Ah
! cette affaire, c'est vieux, tout à fait vieux.
- C'est vrai ?
[interpellation d'une personne de l'assistance]
- Ah ! c'est vrai. Ah ! c'est vrai.
Celui qui me l'a dit il est né au plan Chevalat (1).
Non, il n'est pas mort. Il n'en a pas envie. Célestin
de chez Rouzan.
- Masson ?
- Non, non, Rouzan. C'est Rouzan son nom (2).
Alors,
dans ce temps, il y avait des jasseries qui n'étaient
pas comme maintenant. Aujourd'hui elles sont toutes démolies.
Et dans ce temps-là elles étaient seulement bâties
en planches. Et ce n'était pas bien solide, bien sûr
quand il faisait du vent, de la neige, qu'il en tombait comme
ça.
Alors
c'était l'été, ils avaient fait un bal.
On dansait dans cette jasserie. Et toutes les filles et les
valets [lou baro] -
on dansait
- d'y aller. Ils n'avaient que des sabots,
des culottes de bure, de peau de diable. Les femmes avaient
de grandes robes, de grands "peyants (3)",
des bonnets. Et ils dansaient. Il y avait un musicien qui avait
peut-être bien un accordéon, je n'en sais rien.
Et
puis, tout par un coup, [voilà]
un joli cavalier qui s'amène. Et cet homme était
bien vêtu. Une veste en cuir, des éperons en or,
de jolis souliers, comme ceux-là
[geste pour montrer les chaussures d'une personne de l'assistance,
rires
].
Et
puis, dans cette maison le patron était monté
[du village]
- c'était un dimanche - et il avait amené son
fils ["son garçon"].
Et le garçon regardait. Il regardait les femmes et les
garçons qui dansaient. Qu'est-ce qu'il vit ? Les éperons
de cet homme faisaient des étincelles [bialote].
Oh ! la la ! Oh ! la la ! Il va le dire à son père,
à sa mère : Papa, maman, venez vite ! venez
vite, venez vite. Cet homme, il fait des étincelles avec
ses souliers. Alors ils disaient : qui c'est celui-là
? Et puis, tout d'un coup, le bonhomme dit : C'est le
Diable. Eh ben, on est bien monté. Comment faire pour
le faire partir ?
Alors
ils ont réfléchi et ils ont dit : On va l'appeler,
on va lui faire manger une portion, un peu de "patia
(4)", une part de fourme. On lui
payera un "canon" [un verre
de vin] et on verra bien.
Et
cet homme dit : Je veux bien partir mais de trois manières
: je pars en feu, je pars en vent, je pars en eau. Choisissez.
Alors
ils ont réfléchi. S'il part en feu, la maison,
c'est fini. S'il part en eau, le bétail, il n'y en aura
plus. Il vaut mieux qu'il parte en vent.
Alors
il dit : Bon, allez, mange une portion, bois un canon et
fous ton camp en vent.
Tout
par un coup se lève un vent, un vent à décorner
les bufs. Et ce vent arrachait le toit de la grange, de
la jasserie. Et puis ça monta par le vallon sous
- tu connais bien, toi ? - par Champclose, plan Chevalat. Ça
buta contre Gourgon, et fit demi-tour et coucha la Pierre Bazane.
Et c'est depuis ce jour qu'elle est comme ça.
(1) Un lieu-dit des hautes chaumes près
de la Pierre Bazane, dans le massif de Pierre-sur-Haute.
(2) En fait Rouzan est un surnom porté par la famille
il s'agit de Mathieu Célestin Masson dit Rouzan.
(3) Diminutif de "peille" : guenille pour un vêtement
peu seyant.
(4) Plat traditionnel de la montagne forézienne à
base de pommes de terre longuement cuites dans de la crème.