y passèrent
tous les trois.
(J-P C) Eh oui ! c'est la vie !
[...]
(J A) Il y en a qui disent que les (gars des) chantiers étaient
pour les Allemands, ce n'est pas vrai du tout, pas vrai du tout.
(J-P C) Nous étions complètement anti-Allemands,
tous, les chefs aussi. Quand j'étais à Messeix,
j'avais un chef de groupe, le chantier de jeunesse nous avait
formés pour faire chef d'équipe et un
[...] chef
d'équipe avait pris comme mot d'ordre : ''On les aura quand
même.'' Cela voulait tout dire. Le chef de groupe lui a
dit : ''Coupez-en un peu, parce que…'' Et on avait gardé
''quand même'', alors le groupement 22 : Quand même
! Tout le monde savait ce que cela voulait dire.
(G C) Mais moi, je me souviens que Philippe Pétain [...],
ils nous avaient réunis à Vichy pour essayer de
refaire le syndicat agricole, et puis on était une quinzaine,
on discutait, on discutait, mais c'était juste un départ,
et puis huit jours après, les Allemands, il n'y avait plus
de… de...
(J-P C) De zone.
(G C) Il n'y avait plus de zone ; et alors Pétain nous
reçut à l'hôtel de… je ne sais pas comment…
(J-P C) l'hôtel de… du Parc.
(G C) Voilà, l'hôtel du Parc et alors il nous serra
la main à tous et nous félicita d'être des
paysans, et il y en avait un de la zone occupée, de la
zone Nord, qui lui dit : "Mon Maréchal, c'est bien,
vous vous déplacez à Saint-Etienne, à Lyon,
à Bordeaux, à Toulouse mais chez nous, vous ne venez
jamais." ''Oh ! chez vous, il y a des gens que je n'aime
pas !'' Et après les gardes du corps nous ont dit : ''Ne
redites surtout pas ce que le Maréchal vous a dit : ''Chez
vous il y a des gens que je n'aime pas.''
(J A) Six mois après eh bien il fallut retourner à
l'armée, la guerre n'était pas finie. Je fus incorporé
à Roanne et après à la base d'Aulnat et puis
j'ai filé en occupation en Allemagne. Et puis après
je suis rentré au pays.
(J-P C) Et la vie continua.
(J A) Et la vie continua.
La
transcription en français a été réalisée
par Robert Bergeron
Rencontre
amicale

Dans la cuisine du centre social de Montbrison le 10 octobre 2011
De gauche à droite :
Guste Crépinge, Jean Chassagneux, Joseph Barou, Maurice
Damon, Jean Ayel et son épouse