Ça se passait dans
le temps, au temps où les hommes faisaient des périodes
militaires. Les hommes savent tous ce que c'est [les périodes
militaires] mais les jeunes peut-être pas. Alors les
hommes quand ils avaient vingt ans il fallait passer le conseil
de révision, d'abord.
Alors, le conseil de révision,
ils étaient tous convoqués à la mairie
du canton. Et là, il y avait les maires de
toutes les communes, les gendarmes, le major
- c'était un médecin de l'armée. Et ils
passaient par ordre alphabétique. Alors tous ceux qui
avaient leur nom qui commence par A "amenez-vous"
[venez].
Et dans la salle, il faut "tomber" les pantalons [braye],
les souliers, les chemises [fouilla
: pan de chemise]
Tu étais seulement comme quand tu es né. Mais
moi j'étais plus malin que les autres, j'avais gardé
mes lunettes. Et puis après le conseil de révision,
il fallait faire le régiment.
Après le régiment
il y avait les périodes. Alors les "périodes"
il y en avait trois. La première était de vingt-huit
jours. C'est bien comme ça, hein ? La seconde vingt et
un et la troisième, seulement une semaine. Quelque chose
comme ça.
Et alors ça se passait
dans notre "pays" [notre
région]. Un
homme rentre chez lui pour manger. Sa femme lui dit :
- Eh ben ! tu vas partir faire une période de vingt-huit
jours. La semaine qui vient tu vas aller à la caserne
de la Part-Dieu, à Lyon.
- Ah bon !
- Eh bien, je vais te préparer tes affaires. Ma mère
a tricoté ["broché"]
des chaussettes
l'année passée, je t'en mettrai trois paires.
Je te mettrai un pull, un mouchoir de poche [un moucho
de sac] et puis une paire de mitaines, mais des mitaines
pour tirer au fusil avec deux doigts.
Eh oui, parce que si tu étais comme ça [geste]
tu ne peux pas tirer.
Alors, le jour de partir,
il fit la caisse (1)
et sa femme lui dit :
Je t'ai mis deux trois sous. Il faudra bien que tu ailles
boire une chopine avec les copains. Tu verras bien. Mais fais
attention, les sous, on n'en a pas beaucoup. Fais attention
de bien
de ne pas les gaspiller.
Et puis il part.
Et puis il retourne chez
lui. Et le premier jour ils vont se coucher. L'homme ne dit
rien, il se tourna [
?]
et se mit à ronfler. Elle se dit : Oh ! la la ! ils
sont tout à fait ["franc"]
crevés, ils les ont fait marcher, ils n'en peuvent plus.
Et puis, deux, trois, quatre,
cinq jours, huit jours. Sa femme [se]
dit : Il a bien quelque chose, cet homme. Qu'est-ce qui a
bien pu lui arriver ?
Et puis une nuit, il se lève
pour "tomber de l'eau (2)".
Et sa femme vit qu'il avait quelque chose, à quelque
endroit. Il avait comme un pansement.
- Oh ! j'ai compris ! Oh ! cet animal ! Ah ! c'est pour ça
qu'il m'a dit qu'il s'était fait prendre son porte-monnaie.
Ah ! j'ai compris, maintenant. Je sais où ils sont passés,
les sous. Mais, attends, je l'aurai bien !
Et puis, le lendemain, il
repartit faire son travail [oraje
: ouvrage] : labourer
je n'en sais rien. Et en rentrant
Alors la femme, dans
la matinée, attrapa son chat et elle fit un pansement
sur la queue du chat. Et quand son homme rentra, arriva pour
manger, il dit :
- Oh ! ton chat, qu'est-ce qu'il a fait ? Il s'est
fait serrer la queue dans une porte ?
Elle dit :
- Non, il ne vient que de finir ses vingt-huit jours.
(1) Une sorte de valise en bois et munie d'un
cadenas que le conscrit fabriquait souvent lui-même.
(2) "Tomber de l'eau" : uriner (en patois, langage
relevé)