Patois vivant

 

Les vingt-huit jours



Georges Démariaux
Juian

 

Les vingt-huit jours

par Georges Démariaux

enregistré au cours d'une veillée Patois Vivant au début des années 2000
au Centre social de Montbrison

(patois de Roche-en-Forez)

pour écouter cliquer ci-dessous

(3 min 32 s)

Ça se passait dans le temps, au temps où les hommes faisaient des périodes militaires. Les hommes savent tous ce que c'est [les périodes militaires] mais les jeunes peut-être pas. Alors les hommes quand ils avaient vingt ans il fallait passer le conseil de révision, d'abord.

Alors, le conseil de révision, ils étaient tous convoqués à la mairie du canton. Et là,  il y avait les maires  de toutes  les communes,  les gendarmes,  le major - c'était un médecin de l'armée. Et ils passaient par ordre alphabétique. Alors tous ceux qui avaient leur nom qui commence par A "amenez-vous" [venez]. Et dans la salle, il faut "tomber" les pantalons [braye], les souliers, les chemises [fouilla : pan de chemise]… Tu étais seulement comme quand tu es né. Mais moi j'étais plus malin que les autres, j'avais gardé mes lunettes. Et puis après le conseil de révision, il fallait faire le régiment.

Après le régiment il y avait les périodes. Alors les "périodes" il y en avait trois. La première était de vingt-huit jours. C'est bien comme ça, hein ? La seconde vingt et un et la troisième, seulement une semaine. Quelque chose comme ça.

Et alors ça se passait dans notre "pays" [notre région]. Un homme rentre chez lui pour manger. Sa femme lui dit :
- Eh ben ! tu vas partir faire une période de vingt-huit jours. La semaine qui vient tu vas aller à la caserne de la Part-Dieu, à Lyon.
- Ah bon !
- Eh bien, je vais te préparer tes affaires. Ma mère a tricoté
[
"broché"] des chaussettes l'année passée, je t'en mettrai trois paires. Je te mettrai un pull, un mouchoir de poche [un moucho de sac] et puis une paire de mitaines, mais des mitaines pour tirer au fusil avec deux doigts.
Eh oui, parce que si tu étais comme ça [
geste] tu ne peux pas tirer.

Alors, le jour de partir, il fit la caisse (1) et sa femme lui dit :
Je t'ai mis deux trois sous. Il faudra bien que tu ailles boire une chopine avec les copains. Tu verras bien. Mais fais attention, les sous, on n'en a pas beaucoup. Fais attention de bien… de ne pas les gaspiller.

Et puis il part.

Et puis il retourne chez lui. Et le premier jour ils vont se coucher. L'homme ne dit rien, il se tourna […?] et se mit à ronfler. Elle se dit : Oh ! la la ! ils sont tout à fait ["franc"] crevés, ils les ont fait marcher, ils n'en peuvent plus.

Et puis, deux, trois, quatre, cinq jours, huit jours. Sa femme [se] dit : Il a bien quelque chose, cet homme. Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver ?

Et puis une nuit, il se lève pour "tomber de l'eau (2)". Et sa femme vit qu'il avait quelque chose, à quelque endroit. Il avait comme un pansement.
- Oh ! j'ai compris ! Oh ! cet animal ! Ah ! c'est pour ça qu'il m'a dit qu'il s'était fait prendre son porte-monnaie. Ah ! j'ai compris, maintenant. Je sais où ils sont passés, les sous. Mais, attends, je l'aurai bien !

Et puis, le lendemain, il repartit faire son travail [oraje : ouvrage] : labourer… je n'en sais rien. Et en rentrant… Alors la femme, dans la matinée, attrapa son chat et elle fit un pansement sur la queue du chat. Et quand son homme rentra, arriva pour manger, il dit :
- Oh ! ton chat, qu'est-ce qu'il a fait ?  Il s'est fait serrer la queue dans une porte ?
Elle dit :
- Non, il ne vient que de finir ses vingt-huit jours.


(1) Une sorte de valise en bois et munie d'un cadenas que le conscrit fabriquait souvent lui-même.
(2) "Tomber de l'eau" : uriner (en patois, langage relevé)