Patois vivant

 

Le bombardement de Roche



Georges Démariaux
Juian

 

Le bombardement de Roche

par Georges Démariaux

enregistré au cours d'une veillée Patois VIvant
au Centre social de Montbrison


(patois de Roche-en-Forez)

pour écouter cliquer ci-dessous

(5 min 19 s)

C'était le dimanche du 28 mai 1944, du temps de la guerre. Souvent les avions anglais passaient au-dessus de Montbrison, de Roche, de Saint-Bonnet, si tu veux. Ils allaient bombarder les lignes des Boches. A cette époque on les appelait comme ça.

Et une fois, ce dimanche, à dix heures du matin - ce jour j'étais à la messe à Saint-Pierre, à côté [Georges Démariaux parle depuis le Centre social qui se trouve à deux pas de l'église Saint-Pierre] -, ça se mit à "baranteler" [faire un vacarme effroyable] : blon, blon, blon... des explosions. Il y a quelque chose qui se passe... Les avions passaient, ils passaient tous les jours... Et puis personne ne savait ce qui s'était passé.

Et l'après-midi, j'ai mon oncle - le Jean Juian, le frère de ma mère, celui qui est mort à 103 ans -, il passa à la maison en visite. Il dit à ma mère :
Eh bien ! tu monteras à Roche ; tu iras voir ta maison. Tu n'as plus de porte ni de fenêtres. C'est tout passé dedans ; les gonds sont tombés et, au bourg, il n'y a plus de croisées, c'est tout par terre. Les vitraux de l'église sont par terre.

Et le lendemain, nous sommes montés, de bonne heure, avec mon père, ma mère, mes soeurs. Et puis, oui, il n'y avait pas de porte. On avait mis des planches pour boucher le trou, quoi.

Et en arrivant, j'ai trouvé mes copains. Ils m'ont dit : viens voir, viens seulement avec nous, nous allons regarder les trous. Et nous sommes allés sur le pic de Chaudabrit, là-haut. Il y avait six ou sept entonnoirs et il y avait des éclats de partout. Moi, j'en ai mis mes pleines poches.

Arrivé à la maison, je me suis fait gronder par ma mère parce que mes poches
[les saques, le vieux mot patois] étaient toutes déchirées. J'étais tout écorché aux cuisses ; ça saignait de partout : tu avais besoin de ramasser ces saloperies ! Eh bien, ! c'est bien fait pour toi si ça te fait mal ! Et puis c'était comme ça, quoi.

Et mon oncle, pour parler de lui, c'est un "trompe-la-mort", lui. Quand il est né, le 7 du mois de janvier 1873... il est né, il ne devait pas vivre. On l'a baptisé tout de suite. On l'a baptisé, après ben, il a fait sa vie, il a fait le métier de son père. Il était sabotier. Et quand il est parti faire son service, deux ou trois semaines après, il est revenu, réformé pour faiblesse de constitution.

Bon, eh bien c'était une sacrée tare à cette époque quand tu ne faisais pas ton service. Et puis après il s'est marié. Avant de se marier, il attrape la diphtérie. Alors la diphtérie c'était grave à cette époque. Il avait 28, 29... 30 ans. Je ne me rappelle plus. Ma mère l'a raconté souvent. Alors il était malade, il avait de la fièvre. Ils font venir le curé. Le curé dit : il faut bien faire monter le médecin. Et ils envoient sa soeur, la Félicie, descendre à la ville pour aller chercher le médecin. Et la Félicie a pris ses galoches et est descendue à la ville.

Le médecin dit : je veux bien monter à Roche mais il faut me trouver un cheval. Et la Félicie revint [à Roche]. Chez Martin qui avait un cheval, à côté - ils étaient en train de faner à Champclose, ils ne sont rentrés que le soir, et le père Giraud dit : Oui, demain matin, on ira chercher le médecin. Et le lendemain matin la Félicie, le père Giraud attellent la jument au char à bancs pour aller chercher le médecin. Et le médecin n'était pas là. Il était parti en visite. Et quand il est rentré, il a dit : Eh bien ! on va monter à Roche mais avant il y a des gens au cabinet qui attendent, je vais les examiner. Et ils ne sont remontés que l'après-midi.

Et le soir : C'est la diphtérie qu'il a, mais c'est grave ! Enfin on va lui donner des remèdes. Et ils sont repartis en ville. Ils sont allés à la pharmacie. Mais à ce moment les pharmaciens ce n'était pas des épiceries. Il fallait faire les compositions que le médecin donnait : et tant de grammes d'une chose, et tant de grammes, et tant de centimètres cube d'une autre chose... Il fallait du temps. Et le soir ils sont remontés avec les médicaments. Le lendemain Jean Juian prit les médicaments. Eh bien ! ça a mieux fait. Il s'en est bien tiré.

Et puis après il s'est marié. Bon, il a fait sa vie avec ses sabots. Et ce jour, ce 28 du mois de mai qu'il montait à Roche - il montait à pied, bien sûr - il y avait encore ma grand-mère, à cette époque, il dit : je vais monter voir ma mère...

Eh bien ! quand il passa sur le chemin de "la Pallut", il avait fait deux ou trois cents mètres qu'une bombe fit un trou, un entonnoir sur ce chemin et mon Jean Juian, il s'est fait renversé par le souffle et il s'en est bien tiré. C'est pour ça que je peux dire : c'est un "tompe-la-mort". Et il est mort il avait 103 ans moins 11 jours et il était "faiblesse de constitution".

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Georges Démariaux rappelle cet épisode du bombardement de Roche dans un ouvrage collectif : "Le Forez et les Foréziens dans la guerre et la Résistance", Cahiers de Village de Forez, n° 62, avril 2009).

Souvenirs :

28 mai 1944 : les bombes tombent à Roche

Ce dimanche 28 mai, jour de Pentecôte, je me trouvais comme d'habitude enfant de chœur à la messe de dix heures à l'église Saint-Pierre de Montbrison . Au moment du sermon, nous entendîmes passer, comme très souvent, des escadrilles d'avions alliés qui allaient bombarder les lignes de communication, routes et voies ferrées, afin de couper l'approvisionnement des troupes allemandes qui refluaient vers le nord.

Tout à coup, plusieurs explosions se sont fait entendre au loin. Puis, plus rien. A l'issue de la cérémonie tout le monde y allait de son commentaire personnel à propos de cet incident. Mais il s'agissait seulement de suppositions.

Nous n'avons rien su jusqu'au soir, à l'arrivée de mon oncle, le frère de ma mère. Il était venu nous dire : C'est à Roche que les bombes sont tombées, et il n'y a plus ni portes ni fenêtres sur les façades est et sud des maisons du bourg. Les vitraux de l'abside de l'église sont aussi tombés.

Et il nous raconte :

J'étais allé voir ma mère (âgée de 93 ans et qui vivait seule sans aucun confort) et je venais de quitter le chemin de Trézailles quand les bombes sont tombées (l'une a coupé le chemin y laissant un vaste entonnoir). Le souffle m'a couché par terre mais je n'ai pas eu de mal. Arrivé au bourg, des voisins s'étaient déjà rendus chez ma mère qui n'avait pas bien réalisé ce qui s'était passé. Elle n'avait pas paru très choquée…

Le lendemain, lundi de Pentecôte, très tôt, avec mes parents et mes sœurs nous prenons la route de Roche. Il fallait presque trois heures pour y aller.

A la sortie de bois de la Pallut, nous sommes obligés de contourner le premier entonnoir et nous voyons aussi les autres. Il y en avait six ou sept depuis le bas du pic de Chaudabrit jusqu'aux Prés Grands vers le hameau de Seynaud.

Arrivés à la maison, après avoir salué la grand-mère qui paraissait à peu près en forme, nous commençons à faire un peu de nettoyage : ramassage des vitres cassées, des montants de fenêtres enfoncées… Puis, très vite, je m'échappe pour rejoindre mes copains de vacances. Et ensemble nous allons voir, l'un après l'autre, tous les entonnoirs. Heureusement que toutes les bombes avaient explosé car nous aurions bien été capables de jouer avec un de ces engins.
Au cours de cette escapade, j'ai, comme les autres, ramassé des éclats. J'en avais rempli mes poches qui ont toutes été déchirées par ces morceaux très coupants. J'ai eu aussi les jambes écorchées mais je ne me suis pas plaint de ça car, arrivé à la maison, quelle correction j'ai reçue pour avoir déchiré mes vêtements !

Roche n'était pas visé par l'aviation alliée. D'ailleurs des armes et munitions étaient parachutées aux communaux de Jean-Petit et de Pivadan pour l'Intelligence service, l'Armée secrète et les Francs-tireurs et partisans. Il s'agissait sans doute d'un avion victime d'une avarie qui avait dû se délester de quelques tonnes de son chargement.

Depuis 1940, nous étions habitués au passage d'escadrilles sur Montbrison et les alentours. Très souvent il y avait des alertes signalées par des coups de sirène. L'une était installée sur le clocher de la collégiale et l'autre sur la butte du Calvaire. Il faut aussi savoir que la place Bouvier ainsi que le "Pré des chiens" (aujourd'hui le square Honoré-d'Urfé) avaient été transformés en abris antiaériens. Plusieurs tranchées en zigzag y avaient été creusées. On y accédait par des escaliers taillés dans l'argile. Ces tranchées avaient été en partie recouvertes par des plaques de béton sur lesquelles on avait remis la terre en guise de camouflage.

Elles n'ont jamais servi à autre chose que de terrains de jeux. Mais gare quand il pleuvait ! On remontait avec chaussures et vêtements rougis par cette argile. Alors imaginez le retour à la maison !… La quasi-totalité des maisons du centre ville de Montbrison sont construites sur des caves voûtées. Un recensement en avait été effectué et on pouvait lire sur de nombreuses portes : "Abri : (tant) de personnes".

                                                                                             Georges Démariaux