Patois vivant

 

Pierre Bazane



Georges Démariaux
Juian

 

Pierre Bazane

(conte)

par Georges Démariaux

enregistré au cours d'une veillée Patois Vivant au début des années 2000
au Centre social de Montbrison

(patois de Roche-en-Forez)

pour écouter cliquer ci-dessous

(3 min 23 s)

Ah ! cette affaire, c'est vieux, tout à fait vieux.
- C'est vrai ?
[interpellation d'une personne de l'assistance]
- Ah ! c'est vrai. Ah ! c'est vrai.
Celui qui me l'a dit il est né au plan Chevalat
(1). Non, il n'est pas mort. Il n'en a pas envie. Célestin de chez Rouzan.
- Masson ?
- Non, non, Rouzan. C'est Rouzan son nom
(2).

Alors, dans ce temps, il y avait des jasseries qui n'étaient pas comme maintenant. Aujourd'hui elles sont toutes démolies. Et dans ce temps-là elles étaient seulement bâties en planches. Et ce n'était pas bien solide, bien sûr quand il faisait du vent, de la neige, qu'il en tombait comme ça.

Alors c'était l'été, ils avaient fait un bal. On dansait dans cette jasserie. Et toutes les filles et les valets [lou baro] - on dansait… - d'y aller. Ils n'avaient que des sabots, des culottes de bure, de peau de diable. Les femmes avaient de grandes robes, de grands "peyants (3)", des bonnets. Et ils dansaient. Il y avait un musicien qui avait peut-être bien un accordéon, je n'en sais rien.

Et puis, tout par un coup, [voilà] un joli cavalier qui s'amène. Et cet homme était bien vêtu. Une veste en cuir, des éperons en or, de jolis souliers, comme ceux-là [geste pour montrer les chaussures d'une personne de l'assistance, rires…].

Et puis, dans cette maison le patron était monté [du village] - c'était un dimanche - et il avait amené son fils ["son garçon"]. Et le garçon regardait. Il regardait les femmes et les garçons qui dansaient. Qu'est-ce qu'il vit ? Les éperons de cet homme faisaient des étincelles [bialote]. Oh ! la la ! Oh ! la la ! Il va le dire à son père, à sa mère : Papa, maman, venez vite ! venez vite, venez vite. Cet homme, il fait des étincelles avec ses souliers. Alors ils disaient : qui c'est celui-là ? Et puis, tout d'un coup, le bonhomme dit : C'est le Diable. Eh ben, on est bien monté. Comment faire pour le faire partir ?

Alors ils ont réfléchi et ils ont dit : On va l'appeler, on va lui faire manger une portion, un peu de "patia (4)", une part de fourme. On lui payera un "canon" [un verre de vin] et on verra bien.

Et cet homme dit : Je veux bien partir mais de trois manières : je pars en feu, je pars en vent, je pars en eau. Choisissez.

Alors ils ont réfléchi. S'il part en feu, la maison, c'est fini. S'il part en eau, le bétail, il n'y en aura plus. Il vaut mieux qu'il parte en vent.

Alors il dit : Bon, allez, mange une portion, bois un canon et fous ton camp en vent.

Tout par un coup se lève un vent, un vent à décorner les bœufs. Et ce vent arrachait le toit de la grange, de la jasserie. Et puis ça monta par le vallon sous… - tu connais bien, toi ? - par Champclose, plan Chevalat. Ça buta contre Gourgon, et fit demi-tour et coucha la Pierre Bazane. Et c'est depuis ce jour qu'elle est comme ça.


(1) Un lieu-dit des hautes chaumes près de la Pierre Bazane, dans le massif de Pierre-sur-Haute.
(2) En fait Rouzan est un surnom porté par la famille il s'agit de Mathieu Célestin Masson dit Rouzan.
(3) Diminutif de "peille" : guenille pour un vêtement peu seyant.
(4) Plat traditionnel de la montagne forézienne à base de pommes de terre longuement cuites dans de la crème.



La Pierre Bazane