Patois vivant



Jean Ayel
d'Aboën
né en 1923

 

Souvenirs d'enfance
et des Chantiers de jeunesse

Jean Ayel

patois d'Aboën)

enregistré le 10 octobre 2011 au Centre social de Montbrison
dans le cadre des activités
du groupe Patois Vivant

Les interlocuteurs de Jean Ayel (J A) sont Jean-Paul Chassagneux (J-P C), patois de Saint-Jean-Soleymieux
et Guste Crépinge (G C), patois de Luriecq.

La transcription en français a été réalisée par Robert Bergeron.

pour écouter cliquer ci-dessous

(15 min 10 s)

(J-P C) Oh Jean Ayel, qu'est-ce que tu dis, que dit Jean Ayel ?

(J A) Moi, eh bien moi, je suis né le 23/01/1923 à Luriecq. Et puis, à trois ans, je perdis ma mère. Oui, oui.

(J-P C) Trois ans, oh !

(J A) J'avais trois ans. J'étais assez turbulent et ma grand-mère ne pouvait pas tellement me ''tenir''. Et puis, il y avait autre chose, c'est que je cherchais ma mère partout… Alors quand ils virent cela, ils me mirent, mon père me mit en pension chez une tante à Feurs, et tout de suite, j'étais en pension chez un oncle, un frère de ma mère, et ma tante faisait des ménages, elle me mit chez des religieuses qui s'occupaient de gamins comme ça, mais qui nous apprenaient aussi, et puis après je rentrai à l'école en maternelle, mais à cinq ans je savais lire, à cinq ans je savais lire. Et puis après, à sept ans et demi, mon père alla me chercher et me ramena à la maison, il y avait ma grand-mère. Mais ma grand-mère, ma grand-mère mourut six mois après, ce qui fait que nous nous trouvions tout seuls avec mon père et puis c'est bon. Alors moi ici, après, j'allais à l'école à Luriecq. J'avais deux itinéraires pour y aller, ou par les Baraques ou par Boron.

(G C) Sûrement…

(J A) C'était comme ça m'accordait le mieux.

(J-P C) Sûrement…

(J A) Mais, l'hiver mon père a dû parfois venir me chercher, je filais le matin qu'il faisait bien beau, mais en face de Boron, vers les Baraques, c'est que de la neige à ne pas pouvoir passer.

(J-P C) Des congères ?

(J A) Oui oh ! la ! Et puis après, pour aller à l'école, il avait des molletières de l'armée, il me mettait des molletières aux jambes. Nous avions des galoches hautes, à l'époque, ce n'était pas des souliers, ni des bottes, encore moins.
Et puis c'est bon, quand j'eus deux trois ans après, notre affaire s'est vendue. Et moi, je me suis loué à droite et à gauche, et puis en 1937, le 3 janvier, j'allai à Aboën et je restai loué quinze ans dans la même maison, et puis quand je me suis marié, je suis resté quinze ans fermier pour la même personne. Et puis la femme… ce n'était pas bien loin, il n'y avait qu'à sauter le mur pour y aller.

(J-P C) C'était bien commode.

(J A) Je n'ai pas tellement usé de souliers. Nous nous mariâmes en 52.

(J-P C) 52. (J A) Cela fait 59 ans.

(J-P C) Eh oui !

(J A) Et puis, entre-temps, à vingt ans, il fallut filer dans les fameux Chantiers de jeunesse.

(J-P C) Où c'est que tu étais ?

(J A) J'étais à Tronçais dans l'Allier, au 1 et au groupe 3 de Foucauld. Alors je fis un peu de tout, je fis le façonnage qu'ils appelaient, je fis de l'abattage…

(J-P C) C'était Furioux ?

(J A) Et surtout le charbon de bois, je fis surtout le charbon de bois. Ici, il m'en arriva une belle, parce que j'étais chef d'équipe et je m'occupais de l'équipe de la carbonisation. Et puis nous avions un dépôt pour mettre les charbons de bois, et puis je me suis dit que font-ils, ils restent bien, il est arrivé quelque chose. Et ils nous avaient gonflés que le charbon de bois que nous faisions c'était pour chauffer le monde à Montluçon. Alors, moi je vis passer un gros camion, mais je ne fis pas attention, je monte au dépôt, c'étaient tous des ''verts de gris'' qui y étaient dedans.

(J-P C) Ah oui, oh ben alors !

(J A) Non de non ! Je redescendis à toute vitesse, en colère, j'arrivai, parce qu'il y avait le concassage, alors c'était le charbon de bois qu'on concassait et mettait en sacs, je leur ai crié : reculez-vous tous, mais en français bien sûr, reculez-vous tous, il y avait une grosse pelle en fer, de toutes mes forces, je l'envoyai dans les transmissions. Alors, il n'y a pas besoin de demander ce que cela fit, ça commença par casser toutes les courroies et puis ça avait tout déréglé le maté… oui. Il fallait du charbon pour le soir. Et puis je dis, leur charbon, ils pourront se l'attendre

(J-P C) C'étaient les Allemands qui venaient le chercher ?

(J A) C'étaient les Allemands qui le voulaient. Et puis je dis, attends que, ils pourront l'attendre un moment leur charbon. Et puis ce n'est pas tout ça, après il y avait des régleurs pour le chauffage pour les fours, ils s'occupaient de régler la terre autour. Et moi sans faire cas de rien, nous n'avions que des sabots car c'était défendu de porter des souliers, quand nous montions sur les fours, ça ramollissait les semelles et les clous tombaient, alors on n'avait que des sabots. Avec la pointe de mon sabot, j'ai fait une toute petite raie dans la terre. Alors les fours, ça leur faisait une petite entrée d'air, et le lendemain quand on les ouvrait, la moitié était de cendre, c'était du sabotage. Mais deux jours après c'est pas tout ça, arriva un camion d'Allemands, ils se mirent en position, il y avait deux rangées de baraques, ils nous firent aligner une rangée de chaque côté et un fusil mitrailleur en batterie devant chacune et puis le… il y avait un chef quoi, un Allemand, il donna un coup d'œil et vint tout de suite vers moi, il me fit, il me dit de faire voir la baraque, il voulait voir s'il n'y avait pas des armes, et puis c'est bon, ce n'est pas tout ça, mais je marchais , il y en avait un qui me tenait le canon du fusil dans les reins. Je passai du côté de nos outils, et il me fit ''Halt hier'', halte ici, quand il vit tous ces outils, il avait peur que je prenne une hache et que je lui en donne un coup sur le nez, bien sûr. Je ne l'aurais pas fait parce que, ce n'est pas que l'envie m'en manquait, remarquez, mais c'est que je faisais tuer tous les autres, je faisais tuer tous les autres. Parce que, quand on voit qu'il y a deux fusils mitrailleurs en batterie, ça donne à réfléchir quand-même.
Et puis c'est bon, le soir, il y eut un camarade, il me dit, mais il te faut filer, tu ne vois pas que tu es repéré, parce qu'il y avait d'autres chefs d'équipe, pourquoi il [l'Allemand] est venu tout de suite vers toi, me dit-il. Tu es repéré, il te faut filer d'ici, il me dit.

Et en effet le lendemain je me suis fait porter malade et je rentrai à l'infirmerie de Tronçais. Et on filait de ça avec de faux ordres de mission parce que, à l'époque, dans la forêt de Tronçais, c'était interdit d'avoir des lignes électriques, alors notre électricité c'était une petite loco à vapeur qui faisait tourner une dynamo. Alors mon ordre de mission, j'étais chargé d'aller chercher de l'huile pour la machine. Et c'est un Chanut de Saint-Thomas-la-Garde, il avait fait le tampon du groupement dans une pomme de terre avec une lame de rasoir.

(J-P C) Ah oui ! ça se peut bien, il était tamponné.

(J A) Mais c'est que je n'étais pas fier, c'est que vous vous rendez pas compte, c'est que quelques jours avant, il y en avait deux qui s'étaient évadés, et puis deux chefs de Tronçais les firent prendre par la Gestapo en gare de Montluçon. Parce que nous, nous prenions le train à Urçay et nous allions à Montluçon après pour prendre Saint-Germain-des-Fossés.

(J-P C) C'était quelle saison ça, 43 ?

(J A) C'était en 43, mais ce qui se passait, c'était en 44.

(J-P C) C'était la fin des chantiers.

(J A) Les chantiers étaient dissous le 24 ou le 27 juin. Et ils nous mirent STO, maintenus sur place, maintenus sur place ; autrement on devait filer au camp d'Avord à Bourges qui était bombardé tous les jours. Et nous restâmes ici, c'est le commandant des Eaux et Forêts qui nous demanda et demanda que nous restions. Et puis après, on a foutu le camp, quelques jours après.

(J-P C) Tu revins à Aboën ? C'était le colonel Furioux qui était le chef ?

(J A) Oui Furioux ou Furiux,

(J-P C) Tu l'as connu ?

(J A) Oui oui, mais nous, c'était plus le commandant Roy, mais Furioux.

(J-P C) Il était venu en Allemagne, chez nous, Furioux.

(J A) Et justement, il revenait d'Allemagne, et le jour où il revint d'Allemagne, il vint à Tronçais. On lui avait dédié un chêne, à lui, le chêne Pétain, non le chêne Colonel Furioux ! C'est nous le groupe 3 qui fûmes chargés de rendre les honneurs.

(J-P C) Ce Furioux nous vint voir, il fut envoyé en Allemagne, Furioux, pour s'occuper des STO, de nous. Alors, il était allé à Vienne, et à Vienne, il s'était fait chahuter, il s'était fait siffler, il s'était fait huer, et chez nous à Auschwitz
[Bergeron : pour l'usine IG Farben, à côté du camp de concentration-extermination] on s'était dit, on va lui faire le même coup [...] on était tous rassemblés à la maison, à la salle du camp, il y avait les Allemands et lui qui arrivèrent, il arriva et fit péter un coup de poing sur la table : ''Je ne suis pas venu ici parce que j'aime l'Allemagne, je suis venu ici parce que j'aime les Français qui m'ont dit ce qu'ils faisaient. Je leur ai dit aux Allemands, je ne vous dirai pas tout ce que je pense, mais ce que je vous dis, je le pense." Ouh ! Et puis la radio anglaise eut le tort d'annoncer qu'elle était bien contente que Furioux soit en Allemagne et huit jours après les Allemands le passèrent dehors. Ouh, c'était un dur Furioux !

(J A) Et pour en revenir à cela, quand nous étions réunis autour du drapeau, il nous dit qu'il revenait d'Allemagne et nous dit : ''Les gars des chantiers qui sont là-bas nous ont dit, Colonel, Tronçais c'était le paradis.'' A comparer de… Et puis il y a une chose, je ne sais pas si vous l'avez sue, qui lui était arrivée, il y avait une commission d'armistice qui visitait tous les groupes et lui, bien sûr, il était obligé d'y être quand ils venaient, et il y eut un jour, ça se passait au groupe 3, ils nous le dirent mais il y avait un livre sur lequel ça y est, et il y eut un officier allemand de la commission d'armistice qui, quand il le vit, il fit : ''Encore vous !'' Et puis l'Allemand se mit à conter que pendant la guerre de 14, il était commandant, Furioux, à ce moment et l'autre aussi était commandant, ils se battaient tous les deux l'un contre l'autre dans un endroit et quand l'un prenait l'endroit, l'autre moment c'était l'autre qui le reprenait. Quand il eut fini de parler, Furioux dit : ''Ce que vous dites est parfaitement exact, seulement le soir c'est moi qui ai couché sur les lieux, dans le village.'' Et vous savez ce que fit l'Allemand, pour rendre les honneurs à celui qui avait été son vainqueur vingt-cinq ans plus tôt, il se recula d'un mètre et lui fit le salut militaire. Eh oui ! il lui fit le salut militaire, c'est dire qu'entre soudards eh bien ils reconnaissent leur valeur.

(J-P C) Eh oui ! tu avais fait huit mois de chantier ?

(J A) Dix, parce que le STO en plus.

(J-P C) Nous, on faisait huit mois.

(J A) C'était bien moins, mais nous après
[le chantier] on était STO au groupe 3 de Foucauld. Et notre chef de groupe, le chef Germain, fut tué huit jours après, à Saint-Aignan-des-Noyers. Vous ne vous rendez pas compte, ils étaient trois. J'ai pris la photo du monument.

(J-P C) il y en avait bien de ces jeunes qui étaient chefs des chantiers ?

(J A) Il était sous-lieutenant dans l'armée ce chef de groupe, eh bien à trois, ils arrêtèrent une colonne de chars à Saint-Aignan-des-Noyers, au bazooka. Alors les Allemands, vous comprenez, qui sont quand même des soudards, quand la colonne de chars fut arrêtée, le dernier des chars s'est dit qu'il y avait sûrement quelque chose qui n'allait pas devant, et il y avait un petit bois au-dessus, il suivit le bord du petit bois, tourna entre les maisons et puis il vit les autres, il leur tira un coup de canon, ils y passèrent tous les trois.

(J-P C) Eh oui ! c'est la vie !
[...]

(J A) Il y en a qui disent que les (gars des) chantiers étaient pour les Allemands, ce n'est pas vrai du tout, pas vrai du tout.

(J-P C) Nous étions complètement anti-Allemands, tous, les chefs aussi. Quand j'étais à Messeix, j'avais un chef de groupe, le chantier de jeunesse nous avait formés pour faire chef d'équipe et un
[...] chef d'équipe avait pris comme mot d'ordre : ''On les aura quand même.'' Cela voulait tout dire. Le chef de groupe lui a dit : ''Coupez-en un peu, parce que…'' Et on avait gardé ''quand même'', alors le groupement 22 : Quand même ! Tout le monde savait ce que cela voulait dire.

(G C) Mais moi, je me souviens que Philippe Pétain [...], ils nous avaient réunis à Vichy pour essayer de refaire le syndicat agricole, et puis on était une quinzaine, on discutait, on discutait, mais c'était juste un départ, et puis huit jours après, les Allemands, il n'y avait plus de… de...

(J-P C) De zone.

(G C) Il n'y avait plus de zone ; et alors Pétain nous reçut à l'hôtel de… je ne sais pas comment…

(J-P C) l'hôtel de… du Parc.

(G C) Voilà, l'hôtel du Parc et alors il nous serra la main à tous et nous félicita d'être des paysans, et il y en avait un de la zone occupée, de la zone Nord, qui lui dit : "Mon Maréchal, c'est bien, vous vous déplacez à Saint-Etienne, à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse mais chez nous, vous ne venez jamais." ''Oh ! chez vous, il y a des gens que je n'aime pas !'' Et après les gardes du corps nous ont dit : ''Ne redites surtout pas ce que le Maréchal vous a dit : ''Chez vous il y a des gens que je n'aime pas.''

(J A) Six mois après eh bien il fallut retourner à l'armée, la guerre n'était pas finie. Je fus incorporé à Roanne et après à la base d'Aulnat et puis j'ai filé en occupation en Allemagne. Et puis après je suis rentré au pays.

(J-P C) Et la vie continua.

(J A) Et la vie continua.

La transcription en français a été réalisée par Robert Bergeron                           

Rencontre amicale



Dans la cuisine du centre social de Montbrison le 10 octobre 2011

De gauche à droite :
Guste Crépinge, Jean Chassagneux, Joseph Barou, Maurice Damon, Jean Ayel et son épouse

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Patois du Forez

 

 

 

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