La
vie volée de Joseph Vente, de Gumières
Une histoire d'homme sur fond de guerre
Le
dernier figurant de la Grande illusion
Le 12 janvier prochain, Joseph Vente, de Gumières,
fêtera ses 90 ans. Et ses amis déjà lui réservent
une surprise : il verra, pour la première fois, La Grande
Illusion, le film de Jean Renoir, tourné à Colmar,
dans la cour de son régiment, où il tient, avec d'autres,
un rôle de figurant. "Après,
ce fut la guerre, je ne l'ai jamais vu", dit le vieil
homme sans amertume. Le film raconte l'enfer des Poilus de 14-18, une
douloureuse réalité que le jeune soldat n'allait pas tarder
à connaître. Cette jeunesse volée par la captivité,
qui a jeté, on le sent, une ombre sur sa vie, Joseph Vente a
bien voulu en parler pour Village de Forez qui publie son récit
dans un Cahier superbe.
Le tonton Joseph, comme on l'appelle ici, n'emploie pas de grands mots.
L'homme meurtri laisse parler son cur, avec cette tendresse de
ceux qui, malgré tout, veulent croire à la paix, à
la fraternité. "Il a connu la guerre,
mais toute sa vie, au fond, n'est qu'une histoire d'amour"
dit son voisin, André Courbey.
Gumières. Le village, qui s'étire
au loin sous la protection du clocher trapu de l'église, semble
hors du temps et hors d'atteinte. C'est bien le seul endroit où
les lapins sauvages qui broutent l'herbe et le silence en bordure de
la route ne sont pas le moins du monde effarouchés par les passants
: même en période de chasse, ils ne bronchent pas d'un
poil.
C'est de là que Joseph Vente est parti pour la guerre.
A 22 ans et des poussières. La guerre, il connaissait déjà,
on pourrait dire depuis toujours : il est né l'année de
Verdun, le 12 janvier 1916, ce qui lui valut d'être incorporé
avec la classe 35. A l'époque, on servait deux ans sous les drapeaux.
Démobilisé fin octobre 1938, le voilà de retour
au pays, mais pour peu de temps. Rappelé pour 21 jours, il ne
reviendra que six ans plus tard, la guerre finie. Soit neuf ans d'une
jeunesse volée, neuf ans de privations qui ont laissé
leur marque.
Sûr qu'il avait de quoi être
aigri, Joseph Vente. Rassurez-vous, il ne l'est pas le moins du monde.
Certes, on sent bien qu'il a souffert de privations, affectives surtout.
On a beau être une force de la nature, bien dans son corps, bien
dans sa tête, cinq ans d'éloignement, sans lien ni personne
à qui se raccrocher, ça finit par détruire.
"Cinq ans, ça fait
long, on ne se voyait plus revenir. On n'avait plus d'affection pour
sa famille, plus d'affection pour son pays ni rien du tout",
se souvient Joseph Vente. La guerre ? "Nos
obus de 75 étaient tractés par six chevaux, alors que
les Allemands avaient de puissants engins. Jamais nous n'avons eu de
position stable, on a toujours fait marche arrière".
Jusqu'au jour où le bataillon est fait prisonnier. Fallait-il
s'évader ? "C'était le jour
de l'armistice, le 24 juin 40, on avait l'assurance que ceux qui étaient
faits prisonniers ce jour-là n'iraient pas en Allemagne".
La plupart font confiance aux sirènes rassurantes : "Quand
le train sera rétabli, nous rentrerons chez nous".
C'est avec cet espoir qu'ils s'entassent un matin dans des wagons belges
à bestiaux... une sentinelle à chaque porte. Direction:
les camps, les miradors, les barbelés. "Deux
tranches de pain par jour, la paille pour dormir, la nuit avec les poux".
Deux de ses frères étaient prisonniers comme lui. "Je
n'ai jamais eu de nouvelles, je n'ai su qu'ils étaient vivants
que quand je suis rentré". De retour au pays,
il a parfois encore le sentiment d'abandon : "J'ai
touché 400 francs pour cinq ans de prisonnier avec un costume
et une paire de souliers. Un costume en coton coûtait alors 250
ou 300 francs. Pour toute l'année, un ouvrier agricole de 18
ou 20 ans gagnait 2 000 francs, à peu près 10 francs la
journée". Le sentiment que la vie était
repartie sans lui, c'est la seule amertume que Joseph laisse poindre.
Quand il parle de la vie d'après, sur un ton modeste et pudique,
l'homme au soir de sa vie respire la bonté. C'est peut-être
pour cela que les lapins de Prolanges, le hameau où il vit à
Gumières, se sentent ici chez eux quand ils broutent insouciants
l'herbe devant sa porte. Heureux lapins !
Jean Thollot (La Liberté
du 28 octobre 2005)
Joseph Vente entouré de ses amis
allemand, Peter, professeur de français en Allemagne du sud et
Sigi, son épouse : "Il y en a qui
me disent : Tu attires les Allemands, on ne dirait pas que tu as été
prisonnier, toi". A quoi il répond, tranquille :
"Il n'était même pas né
quand j'étais en Allemagne, alors je ne peux pas avoir de mauvais
souvenirs de lui. Ce n'est pas parce qu'ils sont allemands que je peux
les critiquer".
En janvier 2006, les souvenirs de Joseph
Vente ont été traduits en allemand par Georg
Kampfer et publiés dans une revue d'histoire locale par
Günter Böhme, archiviste de la
ville de Kemberg en Saxe-Anhalt,
la ville où précisément il avait séjourné
comme prisonnier de guerre soixante ans plus tôt.
Merci à
nos amis allemands pour cette belle initiative.
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Joseph Vente est décédé le vendredi
2 mars 2007 à la maison de retraite de saint-Jean-Soleymieux.
Joseph
Vente (1916-2007)
Le 6 mars avaient lieu, à
Gumières,
les funérailles de Joseph Vente.
Il était né le 12 janvier 1916 au pied
du bourg de Gumières dans une famille très modeste C'était
le dernier de sept enfants. Son père meurt accidentellement alors
qu'il n'a que deux ans et demi. Il passe son enfance et sa jeunesse
dans son village natal. Très tôt il doit aller travailler
chez les autres.
De 1936 à 1938, il effectue son service militaire.
Il revient ensuite au pays mais pour peu de temps. Il est rappelé
sous les drapeaux et la guerre éclate. En juin 1940, il est fait
prisonnier et subit une captivité de cinq ans en Allemagne. Il
ne revient à Gumières qu'en 1945. Plus de 8 années
de sa vie avaient été sacrifiées.
Cette longue épreuve avait bouleversé
son existence. Il part travailler à Villars comme livreur, reste
célibataire. A sa retraite il revient habiter Prolanges, un hameau
où il se sentait bien, proche de sa famille et de tous les habitants.
Il pouvait nommer tous les gens nés dans la commune avec souvent
leurs parents et grands-parents
C'était un homme bon. Ses difficultés
personnelles ne l'avaient pas aigri. Très attentif aux autres,
il avait parmi ses nombreux amis des enseignants allemands avec qui
il avait tissé des liens. Et, pour ses 91 ans, il avait reçu
un message du bourgmestre de Kemberg, la ville de Saxe où il
avait été prisonnier.
Observateur plein de finesse des choses et des gens,
il aimait parler, plaisanter et surtout chanter. Il participait jusqu'à
ces derniers mois au club du troisième âge, avait volontiers
raconté ses souvenirs d'enfance et de captivité
encore récemment, à Saint-Jean-Soleymieux.
Il ne se plaignait jamais. Pour lui l'essentiel était
d'avoir de vrais amis. C'était aussi un homme très serein,
un sage qui avait gardé fidèlement tout ce qu'il avait
appris dans son enfance. Une longue vie très simple faite d'amitié,
de fidélité et de confiance
le "tonton Joseph"
laisse un grand vide dans le canton de Saint-Jean-Soleymieux.